Dictionnaire de théologie catholique/USURE I. La formation de la doctrine ecclésiastique sur l'usure

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 393-403).

sowie des alloricnlulischen Zinswesens, dans Biblische Studien, t.xii, fasc. 4, Fribourg-en-B., 1907, p. 91 sq. Mais il n’était guère possible d’interdire le prêt lucratif dans un milieu où l’on avait autant de goût que d’aptitude pour les opérations commerciales. Et le contact avec d’autres civilisations, babylonienne, assyrienne, plus tard égyptienne, qui pratiquaient l’usure, cf. E. Cuq., Les nouveaux fragments du code de Hammurabi sur le prêt à intérêt et les sociétés, dans Revue d’assyriologie, t. xiii, 1916, p. 143-158 ; L. Delaporte, La Mésopotamie. Les civilisations babylonienne et assyrienne, dans Collection Berr, Paris, 1923, p. 139142 et 339-341, devait favoriser le développement du prêt à intérêt, dans le monde d’Israël. Les chefs religieux, soucieux de maintenir l’idéal moral de la race élue, se sont efforcés de lutter contre les subtilités de la pratique en prohibant, au fur et à mesure de leur apparition, toutes les formes du prêt à intérêt : prêt d’argent, prêt de céréales et en proclamant l’interdiction de l’usure.

Les textes fondamentaux.

Dans l’Ancien Testament,

trois dispositions essentielles régissent la matière du prêt à intérêt. La première, Ex., xxii, 25, défend d’exiger un intérêt du prêt d’argent fait à un compatriote dans le besoin : « Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple, au pauvre qui est avec toi, tu ne seras pas à son égard comme un créancier, tu n’exigeras pas de lui d’intérêt. » Le Lévitique, xxv, 35-37, reprend cette même défense, mais en y ajoutant des précisions : « Si ton frère devient pauvre et que sa main s’affaiblisse près de toi, tu le soutiendras, fût-il étranger, afin qu’il vive auprès de toi. Ne tire de lui ni intérêt ni profit, mais crains ton Dieu et que ton frère vive avec toi. Tu ne lui prêteras point ton argent à intérêt et tu ne lui donneras point de tes vivres pour en tirer profit. » Dans ce passage l’étranger dont il est question est le gêr, c’est-à-dire celui qui demeure au milieu des Israélites et en respecte les lois religieuses et sociales. Hejcl, op. cit., p. 73 ; H. Lesêtre, art. Prêt, dans Dict. de la Bible, t. v, col. 617 et art. Usure, ibid., col. 2336.

Enfin le Deutéronome, xxiii, 19-20, revient encore sur ce point, dans un texte de forme plus juridique : « Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt, ni pour argent, ni pour vivres, ni pour aucune chose qui se prête à intérêt. » L’interprétation des deux derniers passages ainsi que leur place respective dans le temps ont soulevé beaucoup de discussions. Hejcl, op. cit., p. 77 sq. Ces textes viennent réagir contre les habitudes probablement contractées au contact de l’Assyrie et de la Babylonie où le prêt de céréales était très développé. Hejcl, loc. cit. ; A. Morel. Histoire de l’Orient, t. i, p. 395, dans Histoire générale de G. (.lotL.

Le prêt à intérêt, défendu visa-vis du frère, est, par contre, permis vis-à-vis de l’étranger non agrégé à la nation ou nokrl : Phénicien. Philistin. Syrien, Arabe, par exemple. Dent., xxiii. 21. L’est même là une des faveurs accordées par.lahvé à son peuple. DeuL, xv, 6 ; xxviii, 12.

Telles sont les dispositions législatives de l’Ancien i< tament relatives au prêt à intérêt. Leur sévérité ne sera jamais atténuée par les représentants officiels de Ifl religion d’Israël, ainsi quc l’établissent maints passages des prophètes et des autres écrivains sacrés : Ez., xviii. S. 13, 17 ; IV, xv (xiv), 5, on fait honneur au juste de prêter sans intérêt ; xxxvii (xxxvi), 26. Cf. M. Lesêtre. art. l’sure, op. cit.. col. 2366 ; Otto Schilling. Reichtum und Eigentum in drr aliklrctdichen Literntur. Fribourg-en B., 1908, p. I sq.

En fait ces prescriptions étaient loin d’être observées avec rigueur. Ainsi Ézéchiel constatera qu’à

Jérusalem le prêl a Lntérêl était généralisé. Ez., xxii,

12. Sous prétexte de se mettre d’accord avec la pratique des étrangers, on n’hésitera pas à violer ouvertement la loi. H. Lesêtre, art. Prêt, op. cit., col. 620621.

II. L’antiquité grecque. — 1° Généralités. — Le prêt de consommation (Saveiap.6ç) est extrêmement fréquent en Grèce. II se fait habituellement moyennant intérêt. La légitimité des intérêts dus en sus du capital prêté semble avoir été reconnue dans les républiques grecques, dès qu’elles furent arrivées à ce degré de civilisation qu’implique le prêt d’une somme d’argent, vers la fin du v c siècle avant notre ère. G. Glotz, Histoire grecque, t. ii, p. 399-400.

Mais, tandis que le prêt de denrées, caractéristique d’une civilisation agricole, n’a laissé aucune trace, par suite de l’abandon, dès une époque très ancienne, d’une terre pauvre et ingrate, le prêt d’argent prend un grand essor, favorisé lui-même par le développement du commerce terrestre et maritime, rendu possible grâce au crédit.

Toutefois, avant de triompher, le prêt d’argent a dû vaincre une double hostilité : celle des mœurs familiales favorables au prêt gratuit ou spavoç, même en dehors de la famille, G. Glotz, Le travail dans la Grèce ancienne, Paris, 1920 ; celle plus directe des philosophes et notamment d’Aristote.

2° L’opposition des philosophes. Aristole. — On ne peut guère attacher d’importance aux attaques de Platon dans son traité des Lois, V, 741-742. Il est hostile au prêt à intérêt et veut permettre à l’emprunteur de refuser non seulement le paiement des intérêts, mais encore le remboursement du capital. Platon écrit pour sa République idéale, d’où il bannira l’or et l’argent. Très probablement cette défiance de l’argent, qui va de pair avec l’aversion à rencontre des étrangers et un nationalisme jaloux, a son point de départ dans le sentiment du danger très vif que fait courir à la patrie le cosmopolitisme financier. Cf. pour Platon, l’art. Prêl à intérêt en Grèce, dans la Grande Encyclopédie, t. xxvii, col. 610 b. C’est, sans doute, de la même source que provient la condamnation absolue du prêt à intérêt d’une somme d’argent par Aristote. Celui-ci est, d’ailleurs, en complète opposition avec son contemporain Démosthône. Selon Démosthène, il faut témoigner la plus grande sollicitude au prêteur, car l’emprunteur reçoit de bel et bon argent dont il devient immédiatement propriétaire et qu’il emploiera à sa guise, tandis que le prêteur n’obtient en échange qu’une petite tablette sur laquelle est inscrite une promesse de restitution. Pour Phormion, 44 ; Ps. -Démosthène, Contre Dionysodore, 1 ; cf. Beauchet, Histoire du droit privé de la République athénienne. t. iv, Paris, 1897, p. 233-234.

Le philosophe de Stagire affirme, quant à lui, que de toutes les activités sociales la pire est celle du prêteur d’argent, lequel prétend tirer un produit d’une chose naturellement stérile comme la monnaie, ne pouvant avoir d’autre propriété et d’autre usage que de servir de commune mesure des choses.

C’est à propos de la » chrématistique » ou art d’acquérir les richesses qu’Aristote aborde le problème du prêt à intérêt. Politique, I, x, in fine. Il oppose la chrématistique naturelle, partie de l’économie domestique, à la chrématistique spécialisée à l’argent ou commerciale, qui vise à l’enrichissement de celui qui la pratique et non à la simple utilisation des biens. La première est nécessaire et digne de louanges, tandis que l’autre, toute en échanges, mérite le blâme, car elle n’est pas conforme à la nature et prend aux uns ce qu’elle donne aux autres : « On a donc parfaitement raison, dit-il. de haïr le prêt ; i intérêt (obolostatlque). Par là, en elîet, l’argent devient lui même productif et se trouve détourné de sa

fin qui était de faciliter les échanges. Mais l’intérêt multiplie l’argent, de là précisément le nom qu’il a reçu en grec où on l’appelle rejeton (tÔxoç). De même, en effet, que les enfants sont de même nature que leurs parents, de même l’intérêt, c’est de l’argent fils d’argent. Aussi de tous les moyens de s’enrichir c’est le plus contraire à la nature. »…EÙAoywTaToc [juasPrai r) ô60XorxTaTix/] Sià tô à7r’aÙToû toû vouiau, aTOç eïvai TTjv xt’Tjcrv xai, oùx èç’ÔTrep STeoptaO’/]- u.£Ta60X7)< ; yà.p èysvsTO /âpiv, ô 8è toxoç aÙTÔ 7roieï 71Léov, ôŒv xai TOuvo(xa tout’èîX7]<pev Ôu.oia yàp Ta Tt.XTOu.eva tolç y£vvôJat.v aÙTa ècttiv, ô Se toxoç Y^ veToa vo^iau-a voaa|i.aToç- w<jte xal u.â>aaTa ratpà cpûaiv oôtoç tûv Zp7)u, aT’.au.wv ècmv. Cf. Gemàhling, Les grands économistes. Textes et commentaires, 2e éd., Paris, Sirey, 1933, ]). 12.

C’est de là que le Moyen Age tirera le célèbre adage : Nummus non parit nummos, l’argent n’engendre pas de l’argent, ainsi que la condamnation du prêt à intérêt. La même condamnation se retrouve dans l’Éthique à Nicomaque, IV, i, 37.

Aristote, on le voit, considère l’argent en soi, sans tenir compte de l’usage auquel on peut le destiner, sans remarquer que l’emprunteur recherche dans l’emprunt non une certaine quantité de métal, mais la valeur de ce métal qu’un emploi intelligent doit faire fructifier, tout comme le laboureur fera fructifier un fonds de terre. De là le vice d’un raisonnement d’apparence logique et conforme aux données de la nature.

On aura presque fait le tour de la critique sociale dans le monde grec, en rappelant les railleries d’un Aristophane Nuées, v. 16, 17 et 749, et en observant que Plutarque traduit assez exactement l’opinion publique, quand il flétrit les usuriers cupides « qui plument et dévorent jusqu’aux os les pauvres débiteurs à coup de becs et de griffes, qu’ils mettent dans leur chair comme des vautours affamés ». Plutarque, Œuvres morales, traduites par J. Amyot, t. i, Lyon, 1615, p. 409 : « Qu’il ne faut point emprunter à usure ». Mais si l’usurier est honni, on apprécie à sa juste valeur le rôle utile de l’honnête homme qui prête de l’argent pour rendre service et ne pas voir son capital fondre insensiblement dans ses mains.

3° Les mœurs et la législation favorables au prêt à intérêt. — On peut donc dire qu’en fait, le prêt à intérêt, aliment nécessaire du commerce, a toujours été considéré avec faveur, en Grèce. L’État lui-même n’hésitait pas à recourir à l’emprunt pour couvrir des besoins urgents tels que ceux résultant de la guerre.

Jamais, au demeurant, la question des dettes privées ne provoqua, en Grèce, les crises politiques et sociales qu’elle devait faire naître à Rome, parce que les emprunts contractés par des particuliers le furent, le plus généralement, à partir du ve siècle, en vue du commerce et non pas pour subvenir à des dépenses journalières et que le prêt à intérêt fut un élément de la prospérité commerciale de la Grèce. LTne seule mesure générale est à signaler concernant les dettes : luseisachlheia de Solon. Encore, selon l’opinion la plus répandue, Solon ne fit-il que supprimer la servitude pour dettes, sans abolir les dettes ni limiter temporairement le taux de l’intérêt. G. Glotz, Histoire grecque, t. i, p. 430-432.

On a noté aussi quelques cas de remise de dettes dans certaines villes : Éphèse, Mégare, Sparte sous Agis (cf. Plutarque, Agis, 13).

Il n’en reste pas moins vrai que le législateur, de par son silence même, a largement facilité le développement du prêt à intérêt. Tandis que l’accroissement de la richesse et du numéraire poussait aux placements, l’activité croissante du marché poussait

aux emprunts, que l’on contractait le plus souvent au moyen d’un écrit rédigé par le prêteur en présence de l’emprunteur et déposé, d’ordinaire, chez un Tpa7Tô^ÎTr ( ç, ou encore verbalement en présence de témoins qui assistaient à la remise des deniers, la simple convention suffisant à rendre le prêt productif d’intérêt. Beauchet, op. cit., p. 236 et 247.

Prêt ordinaire et prêt à la grosse.

Les Grecs

distinguent deux espèces très différentes de prêt à intérêt : le prêt ordinaire ou prêt terrestre, èyyeiov Sâvetov, et le prêt maritime ou prêt à la grosse aventure, vauTixôv Sàveiov. Le premier n’offre pour l’emprunteur qu’un seul risque, celui de l’insolvabilité du débiteur, très atténué grâce aux sûretés. Par contre, le prêt à la grosse est exposé à tous les dangers auxquels sont soumis les navires et leurs cargaisons. Le taux de l’intérêt est donc naturellement plus élevé pour de tels prêts, et ce taux a fini par réagir sur le taux normal par suite des besoins énormes d’argent que l’accroissement du numéraire ne put jamais satisfaire et de certaines mesures prises par l’État contre les métèques. Ces derniers, ne pouvant bénéficier de l’hypothèque, majorent le taux de l’intérêt pour se couvrir plus sûrement. Beauchet, op. cit., p. 246 ; G. Glotz, Le travail…, p. 291.

Le taux de l’intérêt est ordinairement calculé à tant par mois et par mine. L’intérêt normal paraît être de 12 pour 100 par an pour le prêt non commercial (une drachme par mois pour une mine), tandis que le prêt hypothécaire comme le prêt commercial se fait à l’intérêt de 16 ou 18 pour 100 (8 ou 9 oboles par drachme pour un mois) et que, dans le prêt maritime, le taux de l’intérêt varie entre 20, 40 et même 60 pour 100, suivant la personne de l’emprunteur, le lieu de destination du navire, la durée de navigation, la situation économique et politique. P. Guiraud, La propriété foncière en Grèce jusqu’à la conquête romaine, Paris, 1893, p. 279 ; Glotz, loc. cil.

Diverses mesures aggravaient encore la situation des débiteurs telles que l’anatocisme qui consiste à faire produire intérêt aux intérêts non payés à l’échéance et l’habitude de prélever, au moment du prêt, une partie de la somme prêtée, pour se payer à l’avance des intérêts à venir. Beauchet, op. cit., p. 256-257.

Aux ouvrages cités, on peut ajouter E. Caillemer, Le contrat de prêt à Athènes, Paris, 1870, et Billeter, Geschichte des Zinsfusses im griechisch-rômischen Altertum bis auf Juslinian, Leipzig, 1898, à qui les travaux plus récents ont fait de nombreux emprunts.

III. L’antiquité latine. — 1° Généralités. — Comme le droit grec, le droit romain a connu le prêt à intérêt, mais, tandis qu’il fut en Grèce un élément de prospérité, il n’engendra à Rome que misères et troubles. Velus urbi fœnebre malum, l’usure fléau invétéré à Rome, dira plus tard Tacite, Annales, VI,

XXII.

C’est qu’au lieu de s’adresser à une classe de commerçants qui empruntent pour faire fructifier leurs affaires, il est destiné en fait à subvenir aux dépenses journalières du petit agriculteur, ruiné par le hasard des saisons ou la guerre, à payer le tribut, Tite-Live, VII, xxvi, 3, ou à rembourser les créanciers antérieurs. Festus, au mot Yersura. L’organisation politique et sociale ne fit au demeurant qu’aggraver la situation des débiteurs, sous les premiers siècles de la République. Les patriciens qui détiennent le pouvoir et la fortune exploitent sans scrupule les plébéiens obligés de recourir à l’emprunt pour vivre.

Le prêt à intérêt, réalisé aux origines par le nexum, acte per œs et libram, assure au créancier la mainmise sur la personne du débiteur, qui demeure assujetti au créancier jusqu’au remboursement, qui risque

d’être mis à mort ou vendu trans Tibcrim s’il ne peut se libérer. P. Noailles, Nexum, dans Rev. hist. de droit français et étranger, 1940-1941, p. 205-274.

Dès avant que ce mode de s’obliger n’ait été supprimé par la loi Pœtelia Papiria (428 U. C. = 320 av. J. C.)> l’emploi du muluum, assorti d’une stipulation d’intérêts, était de règle pour réaliser le prêt d’intérêt. Accompagné de cette stipulation d’intérêts, le muluum prend le nom de fœnus ou fenus, mot qui après avoir désigné l’intérêt s’est appliqué par extension au capital prêté à intérêt. Les Romains rattachent fœnus à fétus (génération) » parce que les deniers prèles en engendrent d’autres, ce qui chez les Grecs est appelé tôxoç (enfantement) (Festus, in Paul. Diac, 86 et aussi Varron, dans Aulu-Gelle, xvi, 12). Le muluum est en soi insuflisant à faire naître les intérêts. Contrat réel, qui se fait par la remise de la chose (datio mutui), le muluum oblige l’emprunteur à rendre exactement ce qu’il a reçu en quantité et qualité ; il ne peut l’obliger à rendre plus. P.-E. Viard, La datio mutui, Paris, 1939. L’obligation de payer un surplus, de verser un intérêt est donc nécessairement indépendante de l’obligation principale. Pour que cette dernière obligation existe, il faut une convention spéciale des parties, laquelle devra pour être valable, revêtir les formes solennelles de la stipulation, stipulatio usurarum. C’est la raison pour laquelle le muluum sera le plus souvent incorporé dans un contrat verbal. G. Segré, Sludi Simoncelli, 1917, p. 331-364. Puisque, pour devenir créancier des intérêts, il faut faire une stipulation d’intérêts, il paraît aussi simple de la faire du même coup pour le capital et les intérêts, stipulatio sortis et usurarum. Girard, Manuel de droit romain, 8e éd., par F. Senn, Paris, 1929, p. 547. Cette nécessité de la stipulation pour faire naître les intérêts restera la règle pour les emprunteurs de sommes d’argent, malgré le développement reçu par le système des pactes adjoints aux contrats. Le simple pacte joint au muluum suffira à faire naître les intérêts dans le cas de nauticum fimus ou prêt à la grosse aventure, Dig., XXII. ii, 7, dans le cas de prêt de denrées autres que l’argent, Cod., IV, xxxii, 11 (12), et enfin dans le cas de prêt fait par des banquiers selon la Novelle 136, c. 4 (an. 535) de Justinien, ratifiant les pratiques antérieures.

La légitimité des intérêts n’a jamais été contestée sérieusement à Rome. Sans doute la race hideuse des usuriers a-t-elle alimenté la littérature depuis le temps de Plaute, Curculio, acte îv. se. 3..Mais ceux-là même qui se montreront le plus sévères a l’endroit des usuriers seront bien SOUVent des préteurs sans

scrupules : tel Caton l’ancien, Cicéron. Guibbert, Le

prêt à intérêt, Thèse de droit, Toulouse, 1903, p. 53.

Toutefois l’État ne put rester indifférent aux remous

sociaux provoqués par le taux excessif de l’intérêt.

Il chercha, mais en vain, le remède dans la limitation de ce taux. I lie réglementation tontine échelonne ses textes depuis la loi des XII Tables jusque dans le droit de Justinien.

L’ancien droit.

La première mesure en vue de

limiter les intérêts provient des XII Tables elles-mêmes (304 I’. C. = 450 av. J. C.) qui, au dire de Tacite, Ann., VI, xvi » prescrivirent de ne pas exiger un intérêt supérieur à Vunciarum fœnus alors qu’auparavant le bon plaisir des riches (lait la seule loi i,

primo XII tabulis sanctum ne qui » unoiarto fœnore uni [il iiis exercerel cum untea ex libidinc locupletium agilatetur. Mais Tite-Live, antérieur d’un siècle à Tacite, prétend, Hist., VII, xvi, i, que c’est la loi Duilia Menenia (397 U. C 357 av..1. Ci qui > la première limité le taux de l’intérêt. I, ’opinion raie concilie ces dires en supposant que la loi des

XII Tables aurait été confirmée par la loi Duilia Menenia. Mais le désaccord persiste quant à l’interprétation de l’unciarurn fœnus.

Pour les uns l’uncia qu’implique l’expression fenus unciarum serait de 1 pour 100 ; selon les autres, ce serait la douzième partie du capital. Comme le taux ainsi fixé peut être annuel ou mensuel, on arrive alors aux quatre hypothèses suivantes : 1. le fenus unciarum serait de 1 pour 100 par an ; 2. ou 1 pour 100 par mois, soit 12 pour 100 par an ; 3. ou bien 8 1/3 pour 100 par an (un douzième du capital) ; 4. ou bien 8 1/3 pour 100 par mois, soit 100 pour 100 par an. Klingmiiller, au mot Fenus, dans Pauly-W’issowa, Realencyclopâdie, t. vi, col. 2189-2192.

Il n’est pas possible d’avoir une opinion nette et définitive d’après les textes, mais l’opinion la mieux fondée paraît être celle défendue par Niebuhr, Histoire romaine, trad. française, 1830-1831, t. ii, p. 380 ; t. VI, p. 80, lequel soutient que le taux du fœnus était 8 1 /3 pour 100 par an. Voir en dernier lieu en ce sens M. Nicolau, Le problème du fœnus unciarum, dans Mélanges lorga, Paris, 1933, p. 930-941 ; contra Monier, Manuel de droit romain, t. ii, 2e éd., Paris, 1940, p. 136, et Hubrecht, Manuel de droil romain, t. u. Paris, 1943, p. 97.

Ce taux était néanmoins trop élevé pour des emprunts improductifs. Il fallut le réduire de moitié en 407 U. C. = 347 av. J. C, Tacite, Annales, V, xvi, et peut-être même le prêt à intérêt fût-il interdit par la loi Genucia en 412 (J. C. =342 av..1. C. Tite-Live, VII, xlii, 1. Mesure sans portée pratique, car de nombreuses lois s’efforcèrent, dans les derniers siècles de la République, d’alléger le fardeau des dettes poulies débiteurs. Haudry, au mot Fœnus, dans Dict. des antiquités grecques et romaines, t. ii, col. 1226 a : Guibbert, op. cit.. p. 50 sq.

3° Le droit classique et le droit impérial. - À l’époque classique le système grec de l’intérêt commercial fixé à 12 pour 100 par an, se généralise sous le nom de centesima usura, c’est-à-dire intérêt à 1 pour 100 par mois. Dig., XII, i, 40. C’est déjà le taux de l’intérêt légal à l’époque de Cicéron (cf. Cicéron, Ad Allie. VI, xxxi, 5), taux qui fut consacré par un sénat us-eonsulte. Cicéron, ibid., V, xxi. Malgré ce taux légal élevé, l’usure ne disparaît pas : N’erres prête à 21 pour 100 ; Cicéron, Yerr., iii, 71, et Scaptius, agent de BrutUS, à 48 pour 100. Cicéron., t</ Allie, Y, xxi. Cf. Deloume, Les manieurs d’argent à Rome, Paris, 1890, p. 182 et passim. Le taux de l’intérêt maritime demeure pleinement libre. Baudry, au mot Fœnus, op. cit., col. 1226 « et b.

Diverses tentatives seront faites par les empereurs pour abaisser le taux légal. Alexandre Sévère veut le ramener à 1 pour 100, l.ampride. Alex. Srv., n. 26 ; Constantin limitera à 50 pour 100 le taux du prêt de denrées demeuré libre jusqu’à son époque, Cod. I licod.. II. xxxin. 1 : en 405, les empereurs 1 fonorius et Area(lius interdisent aux sénateurs de prêter à plus de 6 pour 100. Ibid., 1. Sur la diversité des taux sous l’Empire, cf. Klingmiiller. au mot Fenus, Realenc, col. 2197-2199.

la défense d’exiger les intérêts accumulés au delà du montant du capital et la prohibition de l’anato cisme au moins pour les intérêts a échoir sont affirmés dès l’époque classique, Girard, op. ni., p. 5 19 et p. 550, n. 2.

Mais l’usure ne disparaîtra pas sous l’Empire, malgré les sanctions portées contre les usuriers ; infamie sous Dioclétien, Code, 1t. xi. 20 ; peine du qua

druple remise en xigueiir sous Théodosc, CorI. Théod., II, xxxin. 2.

i Le » réformes de Justinien d de ses successeurs <n orient. Justinien devait remanier et refondre toute 324

la législation impériale relative au prêt à intérêt. Sans aller jusqu’à supprimer celui-ci, comme l’Église le demandait, il le réduisit le fixant à 6 pour 100 pour les prêts ordinaires, taux ramené à 4 pour 100 lorsque le prêteur était une persona illustris. Les banquiers, qui empruntent pour prêter, et les autres commerçants peuvent stipuler des intérêts allant jusqu’à 8 pour 100. Le taux de 12 pour 100 est admis dans le prêt maritime. Le même taux peut être appliqué au prêt de denrées. Quelques Novelles prévoient des taux spéciaux : Novelle 120 (an. 544), taux de 3 pour 100 pour les prêts aux églises et autres fondations pieuses ; Novelles 32, 33 et 34 pour les prêts aux agriculteurs.

Enfin Justinien décide que le capital cessera de produire des intérêts, quand par leur montant ceux-ci seront égaux au capital, alors même qu’ils auront été payés. Nov. 121, c. 2, an. 535 et Nov. 138. L’empereur défend l’anatocisme même pour les intérêts échus. Cod., IV, xxxii, 28.

Sur l’ensemble de la réglementation des intérêts par Justinien, voir Cassimatis, Les intérêts dans la légistion de Justinien et dans le droit byzantin, Thèse, Paris, 1931, p. 49 sq.

Les successeurs de Justinien en Orient s’efforceront de supprimer le prêt à intérêt : Basile le Macédonien (867-886), Prochiron legum, xvi, 14 : « admettre le paiement d’un intérêt est indigne de notre conduite chrétienne et il faut l’éviter comme prohibé par la législation divine », ou tout au moins faut-il abaisser le taux de l’intérêt, Léon le Sage (886-911), Nov. 83, cf. A. Monnier, Les Novelles de Léon le Sage, dans Bibl. des Univ. du Midi, fasc. 17, 1923, p. 146-149, et P. Noailles et A. Dain, Les Novelles de Léon VI le Sage, Paris, 1944, avant de revenir purement et simplement à la législation de Justinien. Basiliques, éd. Heinbach, t. XXIII, t. m. Il était prématuré de vouloir supprimer le prêt à intérêt et même de réduire à l’excès le taux de l’intérêt. L’Occident est en avance sur l’Orient ; depuis plus d’un siècle déjà, le pouvoir séculier « acceptant la voix de la loi divine » a prohibé le prêt à intérêt. Pour le droit byzantin, Cassimatis, op. cit., p. 112-126.

IV. L’Antiquité chrétienne. — 1° La doctrine évangélique. 2° L’enseignement des Pères de l’Église. 3° L’interdiction de l’usure aux clercs. 4° Vers l’interdiction de l’usure aux laïques.

La doctrine évangélique.

Aux temps évangéliques,

par suite, sans doute, de l’influence du milieu, on admet que l’argent prêté peut produire un intérêt. C’est sans un mot de blâme que Notre-Seigneur fait allusion aux opérations de banque qui rendent l’argent productif. Matth., xxv, 27 ; Luc, xix, 23. Chez les Romains l’intérêt légal est alors de 12 pour 100 par an (cf. supra). Mais à ses disciples, le Sauveur recommande la charité désintéressée : « Si vous ne prêtez qu’à ceux dont vous espérez restitution, quel mérite avez-vous ? Car les pécheurs prêtent aux pécheurs afin de recevoir l’équivalent… Prêtez sans rien espérer en retour et votre récompense sera grande ». Luc, vi, 34-35. On sait les controverses que ce verset 35 a soulevées et notamment le jjIyjSèv àmXnLÇovieç du texte grec, qu’il faut traduire : n’espérant rien en retour, nihil inde sperantes. C’est là, de l’aveu unanime, non pas un précepte, mais un conseil à l’usage des parfaits. H. Lesêtre, art. Prêt, dans Dict. de la Bible, t. v, col. 620. En même temps qu’il enseigne à prêter d’une manière désintéressée, le Christ conseille à ses disciples de ne pas éviter ceux qui veulent emprunter. Matth., v, 42.

L’enseignement des Pères de l’Église.

Lorsque

Justinien publiait ses compilations et réglementait le taux de l’intérêt, il y avait plus de deux siècles que

les Pères de l’Église, se fondant sur l’enseignement du Christ, avaient engagé le combat contre le prêt à intérêt et prohibé l’usure, c’est-à-dire la perception de tout surplus soit en argent soit en nature dans le prêt de consommation. Il ne saurait être question de passer en revue tous les témoignages patristiques relatifs à notre matière ; il suflira d’analyser les plus importants en distinguant, pour la commodité, entre les Pères de l’Église grecque et ceux de l’Église latine, alors même que leurs écrits sont contemporains. Recension de nombreux témoignages par Mgr Seipel, Die Wirlschajsethischen Lehren der Kirchenvâler, Vienne, 1907, p. 167 sq.

1. Les Pères de l’Église grecque.

C’est à Clément d’Alexandrie (f vers 220) que revient, semble-t-il, l’honneur d’avoir dénoncé l’un des premiers, dans l’Église grecque, la pratique de l’usure, en s’appuyant plus spécialement sur l’Ancien Testament. « La loi défend de pratiquer l’usure à l’égard de son frère, dit-il ; non seulement à l’égard de son frère selon la nature, mais encore à l’égard de celui qui a la même religion ou qui fait partie du même peuple que nous, et elle regarde comme injuste de prêter de l’argent à intérêt ; on doit bien plutôt venir en aide aux malheureux d’une main généreuse et d’un cœur charitable. » Stromata, t. II, c. xviii, P. G., t. viii, col. 1024.

Au siècle suivant, saint Grégoire de Nazianze (329389) dénoncera l’usure comme l’un des crimes qui déshonorent l’Église et jettent les hommes dans la damnation éternelle. Il fustigera celui qui « a contaminé la terre par les usures et les intérêts, amassant là où il n’avait pas semé et moissonnant là où il n’avait pas répandu de semences, tirant son aisance non pas de la culture de la terre mais du dénuement et de la disette des pauvres ».. Orat., xvi, P. G., t. xxxv, col. 957. Pour la_ date de ce discours, P. Gallay, La vie de saint Grégoire de Nazianze, thèse de lettres, Lyon, 1943, p. 122.

Mais ce sont surtout les deux autres Pères cappadociens, saint Basile (329-379) et son frère puîné, saint Grégoire de Nysse (331-400), qui vont envisager le problème de l’usure dans son ensemble, à la lumière de l’Écriture. Ce n’est là, au demeurant, que l’un des épisodes de la campagne qu’ils ont menée, saint Basile plus particulièrement, contre la richesse. A. Puech, Hist. de la litt. grecque chrétienne, t. iii, p. 263 ; Y. Courtonne, Saint Basile. Homélies sur la richesse, thèse de lettres, Paris, 1935. Chacun d’eux a consacré une homélie à ce sujet : saint Basile a l’homélie sur le psaume xiv, 5, sur l’authenticité de laquelle plane un léger doute, Puech, op. cit., p. 263, n. 1 ; saint Grégoire l’homélie sur Ézéchiel, xxii, 12, où le prophète menace de détruire Jérusalem à cause de son iniquité. Ces deux homélies se complètent l’une l’autre, car, comme l’a noté F. Marconcini, La illegitimità del prestito di moneta a interesse in due omelie del secolo I V, dans Raccolta di scrilti in memoria di Giuseppe Toniolo, publication de l’université de Milan, sér. 3, Scienze sociali, t. vii, 1929, p. 288, saint Basile examine la question plutôt du point de vue du débiteur, saint Grégoire de Nysse plutôt du point de vue du créancier. De plus Grégoire prohibe tout espèce d’usure, tandis que Basile semble limiter sa condamnation à l’intérêt de l’argent. Sur le fondement de l’Écriture, saint Basile déclare que c’est un crime de prêter à usure et d’exiger plus que le principal. Il professe, en outre, que le riche doit prêter gratuitement au pauvre. En lui prêtant à usure, il n’en fait ni un ami, ni un débiteur, mais un esclave. Et dans le même temps que ses biens s’augmentent par l’usure, ses crimes s’augmentent bien davantage encore. P. G., t. xxix, col. 266 sq. La plus grande partie de l’homélie, c. ii, m et iv, est ensuite consacrée à détourner les emprunteurs de recourir à l’argent d’autrui. Qu’ils vendent tout ce qu’ils possèdent plutôt que de perdre leur liberté par l’emprunt et de voir disperser leurs biens, pour un prix dérisoire, par un créancier pressé de rentrer dans ses débours. L’emprunt est non seulement contraire aux intérêts temporels, il compromet gravement le salut éternel par les occasions qu’il donne au mensonge, au parjure, à l’ingratitude et à la perfidie. D’où la conclusion suivante : « Etes-vous riche ? N’empruntez donc pas. Etes-vous pauvres ? N’empruntez pas davantage. Car, si vous ne manquez de rien, pourquoi empruntez-vous à usure ? Et si vous n’avez rien, vous ne pourrez rendre ce que vous avez emprunté. » Ibid., col. 271. Que l’intérêt soit un mal générateur d’autres maux, n’est-ce pas là quelque chose de solidement établi par l’appellation toxoç, enfantement, qui lui a été donnée dans la langue grecque ? « …L’intérêt est appelé toxoç à cause de la fécondité du mal… ; ou est-il appelé toxoç pour les douleurs et les ennuis, que, par sa nature, il provoque aux esprits des débiteurs parce que le délai de paiement se présente à eux comme la douleur à la femme qui accouche ? L’intérêt des intérêts est une mauvaise progéniture de mauvais parents. Que les produits des intérêts soient appelés des enfants de vipère… » Ibid., col. 274.

Les emprunteurs ne manquent pas d’excuses, apparemment du moins, pour justifier leur conduite. Les uns sont dans le besoin ; les autres veulent augmenter leur bien-être. Aux premiers, Basile donne l’exemple de l’abeille et de la fourmi qui savent trouver le nécessaire sans emprunter ni mendier. A tout prendre, mieux vaut encore demander l’aumône, si l’on est dans le dénuement et si l’on n’a pas assez de force pour supporter les fatigues du travail. Aux autres, le saint rappelle que, s’ils n’ont pas assez pour leurs nécessités, leurs commodités ou leurs voluptés, le nombre finira par se multiplier de ceux dont ils sont les débiteurs. Ibid., col. 275-278. L’homélie se termine par le rappel aux riches du conseil de Notre-Seigneur : « Prêtez à ceux de qui vous n’espérez rien recevoir » et par une condamnation toute spéciale de l’usure envers les pauvres. Col. 278.

Saint Grégoire de Nysse affirme d’abord, comme son frère, que prêter à usure c’est prendre le bien d’autrui. P. G., t. xliv, col. 671. Puis, avec plus de netteté que ses devanciers, il note que l’usure est le résultat d’une union contre nature, improba conjunctio, qui a le pouvoir de faire que les choses stériles et inanimées enfantent, alors que la nature n’a donné la fécondité qu’aux choses animées qui ont des sexes différents. Col. 671-672. N’est-ce pas déjà, mais dans une formule moins décisive, l’affirmation de la stérilité naturelle de l’argent que saint Thomas empruntera à Aristote ?

Que celui qui prête à usure sache qu’il augmente l’indigence de son emprunteur au lieu de la diminuer, (elle idée amène tout naturellement le saint à passer la revue des tourments auxquels sont, en conséquence, exposés les usuriers : crainte de n’être pas remboursés. même si le débiteur est riche, car il peut être ruiné rapidement ; angoisses plus grandes encore si l’argent a été prèle à des marchands et à des gens de trafic, car les risques courus par les capitaux sont plus grands eux aussi. Il insiste sur les dangers sociaux de l’usure : multiplication des pauvres, ruine des maisons, occasions de luxe el île débauche, désespoir des débiteurs BCI Ulés a la misère. Col. 673-67 I.

Si saini Basile et saint Grégoire, comme d’ailleurs les autres Pères du rve siècle, prohibent plus du ment l’usure envers les pauvres, (’est. sans doute. parce que, dans un monde qui tend a s’anémier et a se replier sur soi-même, Albcrtini, L’Empire romain, Paris, 1929, p. 368 sq., surtout p. 389, les classes pauvres sont celles qui recourent le plus au prêt de consommation et ont le plus à souffrir des exigences de leurs créanciers. On n’en saurait conclure que l’usure est permise dans certains cas, notamment envers les riches. Les Pères cappadociens et avec une particulière netteté saint Grégoire condamnent la perception d’un intérêt quel qu’il soit, même sous le couvert de la loi civile. C’est ainsi que dans sa Lettre à Létoïus, évêque de Mélitène, écrite vers 390, saint Grégoire déclare qu’il faut s’en tenir à l’Écriture qui « condamne l’usure, toxoç, et le surplus, TrXeovaop. ôç, qu’on prend outre le principal, et défend d’user d’une puissance quelconque pour faire passer le bien d’autrui en sa possession, même si cela se fait par hasard sous la forme du contrat ou de la transaction », donc dans les limites permises par la loi. Atqui apud divinam Scripturam feenus et usura sunt prohibita, et per quamdam potentiam, ad suam possessionem aliéna traducere, etiamsi sub contractas aut transaclionis specie hoc fortasse factum sit. P. G., t. xlv, col. 234. Enfin l’usure est condamnable non seulement chez les clercs, mais encore chez les laïques, car saint Basile et saint Grégoire estiment qu’un laïque, qui a pratiqué l’usure, ne peut être admis aux ordres sacrés qu’après s’être engagé à restituer tout le profit injuste qu’il a réalisé et à s’abstenir désormais de tout gain sordide : Basile, Lettre canonique à Ami>hiloque, Epist., cxcviii, t. xxxii, col. 682 ; Grégoire, Lettre ù Létoïus. c. 6, t. xlv, col. 233. Sur ces deux Pères, utiles précisions dans S. Giet, Les idées et l’action sociales de saint Basile, thèse de lettres, Cæn, 1941, p. 120 sq., et De saint Basile à saint Ambroise. La condamnation du prêt à intérêt au IVe siècle, dans Recherches de science religieuse, 1944, p. 95 sq.

A son tour saint Jean Chrysostome (314-407) va s’attaquer à l’usure et aux usuriers dans ses homélies sur la Genèse et dans celles sur saint Matthieu, prononcées à Antioche vers 390. Il apporte dans le débat la fougue de son tempérament batailleur et toutes les ressources de sa science et de sa dialectique. Dans V homélie xli sur la Genèse, xviii, il tente une réfutation philosophique de la notion d’intérêt en s’appuyant sur la morale chrétienne : « Pour l’argent sensible, dit-il, Dieu a prohibé la perception d’intérêts. Pour quelle raison et pourquoi ? Parce que chacun des deux contractants en subit un grave dommage, car tandis que la pauvreté de l’un s’accentue, l’autre accumule une foule de péchés en même temps qu’il augmente sa fortune. » P. G., t. lui, col. 376-377. Dans l’homélie lxi sur saint.Matthieu, il insiste sur les dangers de l’usure pour le salut éternel, t. î.vin, col. 591-592, tandis que, dans l’homélie i.yi, « préférant l’indignation des hommes à celle de Dieu > et prévoyant que son discours sera désagréable a ceux qui veulent être flattés et non avertis des vérités du salut — ils sont sans doute nombreux dans ce monde d’affaires et de trafic qu’est Antioche il établit que les usures sont contre nature, qu’elles sont pernicieuses a ceux qui prêtent et à ceux qui empruntent, op. cit., col. 556 sq., ce qui n’est pas nouveau : mais surtout il prévoit et réfute les justifications que les usuriers donnent de leur conduite. On distribue en aumônes les profits de l’usure ? Dieu ne veut point de ces offrandes. Il vaut mieux ne rien donner aux pauvres que leur donner de la sorte, car c’est faire injure a Dieu. On se retranche derrière la loi civile Mais le publicain lui aussi gardait les lois extérieures et il ne laissa pas d’être puni. De plus les lois civiles elles mêmes considèrent l’USUre comme le si^ne d’une extrême imprudence. Aussi n’est il pas permis aux sénateurs de prêter à usure (allusion à une constitution d’Arcadius au Code Théodosien, II. xxxiii. 3) ci les lois défendent à ceux qui gouvernent l’État de prendre pari à ces gains honteux. Op. cit., col. 557.

Tandis que les Pères de l’Église grecque luttaient ainsi avec vigueur contre l’usure, ceux de l’Église latine n’étaient pas restés inactifs.

2. Les Pères de l’Église latine. —

On trouve déjà chez Tertullien au début du nr siècle, un témoignage 1res net contre l’usure, mais Tertullien n’a pas en vue l’examen de ce problème dans son ensemble ; il veut simplement répondre à Marcion qui oppose l’Ancien et le Nouveau Testament. Voulant prouver, au contraire, l’harmonie qui existe entre la loi judaïque et l’Évangile, Tertullien souligne très heureusement, en prenant pour exemple l’enseignement donné sur le prêt à intérêt, que l’Ancien Testament a prohibé l’intérêt du prêt, jructus fœnoris, afin que l’habitude se contractât plus facilement île perdre, au besoin, le principal lui-même, ipsum jœnus, ainsi que le conseille Notre-Seigneur. Ado. Marc., iv, 17, P. L., t. ii, col. 398-399.

De tous les Pères de l’Église, c’est probablement saint Ambroise qui a le mieux examiné dans le détail, la question de l’usure. Il y a consacré tout le Livre de Tobie, P. L., t. xiv, col. 759-794, composé aux environs de 377 selon les bénédictins, plus probablement vers 389 sejon J.-R. Palanque, Saint Ambroise et l’Empire romain, Paris, 1933, p. 445, où l’on trouve trace de l’homélie de Basile sur le ps. xiv. L’exemple de Tobie est particulièrement significatif, qui ayant prêté à tout le monde ne demanda rien quand il fut tombé dans le besoin. C’est à peine s’il songea à redemander le capital à la veille de mourir, moins par désir de récupérer ce qu’il avait prêté que de ne pas frustrer ses héritiers. Il lit donc le devoir d’un juste en prêtant de l’argent et en le prêtant sans intérêt. Tel est le thème sur lequel sont greffés les développements relatifs à l’usure. S’adressant plus particulièrement à ces « riches impitoyables qui ouvrent les oreilles dès qu’on leur promet quelque profit », le saint évêque leur fait honte de leur cruauté ; il leur rappelle que non seulement l’usure en argent est défendue, mais aussi l’usure en nature, car tout ce qui est pris en sus du principal est une usure. Et il poursuit : Et esca usura est, et vestis usura est, et quodeumque sorti accidit, usura est : qtwd velis ei nomen imponas, usura est. Op. cit., c. xiv, n. 49 ; t. xiv, col. 778. Même idée dans le Breviarium in ps. liv : usura est plus accipere quam dure, P. L., t. xvi, col. 982. Il incite vivement les chrétiens à prêter dans l’esprit évangélique à ceux de qui ils n’espèrent pas recevoir ce qu’ils ont prêté : date mutuum iis a quibus non speratis vos, quod datum fuerit, recepluros. A tous, riches et pauvres, il déconseille l’emprunt, source d’ennuis pour les créanciers, à quelques exceptions près, et de pauvreté pour les débiteurs. T. xiv, col. 780 sq. Par exception saint Ambroise permet de pratiquer l’usure avec les ennemis, ubi jus belli, ibi jus usuræ, et c’est en ce sens qu’il interprète les dispositions de l’Ancien Testament permettant l’usure avec l’étranger. De Tobia, c. xv, n. 51, t. xiv, col. 779.

Dans le Livre de Tobie, saint Ambroise condamne l’usure au nom de la religion, parce que l’usure compromet gravement le salut éternel. Dans son De officiis, il condamnera les usures comme contraires à la loi naturelle, en déclarant que prendre par les usures quelque chose à autrui est un vice qui ne peut convenir qu’à des âmes serviles et de la plus basse condition et qu’il est contraire à la nature de faire tort à autrui pour se procurer des avantages. T. xvi, col. 151.

Quant à saint Jérôme (3447-420), il aborde le problème de l’usure essentiellement sous l’angle de l’exégèse, dans ses commentaires sur Ézéchiel, xviii, 6, P. L., t. xxv, col. 176-177 et sur saint Matthieu, t. III, xxi, 12 et 13, t. xxvi, col. 150-151. Se reportant au

texte hébraïque il remarque que dans l’Écriture toute sorte d’usure est défendue et pas seulement l’usure en argent comme l’indique la version des Septante. T. xxv, col. 176. Et saint Jérôme d’insister sur ce point et de réagir contre les pratiques de son temps. « Quelques-uns pensent, dit-il, que l’usure ne se fait qu’en argent. La sainte Écriture prévenant cette erreur défend le surplus de quoi que ce soit afin qu’on ne reçoive jamais plus qu’on a donné. On exerce à la campagne les usures du blé et du millet, du vin et de l’huile et de toutes les autres denrées ; ce sont ces usures que l’Écriture appelle surplus. » Pulant quidam usuram tantum esse in pecunia. Quod prævidens Scriptura divina, omnis rei aujerl superabundanliam, ut plus non recipias quam dedisli. Soient in agris (rumenti et milii, vint et olei, cœlerarumque specierum usuræ exigi, sive, ut appellat sermo divinus, abundantiæ. T. xxv, col. 176. Saint Jérôme donne un exemple pour être bien compris ; c’est faire l’usure que de donner dix boisseaux en hiver, pour les semailles, et d’en recevoir quinze au temps de la moisson, c’est-à-dire la moitié en plus. Loc. cit. C’est également pratiquer l’usure que de recevoir, pour de l’argent prêté, des présents de diverses espèces, munuscula diversi generis, car selon le langage de l’Écriture « on nomme usure et surplus quoi que ce soit, si on a reçu plus qu’on a donné », usuram appellari et superabundanliam quidquid illud est, si ab eo quod dederit plus acceperit. Ibid., col. 177.

Parmi les autres Pères de l’Église latine on peut négliger les témoignages plus anciens de saint Cyprien, Testim., t. III, c. xlviii, P. L., t. iv, col. 759 et de Lactance, Divin, instit., t. VI, c. xviii, P. L., t. vi, col. 699. Seul saint Augustin (350-430) est un peu plus explicite. Il déclare l’usure prohibée pour tous, Ennarat. in ps..x.x. VI, serm. iii, 6, P. L., t. xxxvi, col. 386, et plus spécialement pour les clercs : Deum audi. El Ille : Clerici non jenerent. Ennarat. in ps. cxxvin, t. xxxvii, col. 1692. Dans sa Lettre à Macédonius, Ep., liv (cliii), 25, t. xxxiii, col. 665, écrite en 414, il se plaint des lois et des juges qui ordonnent de payer les usures et compare l’usurier au voleur, disant qu’il voudrait bien qu’on restituât ces biens acquis par l’usure, mais qu’il n’est point de juge à qui l’on puisse recourir pour cela ; et vellem restituantur, sed non est quo judice repetuntur. Il revient à diverses reprises sur le thème de l’usure dans plusieurs de ses sermons, notamment De verbis Domini, serm. xxxv, 6, t. xxxviii, col. 239-240, et serm. lxxxvi, 5, ibid., col. 525-526.

En résumé, c’est au nom de la charité et de l’amour du prochain que les Pères de l’Église du iv et du v siècle ont condamné ce qu’ils appellent l’usure, c’est-à-dire la perception de tout surplus en argent ou en nature dans le prêt de consommation. On ne saurait conclure de l’étude des principaux textes patristiques que seule l’usure oppressive est réprouvée tandis que l’usure modérée est seulement regardée comme contraire à l’idéal de perfection du christianisme ; en ce sens Guibbert, op. cit., p. 84. Les Pères ne font aucune concession de ce genre ; ils n’admettent aucun compromis. Leur mépris profond des usuriers, de tous les usuriers, est ouvertement proclamé ; cf. S. Basile, In ps. XIV, P. G., t. xxix, col. 274. Ambroise, De Tobia, n. 42, P. L., t. xiv, col. 775, compare l’usure à la race des vipères qui déchirent le sein de leur mère et Augustin souligne que l’usurier est rejeté par l’Église et exécré des fidèles. Serm., lxxxvi, 3, P. L., t. xxxviii, col. 524-525. Mais à l’usure, il manque encore une sanction positive. La crainte de la damnation éternelle ne suffit pas à enrayer la pratique de l’usure.

L’examen des travaux patristiques pourrait laisser croire que l’Église elle-même hésite à prendre parti sur la question, car jamais aucun des écrits mentionnés ne fait allusion à une disposition conciliaire relative à l’usure. Et cependant il n’en est rien. Les conciles ont sanctionné, dès le début du ive siècle, l’usure pratiquée par les clercs ou les laïques, mais, tandis que la défense portée à l’endroit des clercs se généralise dans la chrétienté à partir du ve siècle, l’interdiction de l’usure aux laïques ne deviendra effective qu’avec Charlemagne au ixe siècle.

L’interdiction de l’usure aux clercs.

Dès le début

du ive siècle, l’Église avait formellement interdit l’usure aux clercs comme nuisible à leur perfection et incompatible avec leur ministère. Elle réagissait ainsi contre des pratiques bien enracinées, puisque, au dire de saint Cyprien, peu avant la persécution de Dèce, on avait vu des évêques eux-mêmes augmenter leurs ressources par les usures. De lapsis, vi, P. L., t. iv, col. 482.

La première disposition que l’on rencontre en la matière est le can. 20 du concile d’Elvire (vers 300) qui concerne l’Espagne entière.

Si quis clericorum detec-Si un clerc est reconnu

tus fuerit usuras accipere, coupable de percevoir des

placuit eum degradari et usures, il doit être déposé et

abstineri. excommunié.

Mansi, Concil., t. ii, col. 9.

Voir le commentaire de ce canon dans Duguet, Conférences ecclésiastiques… sur tes auteurs, les conciles et la discipline des premiers siècles de l’Église, Cologne, 1742, t. i, p. 391-410 ; et ici même, t. iv, col. 23782397. Peu après, en 314, le premier concile d’Arles, concile général de l’Occident, décrétait à son tour l’excommunication contre les clercs coupables d’usure. Mansi, Concil., t. ii, col. 472. Cette défense reçut une portée générale avec le concile de Nicée (325), qui allait connaître un crédit exceptionnel, après toutefois une assez longue période d’obscurité. Faisant œuvre pratique, le concile tranche les difficultés en litige sur un certain nombre de points particuliers. C’est ainsi que le can. 17 interdit l’usure aux clercs en des termes dont la précision contraste avec la rédaction des canons relatifs à l’usure dans les deux conciles antérieurs.’Elt£l8^ -’ii’i'À Èv ~']> "Lavévi èÇeT<x(â|i.evoi trjvTtXeove : t’av xal 7v fcîffypox^pBeiav

Siwxovtec ÈiteXaôovTO toO

Befou f’/auaTo : X^YOVTOÇ’Tô àpifûptov xj-’ij oux £Ô'f>xev âwl Toxco’xai Save(ÇovTEÇ

ïLy.-’ii-y. : àTraiToCo-tv’eoczai’w ; =v f| àyea xal >.v ; -j.’i r, (TjvoSoç, <> ;. eï ti : EvpefjfitT]

[1£TI -’) ! SpOV TOVTOV ràxouç

Aapêàvcov èx |A£ta ; (eip(<T£G>ç’. ///<.> ; [X£T£py6(Jl£VOÎ ~’i

itpâY(j.a r, ^[UOAta ; àiracT&v i, SXux ; Urspôv t ! ânevoâv

BfoxpoC xlpfiou ; É’vexa, v.x Baiptâf^etai rod x) r, pou za : « (domine plusieurs clercs

remplis d’avarice et de l’es prit d’usure et oubliant la

parole sacrée : « il n’a pas

donné son argent à inlé « rêt, exigent en véritables usuriers un taux d’intérêt

pour 100 par mois, le saint

cl grand concile décide que,

si quelqu’un, après la publi cation de celle ordonnance,

prend des Intérêts pour n’im porte quel motif, ou fait

nul ici-d’usurier de n’im porte quelle autre manière,

ou s’il réclame la moitié en

plus ou s’il se livre à quel que autre manière de gain

scandaleux, celui-là doit être chassé du clergé et son nom

rayé de l’album, > Trad.

Hefele-Leclereq, t. i, p. 605.

Les traducteurs et Interprètes se sont efforcés de rendre non seulement la lettre, mais plus encore le sens de ces dispositions. Les nombreuses versions latines du iv au vr siècle ont été minutieusement examinées par Turner, Ecclaite occidentalia monumenta juris antiquissima, Oxford, 1904, faac, 1. / » /r.sait., imssim, et surtout p. 153 ; également I lefele-Leclercq, t. i, p. 1139-1181. Non seulement les. ne peuvent prendre le centième en argent (Éxa-t-oai" ?] = cenlesima) soit l/8e du capital par an ou 12 1/2 pour 100, permis par les lois civiles, Cod. Théod., II, xxxiii, c. 1 (325), c. 2 (386) et c. 4 (405), mais il leur est interdit de prendre des intérêts pour n’importe quel motif et de n’importe quelle manière, notamment, en exigeant la moitié en sus du capital, 7j|.uoXîaç àrauTwv = parlem dimidiam sortis exigeas (sescupla exigens). Cette pratique de l’usure en nature au taux de l’riy.io’kix ou « moitié en plus » était courante dans le prêt de denrées et de fruits. Elle avait été autorisée par Constantin dans une constitution publiée deux mois avant la réunion du concile. Cod. Théod., Il, xxxiii, 1. Un siècle plus tard elle sera fortement combattue par saint Jérôme, Comment, in EzechieL, xviii, 8, P. L., t. xxv, col. 175-176.

A leur tour les conciles africains de la deuxième moitié du ive siècle et du début du Ve siècle vont porter la même défense contre les clercs, mais sans faire état du concile de Nicée. Lors du I er concile de Carthage, en 349, Abundantius, évêque d’Adrumète, faisant allusion, semble-t-il, à un concile antérieur, in nostro concilio, déclare que ce dernier a interdit l’usure aux clercs et demande que cette question soit réglée par la présente assemblée. À quoi Gratus, évêque de Carthage, répond en opposant les suggestions nouvelles ou générales qui demandent examen aux questions manifestement réglées par l’Écriture dont la décision ne doit pas être différée mais suivie et déclare, à l’approbation de tous, que ce qui est répréhensible chez les laïques doit être à plus forte raison condamné d’avance chez les clercs, quod in laicis reprehenditur, id mullo mugis in clericis oportet pr.rdamnari. Can. 13, Mansi, Concil., t. iii, col. 149. Le concile d’Hippone de 393 défend au clerc de reprendre ce qu’il a prêté, argent ou autre chose. Mansi, t. iii, col. 22. Le concile de Carthage de 397 approuve le breviarium d’Hippone de 393, Hefele-Leclereq, t. ii, p. 101 ; celui de 419, renouvelant toute une série d’ordonnances dont l’ensemble forme le Codex canonum Ecclesise africaine, Hefele-Leclereq, t. ii, p.’201-202, reprend le can. 13 du concile de 319 dans son can. 5. Mansi, t. III, col. 711. À partir de la deuxième moitié du ve siècle les conciles diffusent dans l’Europe chrétienne l’interdiction faite aux clercs de prêter à intérêt : IIe concile d’Arles entre 113 et 152, can. 14, Mansi, t. vii, col. 880 ; lettre de saint Léon de 1 I 1-115, Jaffé, Hegesta ponti/icum Romanorum, n. 180 ; premier concile de Tours en 161, can. 13, Mansi, t. vu. col. 946 ; concile d’Agde (506), can. 69, qui défend d’ordonner les usuriers, cité par (indien, Dist, I.Y1. c. viii, comme provenant du l v concile de Carthage. can. 67 des statula Ecclesise. antiqua (voir infra), Mansi. t. viii, col. 336 ; can. 3 du concile de Tarragonc (516), Mansi, t. viii, col. 511 ; concile de Dovin en Arménie (527), can. 22, Hefele-Leclereq, t. n. p. 1079 ; III’con elle.l’Orléans (53.S). can. 3(1, cf. C. de Clercq, La législation religieuse franque de ClODÏS à Charlemagne, 1936, p. 20 sep, qui défend aux clercs à partir du diaconat seulement de prêter à intérêt, Maassen. (, ’wieilia sévi mœrooingici, l. i. p. 82 ; concile de Clichy de 626, c. 1, Maassen, op. cit., t. i, p. 197 et concile in Trullo (692), c. Kl, portant la même défense, Mansi, t. xi, col. 930.

On peut ajouter que, depuis la fin du iv siècle. diverses collections canoniques contiennent les mêmes prescriptions : Constitutions apostoliques, I. III. c. VI, visant les évêques, les prêtres et les diacres ; Canons <ls Apôtres, n. Il (13), inspires de la collection précédente, toutes (ru ayant pour patrie probable la Syrie et pour dale la fin du i’ou le début du v siècle, Hefele-Leclereq, llisl. desconc, t. i b, p. 1203-1221 ; concile de Laodicéc, en l’hrygie, c. I, probable ment collection datant de la même époque, cf. Laodicée (Conc. de), t. viii, col. 201 1-2615 ; enfin la collection artésienne dite /Ve concile de Carthage ou Staluia Ecclesiw antiqua, datant de la fin du v c siècle, c. 67, Hefele-I.eclercq, t. ii, p. 117. Voir en outre sur ces collections les indications avec renvoi bibliographique dans Fournier-Le Bras, Histoire des collect. can., t. i, p. 16 et 17.

Ainsi par mesure disciplinaire l’Église a interdit aux clercs toutes les formes de l’usure, entendons la perception de tout surplus par quelque procédé que ce soit, dans un prêt de consommation, sous peine de dégradation et d’excommunication, et l’on peut dire que, géographiquement, cette interdiction s’étend à peu près à toute la chrétienté.

Mais ce qui n’est pas bon pour les clercs ne vaut pas davantage pour les laïques. N’est-ce pas aux laïques que les Pères s’adressent dans leurs discours et leurs écrits ? L’Écriture n’a-t-elle pas défendu la pratique de l’usure à tous sans exception ? Dès lors il était naturel que l’Église songeât à imposer aux fidèles ce qu’elle avait jugé nécessaire pour les clercs.

Vers l’interdiction de l’usure aux laïques.


Il semble bien qu’on doive faire remonter au concile d’Elvire la première intervention directe de l’Église à rencontre de l’usure praticjuée par les laïques. Mais, tandis que les clercs coupables d’usure doivent être dégradés et excommuniés, parce qu’ils ne peuvent, vu leur état, invoquer l’excuse de l’ignorance, les laïques sont traités avec plus de ménagements. Ils ne seront excommuniés que s’ils persévèrent dans l’iniquité de l’usure, après une réprimande, et en dépit de leur promesse formelle de s’abstenir de cette pratique à l’avenir. Si quis eliam laicus accepisse probatur usuras, et promiserit correptus jam se cessaturum nec ulterius exaclurum, plaçait ei veniam tribui : si vero in ea iniquitate duraverit, ab ecclesia esse projiciendum. Can. 20, Mansi, t. ii, col. 9.

Il n’y a aucune raison de mettre en doute l’authenticité de cette prescription, mais il est probable qu’elle n’a pas eu immédiatement une grande portée pratique et qu’elle n’a été connue hors d’Espagne que beaucoup plus tard par la diffusion de VHispana ; sur cette collection, Fournier-Le Bras, op. cit., t. i, p. 68 sq., cf. aussi les indications d’Hefele-Leclercq, op. cit., t. i, p. 220, n. 3. C’est dans le même esprit et avec la même sévérité que les auteurs du c. 20 d’Elvire, que le pape saint Léon s’adressera, vers 444-445, aux évêques de la Campanie, du Picénum, de l’Étrurie et de toutes les provinces d’Italie. Après avoir noté que certains, poussés par une sordide avarice, pratiquent l’usure et cherchent à s’enrichir de cette manière, saint Léon ajoute que c’est là une chose déplorable non seulement chez les clercs, mais chez les laïques qui veulent passer pour chrétiens, quod nos, non dicam in eos, qui sunt in clericali officio constituti, sed in laicos cadere qui christianos se dici cupiunt, condolemus. En conséquence, il ordonne d’agir avec rigueur contre ceux qui auront été convaincus de pratiquer l’usure, afin de retrancher sur ce point toute occasion de pécher, quod vindicare acrius in eos qui fuerint confutati, decernimus, ut omnis peccandi opportunitas adimatur. Ep., iv, Jafl’ô, op. cit., n. 180. Le même pape revient sur l’idée de l’injustice de l’usure dans un de ses sermons, xvii, 3 = sermo VI de jejunio decimi mensis, P. L., t. liv, col. 181, pour souligner que l’usure augmente les biens mais dessèche l’âme, que le profit de l’usure est la mort de l’âme, fenus pecuniæ, funus est animæ.

Déjà un siècle auparavant, en 349, le premier concile de Carthage avait implicitement condamné l’usure exercée par les laïques, can. 13. Mansi, t. iii, col. 149. Mais ces prohibitions paraissent aller à rencontre des mœurs. Nous avons, du moins pour la Gaule, le témoignage de Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont ( 130-489), qui nous cite divers exemples de prêtsà titre onéreux consentis notamment par Maxime, évêque de Toulouse, avant son entrée dans la cléricature, dont il exige une fois évêque, les intérêts et le remboursement. Epist., xxiv, éd. P. Mohr, de la collect. Teubner, Leipzig, 1895, p. 101 sq. Grégoire de’fours (538-594) nous rapporte l’exemple de Didier, évêque de Verdun, empruntant sept mille écus d’or avec intérêt au roi Théodebert, Hist. Franc, III, xxxiv, et souligne l’importance du commerce de l’argent à son époque, op. cit., VII, xxiri. Enfin une lettre de Grégoire le Grand (590-604) nous apprend l’intervention de ce pape en faveur d’un marchand qui, ayant emprunté, avait fait de mauvaises alîaires, afin que le créancier se contente du principal sans exiger les intérêts. Epist., t. VII, xxxvii, Jaffé, n" 1197.

Quoi qu’il en soit il faut attendre, en Gaule, le concile de Clichy de 626, dont l’importance a été mise en lumière par C. de Clercq, op. cit., p. 62-63, pour voir la prohibition de l’usure étendue à tous les chrétiens, par le can. 1 qui déclare in fine : Sexcuplum vel decui>lum exigere prohibemus omnibus christianis, nous interdisons à tous les chrétiens d’exiger la moitié en plus ou le double (de ce qui a été prêté).

Mais il manque une poigne énergique pour appliquer cette décision. L’Église des Gaules, subordonnée au pouvoir séculier, est impuissante à la faire respecter par les laïques et aucun appui ne lui viendra sur ce point des rois mérovingiens. Ces faits sont connus et analysés par tous les historiens ; en dernier lieu, Fliche et Martin, Histoire de l’Église, t. v, p. 368 sq ; Declareuil, Histoire générale du Droit français des origines à 1789, Paris, 1925, p. 128 sq. Et tandis que le taux de l’intérêt n’était que de 12, 5 pour 100 environ dans la loi Gombette, Lex Romana Burgundionum, vers 502, tit. xxx, 4, qui renvoie au Code Théodosien, dans Mon. Germ. hist., Legum sectio, i, 2, 1, p. 150, et dans le Bréviaire d’Alaric, Lex Romana Wisigothorum, vers 506, ii, 33, éd. Hsenel, p. 68-70, il est monté à 33, 5 pour 100 au milieu du viie siècle, selon la formule 26, 1. II de Marculfe, dans Zeumer, Formulée merovingici et karolini sévi, pars prior, Hanovre, 1882, p. 92, et il atteindra même parfois 50 pour 100, concile de Clichy de 626, c. 1, Maassen, Concilia, t. i, p. 197, et surtout au viiie siècle ; cf. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, 1936, p. 97 sq.

Que s’est-il donc passé entre le vie et le viiie siècle ? La Méditerranée s’est fermée au monde franc par suite des invasions arabes. Celles-ci ont entraîné l’arrêt du commerce, la raréfaction du numéraire et par contre coup une élévation considérable du taux de l’intérêt. Pirenne, op. cit., p. 143 sq., et Histoire de l’Europe des invasions au XVIe siècle, Paris, 1937 ; Halphen, Études critiques sur le règne de Charlemagne, Paris, 1921 ; Laurent, Byzantion, t. vii, 1932. Dès lors la prohibition du prêt à intérêt que l’Église cherche à imposer en conformité avec les principes évangéliques va se trouver fondée en fait. Dans un monde fermé aux courants commerciaux, le prêt à intérêt n’a plus de raison d’être. On consomme ce qu’on produit ; on consomme de même ce qu’on est obligé d’emprunter par suite de quelque événement malheureux, tel qu’une famine. Il semble donc injuste que celui qui a de l’argent dont il ne saurait faire un usage productif, puisse exiger plus qu’il ne prête. Le moment est très propice pour l’Église d’intervenir, d’autant plus qu’Église et Empire ne font qu’un désormais, ayant la direction du même peuple chrétien. Fliche et Martin, Histoire de l’Église, t. vi, L’époque carolingienne par É. Amann, p. 71 sq.

Il devait appartenir à Charlemagne de faire passer dans le droit séculier des dispositions que l’Église ne pouvait appliquer aux laïques par ses seuls moyens. Mais il est probable qu’un événement a été décisif dans cette intervention de Charlemagne. Lors de son voyage à Rome à Pâques 774, Charlemagne avait reçu des mains du pape Hadrien la Dionysio-Hadriana ; voir sur les circonstances de cette remise, Fournier-Le Bras, op. cit., t. i, p. 95. Or, cette collection dont l’influence allait être considérable sur la législation carolingienne, Maassen, Geschichte der Quellen, p. 467-469, contenait non seulement les canons de Nicée, mais encore, parmi les décrétales pontificales, la lettre dans laquelle saint Léon défend l’usure aux laïques, Maassen, op. cit., p. 257, déjà connue en Gaule auparavant. Maassen, Concilia, t. i, p. 824, n. 3. Voulant restaurer la discipline dans l’Église, revenir à la tradition, Charlemagne n’aura donc qu’à puiser dans la collection officielle qui lui a été remise par le chef de l’Église.

V. Le Haut Moyen Age.

L’interdiction de l’usure aux laïques par Charlemagne et ses successeurs. —

C’est dans Vadmonitio generalis d’Aix-la-Chapelle, de l’année 789, que se trouve proclamée, pour la première fois dans la législation séculière, l’interdiction de l’usure aux laïques. Soucieux d’améliorer la situation de son royaume, Charlemagne qui s’intitule roi des Francs et défenseur de l’Église, s’adresse plus particulièrement aux évêques. Pour faciliter leur ministère, il a décidé de leur envoyer des délégués qui les aideront à corriger les abus. Afin qu’ils puissent faire œuvre vraiment utile pour l’Église, il veut leur faire connaître quelques textes canoniques, aliqua capitula ex canonicis institutionibus, entendons des règles anciennes auxquelles s’attache une valeur toute spéciale. Les articles 1 à 59 inclus contiennent l’ensemble de ces prescriptions anciennes qui sont toutes empruntées à la Dionysio-Hadriana. C. de Clercq, op. cit., p. 172 sq. Parmi ces prescriptions se trouve la prohibition générale de l’usure pour tous, clercs et laïques. Omnino omnibus interdictum est ad usuram aliquid (lare, il est formellement interdit à qui que ce soit de prêter à usure ; Admonitio generalis, c. 5, Boretius, Capilularia regum Francorum, t. i, p. 54.

La meilleure preuve que le roi des Francs n’entend pas innover, mais qu’il veut simplement restaurer la discipline traditionnelle de l’Église se trouve dans l’article même qui contient la prohibition générale de l’usure. Celle-ci est placée sous l’autorité du concile de Nicée (can. 17), de la lettre du pape Léon aux évêques de Campante, laquelle visait à la fois clercs et laïques, du 44e canon des apôtres dont la discipline remonte vraisemblablement à une date ancienne, et enfin de la loi mosaïque. Le texte ne prévoit aucune sanction. Il est donc à présumer qu’on s’en tient aux peines canoniques antérieurement prévues : déposition et excommunication pour les clercs, excommunication pour les laïques.

L’art. 5 de V Admonitio generalis ne comportait pas de définition de l’usure. Il semble bien cependant que la notion d’usure (’lait suffisamment nette dans le canon 17 de Nicée pour que, dans la pratique, il n’y eût aucune difficulté, alors même que la littérature patristique était à peu près totalement ignorée. Sur l’utilisation, à l’époque carolingienne, des textes antérieurs, cf. les remarques de C. de Clercq, op. cit., p. 316-317.

Cependant c’est ; i des définitions de l’usure et du prêt, conçues un peu à la manière des Étymologies d’Isidore de Séville, que sont consacrés les articles 11 cl 16 du capitulaire promulgué à Nimègue en mars 806. L’art. I 1 déduit l’usure : le fait d’exiger plus qu’on a donné, iisum ai ubi amptim requlrttw quant datur, qu’il s’agisse d’argent ou de denrées, et l’art. 16 déclare qu’il y a juslum fœnus lorsqu’on n’exige que ce qui a été prêté, justum fœnus est, qui amplius non requirit nisi quantum prsestitit. Boretius, op. cit., p. 410.

La prohibition générale de l’usure se retrouve dans un capitulaire de l’année 813 environ dont on ne peut déterminer exactement la destination, c. 14, Boretius, op. cit., p. 183, ainsi que dans des capitula italica de Charlemagne dont la date est incertaine. Boretius, op. cit., p. 219. L’amende du ban sanctionne l’usure dans ce dernier cas. Cette sanction qu’on ne rencontre que dans ce texte et qui ne se retrouve jamais dans les capitulaires postérieurs laisse planer des doutes quant à l’authenticité de celui-ci. Voir sur l’édition des capitulaires dans les Mon. Germ. hist., par Boretius et Krause, les remarques de S. Stein, Étude critique des capitulaires francs, dans Le Moyen Age, 1941, p. 1-75.

En 825, Lothaire renouvellera l’interdiction de pratiquer l’usure dans le capitulaire d’Olonne, a. 5. Boretius, op. cit., p. 327. Les dispositions prises par ce capitulaire sont des plus importantes, car elles donnent expressément aux évêques le pouvoir non seulement de rechercher et de punir les usuriers, mais encore de réclamer l’appui des comtes afin d’imposer leurs décisions au besoin par la force. En outre, elles sanctionnent civilement le délit d’usure en édiclant contre les usuriers les peines de la réprimande) de l’amende et de l’emprisonnement. Enfin dans un Capitulare missorum de 832, c. 4, Krause, Capilularia regum Francorum, t. ii, 1897, p. 63, Lothaire ordonne aux missi de rechercher les usuriers et de les livrer aux évêques dont ils dépendent, propriis episcopis, qui leur imposeront la pénitence publique.

Telles sont les principales dispositions prises par le pouvoir séculier à l’époque carolingienne. Au demeurant il n’est pas possible de séparer, sans tomber dans l’arbitraire, les dispositions conciliaires de l’époque carolingienne des capitulaires royaux. Le capitulaire tantôt précède le concile et constitue comme un ordre du jour, tantôt promulgue des décisions adoptées par le concile. C’est là un point à ne pas perdre de vue dans l’étude de la législation conciliaire de l’époque carolingienne.

La législation conciliaire et les statuts diocésains depuis l’époque carolingienne jusqu’au décret de Gratien.

On ne saurait soutenir que la lutte contre l’usure ait été menée uniquement dans le monde carolingien. On peut, par exemple, citer un concile anglais de 787, tenu dans le Nortbumberland, dont le canon 17 déclare les usures prohibées en se fondant sur le ps. xiv, 5 et sur l’autorité de saint Augustin. Mansi, t. XII, col. 917. Mais il reste hors de doute que dans le monde franc, plus qu’ailleurs, l’usure a été combattue vigoureusement dans le même temps que se poursuivait la réforme générale de l’Église et de l’État.

Il n’est pas impossible qu’un concile d’Aix-la-Chapelle ait, en 789, promulgué les dispositions de VAdmo nitio generalis dont le c. v comportait prohibition générale fie l’usure. Hefele-Leclercq, t. m. p. 1027. Il est certain que, dès le début du ixe siècle, sur l’initiative de Charlemagne et de ses successeurs, les dispositions conciliaires se multiplient Interdisant la pratique de l’usure soit aux clercs, soit aux laïques, le plus souvent aux uns et aux antres : concile de Rlesbach, Preislngel Salzbourg (800 environ), can. in. l’.oretius. op. Cit., p. 227 ; Werminghofl. Concilia, t. il. p. 2(19 ; conciles de Heims. can. 32..Mayencc. can. lii, Chalon-sur-Saône, can. 5, de l’année 813, qui ont pour point de départ une même admonitio impériale. Werminghofl, op. cit., p. 256 et 27ô ; Hefele-Leclercq, t. m. p. 1 1 13 ; C. de Clercq, op. < P-’^ :  ! ’sq- concile d’Aix de 816, can. 62. Werminghofl, t. n. p. 365 et 367 ; concilium in Francia hubilum (80(5-829), Werminghoff, t. ii, p. 591 ; concile de Paris de 829, can. 53, qui énumère les principales manières dont se pratique l’usure, cite les principaux passages de la Bible et des Pères de l’Église contre l’usure et s’élève contre les subterfuges variés, multifariæ calliditates, des usuriers pour tourner la loi, Werminghoff, t. ii, p. 645-648 ; concile de Meaux-Paris (845), can. 55, Mansi, t. xiv, col. 831, promulgué par Charles le Chauve, Krause, op. cit., p. 411 ; concile de Pavie (850), can. 21, Mansi, t. xiv, col. 937 et Krause, op. cit., p. 122 ; concile de Valence en Dauphiné (855), réuni à la demande de Lothaire. Mansi, t. xv, col. 9.

Un certain nombre de statuts promulgués par les évêques francs pour leur diocèse font une place à la prohibition de l’usure : premier statut diocésain de Gerbald, évêque de Liège (787 à 810), Mansi, t. xiiif col. 1083, et C. de Clercq, op. cit., p. 455, c. xiv ; second statut diocésain de Théodulphe, évêque d’Orléans (798-818), Mansi, t. xiii, col. 1016, et C. de Clercq, op. cit., p. 340-341, can. 51 ; statut diocésain d’Haiton, évêque de Baie (806-822), c. 17, dans Boretius, op. cit., p. 364 ; statuts diocésains d’évêques inconnus : Ms. de Vesoul, Bibl. publ., 73 (xe s.), c. 32, C. de Clercq, op. cit., p. 373 ; Ms. de Munich, latin. 6241 (xie s.), c. 5, C. de Clercq, op. cit., p. 289.

Des dispositions analogues se retrouvent dans les Règles des chanoines approuvées au synode d’Aix-la-Chapelle de 817, attribuées faussement à Amalaire de Metz, c. 40, 61 et 62, voir ici, Amalaire de Metz ; dans les capitula adressés par Rodolphe de Bourges au clergé de son diocèse peu après 840, P. L., t. cxix, col. 720-721 ; dans les capitula collecta ex capitularibus regum Francorum d’Hérard de Tours, vers 861, c. v, P. L., t. cxxi, col. 764 ; dans les statuts de Gauthier, évêque d’Orléans, promulgués en 868, c. 10, P. L., t. cxrx, col. 735-736 ; chez Riculfe de Soissons, en 889, c. 17, Mansi, t. xviii, col. 87, et Atton de Verceil(924961), Mansi, t. xix, col. 253.

A la fin de l’âge carolingien, l’Église a en mains les armes nécessaires à la lutte contre l’usure qu’elle va poursuivre par ses seuls moyens jusqu’au xiir 3 siècle, sauf en Angleterre où elle trouvera l’appui éphémère d’Edouard le Confesseur (1042-1046).

A partir de la deuxième moitié du xie siècle, c’est exclusivement de Rome que partirent les consignes, et la papauté sera, en principe, représentée dans les nombreux conciles qui s’occuperont, dans leurs canons, de la répression de l’usure : concile de Reims (1049), can. 7, Mansi, t. xix, col. 742 ; concile romain sous Nicolas II (1059), can. 15, Mansi, t. xix, col. 916 ; conciles de Gérone en 1068, can. 10, et en 1078, c. 9, Mansi, t. xix, col. 1071 et t. xx, col. 519 ; concile romain de 1074-1075 sous Grégoire VII, Pflugk-Harttung, Acta pontificum romanorum inedila, Stuttgart, t. ii, 1884, p. 126 ; concile de Poitiers (1078), can. 10, Mansi, t. xx, col. 449 ; concile romain sous Urbain 11(1088-1089), Pflugk-Harttung, ibid. p. 127 ; concile de Gran (1114), can. 59, qui prévoit ladéposition pour les clercs, l’infamie pour les laïques, Mansi, t. xxi, col. 112 ; conciles de Londres en 1125, can. 14, et en 1138, can. 9, Mansi, t. xxi, col. 332 et 512 ; IIe concile œcuménique du Latran (1139), can. 13, qui décrète la privation de la sépulture religieuse à rencontre des usuriers, s’ils ne viennent à résipiscence, Mansi, t. xxi, col. 529-530. Sur l’ensembls de la législation conciliaire et des statuts diocésains, l’ouvrage de Franz Schaub, Der Kampf gegen den Zinswucher, ungerechten Preis und unlauiern Handel im Mittelalter, von Karl dem Grossen bis Papst Ale.vander III., Fribourg-en-B., 1905, p. 61 sq., vieilli sur des points de détail reste indispensable. La littérature religieuse des Xe et xie siècles est en plein accord avec les textes canoniques prohibant l’usure, Schaub, op. cil., p. 143-151, tandis que les pénitentiels exercent une influence indiscutable par les tarifications de la pénitence privée à infliger aux usuriers, en dépit d’un retour à la pénitence publique prôné dès le début du ixe siècle. G. Le Bras, art. Pénitentiels, t.xii, col. 1160-1179, É. Amann, L’époque carolingienne, p. 346 sq., et que les collections canoniques, qui méritent une place à part, surtout les collections chartraines, assurent la transmission des textes canoniques anciens complétés par les canons des conciles récents et les décrétales des papes, préparant la voie au Décret de Gratien. Fournier-Le Bras, Hist. des coll. can., t. ii, passim, surtout p. 54 sq.

A. Bernard.


II. LA DOCTRINE ECCLÉSIASTIQUE DE L’USURE A L’ÉPOQUE CLASSIQUE (XIIe -XVe SIÈCLE).

Toute la doctrine de l’usure, jusqu’au milieu du xiie siècle, se résume dans les deux condamnations légales que prononcèrent le concile de Nicée ej le pape saint Léon, dans les condamnations morales dont saint Ambroise et saint Augustin furent les meilleurs interprètes. La période des grands développements législatifs et scientifiques s’ouvre au lendemain de l’effervescence grégorienne pour s’illuminer au xiiie siècle. C’est alors qu’un pouvoir triomphant et des universités brillantes ont formulé puis expliqué des règles minutieuses.

Dans une Introduction, nous présenterons le milieu et les sources, du xiie au xve siècle. Aucun auteur n’ayant encore porté son attention sur tous les aspects de cet immense panorama, qui embrasse une grande part de l’économie et des sciences du Moyen Age, nous le décrirons avec soin, pour faciliter des recherches complètes. La théorie générale de l’usure fera l’objet d’une seconde partie, où nous envisagerons les problèmes fondamentaux qui concernent le délit et le péché. Si des problèmes permanents se posent, la liste des actes permis ou défendus a beaucoup varié : nous délimiterons le domaine historique de l’usure. Enfin, l’exposé des sanctions, elles aussi variables et complexes, fera la quatrième et dernière partie de notre esquisse.


I. Introduction : le milieu et les sources.
II. Théorie générale (col. 2347).
III. Domaine de l’usure (col. 2353).
IV. Sanctions de l’usure (col. 2365).

I. Introduction : le milieu et les sources.

Notre point de départ n’est pas arbitrairement choisi : aux alentours’de 1150, l’ère des solutions partielles et des purs florilèges se termine par des inventaires copieux. Éclatante est la disproportion entre l’actif que révèlent ces inventaires et les besoins d’un monde dont il nous faudra évoquer les transformations économiques et politiques. Aussi, la papauté multiplierat-elle ses interventions, ses décisions, fournissant aux canonistes et aux théologiens une abondante matière.

Nous étudierons successivement :
les bilans du xiie siècle ;
les transformations de l’Occident, de 1150 à 1500 ;
les sources juridiques et théologiques de cette période.

Bilans du XIIe siècle.

Pendant le premier millénaire, la condamnation de l’usure a été fondée sur les Écritures, par les conciles et les papes et par les Pères. La renaissance des études bibliques, canoniques et patristiques aboutit, au xiie siècle, à une série de bilans, d’allure très modeste, que résument la Glose ordinaire des Écritures, le Décret de Gratien et les Sentences de Pierre Lombard.

1. Glose des Écritures.

Ouvrages d’édification, composés sans grand souci de l’histoire ni du droit, les commentaires de la Bible, loin de dégager les principes légaux, les affaiblissent inévitablement. Leur abondance ne doit point nous illusionner sur leur richesse, qui vient d’être fort bien décrite et appréciée