Dictionnaire de théologie catholique/VALENCIA (Grégoire de) III. Doctrines
III. Traits doctrinaux caractéristiques. —
Il s’agit ici, en suivant les Commentaires, de dégager certains traits doctrinaux caractéristiques du Corpus de Valencia. La synthèse, ensuite, ira de soi.
I. TRAITS DOCTRINAUX CARACTÉRISTIQUES DANS LE T. 1er. —
Distribué en huit disputes subdivisées, chacune, en questions qui, elles-mêmes, se partagent en points, le t. i est le plus riche de tous en implications philosophiques. Sauf l’éthique, qui ressortit aux t. n et iii, toute la philosophie s’y trouve exploitée. La théologie stricte y est représentée par le traité de Dieu un et trine, des anges, de l’homme en état d’innocence. Les discussions sur Dieu créateur et provident, l’univers matériel, l’homme spirituel et corporel, relèvent en droit de notre raison naturelle.
1o De Dieu considéré en lui-même. —
1. Son existence. —
Dieu existe-t-il ? C’est à démontrer. Sans doute, écrit Valencia réfutant saint Anselme, audito nomine Dei, tous pensent aliquid quo melius cogitari non possit, tamen non propterea sequitur, omnes illico agnoscere esse Deum. Non enim id statim cogitant per
acium aliquem judicii et assensionis, quo sibi persuadeant laie aliquid jam exislere. Disp. I, q. ii, p. 2, col. 77. La démonstration a priori est-elle applicable ici ? Non, puisque Dieu est pensé comme cause première et comme premier intelligible, dont l’essence intime nous échappe. Mais l’on peut, par foi et raison, démontrer a posteriori que Dieu existe. Par foi : plus que saint Thomas, Valencia recourt à l’Écriture et à la Tradition. Ibid., col. 78-81. Par raison naturelle, aussi. Après avoir noté qu’il y en a d’autres, le commentateur expose avec aisance les cinq arguments de la Somme théologique. Puis il les défend. Force est bien, à le lire ainsi qu’à lire le maître médiéval, de constater qu’il nous faut aujourd’hui plus de préparation critique. En particulier s’avère indispensable une critique de la connaissance, une étude aussi de l’idée même de Dieu, introduite par une histoire de cette idée chez les peuples, dans les littératures, dans les philosophies. Toutes choses de quoi notre auteur ne s’est pas suffisamment avisé.
2. Voie négative.
Passant à la question quid est, aux attributs divins, Valencia, plus que saint Thomas ici encore, interroge l’Écriture et les Pères. Comme lui, il s’efforce de montrer comment ce qu’ils nous révèlent de Dieu résulte d’une négation infiniment affirmative. Cela ne va pas sans points de départ positifs absolus, sans un sens de ce qui est caractéristique de l’esprit.
A propos de la simplicité divine, occasion s’offre à Valencia de critiquer un argument thomiste. Exempt de toute déficience, puisqu’il est l’acte plénier d’être, Dieu ne donne prise aucune à ce manque de plénitude ontologique inhérent à toute composition. En lui, qui existe par essence, nulle distinction entre nature et subsistence. Là-dessus, l’accord règne. Mais saint Thomas veut déduire aussi de sa seule immatérialité la simplicité de l’Etre divin. Sed, oppose Grégoire, h ; rc argumentatio divi Thomæ videri potest non admodum firma, car c’est la finitude qui, en dernière analyse, fait loiu/e probabilius… suppositum a natura reipsa difjerre, ut ipsemel divus Thomas plane videtur concedere, quodlibcl II, queest. n et clarius quæst. XVII, art. 1. Ibid., col. 102. Aussi bien, quoiqu’immatériel, l’ange n’cst-il pas doué de cette simplicité qui implique l’identité absolue de nature et de subsistence. Ibid.
A Dieu seul revient donc, grâce à son aséité infinie, de subsister si parfaitement que sa nature soit nécessairement subsistante : toute en soi et à soi, incommunicable. La subsistence est en lui constitutive de la nature, car il est I’in animent parfait. Cette simplicité absolue résulte, pense Valencia, de ce qu’il est la plénitude d’essence ou de perfection. Dans les créatures contingentes et finies manque naturellement cette plénitude d’essence ou de valeur : leur existence n’est pas, comme l’être de Dieu en Dieu, de quidditate esscntiie ; elle est reçue, créée, participée de l’Acte créateur. De là, entre leur essence et leur existence, un vrai manque d’identité absolue, une distinction véritable. Réelle ? Oui ou non, selon le sens attribué à cet adjectif. Oui, s’il s’agit de réalité physique, de fondement objectif adéquat à la dualité notionnelle. Non, si l’on prétend signifier une dualité d’ordre physique, concrète. Ainsi opine Valencia à rencontre, croit-il, de saint Thomas, Capréolus, Cajétan, Banez, Duns.Scot en un sens, mais avec Hemi de Gand, Hervé, Durand, Gabriel. Ibid., col. 105 108.
Avant de prendre congé de la simplicité divine, il plaît a notre théologien philosophe d’en illustrer la doctrine par ce beau texte anselmien relatif : i la per Slmpliciter simple ! : qu ; r in quolibet ente, nli tiu est, melior est ipsa quam non ipso… Hufusmodi
i i » i. m i moi.. CAl n.
autem omnes perfectiones oportet formaliler esse in ente absolulissime perfeclo, quale est Deus. Ibid., punct. 7, col. 123.
3. Notre science analogique de Dieu.
Avec les q. xii et xiii, sur la manière dont Dieu peut être connu par un esprit créé, s’ouvre un nouvel aspect du problème religieux. En tout saint Thomas est ici pris pour guide. Nous pouvons connaître Dieu en quelque manière. Le voir ? Oui, mais seulement en vertu d’une élévation surnaturelle de notre âme. Et nous pouvons le nommer, dès qu’il s’agit de perfections pures, par tel ou tel nom qui exprime unum conceptum intrinsece communem… Deo et creaturis. Ces noms expressifs d’une perfection pure, telle que sagesse ou bonté, conviennent-ils à Dieu d’abord ? De par leur contenu, oui ; de par la manière dont ils l’expriment, non. Telle est cette analogie intrinsèque d’attribution qu’un thomiste d’aujourd’hui tient à bon droit pour fondamentale, impliquée qu’elle est dans l’analogie dite de proportionnalité. Cf. Recherches de science religieuse, 1930, p. 206-209. En rattachant désormais le « sens négatif » au « sens pragmatique » par un i sens directeur » ou une « signification directrice », le philosophe catholique Edouard Le Roy échappe à l’agnosticisme en matière de théodicée et de théologie, car il réintègre l’analogie fondamentale d’attribution intrinsèque qu’il avait d’abord paru résolument éliminer. Cf. Le problème de Dieu, p. 274-281 ; Dogme et critique, p. 146.
4. Voie positive.
C’est à partir du contenu personnel humain que nous pouvons parler de Dieu pensant et voulant. Cette voie positive s’ouvre à Valencia par ce qui concerne l’intelligence divine ; il la suivra en livrant sa théorie du vouloir et aboutira à ces attributs, où se trouve intéressé l’esprit tout entier, de providence et de prédestination ou de réprobation.
a) Dieu comme intelligence : science et idées. — Dieu se connaît lui-même, par et en soi, avec ses créatures. Il connaît ces dernières comme elles sont, selon leur individualité même et leur durée. Rencontrant l’assertion thomiste : singulare non cognosci a nobis nisi per sensum, Valencia renvoie la discussion du problème qu’elle soulève à ses commentaires sur les anges et sur l’âme humaine. Il va maintenant examiner à fond YlJtrum scientia Dei sit futurorum conlingenlium de saint Thomas. I q. xiv, a. 13. Il formule le problème en ces termes : An Deus cognoscat res a se distinclas, ut sunt fuluræ contingentes ? Dieu les connaît, en effet. Mais comment ? Voici, par degrés, toute la solution « valencianiste » de portée à la fois philosophique et théologique.
n. Dieu connaît, lui étant présent, notre libre avenir.
— C’est en raison de son infinie perfection que Dieu connaît éternellement notre libre avenir. Non pas, comme l’imaginent Cajétan et Capréolus, que cet avenir coexiste Deo in œternitate ab mterno, puisqu’il n’existe pas ab H’terno in œternitate. C’est Dieu. l’Étemel, qui est éternellement présent à notre libre avenir, mais non notre libre avenir qui est éternellement présent à Dieu : illam eamtlem connitiancm, quam Deus habet de rébus, cuni pressentes sunt . habuit Deus semper in œternitate… ; et præterea etiam res if>s ; r julunr., jam inde ab mterno /aérant aliquando in seipsis julunr. Brgo Deus ab trier no perfecte et distincte cognoscit illas secundum proprium illarum esse. Ibid., p. 5, col..1118, 309, 312.
b. D’OÙ vient à Dieu la certitude de cette prescience ?
— Incontestable en soi, la certitude de celle prescience divine est incontestée inlrr OrthodoXOS. Ibid.. col. 318. Mais d’où vient elle à Dieu’.' De ce qu’il connaît à fond la disposition réelle de la cause libre à n’importe quel moment de sa durée ? Non, puis T.
XV. — 78.
qu’ainsi disposée elle demeure libre de produire ou non tel ou tel acte. Valencia, au surplus, le redira souvent, ni le savoir divin ni sa valeur ne dépendent en rien de la cause créée. Pour le connaître comme pour l’être, l’aséité commande. De sa plénitude émane, relativement aux futurs libres soit absolus soit conditionnels, la certitude du savoir divin. « Aucune raison, en effet, ne se présente contraignant de refuser à Dieu cette perfection du savoir qui lui donne de connaître avec une certitude infaillible, même s’ils ne doivent pas se produire, ce qu’il en serait, dans tel cas supposé, des futurs libres et contingents. Bien plus, que Dieu possède pareille connaissance, me paraît découler de la perfection infinie de sa science : car, ce que Dieu peut savoir d’une chose, si cette chose existe dans une catégorie du temps, il peut le savoir également si elle n’existe dans aucune. Or, pour un futur libre ou contingent qui doit un jour exister, Dieu peut savoir de science certaine et infaillible ce qu’il adviendra dans tel cas supposé. Donc il peut aussi bien savoir cela s’il doit n’exister jamais… En effet, infiniment parfait, le savoir divin ne dépend point de l’existence actuelle du créé ; il peut, que l’objet soit ou non existant, exister également… La science… divine… étant infinie, ayant en soi et de soi force et perfection, ne peut dépendre d’aucun objet extrinsèque. Mais, ce que l’objet fournit d’ordinaire à l’essence du connaître, elle peut, pour ainsi parler, se le fournir à soimême. » Ibid., col. 322-323.
Tout à fait net et franc, en ce qui regarde la science divine absolument certaine et souveraine des futurs libres même conditionnels, ce texte de 1591 sera maintenu tel quel par Valencia dans son édition de 1603. Il formule une doctrine personnellement conquise et définitive. Dieu, explique ensuite notre théologien, connaît par simple intelligence et vision les futurs libres absolus, par simple intelligence seulement, les futurs libres conditionnels. Il voit, sans rien entreprendre sur la libre détermination de l’agent créé, comment cet agent se déterminera lui-même vel naturaliler vel per auxilium divinse gratise, en toute liberté. Divina præscientia fulurorum idcirco potissimum est certa et infaltibilis quia fertur in fuluras res secundum illud esse actuale, quod sunt ipsse habiturse, et sicut sunt habituræ. Ibid., col. 326. Une obscurité reste à éliminer en ce qui touche à la prescience de simple intelligence des futurs libres conditionnels. Par elle Dieu sait, outre ce qui pourrait librement arriver, ce qui arriverait en effet librement. Il y a là dualité spécifique d’objet intelligible. S’il ne s’impose pas de créer, comme l’a fait Molina, un vocable nouveau, au moins convient-il de distinguer deux sortes de « science de simple intelligence » : l’une de la possibilité, l’autre de la futurition conditionnelle. Mais, au lieu d’interroger ainsi Grégoire de Valencia, posons-nous avec lui une ultime question.
c. Comment s’accorde prescience divine et contingence libre des futurs ? — Relativement aux actes libres qui de fait existeront, la prescience de Dieu est certaine mais non nécessitante. Éternellement présent à tout ce qui fut, est ou sera librement, Dieu le voit tel qu’il fut, est ou sera, comme libre production d’une cause libre. Aux stoïciens et à Cicéron, saint Augustin répondait en ces termes, que reproduit à peu près exactement Valencia : Non ergo propterea nihil est in nostra voluntate quia Deus præscivit quid futurum effet in nostra voluntate. Non enim qui hoc prœscivit, nihil præscivit. Porro si ille, qui preescivit quid futurum effet in nostra voluntate, non utique nihil, sed aliquid præscivit, profecto et Mo præsciente est aliquid in nostra voluntate. De civ. Dei, t. V, c. x, n. 15-20, P. L., t. xli, col. 209. Non moins décisives se révèlent les formules concises du Concordia præscientiæ et prædestinationis necnon gratise Dei cum libero arbitrio, que Grégoire emprunte à saint Anselme. Quant à sa propre argumentation, qui expli cite ou même complète à bon escient la doctrine de saint Thomas, elle est originalement nuancée. C’est en soulignant une dernière fois son accord foncier avec ce maître qu’il la conclut. Ibid., col. 337.
Nous avons eu, relisant le P. de la Taille, la curiosité de comparer avec ses réflexions sur diverses classifications de la science divine, parues dans les Recherches de science religieuse de 1923, le commentaire de Valencia sur l’art. 8 de la q. xiv de la I".Recherches, p. 7. De ce commentaire, qu’il estime suggestif et lucide à souhait, le P. de la Taille dit s’être inspiré. L’inspiration se reconnaît, en effet, à plus d’un trait. Comme Valencia commentant saint Thomas, le P. de la Taille rejette de notre conception de la science divine toute tendance à y impliquer indétermination, changement ou progrès. Avec lui, notamment, il veut que l’on attribue « au Créateur une science immuable des conditionnels irréels comme des futurs contingents ». Ibid., p. 13. Par contre, ce n’est point sous l’inspiration de Valencia, mais de son propre mouvement que le P. de la Taille reproche à Molina d’imaginer en Dieu une science des « conditionnels suspensifs, indéterminés par conséquent à l’égard de l’être et du non-être », une connaissance « des futurs libres, provisoirement conditionnels ». Ibid. p. 13. Pareil grief est absent du commentaire de Valencia. Ibid., punct. 8, col. 350-360. Aux termes près, tout au contraire, l’essentiel moliniste de la doctrine du « futurible libre » et de la « science moyenne » se trouve enseignée dans le texte très net et définitif, de lui, que nous avons traduit et reproduit plus haut. Ci-dessus, col. 2475. Mais le futur libre conditionnel dont il s’agit n’a rien de suspensif » ou de « provisoire ». Ceci seulement doit être dit, en fonction de cette théorie : il dépend de l’éternel et souverainement libre décret divin de création que soit un jour réalisé ce qui, sans ce décret, serait seulement possible et futur conditionnel. Aucune suspension, mais cette éternelle dépendance du créé.
Au thème de la science divine se rattache celui des idées. Sur ce thème augustinien de l’exemplarisme, Grégoire de Valencia ne trouve qu’à prendre dans la q. xv de la I a, a. 1-3.
b) Dieu comme volonté : l’ordre des vouloirs. — A propos de la q. xix de la 1% Valencia résume ainsi sa théorie du vouloir sauveur. « D’un seul vouloir, Dieu voulut les mérites de Pierre avec sa persévérance et sa béatitude. Pourtant, parce qu’en ce seul acte il ne voulut la béatitude de Pierre qu’en voulant ses mérites comme cause morale de cette béatitude, et, posé qu’en voulant ainsi ses mérites il voulut ainsi sa béatitude, il est vrai de dire que Dieu prédestina la béatitude à Pierre en raison de ses mérites tenus pour cause morale ; par suite, que, selon notre manière de comprendre et dans cet ordre de causalité morale, il voulut d’abord les mérites de Pierre, puis lui donner la béatitude. Dans l’ordre, dis-je, de la causalité morale et, pour ainsi parler, dispositive ; car, dans l’ordre de la causalité finale, Dieu voulut la béatitude de Pierre puis ses mérites. Bref, selon la loi ordinaire, Dieu n’aurait pas voulu donner à Pierre de mériter et de persévérer s’il n’avait voulu lui accorder la béatitude comme but de ses mérites. Item, poursuit Valencia, unico cl eodem actu vidit Deus peccata Judée, et voluit eum in œternum punire. Nihilominus, quia punire eum non voluisset, nisi vidisscl ejus peccata ; recte dicitur voluisse illum punire propter peccata, tanquam propter causam moralem ac disponenlem ad pœnam ; ac proinde prius juxla nostrum intelligendi modum vidisse illius peccata, quam constituerit ei pœnam. Ibid., q. xix, punct. 5, col. 419. Très caractéristique du valencianisme, tout comme ce que nous avons résumé plus haut sur la science divine, s’avère cette doctrine de l’ordre des vouloirs divins. Sur un fond thomiste bien pur, le>commentateur édifie un ensemble doctrinal délibérément pesé, finement nuancé. Ce cachet original dans la fidélité caractérise, on va le voir, les commentaires de Valencia sur la providence, la prédestination et la réprobation.
c) Dieu dans sa providence : prédestination et réprobation. — Loin d’éliminer la contingence libre de nos vouloirs, la providence l’assure et la procure. Ratio est, quoniam aliquem eventum esse fulurum, vel non futurum, non certo providetur a Deo nisi simul cum respeclu ad id quod nos ad procurandum vel averlendum ejusmodi eventum libère facturi sumus… Quare cum ipsi quidem ignoremus, quid de aliqua re jutura vel non jutura eveniat, adhibere ad id debemus orationes et consilia nostra, tanquam per média quædam, provisa etiam a divina providenlia, rem eam eventuram esse, vel non eventuram. Ibid., q. xxii, punct. 3, col. 448. Évitables pour la volonté qui, avec sa maîtrise créée, les détermine, ces événements sont donc évitables simpliciier. C’est seulement pour Dieu, qui les prévoit en pénétrant cette détermination créée, que leur accès à l’être est inévitable. En ce sens, l’École les dit inévitables secundum quid.
Suivant de près saint Thomas, Valencia consacre à la prédestination la q. xxiii, qu’il divise en six points. Le principal est le quatrième, correspondant à l’art. 5 de la Somme. Après avoir amplement réfuté, comme hérétiques, certaines opinions dites d’Origène ainsi que les théories pélagiennes et semi-pélagiennes, comme erronées, les assertions de terministes tels que Biel, Ockam, des théologiens dont parle Durand, d’Henri de Gand, puis d’une autre série de théologiens, Valencia pose l’opinion « commune » des théologiens orthodoxes : Thomas d’Aquin, Alexandre de Halès, Bonaventure, Duns Scot, Gilles de Rome, Grégoire de Rimini, Durand et Hervé, faisant écho à saint Augustin et au De vocatione omnium gentium. Il la formule en deux propositions, dont le contenu doctrinal est principalement dirigé contre Calvin. « D’abord, écrit le P. Le Bachelet, la thèse commune et indiscutable de l’absolue gratuité de la prédestination envisagée dans son ensemble. » Prédestination et grâce efficace, t. i, p. 14. Si, précisait Valencia, formulant la doctrine de l’art. 5 de saint Thomas, preedestinatio referatur ad omnes ipsius efjectus, nulla est ratio, seu causa ullo modo meritoria ipsius in prædestinato, neque propter quam, neque sine qua non, sed in solam gratuitam Dei voluntatem referri débet. Ibid., q. xxiii, punct. 4, col. 476. Puis, poursuit le P. Le Bachelet, une seconde thèse formulée en des termes si manifestement pesés qu’il est nécessaire de les rendre mot pour mot : « Bien que ni la coopération du prédestiné, ni aucune autre de ses œuvres ne soit ni la raison, ni la condition, ni d’une façon quelconque la cause de la prédestination prise dans son ensemble, cependant Dieu ne prédestine pas ordinairement les adultes sans un rapport de sa divine prescience à la coopération persévérante du prédestiné, coopération due â l’exercice du libre arbitre soutenu par la grâce et constituant elle-même comme un effet et un moyen de prédestination, auquel se rattachent tous les autres effets de la prédestination. Si donc on ne doit pas dire que Dieu prédestine tels et tels parce qu’il prévoit de toute éternité qu’ils coopéreront à la grâce (par faute d’impression, le texte du P. Le Bachelet porte : à la gloire » ) et finalement persévéreront, comme si cette coopération était la raison, la condition ou la cause de la prédestination prise flans son ensemble, il n’en est pas moins vrai de dire que Dieu prédestine ordinairement tous les adultes et les m uk adultes qv’ll prévoit de toute éternité devoir coopérer à la grâce et persévérer jusqu’au bout. Ibid., p. 14-15 ; Commentaires, ibid., col. 482.
Cette seconde thèse, en effet très minutieusement formulée, Valencia déclare la poser contre Calvin et les sectaires. Elle atteindrait même tout un groupe de théologiens qui tiennent la première thèse. Est lumen nostra prorsUM ex mente divi Auguslini et dioi Thomas, Commentaire », ibid. Vu l’Importance capitale fie cette seconde thèse, Valencia insiste.
Il s’agit, précise-t-il en parlant de la prescience divine, d’un regard qui sit præscientia cooperationis ut actu fulurse absolute ; partant, de cette science de vision qua scilicet Deus novit cooperationem prædestinati, ut actu etiam absolute adhibebitur suo tempore a prædestinato. Ibid., col. 482-483. « Nous l’affirmons donc, poursuit Valencia, le décret éternel et efficace de Dieu, qui a pour objet le salut de l’homme et comprend la prédestination, ne précède pas logiquement en Dieu de tonte manière la prescience de la coopération future du prédestiné, mais cette prescience aussi est comprise dans le décret. » Ibid., col. 483. C’est la doctrine formelle de saint Augustin et de saint Thomas. Du premier qui, au c. x du De preedestinatione sanctorum, écrit : preedestinatio est, quæ sine præscientia non potest esse : potest autem esse sine prædestinatione præscientia. Prædestinatione quippe Deus ea præscivil quæ fuerat ipse faclurus ; du second qui, après avoir cité Augustin écrivant au c. xiv du De dono perseverantiæ : est prædestinalio sanctorum… præscientia, et præparalio beneficiorum Dei, qua cerlissime liberantur quicumque liberantur, conclut en ces termes : prædestinatio cerlissime et infallibiliter consequitur suum effectum : nec tamen imponit necessitalem, ut efjectus ejus ex necessitate proveniat. I a, q. xxiii, a 6. « Il est fort clair, remarque Valencia, qu’ici encore saint Thomas inclut dans la prédestination un regard relatif à la volonté coopératrice de l’homme. » Ibid., col. 493.
Après avoir, sur témoignages scripturaires et patristiques, établi sa seconde thèse, G. de Valencia en résume ainsi la preuve rationnelle :
Tout ce que la prédestination vise au titre d’effet est ou la coopération du prédestiné ou du moins quelque chose qui, en un sens, y est conjoint et, solidairement, contribue de sa valeur à la béatitude. Ainsi, la vocation, la réponse qui y est faite, la justification, l’observation des préceptes et les mérites, les grâces pour triompher du mal et persévérer dans le bien, le don de persévérance enfin, qui sont visés par la prédestination en tant que conjoints et solidaires, ont rapport à la coopération et, ensemble, contribuent à la béatitude. Donc, de soi, la prédestination vise aussi la coopération du prédestiné et l’inclut. À ce raisonnement de bon sens, Valencia en joint un autre, par l’absurde. Si, en effet, le décret de prédestination n’impliquait et ne contenait aucune prescience de la coopération du prédestiné, ou bien ce dernier pourrait en ne coopérant pas le rendre inefficace, ou bien sa coopération ne serait pas indispensable à l’accomplissement du décret, ou bien le décret nécessiterait la coopération : trois suppositions à la fois exhaustives et absurdes. Exhaustives, puisqu’elles ne laissent pas de place à une quatrième. Absurdes aussi, car, un décret divin de prédestination sans absolue certitude quant au résultat, ce résultat obtenu sans coopération du prédestiné ou avec une soi-disant coopération qui s’obtiendrait sans usage effectif du libre arbitre sont pareillement fictions déraisonnables. Ibid., col. 4 !)f>-497.
Il résulte de cet ensemble doctrinal sur la prédestination que, sans y contribuer proprement par sa coopération libre, l’adulte humain peut aliqtiid facere, quod si faciat, verum fueril dicere, ipsum ab œlcrno fuisse prædestinatum. Quant au comment du concours divin surnaturel ici indiqué, G. de Valencia.le discutera dans le traité de la grâce. Ibid., col. 514-515. Nous y viendrons plus loin en résumant sa théorie de la grâce efficace.
Contrairement à la prédestination, la réprobation est un acte par lequel Dieu, prévoyant leurs abus mortels, statue de ne pas empêcher l’impénitence finale de certains, de les exclure du ciel et de leur infliger une peine éternelle. Dieu veut ainsi, en ne leur octroyant pas la grâce qui les préserverait de cette Impénltence, glorifier sa justice. Comme la prédestination ne va pas sans prescience de la coopération humaine à la grâce, ainsi la réprobation inclut
prescience du rt’fus définitif de coopérer. Cette prescience donnée, l’impénitence est certaine tout en restant libre, et certaine la damnation. Sans elle, l’acte de réprobation impliquerait l’hérésie calviniste du salut impossible aux réprouvés, du Christ mort pour les seuls prédestinés Ibid., col. 543.
Résumant toute sa doctrine, Valencia décompose et formule en ces termes l’acte divin éternel de prédestination et de réprobation : « 1° Éternellement, Dieu a vu non seulement les natures de tous les hommes, mais aussi leurs péchés, qui relèvent de l’ordre naturel ; 2° comme ils ne pouvaient eux-mêmes satisfaire pour l’odense faite à la majesté divine, il leur a, in prédestinant le Christ, préparé un rédempteur ; 3° en prévision et en conséquence des mérites du Christ, il a voulu conférer à tous des secours suffisants, voire le plus souvent abondants, de grâce, secours leur permettant de se sauver par le Christ rédempteur, voulant ainsi de son côté (à savoir par volonté antécédente) le salut de tous ; 4° ceux qu’il a vus devoir mourir en état de grâce, soit par coopération personnelle au secours divin soit par le baptême, il les a miséricordieusement prédestinés ; mais les autres, ceux qui ont manqué à la grâce ou auxquels a manqué le baptême, il ne les a pas favorisés du bienfait de la prédestination mais, à raison des péchés actuels ou originel dans lesquels il a prévu qu’ils mourraient, il les a justement réprouvés. » Ibid., col. 54Ô-546.
Rappelant ensuite la conformité de cet ensemble doctrinal avec l’enseignement de saint Augustin et de saint Thomas, Valencia fait observer que, si Augustin omit souvent de recourir aux formules apaisantes que comporte sa théorie, c’est par suite du but poursuivi : établir, contre les pélagiens ou les semipélagiens, la nécessité de la grâce. Ibid., col. 546-548.
Rien avant la publication du t. I er des Commentaires théologiques, les thèses du théologien d’Ingolstadt étaient, sur ce problème capital de la prédestination et de la réprobation, suivies avec attention par la Compagnie. Dès 1583, il y eut une censure qui fut soumise elle-même à l’examen du P. Torrès. Le résultat en fut favorable à Valencia. En 1592, à propos de six propositions tirées de ses Commentaires et taxées de désaccord avec le Ratio studiorum, il écrivit au P. Aquaviva une lettre où, après avoir proclamé le caractère humainement augustinien du Ratio, il montrait aisément comment les propositions qu’on avait « relevées dans son livre » ne lui « étaient réellement pas contraires, puisqu’il soutenait que, par rapport à la prédestination, il n’y a de notre part ni cause, ni raison, ni condition proprement dite ». Le Rachelet, Prédestination et grâce efficace, t. i, p. 17 et, ibid., Documents.
2° Dieu un et trine.
Valencia en vient au Dieu
un et trine, mystère révélé et objet de foi ne relevant en un sens, c’est-à-dire quant aux certitudes, que du pur théologien. En ce sens privilégié, disons-nous, car, ainsi que saint Augustin l’a su faire dans les huit premiers livres du De Trinitate, il appartient toujours au théologien philosophe d’approfondir de son mieux, sans prétendre jamais aboutir à une démonstration apodictique du mystère, ses analogies ou harmonies naturelles.
Valencia commence par rappeler ici ses Libri quinque de Trinitate de 1586. Puis il divise son nouveau sujet en 17 questions. Disp. II, q. i, punct. 1, col. 574-575.
1. La relation.
Valencia voit, dans la relation prédicamentale, quiddam acluans et inhserens in ipso subjecto, une réalité tout originale. Ibid., col. 742. Perfection imparfaite, dans sa réalisation créée, la relation comme telle est perfection pure car elle ne s’oppose à aucune perfection supérieure incompatible : de quacumque relatione, ut in re ipsa est relalio, possum concipere perjectionem, quin immo perfectio nern simpliciler, cum non obslet ulli majori perjectioni secum incompatibili. Ibid., col. 745. Du moins aucune preuve valable n’est-elle fournie d’imperfection qui serait inhérente à la relation en soi. aucun exemple apporté d’une perfection supérieure qui serait incompatible avec elle. Ainsi, rien n’est opposé d’efficace à l’infinie perfection des relations divines : leur opposition relative les faisant compatibles ne contredit pas l’infinité de Dieu. Paternité et filiation, spiration et procession : ces quatre relations réelles, dites d’origine, idem sunt realiter quod essentia divina. Ibid., col. 748.
Comme les personnes mêmes qu’elles constituent, les relations divines opposées entre elles, paternité, filiation et procession, sont aussi, entre elles, réellement distinctes. À l’argument classique et apparemment difficile qu’on dirige contre la réalité de cette distinction, Valencia répond en montrant comment, de par sa nature même, l’Un divin transcende tout usage au niveau du créé du fameux quæ sunt eadem uni tertio sunt eadem inter se. « Plus aisément, écrit-il, et plus commodément » qu’ici Cajétan ou Capréolus, nous pouvons, en accord foncier avec tous les théologiens, répondre qu’en effet l’adage vaut du « tiers qui n’est qu’un par nature mais non du « tiers » qui est par essence un et multiple. Alors, comme c’est le cas dans la Trinité divine, l’Un absolu se constituant par la trine opposition des relations personnelles réellement distinctes entre elles exclut par essence leur identité. S’ensuit-il que, sous sa forme transcendantale, le principe de non-contradiction n’est pas vrai de l’Être divin ? Au contraire, puisque cet Être fonde, en dernière analyse, tout l’ordre intelligent et tout l’ordre intelligible. Dieu n’est pas, sous le même rapport, Père, Fils, Esprit. Ibid., col. 748-752.
2. Personnalité et personne.
Une nature spirituelle concrète qui subsiste par soi et s’appartient au point de ne pouvoir être communiquée ou assumée d’aucune manière : voilà ce que l’on nomme personne. Dite aussi subsistence d’ordre spirituel, la personnalité est la perfection même d’où surgit la personne, son constitutif formel. Ibid., q. iii, punct. 1-2, col. 751754. Avec saint Thomas mais à rencontre de Cajétan, G. de Valencia enseigne que cette perfection est la plus haute de toutes : quiddam perfectissimum in tota natura. Ibid., col. 755, et I a, q. xxix, a. 3. Or, c’est cette propriété de subsister par et tout en soi qui convient au maximum à Dieu Père, Fils, Esprit..Mais, oppose Cajétan, si la personnalité était une perfection, chacune des trois personnes aurait une perfection qui manquerait aux deux autres. À aucune, réplique Valencia, il ne manque aucune perfection : nom habet illam in essentia. Ibid., punct. 3, col. 755.
3° Dieu créateur.
Passer de Dieu un et trine à
Dieu créateur, c’est passer d’une générosité constitutive et nécessaire à une générosité librement productrice, de l’Être aux êtres. C’est immédiatement que, sans préjudice de l’action subséquente ou concomitante des créatures, Dieu produit tous les êtres autres que lui-même. Il les produit se solo, en voulant qu’existe aussi hors de sa pensée ce qu’il comprend d’une compréhension exhaustive. C’est là créer.
Que Dieu crée tout de la sorte est vérité de foi, ensemble, et de raison. Comme le croit saint Thomas et quoi qu’en pense Henri de Gand, Aristote a connu cette vérité fondamentale. Ibid., disp. III, q. i, punct. 1, col. 932-938. Suarez, lui aussi, croyait trouver cette vérité chez Aristote. Sans doute était-ce alors chose assez communément admise dans l’École.
Dieu crée-t-il même la matière première ? Il ne la crée pas à part, mais avec sa forme substantielle, en créant le composé. Qu’en conclure ? Ceci : pure puissance par rapport à la forme qui la spécifie, la matière ! 48J
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participe néanmoins, pour sa part infime, de Dieu vérité infinie et bien plénier. Car elle contribue, avec la forme, à constituer l’être matériel. Ibid., punct. 3, col. 944.
Suivant de près saint Thomas, Valencia ne précise tout à fait le mode de production des êtres qu’après avoir établi la causalité première de Dieu. Cette causalité est créatrice. Elle ne produit pas l’être substantiel en le tirant de l’original divin ou d’un fonds donné, mais à partir de rien : nullo præsupposito, non ex aliquo. Elle le produit, toutefois, sur le modèle divin et en faisant de Dieu sa fin dernière. Aussi bien, considérée dans son principe actif, la création est-elle Dieu même donnant l’être en pleines lumière et liberté de l’esprit ; et, dans son résultat, elle est cette relation de foncière dépendance qui rattache la créature au Créateur. Ibid., col. 950-953. L’action créatrice reflète Dieu tel qu’il est, un et trine : par manière de simple vestige ou par manière d’image, selon qu’elle donne un être sans raison ou un être raisonnable. Car Dieu crée selon qu’il est Père, Fils, Esprit. Ibid., punct. 3, col. 954-957.
Que créer soit le propre de Dieu, ce qui précède l’implique. Produire par pur vouloir libre un être pensé de façon exhaustive comme imitation de l’essence divine, causer en cause absolument universelle cet effet universel au maximum qu’est le tout du causé, n’appartiennent qu’à Dieu. Ce sont là des raisons solides, que Valencia présente sans insister. Puis il se demande si Dieu ne pourrait pas se substituer pour créer, soit une créature surnaturellement agrandie, soit une créature naturellement destinée à cet agir. Avec saint Thomas, il répond par la négative, déniant toute possibilité de pouvoir créateur principal ou instrumental à n’importe quel être créé.
4° Les créatures purement spirituelles.
, Au sujet des anges, créatures supérieures aux corps et aux esprits incarnés, Grégoire de Valencia s’interroge d’abord sur l’essence intime de l’ange. Ibid., disp. IV, (j. i, punct. 1-4, col. 1011-1033. Rien de caractéristique ici, sauf la position adoptée sur quelques points controversés dans l’École.
1. Problème de l’indiuiduation anyélique.
Le premier discuté se rapporte au problème de l’individuation angélique. Avec saint Thomas, des thomistes tiennent qu’une pluralité d’individus angéliques dans une même espèce est impossible. Ils tirent cette conception d’Aristote attribuant à la seule matière la propriété de multiplier individuellement les formes substantielles au sein d’une espèce. Les anges étant conçus comme des formes sans matière épuisent chacun son type idéal. Mais, déclare rondement Valencia, en dehors de l’école thomiste surtout, plus commune est la thèse qui tient pour possible la pluralité individuelle des anges dans une seule espèce, lue raison philosophique très forte l’appuie. Car il J a nécessairement place, en dehors et au-dessous de la perfection spécifique, pour une perfection Complémentaire de niveau individuel. Nier cette affirmation, sans laisser pour autant d’accorder aux êtres matériels une valeur qualitative concrète serait. Semble-t-U, se contredire. Dès lors, puisqu’on ne
veut ni ne peut leur dénier cette valeur Individuelle originale, comment se dispenser d’en chercher l’origine foncière dans un archétype complémentaire de la perfection spéi i (ique -et qui permette de la réaliser en plusieurs individus se ressemblant comme des frères ? Telle est l’argumentation de Valencia. Volontiers, nous en soulignerions ici la valeur spéculative, la modernité el ce caractère de franc bon sens qui la
térise. S’évertuer à faire de la seule matière le
principe radical de l’individuation des êtres matériels
n’est-ce pas attenter a la valeur qualitative de l’exis
tentiel ou du concret ? N’est-ce pas, même, se tromper peut-être sur la vraie pensée d’Aristote ?
Quoi qu’il en soit, Valencia tient ferme pour l’opinion plus commune qui admet la pluralité des anges dans une seule espèce et l’attribue à un archétype complémentaire de l’archétype spécifique. Comme saint Bonaventure, il voit en cette opinion la sobriété du bon sens. Et aussi la catholicité théologique. « Car, écrit-il, de l’avis de tous les théologiens, le Verbe divin eût très certainement pu s’unir une nature angélique comme il s’est uni une nature humaine… Mais il est non moins certain, pour les théologiens, que le Verbe divin n’aurait pu assumer hypostatiquement, avec la nature humaine ou angélique, une personnalité humaine ou angélique créée. Contradictoire, en effet, serait la prétention de faire, de la personne du Verbe et d’une personnalité humaine ou angélique, une seule personne. Il est, au surplus, de l’essence de la personne de ne pouvoir être hypostatiquement assumée. Très certainement, donc, la personnalité angélique n’est pas quelque chose d’intrinsèque à l’espèce angélique mais une perfection infra et extra specificam perfeclionem angelicam. Ibid., q. i, punct. 3, col. 1023-1020.
2. Vers un sens précis de la simplicité angélique. — Un autre point controversé dans l’École est celui de la distinction à concevoir, chez l’ange, entre sa substance et ses accidents. Valencia admet, en fait, une distinction réelle : en quoi il est d’accord avec saint Thomas. Toutefois, comme Suarez, il la tient simplement pour plus probable et d’une probabilité de fait plutôt que métaphysique. Non implicat contradiclionem, écrit-il, creaturam aliquam esse tain perfeclum, ut illius subslanlia sit immediatum principium operalionis, ac proinde ut sit potentia. Ibid., q. v, punct. 3, col. 1070. Saint Thomas pose-t-il dans l’absolu sa thèse de la distinction réelle ? Valencia ne le pense pas. Même si l’on accorde à ce maître que l’acte d’exister achève l’essence de l’ange, rien ne s’ensuit en ce qui regarde la distinction entre l’actefaculté et sa substance. Il resterait, en effet, à démontrer qu’il s’agit d’achèvement physique. Or, tout ce qu’implique la contingence des créatures c’est qu’elles n’existent pas a se, qu’entre leur essence et leur existence, il y a au moins distinction métaphysique. Ibid., col. 1070-1071. Passant des facultés aux actes, Valencia, ici encore, n’admet qu’en théologien la thèse thomiste d’une distinction réelle entre eux et la substance concrète. Car les preuves philosophiques alléguées, si elles requièrent nettement composition métaphysique et, par suite, infériorité d’ordre relativement à la simplicité de Dieu, ne paraissent pas exiger ou révéler une composition physique, Le problème controversé ici sera d’ailleurs repris et poussé à propos de l’âme humaine. Ibid., col. 1073-1075.
3. Points controversés sur la connaissance angélique.
— Avec Denys et saint Thomas, G. de Valencia enseigne que l’ange ne connaîl pus toutes choses dans et par sa propre substance, avant besoin, comme nous, de déterminants intelligibles, il admet donc la théorie thomiste des espèces innées.
Quant aux réalités immatérielles, Valencia distingue, pour l’ange : soi. autrui, Dieu. Intelligible en acte par soi, enseigne saint Thomas, l’ange n’a besoin pour se connaître d’aucun déterminant étranger, A ce compte, oppose Duns Scot, notre âme se connai trail aussi elle-même sans l’aide d’aucun déterminant étranger. Or, il n’en est rien. Qu’en pense notre théologien-philosophe ? L’on peut, écrit-il, estimer avec
saint Augustin que notre âme, qui connaît le corporel
par la médiation des sens, se connaît vraiment par elle-même et COnnail par elle-même tout le spirituel.
Comment pourrait elle, sans cette capacité d’auto
intelleclion, se connaître par elle-même une fois séparée du corps ? Mais Valencia procède en théologien conciliant : à cause, conclut-il, de la solidarité de nos diverses facultés de connaître ici-bas, cette capacité native peut bien ne pas s’exercer encore. Elle existe, toutefois, et, en passant à son état de vie séparée, notre âme ne passera pas à un mode radicalement nouveau de connaître. Ibid., q. vii, punct. 1, col. 10841091. Combien suggestif est ce point de vue, chacun peut d’emblée le sentir. Mais le commentateur le poussera davantage, à propos de l’âme humaine. Rien de très caractéristique à noter pour ce qui touche à la connaissance, par l’ange, des autres réalités spirituelles et de Dieu.
Au sujet des êtres matériels, il est intéressant de constater que Valencia se montre cohérent en accordant aux anges d’atteindre naturellement, avec leur type spécifique, ces archétypes complémentaires d’où résulte leur pluralité individuelle au sein d’une même espèce. En passant seulement et par anticipation, il déclare incertaine la thèse inspirée d’Aristote d’après laquelle notre intelligence, sur terre, n’aurait aucune intellection directe des singuliers matériels comme tels. Ibid., q. viii, punct. 1-2, col. 1096-1099.
4. Trois suggestions originales.
Au sujet de la destinée des anges, rien de nouveau par rapport à ce qui a été développé dans la théodicée. Valencia leur applique cette doctrine de plein bon sens philosophique et de saine tradition. Ibid., q. xiii, punct. 2, col. 1152-1153.
a) À propos de la peccabilité angélique. — Comme saint Thomas, Valencia dit les anges peccables. Mais il estime, contrairement à ce maître, que Dieu pourrait créer des anges impeccables : soit dans un état de nature pure, soit dans un état de nature surnaturellement agrandie. Jamais, chez eux, ne pourrait alors se produire d’infraction aux préceptes divins naturels ou surnaturels. Leur liberté de choix consisterait à marcher au but en préférant tel bien à tel autre. Évocation, nullement réfractaire à la pensée, d’un univers spirituel incomparablement supérieur au nôtre, et suggestion dont il y a lieu de tenir compte pour éviter de formuler, même au sujet des hommes, une solution trop facile du problème du mal. Cf. Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, art. Mal, t. iv, col. 658.
b) D’où vient l’obstination au mal ? — La peine des anges réprouvés est sans fin, comme leur obstination au mal. Mais d’où vient cette obstination définitive ? Du caractère immuable de leur choix, dit saint Thomas. Ce choix, oppose saint Bonaventure, n’a rien en soi d’immuable, procédant d’une volonté créée et portant sur un bien qur, ne la comblant pas, lui laisse naturellement son libre arbitre. Seulement, vu l’odieuse malice de son péché, Dieu lui refuse à jamais cette grâce efficace qui la sauverait. Ibid., q. xv, punct. 1-2, col. 1180-1186. Tout en reconnaissant que le propos de l’ange est normalement beaucoup plus ferme que ne l’est celui de l’homme, Valencia juge plus vraisemblable l’opinion de saint Bonaventure. Ibid., col. 1184-1186. Il a coutume, en face des systèmes trop abstraits, de garder, lucide et saine, l’intégrité de son jugement critique.
c) Subsiste-t-il quelque bien moral dans l’agir des réprouvés ? — On trouve, chez saint Thomas lui-même et chez Cajétan, une vue de l’esprit qui peut se formuler ainsi : immuable de soi, le mauvais vouloir des anges réprouvés ne laisse subsister chez eux la possibilité d’aucun agir délibéré qui ne soit mauvais, d’aucun agir naturel dont la bonté intrinsèque ne soit dirigée au mal. Sum. theol., I a, q. lxiv, a. 2 ad 5um. « Car, écrit Valencia, résumant cette argumentation, tout ce que veulent les démons et
autres damnés, ils le veulent en vue de cette ultime fin dernière mauvaise à laquelle ils adhérèrent par leur péché, se détournant de Dieu… Comme la volonté de quiconque se trouve encore dans l’état d’épreuve ne peut rien vouloir que sous l’angle du bien, ainsi la volonté de celui qui est dans son état définitif ne peut rien vouloir qu’en vue de sa fin dernière. » Ibid., col. 1186. C’est aussi le sentiment de Luther. Duns Scot et Durand, au contraire, estiment que les démons et les autres damnés peuvent natura sua quidem exercere aliquem aclum bonum moruliter. Valencia tient pour plus probable cette opinion-ci. Les damnés, en effet, peuvent regretter l’acte qui causa leur peine éternelle : al istiusmodi aclus est bonus moraliter, et oppositum est errori Lutheri. Ibid. Invitant son lecteur à comparer, avec la psychologie du pécheur d’ici-bas, celle du pécheur damné, notre théologien s’exprime ainsi : « Les pécheurs peuvent, durant leur vie d’épreuve, faire certaines œuvres moralement bonnes et, quoi qu’en ait pensé Luther hérétique, ne pas pécher en tout ce qu’ils opèrent sans la grâce… Or, l’état de damnation n’entraîne pour le damné rien de ce que n’entraîne pas l’état du pécheur non damné. » Ibid., col. 1187.
5° De l’âme humaine.
Il n’importe pas au seul
philosophe mais encore au théologien de traiter de l’âme. « Premièrement, étant après l’ange la plus excellente des créatures, notre âme révèle avec un relief exceptionnel la supériorité de Dieu et sa perfection. En second lieu, pour dûment comprendre que Dieu est l’ultime but de l’homme et son souverain bien, … il faut connaître la nature, les facultés et les actes de l’âme. C’est en effet par son agir que nous devons nous acheminer à ce but, comme on l’expliquera au t. ii. Voilà pourquoi les Pères ont parlé de l’âme. » Ibid., disp. VI, préambule, col. 1265-1266.
1. Constitution intime et immortalité.
a) Constitution intime. — L’essence de l’âme humaine est, en chacun de nous, un principe substantiel, simple, spirituel et personnellement immortel. Sur ces bases rationnelles de la foi, Valencia commente saint Thomas en étoffant théologiquement ses thèses. Comme ce maître, il rejette l’hylémorphisme spirituel, tenant pour solide la preuve alléguée que voici : essentiellement réceptive, la matière ne saurait être principe même partiel de la vie. Mais saint Thomas écarte de notre âme la composition de matière et de forme pour cette autre raison : cette composition, pense-t-il, bornerait sa connaissance au singulier et en ferait comme une sensation. Elle pourrait aussi, oppose Valencia, s’élever à l’universel. Car, dit saint Thomas lui-même, la matière individualité contribue à la constitution de l’espèce. Ibid., q. i, punct. 2, col. 1.278.
b) Immortalité. — Aucun problème rationnel sousjacent à la théologie n’a été aussi magistralement étudié que celui de notre immortalité spirituelle. Valencia s’y montre aussi fort qu’il s’est montré faible sur la démonstration de l’existence de Dieu. Sept preuves philosophiques sont développées, qui se prennent de l’âme elle-même et de Dieu. De l’âme : de son excellence, de son appétit, de ses actes, de son mode d’agir et de ses devoirs moraux ; de Dieu : de sa bonté et de sa justice. Ibid., punct. 3, col. 1295. C’est en développant ces preuves que Valencia fonde son spiritualisme philosophique.
Interprétant la portée universelle du penser et du vouloir, il conclut que notre âme est accordée à tout le réel. Rien, dès lors, ne saurait lui être contraire, l’user peu à peu, la corrompre. Elle est ainsi naturellement constituée pour vivre toujours. Dieu, qui eût pu ne pas vouloir la créer, contredirait son libre dessein créateur en la laissant retomber au néant. Dieu, vers qui elle se porte par son pouvoir naturel de
penser et d’aimer ! Sans doute notre âme incarnée rencontre-t-elle ici-bas des obstacles : ces obstacles n’atteignent pas son être intime et, bien exploités, l’aident au contraire à se mieux tremper. Ibid., col. 1295-1297.
De son affinité native avec tout le réel résulte, pour notre âme, cet indestructible appétit de parvenir enfin à connaître et à aimer si bien toutes choses qu’elle y trouve son entière satisfaction, son bonheur. Appétit stimulant, impérieux, conscient, constant, qui serait inintelligible, donc inexistant, s’il ne pouvait être enfin satisfait. Or, ce plénier vouloir-vivre, ce désir naturel-élicite de bonheur ne pourrait jamais être satisfait si, de par notre âme à tout le moins, nous n’étions personnellement immortels. Ibid., col. 1297-1300.
Passant, en troisième lieu, à l’agir propre de notre âme, Valencia constate qu’il vise, cherche ou atteint, en toute réalité particulière, son essence intime, sa place ou son rôle au sein des êtres, sa destination ou, pour ainsi parler, sa vocation : bref, son absolue valeur d’être. Visée qui nous prend, recherche qui nous absorbe, aboutissement partiel qui nous réjouit le cœur et y déploie l’amour. À cet absolu même de notre agir ne contribue aucunement la sensibilité organique. Elle peut donc s’user sans que, pour autant, s’use en rien l’intimité ontologique de cet agir, partant de son principe radical qui est l’âme. Suivi dans son dynamisme objectif, il la révèle incorruptible en soi. Étroite, il est vrai, est sur terre la liaison extrinsèque de notre agir pensant et voulant avec le sensible et le corps. Mais, note Valencia, « ce n’est pas l’âme qui emprunte au corps de quoi subsister, c’est elle qui lui fournit le nécessaire ». Il entre en décadence pour autant que diminue son don vital et, s’il cesse, c’est lui qui meurt. Combien vraie aussi et réconfortante cette observation : debilitato corpore contingit operaliones intellectuelles esse perfecliores ; id quod indicio est, eas minime dependere a corpore… Unde Job, xii : In antiquis est sapienlia et in multo tempore prudentia ! Ibid., col. 1300-1303.
Considérant ensuite, au sommet de notre agir spirituel, cette liberté d’arbitre ou de choix personnel qui le fait dominer l’universel déterminisme des activités irraisonnables et se porter vers notre fin dernière, G. de Valencia en déduit la transcendance de l’âme. Car rien de ce qui est corruptible et se corrompt jieu à peu n’est marqué de ce cachet personnel. Si^ne révélateur d’une vie assez spontanée pour survivre à la dissolution du corps, parce que puisée à un principe naturellement immortel. Uu libre agir découle, chez tout adulte complet, le sens du devoir moral, toujours austère et parfois exigeant jusqu’à commander l’héroïsme. Or, le devoir sera mieux rempli s’il est appuyé à l’espoir efficace d’une immortelle sanction de bonheur à mériter, ou à la crainte d’une immortelle sanction de malheur à éviter. Dépourvu de cet adéquat stimulant l’homme libre se trouverait, par rapport à sa destinée, seul insuffisamment armé. Les êtres inférieurs, en effet, sont efficacement conduits à leur but par la force du déterminisme. Ibid., COL 1303.
Afin de parachever son exposé doctrinal, G. de Valencia recourt à Dieu : à sa bonté et à sa justice. A sa bonté qui n’a pas créé, naturellement Immortelles, nos âmes pour un jour les livrer au néant. A sa justice qui doit récompenser chacun selon ses œuvres. Puisque, dans la vie présente, manque cette justice adéquate, la vie future doit pourvoir. Ibid., <ol. 1304 1307.
2. Simplicité il connaissance.
a) Simplicité. — Comment distinguer, entre elles et l’Ame, nos facultés.’Problème fertile en opinions. Pas de distinction réelle,
d’après Scot et maint nominaliste. Pour saint Thomas et Denys, la distinction est réelle. Constatant le manque de preuve apodictique, Valencia opterait volontiers pour une distinction d’aspects divers dans un seul et même principe de vie. Constitués par les facultés et leurs actes, ces aspects consisteraient en un déploiement multiforme de l’âme elle-même. C’est cette théorie qui paraît le mieux rendre le sens des textes augustiniens, notamment De Trinilate, t. X, c. xi. Tout bien pesé, néanmoins, Valencia se rallie à l’opinion de saint Thomas. Comme ce maître il admet, sous les vocables « intellect agent » et « intellect passif », une réelle dualité de fonctions : celui-là imprimant activement le déterminant intelligible, celui-ci en recevant l’empreinte et l’exprimant. Avec saint Thomas et comme Suarez, Valencia accorde à l’intelligence le primat sur la volonté : ici encore, rien que des vues de l’esprit, pas de certitude.
b) Connaissance. — Formé par abstraction spontanée des éléments matériels et individuants du donné sensitif et dégagement des caractères intelligibles, le concept ouvre notre intelligence et lui fournit son principal objet direct. Mais, du même coup, celle-ci se crée une idée concrète des objets conçus abstraitement. Ni leur matérialité ni leur singularité ne s’y opposent. Puisqu’il a sa mesure d’être, le singulier matériel a sa valeur intelligible. Nihil enim impedit quominus eadem species ulroque modo naturam reprœsenlet, nempe ut abstractam a conditionibus indiuiduantibus, et ut indiuiduam ac singularem. Ibid., q. vii, punct. 1, col. 1378. Grâce à cette intellection abstraite et concrète tout ensemble des êtres matériels, l’on peut expliquer ces jugements intellectuels par lesquels nous attribuons des « universaux » à des sujets concrets. En admettant une intellection directe de ces sujets, G. de Valencia se montrait bon psychologue.
Montant de notre connaissance intellectuelle des corps à celle de notre âme, Valencia se montre frappé, dès l’abord, par la masse des textes inspirés d’Aristote, où saint Thomas paraît méconnaître toute connaissance propre de l’âme par l’âme, du moins dans son état d’union avec le corps. Il ignore ces autres textes thomistes, inspirés de saint Augustin, où il aurait pu appuyer sa propre doctrine. Cf. Archives de l>hilosophie, t. vi, cahier 2, p. 51-114. C’est en croyant se séparer de saint Thomas qu’il écrit les lignes fermes que voici :.Serf videtur probubile quod etiam in hujus vilæ statu, anima ipsa, et potentiiv, et habitas, et aclus ipsius intelligantur per suam cnlitalem sine alia specie. Commentaires, disp. VI, q. vii, punct. 2, col. 1380. Dans l’acte même d’abstraction intellectuelle et dans tous ceux qui s’ensuivent, notre âme, naturellement accordée à connaître tout ce qui se présente à elle intelligiblement, se saisit comme sujet connaissant le réel extérieur. En cette perception expérimentale de soi elle trouve de quoi former et fonder une métaphysique de l’esprit humain, de l’esprit en soi, partant, de l’être comme valeur pure et de l’Esprit divin. Après avoir reproduit le texte suivant d’Augustin : Mens ergo ipsa sicut corporearum rcrum notifias per sensus corporis colligit, sic incorporearum per semetipsam ; ergo et semetipsam per setpsam novit., De Trin., t. IX, c. iii, Valencia poursuit : Manifeste enim Augustinus vult, ideo quoque animam se per setpsam cognosrere, quia non ex sensibilibus colligit speciem et notitiam sut ; ut palet ex antithesi, quant 1). Augustinus ibi insliluil inler modum, quo anima cognoscil res corporeas. ri incorporeas. Ibid., col. 1380.
Pourquoi l’Ame se connaît-elle sans autre déterminant que soi ? Voici : anima est imita eum intellcctu ut naturale sabjectum, et quasi origo rjus ; qui modus unionis… est… major quant modus quo objeelum 2 8 ;
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VALENCIA. DOCTRINES, LA GRACE
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unitur intelleclui per sui speciem intentionalem. Item potentiæ, habilus, et (ictus, per hoc etiam sufflcienter cum intellectu uniuntur, quo insunt in cudem essentiel animas, lbid., col. 1380-1381.
II. TRAITS DOCTRINAUX CAMACTÊR ST QUJSS DANS LES T. II, m ht IV. — Vers la fin du t. i des Commentaires théologiques, Valencia consacre quelques lignes à l'état de « nature pure » : Il n’a jamais existé à part et n’existera jamais, l’homme ayant été établi dans des conditions de justice originelle qui comprennent à tout le moins les privilèges « préternaturels ». Avec saint Thomas, d’ailleurs, et contrairement à saint Bonaventure, Valencia estime que l'état de rectitude originelle incluait le don surnaturel de la grâce. Ibid., disp. VII, q. ii, punct. 2, col. 14221425. L’homme eût pu être créé in puris naturalibus. On peut même, par voie d’abstraction indispensable, considérer cet état quatenus ordine quodam rationis prior est natura, quam supernaturalia dona gratuita. Ibid., col. 1422. Sans insister, Valencia énumère ensuite les cinq états effectifs : de nature intègre, dégradée, rachetée, béatifiée incomplètement avant la résurrection du propre corps, béatifiée entièrement après.
1° De la béatitude.
Au seuil du t. ii, G. de Valencia
rencontre le problème des rapports entre raison et foi, en traitant de l’acquisition de la béatitude. Disp. I, q. v, punct. 1-6, col. 117-144. Cf. S. Thomas I » -II », q. v, a. 1-8. Après avoir distingué la béatitude comme perfection et bonheur pléniers en général de la béatitude réalisée par vision et fruition de Dieu, Valencia constate que celle-là est désirée de tous et celle-ci par ceux qui savent que la perfection et le bonheur en général s’y trouvent accomplis. La béatitude prise en ces deux sens, tous les hommes la désirent d’un désir naturel, absolu ou conditionnel. Par rapport à la béatitude à réaliser par vision et fruition de Dieu, notre désir est nécessaire quant au jugement de valeur, quoad specifteationem ou appretiative, mais il peut se laisser combattre et vaincre en fait par un appétit coupable. Car, si le désir naturel absolu de la béatitude en général s’avère de tout point souverain, le désir-vœu de la béatitude en Dieu, s’il s’actue lui aussi souverainement quant au jugement appréciatif, quoad specifteationem ou appretiative, ne s’actue pas toujours de même intensive. Ibid., punct. 1, col. 119-125.
Ces précisions acquises, Valencia approfondit le problème, en ce qui concerne la béatitude par vision et fruition de Dieu. De par son âme l’homme y est naturellement accordé et elle lui est désirable. Il est donc nécessaire qu’elle puisse être réalisée mais pas, pour autant, qu’elle doive l'être. Ibid., punct. 2, col. 125-126. C’est d’un désir tout docile au bon vouloir de Dieu que, naturellement, nous la désirons. L’homme ne peut s’y hausser lui-même ni l’exiger, mais il a besoin d’y être élevé par don de grâce. Ibid., punct. 5, col. 141. Besoin absolu ou seulement relatif ? Le caractère absolu du besoin serait contraire, pour Valencia comme pour saint Thomas, au dogme philosophique et théologique de la gratuité foncière du surnaturel. Contraire même, pour Valencia, à ses brèves et nettes affirmations sur l'état humain, irréel en fait, possible en droit de « nature pure ». Mais, pas plus que saint Thomas, notre commentateur ne vise à construire un ensemble philosophique répondant à cette possibilité de droit. Comme lui, il se contente, au fur et à mesure de ses commentaires théologiques, d’en façonner les matériaux.
2° Grâce efficace et liberté humaine.
Si l’habitus de
grâce est indispensable à l’homme pour obtenir la béatitude de gloire, c’est par le moyen de la grâce actuelle efficace que l’adulte humain parvient à la
grâce habituelle, y persévère jusqu’au bout de l'épreuve et meurt en cet état. Sans enseigner que la grâce de Dieu actuelle devient efficace par le seul bon usage du libre arbitre humain, Valencia requiert ce bon usage effectif. Ce n’est ni par soi seule ni par ce bon usage seul, mais, tout ensemble, par soi et par ce bon usage, par soi principalement et par ce bon usage secondairement, que la grâce est efficace, qu’elle se distingue de la grâce dite suffisante. Capital en soi ce problème l’est aussi pour qui vise à caractériser à la fois la doctrine et la méthode du théologien d’Ingolstadt.
Le but ultime de l’itinéraire est la gloire, épanouissement béatifiant de la grâce habituelle ; le but prochain c’est la conversion qu’il s’agit ici d’obtenir.
1. Grâce efficace.
Il faut, pour mieux saisir le pourquoi secret et le progrès subtil de chacune des sept étapes de notre théologien, sentir son dessein dominant qui est, sans diminuer en rien l’apport personnel libre de l’homme obéissant, de souligner dans la grâce efficace la souveraine primauté de Dieu. Il est indispensable, tant elles sont nuancées, de traduire les sept propositions-résumés de Valencia.
a) « Que l’homme se convertisse et réponde à l’appel excitateur de Dieu, il ne faut pas l’attribuer à son seul libre arbitre mais surtout à la grâce efficace elle-même, qui lui vaut de se convertir. Ainsi, à la question pourquoi un tel se convertit répondons très correctement : et parce qu’il a eu la grâce efficace de librement se convertir et parce qu’il a choisi, avec le secours de la grâce, de se convertir. » Ibid., disp. VIII, q. iii, punct. 4, col. 1190-1191.
b) « Cette grâce efficace, qui vaut à l’homme de se convertir, est telle qu’il n’arrive ni ne peut arriver jamais que, posée tout entière, l’homme ne se convertisse pas, et donc, elle supposée, nécessairement et infailliblement, l’homme se convertit : c’est en toute liberté, néanmoins, qu’il se convertit. » Ibid., col. 1192. Par le mot tota, G. de Valencia signifie ici que ultra vocationem, la grâce efficace continel aliquid, per quod etiam actu efpcit una cum libero arbitrio conversionem. Ibid., col. 1193.
c) « Prise ainsi dans sa plénitude qui amène la conversion, la grâce est nécessaire à tous les adultes pour qu’ils se convertissent librement : il n’arrive donc jamais que, sans elle, l’homme opte pour la conversion. » Ibid., col. 1194.
d) « Cette grâce efficace sans laquelle aucun appelé ou sollicité ne peut librement se convertir et avec laquelle, certainement et infailliblement, l’homme se convertit, consiste en un don que, déjà prévenu par la grâce de vocation et la grâce excitatrice, l’homme puisse obtenir, avec le secours de Dieu, par un pieux usage de son libre arbitre : c’est donc sa faute s’il vient à lui manquer. » Ibid., col. 1195.
e) « Ce don de la grâce efficace est, dans un genre de causalité, antérieur par nature à la libre conversion, et, dans un autre, postérieur. » Ibid., col. 1210. Antérieur, dans l’ordre de l’efficience, « car il consiste en une infusion d’habit us de grâce et de vertus par lesquels l'âme fortifiée produit les actes de conversion, Dieu concourant avec elle à leur production ». Mais, tout en étant postérieure dans l’ordre de l’efficience, « la conversion est antérieure au don de la grâce efficace de par sa causalité matérielle ou dispositive. Cette conversion, dès lors, est le pieux usage même du libre arbitre par lequel est acquise cette grâce efficace ». Ibid. Si l’on entend au sens large la formule « grâce efficace », y comprenant « tous les dons qui aident à la conversion et y concourent », une certaine différence réelle existe entre la grâce efficace et la grâce de justification. Mais, si nous parlons de la grâce efficace comme du don ultime qui, outre la 2 489
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VALENCIA. DOCTRINES, LA FOI
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vocation et l’impulsion excitatrice, est requis pour la conversion et l’opère, alors elle ne diffère, selon notre théorie, que par une différence de raison de la grâce justificatrice : elle la précède, dans notre manière de concevoir. Nam Ma infusio habitas gratiæ, diversa ralione, est re ipsa et gratia eflicax, et justificatio. Ibid., col. 1212-1213.
j) « Bien qu’il ne puisse arriver que, de deux sujets ayant chacun la grâce efficace déjà définie, l’un se convertisse, l’autre pas ; cependant, il peut advenir et peut-être advient-il parfois que, de deux ayant chacun, en tout pareille, une autre grâce antérieure à la grâce efficace (grâce d’appel ou grâce excitatrice) et qui se donne habituellement, l’un, par grâce en ce cas efficace ou efficacement adjuvante, se convertisse, l’autre pas. » Ibid., col. 1213-1214. Même en sa seconde partie, seule nouvelle et insuffisamment explicite, ce texte a été reproduit tel quel dans l’édition Cardon de 1619. Mais, dans cette édition faite d’après celle que revit Valencia peu de temps avant sa mort en 1603, dix lignes suivent la preuve, l’éclairant à souhait. Égale en tout, de par sa réalité intrinsèque, à celle de celui qui ne se convertit pas, la grâce de celui qui se convertit l’emporte sur elle comme don divin. Car Dieu sait ub œterno le résultat. Ainsi se commentait lui-même, onze ans après publication du t. ii des Commentaires, un Valencia mûri par son labeur aux congrégations De auxiliis. Il ne faisait d’ailleurs que s’expliciter, n’ayant voulu signifier dans son texte que l’être intrinsèque des deux grâces envisagées. Édition Cardon de 1619, t. ii, col. 934.
g) « Prise au sens adéquat, comme formée de la grâce de vocation et de la grâce excitatrice ainsi que du secours qui assure la conversion, de par les habitus de grâce et des vertus, la grâce efficace est ou celle des prédestinés ou, parfois, celle des réprouvés qui ne possèdent pas ce rapport à l’obtention certaine de la béatitude mais est cependant donnée aux réprouvés, lors de leur justification : la première résulte de la prédestination, la seconde non. » Commentaires de 1591, ibid., col. 1219.
2. Coopération humaine. — Aidé de la grâce prévenante, l’homme peut se déterminer, sans détermination surajoutée, ù se convertir. Sa détermination n’est ni la conversion, ni un intermédiaire, ni une simple non-résistance, mais la perfection même du libre arbitre choisissant d’acquiescer. Par elle il Imite la spontanéité divine et oriente à l’acte de conversion la grâce reçue. La conversion s’ensuit, simultanément causée par la grâce et la détermination active. Sur le plan naturel, le concours divin universel joue un rôle pareil à celui de la grâce prévenante dans l’ordre surnaturel. C’est l’homme libre qui, en se déterminant, spécifie le concours.
Bien entendu, surnaturelle ou naturelle notre détermination active dépend de la causalité divine : elle est contingente, seconde, point initiative absolue. (/est pour exclure toute détermination surajoutée que Valencia, comme Molina, tient pour simultané à noire agir l’agir de Dieu. Cf. Cregorianum, 1942, Libre arbitre ri concours selon Molina. Ce n’est certes pas pour soustraire à l’influx divin notre détermination libre : imiter Dieu n’est pas l’égaler. Commentaires, dlst. VIII, q. v, punct 4, ibid., col. 1332-1333.
.’!. Adhésion de raison et adhésion de foi. — Très ctéristique encore de la manière de Valencia est la position qu’il adopte relativement au problème controversé dans l’École et que saint Thomas formule ainsi : ’Inan ea qutr sunt fulci possint este scita ? IMI », q. i, a..V
Dûment précisé, le problème porte sur des vérités
conclues, celles par exemple qui servent d’appui
rationnel à la foi, ou des érites primordiales dont
l’évidence de soi immédiate laisse subsister dans l’esprit convaincu de graves questions ultérieures : la réalité de notre libre arbitre, du devoir moral absolu, du bonum faciendum, malum vilandum. La formule adoptée par S. Harent, pour dégager « le point capital de la discussion », nous paraît bien répondre au commentaire de Valencia. « Un philosophe, écrit-il, qui vient de se démontrer une vérité de théodicée, par ailleurs révélée, ou qui en a du moins la science habituelle, peut-il faire un acte de foi divine sur cette vérité ? » Ici, art. Foi, t. vi, col. 454.
Parmi les tenants de l’opinion négative, Valencia citait déjà, avec saint Thomas d’Aquin, Capréolus, Cajétan et d’autres thomistes, Duns Scot et Richard. Commentaires, t. iii, disp. I, q. i, punct. 4, col. 75. Ils allèguent volontiers l’Est… fîdes… argumentum non apparentium, et ce témoignage de saint Augustin écrivant, à son sujet : nescio ulrum credere dicendus est quisque quod videt, tract, lxxix, in Joan., i, P. L., t. xxxv, col. 1837. D’ailleurs, croire est méritoire ; or, quel mérite à croire ce que l’on sait ? Croire, c’est librement adhérer ; or, comment adhérer ainsi à ce dont on a l’évidence intellectuelle ? Croire, c’est adhérer sans l’évidence du savoir ; mais comment adhérer de la sorte, si l’on sait ce qui est à croire ?
Conscient d’avoir plutôt étoffé les arguments adverses, Valencia en vient à ceux qui affirment, idem secundum idem posse credi et simul cognosci evidenter. Ce sont des théologiens de premier ordre : Alex, de Halès, Albert le Grand, Guillaume d’Auxerre, saint Bonaventure, Durand, Gabriel. « Et, conclut-il, cette opinion me paraît plus probable parce que plus conforme aux saintes Lettres, aux Pères et à la raison. » Aux saintes Lettres, notamment à l’Apôtre affirmant du vrai Dieu accessible à la raison naturelle : « celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent », Heb., x, 6 ; « c’est par la foi que nous attribuons à la parole de Dieu d’avoir ordonné les siècles », ibid., xi, 3 ; « puisant sa force dans la foi, Abraham rendit gloire à Dieu, pleinement convaincu qu’il saurait accomplir les promesses faites », Rom., iv, 20-21. Abraham est loué de croire ce qu’il sait ou peut savoir. Dira-t-on, pour le reste, que doivent croire en Dieu rémunérateur ceux-là seuls qui n’ont pas encore réfléchi ? Passant de l’Écriture aux Symboles des Apôtres et de Nicée, Valencia constate que chacun doit croire à chaque article du Credo catholique. Or, ce qui concerne l’existence du vrai Dieu, unique, tout-puissant, créateur, provident, à qui est dû un véritable culte d’adoration, relève en soi de la raison philosophique. En fait plusieurs philosophes connurent ou connaissent ces vérités : faut-il donc dire que cette connaissance les dispensa ou même les priva d’y croire en chrétiens ? Les Pères ignorent pareille dispense, pareille privation, notamment saint Cyrille de Jérusalem, saint Jean Chrysostome, saint Augustin, Rufin. Sans excepter qui que ce soit, ils soulignent l’universel devoir de croire au Symbole des Apôtres.
I.a raison, d’ailleurs, est là pour nous persuader que. bien loin de s’opposer en rien au besoin justifié de croire à telle ou telle vérité naturelle, nos évidences Intrinsèques si pauvres et si peu pénétrantes à son endroit vont plutôt à aiguiser ce besoin, à le rendre plus Impérieux. Entre l’adhésion d’évidence et l’adhésion de foi, il y a harmonie et entr’aide. À cette raison foncière, Valencia en joint une autre. Si l’adhésion rationnelle à une vérité de raison, par exemple à l’existence d’un seul Dieu personnel, excluait la possibilité d’une adhésion de foi en ce Dieu, ce n’est pas profit spirituel mais grave dommage qu’il y
ainaii a s’appliquer au problème philosophique de Dieu. En éliminant l’acte d’adhésion croyante, plus
profondement certain et plus parfait, l’acte d’adhésion naturelle appauvrirait singulièrement l’imprudent qui s’y risquerait. Ibid., col. 79. Valencia montre ensuite comment, plus ou moins richement illuminatrice en son domaine, l’évidence de raison laisse intacte l’obscurité propre au motif formel de la foi, partant la liberté de l’acte et son mérite. Même si cette évidence, au lieu d’émaner d’une démonstration, provient d’une expérience certaine ? Oui, répond Valencia plus intégral ici que saint Bonaventure. Ce dernier estime, en effet, qu’une adhésion expérimentale fondée sur une évidence sensible exclut l’adhésion de foi simultanée relativement au même objet. Mais pourquoi donc, réplique Valencia, puisque nous pouvons, par un seul et même acte concret de l’esprit, embrasser le motif naturel d’évidence expérimentale et le motif surnaturel de la foi ? Nous le pouvons aussi, ajoutet-il, par deux actes différents simultanés. Ibid., col. 79-80.
4° Union hypostatique et sacrifice de la messe devant la raison. — Passant du t. m des Commentaires au t. iv, nous allons esquisser encore deux traits caractéristiques du corpus doctrinal de Valencia : ses théories de l’union hypostatique et du sacrifice de la messe. L’un et l’autre se rapportent au Christ rédempteur.
1. Théorie de l’union hypostatique.
Employé pour signifier un essai d’explication du mystère strict qu’est l’union hypostatique, le mot théorie ne peut avoir ici qu’un sens très analogique. Il ne s’agit pas, au surplus, d’envisager tous les points de vue qu’envisage notre théologien. Seul nous retiendra, pour ce qu’il comporte ou implique de philosophie, le problème de la possibilité.
Le mystère de l’union personnelle du Fils de Dieu avec la nature humaine du Christ étant ad extra, la possibilité même certaine n’en entraînerait pas l’existence. Mais est-elle seulement possible ? Disp. I, q. i, punct. 2, col. 10-11. Ni homme ni ange ne saurait, de façon absolue et parfaite, connaître cette possibilité. Seul le peut, à vrai dire, l’Esprit divin qui, se connaissant pleinement comme un et trine, connaît aussi parfaitement l’homme comme nature et comme personne. Seul, il sait si et comment Dieu un et trine peut opérer cette assomption, par le Verbe, d’une nature humaine, et seul, si et comment cette nature restant ce qu’elle est peut, au lieu de subsister personnellement par elle-même, de s’appartenir, être promue à subsister par le Verbe et lui appartenir. Aussi bien ne s’agit-il que d’une connaissance conditionnée par le fait révélé et imparfaite. Le mystère étant, pouvons-nous répondre aux objections formulées contre sa possibilité et nous l’exprimer en termes d’analogie ? Nous le pouvons assurément, répond Valencia. Ibid., col. 11-13. Où serait, en effet, la contradiction ? Ni du côté du Verbe, elle n’apparaît, ni du côté de la nature humaine assumée par lui. Non ex parte personne assument/s. car, infinie en perfection, elle peut remplir éminemment le rôle de la personnalité humaine en donnant à la nature promue de subsister par elle et de lui appartenir. Rôle seul propre à la personne et qui en constitue l’essence, pure de soi mais réalisée selon un mode imparfait dans la créature ; rôle que le Verbe remplit infiniment. Combien cette idée stricte de la personnalité et cette définition métaphysique de la personne dépassent toute donnée empirique, tout ce que l’on a coutume de signifier lorsqu’on parle de personnalité ou de personne juridique, psychologique, morale, religieuse, et comment tout ceci ressortit à la nature humaine concrète comme à son principe radical en subsistant ainsi qu’elle par le sujet personnel et en lui appartenant, il n’est pour s’en rendre
compte que de réfléchir. Avec celui de la trinité, le mystère de l’union hypostatique, bien loin de paralyser la raison humaine, l’a stimulée et amenée à concevoir la vraie notion ontologique de personnalité et de personne. Travail supérieurement rationnel d’élaboration ou d’analyse. Il n’y a pas non plus répugnance ex parte humanæ naturse assumptse quia scilicet ea asseratur vel sine propria personalitate, vel per aliénant personalitalem exislere. Étant intelligiblement postérieure à la nature qu’elle a pour rôle de faire subsister toute en soi et à soi, ontologiquement limitée, n’ayant en son essence propre rien dont l’absence soit formellement contradictoire de l’existence réelle de la nature, la personnalité connaturelle peut n’exister pas sans que, si son rôle personnel est dûment suppléé, la nature soit elle-même privée d’exister. Or, à ce rôle que le Verbe peut assumer parfaitement, elle peut, nature créée, répondre en toute docilité. In omni enim creatura cogitare licet potentiam, quam theologi obediextialem vocant, ut scilicet ftat in illa, quicquid per potentiam Dei in ipsa fieri potest sine contradiclione. Corrélativement à la notion de personne, celle de nature spirituelle a été mieux comprise, grâce au ferment fourni à notre raison naturelle même par le mystère de l’incarnation ainsi que par celui de la trinité.
Le fort de l’essai de théorie formulé par Grégoire de Valencia relativement à l’union hypostatique est, ce semble, d’être aussi peu systématique que possible. C’est à partir des exigences ontologiques de notre expérience humaine, à partir de ces exigences imposées à notre attention par le mystère même, qu’est strictement définie, avec la personnalité humaine et la personnalité angélique, la personnalité en soi, perfection pure, et analogiquement conçue la personnalité divine.
2. Théorie du sacrifice de la messe.
Elle est exposée au t. iv de l’édition d’Ingolstadt, parue en 1597, disp. VI, q. xi, punct. 1, col. 1302-1431. Dans le recueil des écrits, publié avant les Commentaires en 1591 à Lyon sous le titre De rébus ftdei hoc tempore controversis, il y consacrait déjà le De sacrosancto missæ sacrifteio, contra impiam disputationem Tubingse nuper a Jacobo Herbrando propositam, atque adeo contra perversissimam Lutheri, Kemnitii aliorumque novatorum doctrinam. Mais ce que l’on oublie trop de noter, dans nombre de grands traités modernes, c’est que Grégoire de Valencia a pris rang dix ans plus tôt : en 1580, par son De sacrosancto missæ sacrifteio contra… novatorum doctrinam, dirigé contre Herbrand ; en 1581, par son Apologia de ss. missæ sacrifteio, contre la réplique d’Herbrand à son De sacrosancto missæ sacrifteio. Alors, sans doute, l’idée d’immulation réelle et de destruction sacrificielle se substituant à l’idée thomiste de rite mystique sans altération ou destruction de la matière offerte avait déjà des partisans nombreux : G. Casai, J. Hessels, F. Torrès, M. van der Galen, G. Allen, entre autres. Mais ni Suarez, ni Bellarmin, ni Vasquez, ni Pierre de Ledesma n’avaient encore publié leurs écrits sur le sujet. C’est donc manquer à la précision historique, voire à une juste équité envers Grégoire de Valencia, dans la répartition des influences doctrinales, que de présenter ce dernier comme dépendant de Suarez et de Bellarmin, par exemple. Le De arcano missæ sacrificio du premier parut, en effet, en 1595 ; en 1593, le De missa du second.
A suivre ses écrits, sur le thème en question, l’on se persuade de plus en plus que Valencia a élaboré sa doctrine, mûre dès 1580, en puisant dans l’enseignement reçu en des écrits qui ne peuvent encore être ceux de Suarez ou de Bellarmin. Y ajoutant peu et n’en retranchant aussi qu’assez peu, il reproduit en
1597 ce qu’il écrivit contre les sectaires, nommément contre Herbrand et Kemnitz, en 1580 et 1581. La messe est-elle un vrai sacrifice ? le sacrifice du corps et du sang de Jésus offert par les prêtres catholiques, au Dieu éternel, sous les espèces du pain et du vin ? sacrifice de propitiation pour le célébrant, les fidèles pour qui il est offert et les défunts morts chrétiennement ? Voilà ce que Valencia devait non seulement traiter par manière d’exposé, mais en apologiste, sans se lasser. Prenant appui sur les Pères du concile de Trente et d’autres écrivains catholiques, il débute en montrant que la messe est un vrai sacrifice. Ibid., col. 1304-1308.
Tout, dans la messe, est-il sacrifice ? Non. Aucun des maîtres, dont Kemnitz a travesti la pensée, n’ignore qu’elle comprend des cérémonies destinées avec les prières choisies dans ce but, à composer un milieu de beauté apte à élever les âmes vers le niveau sacré de l’oblation du Christ à Dieu, par son prêtre, sous les apparences du pain et du vin. Mais où donc est le sacrifice véritable ? Grégoire estime n’avoir pas à construire une théorie ; il va présenter de son mieux, du point de vue dogmatique et pour convaincre ses adversaires, celle qu’ont contribué à élaborer les meilleurs théologiens. La thèse qui lui agrée le mieux est celle qu’il résume en ces termes : « Si ce n’est pas la seule consécration, mais encore la bénédiction, la fraction, la mixtion et la communion qui contribuent à accomplir » le sacrifice de là messe, « il consiste pourtant surtout en la consécration. C’est par elle, en effet, que s’opère ce sacrifice. Son essence propre, la consécration, en assure le principal en faisant, par la transsubstantiation du pain et du vin au corps et au sang du Christ, que, de cette manière mystérieuse appelée sacramentelle, le Christ se trouve, sous les espèces du pain et du viii, bon à être absorbé. Et cependant, parce que la nature du sacrifice, en tant qu’il appartient à la vertu de religion, est comme individuelle et composée, elle peut être formée de parties diverses dont il pourra arriver que l’une soit séparée de l’autre. C’est pourquoi, la fraction elle-même et la communion, signes sensibles, peuvent contribuer de façon secondaire à la substance spéciale du sacrifice de la messe. Ainsi, moralement un, le résultat intégral de ces actions, constitue ce sacrifice. Ibid., col. 1308-1311. Cf. ici, t. x, col. 1177.
C’est du rite éminemment sacerdotal de la consécration que sort tout le sacrifice de la messe. Par la transsubstantiation, il opère divinement, sous les espèces du pain et du viii, la présence sacramentelle du Christ de la Cène et de la Croix. Du Christ de la Cène qui, en instituant l’eucharistie, s’offrit lui-même, en victime à immoler au bon plaisir de Dieu, en nourriture et en breuvage pour les hommes ; du Christ de la Croix qui, en obéissant jusqu’à la mort, consomma l’oblation sacrificielle. Cette oblation, rituellement préfigurée dans l’institution eucharistique et consommée sur la croix, se trouve commémorée et mystiquement reproduite à la messe ; principalement de par l’acte consécratoire de transsubstantiation sous les espèces sacramentelles du pain et do viii, secondairement de par la bénédiction, la fraction, la mixtion et la communion du prêtre qui, d’après le concile de Tolède, doit participer au sacrifice. Ibid., col. 1311. Ce n’est pas dans le texte de Valencia toujours cité, et traduit plus haut, que l’on peut trouver tonte la doctrine essentielle de ce théologien sur le sacrifice de la messe et le fondement suffisant de notre résumé. Il faut en recueillir les éléments dans le développement de la controverse avec les sectaires. Aussi bien, pour répondre aux objections qu’il ! opposaient, avait-il moins à établir la réalité du sacrifice de la messe, que sa rectitude. Et
non tam sectarii sacrificium in missa negant, quam rectum legitimumque in ea sacrificium fieri. Ibid., col. 1310. C’est en poussant la controverse avec eux que Grégoire de Valencia est amené, point après point, à montrer comment le rite catholique de la messe est conforme à l’institution de la Cène partant à l’oblation sacrificielle consommée sur la Croix. Ibid., col. 1311-1341. Pour lui, tout relatif à l’absolu du Calvaire, le sacrifice de la messe est cette oblation même en tant que commémorée et rituellement reproduite sur l’autel : à titre principal, en vertu du rite consécratoire de la transsubstantiation ; à titre secondaire, par la bénédiction, la fraction, la mixtion et la communion. D’'immutation au sens de Suarez ou de destruction au sens de Bellarmin, imaginées comme constitutives du sacrifice de la messe, il n’est pas question dans la doctrine de Valencia étudiée sur les textes complets. Ne s’engouant d’aucun système, mais tout entier tendu à penser conformément au concile de Trente et à réfuter les objections foncières des protestants, il a su garder son intelligence disponible et personnelle.