Dictionnaire de théologie catholique/VATICAN (CONCILE DU) II. Le concile

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 509-524).

II. Le concile. —

I. L’OUVERTURE DU CONCILE : SA COMPOSITION : SA NOUVEAUTÉ.

L’ouverture.

Comme il avait été annoncé, le Concile du Vatican ouvrit ses assises le 8 décembre 1869 dans le transept de droite de la basilique Saint-Pierre, aménagé en salle des séances. L’immense concours de vingt-mille pèlerins venus à Rome attestait le vif intérêt que cet événement avait rencontré dans toutes les parties du monde. Le nombre des prêtres français était particulièrement considérable.

L’ouverture du dix-neuvième concile œcuménique se fit avec cet apparat fastueux, imposant et tranquille, qui accompagne toutes les solennités romaines. Plus de sept cents évêques venus de tous les points de l’univers faisaient escorte au Vicaire de Jésus-Christ. Ils s’avançaient lentement, revêtus de leurs habits pontificaux, mitre blanche en tête et prenaient place, non loin de la confession de l’Apôtre, dans l’aula conciliaire. Telle fut la première réunion du concile ou séance d’ouverture connue sous le nom de séance présynodale. La cérémonie se déroula au milieu d’une foule immense. Et c’est le cas de noter que le public ne devait être admis qu’aux cérémonies extérieures de ce concile, c’est-à-dire aux quatre sessions d’apparat. Toutes les autres séances étaient strictement fermées et le secret pontifical rigoureusement imposé à tous ceux que leur fonction pouvait amener dans l’enceinte conciliaire.

Composition du concile.

Au moment où le concile allait être convoqué, l’Église catholique tout entière comptait, d’après la statistique officielle du Vatican, mille quarante-quatre évêques ou dignitaires 254 !)

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ayant droit d’assister comme « Pères du concile » : 55 cardinaux, 1 1 patriarches, 927 primats, archevêques, évêques et abbés nullius, 22 abbés chefs de congrégations et 29 généraux d’ordre.

A la date du 14 décembre 1869, c’est-à-dire huit jours après la séance d’ouverture, on comptait résidants ou venus à Rome et réunis dans YAula conciliaris : 51 cardinaux, 9 patriarches, 653 primats, archevêques, évêques et abbés nullius, 21 abbés mitres, 28 généraux d’ordre, soit 762 Pères du concile. Pendant le premier mois, il y eut au concile un peu plus de 700 présents, le chiffre se maintint encore à 667, lors de la in° session solennelle ; le 18 juillet 1870, 600 Pères étaient encore présents, dont 535 seulement prirent part au vote. Aussitôt après le chiffre tomba aux environs de 100, jusqu’au moment de la prorogation du concile. La répartition des Pères par nations était la suivante : 224 Italiens, 81 Français, 40 Espagnols, 43 Austro-Hongrois, 16 Allemands, 27 Anglais, 19 Irlandais, 40 Américains des États-Unis, 9 Canadiens, 30 Américains de l’Amérique du Sud, 19 Européens de petits États, 42 Orientaux, 112 évêques in partibus, etc. Cette dernière répartition par nations donnée par M. Seignobos (Hist. politique de l’Europe contemporaine, p. 669) manque tout au moins de précision. Ce qu’il faut retenir, c’est le chiffre de 762 Pères du concile présents à l’ouverture de la session présynodale sur le nombre de mille quarante-quatre prélats ayant droit à siéger. Il manquait donc à l’appel 282 Pères. Ces abstentions pouvant être invoquées comme un argument par certains opposants, le premier soin de la vénérable assemblée sera d’examiner les causes de ces absences, de les admettre ou de les rejeter. Ces absences ne pouvaient d’ailleurs fournir un prétexte sérieux aux adversaires du concile pour en nier l’œcuménicité. Par le nombre de ses membres, l’assemblée conciliaire formait en effet les sept dixièmes de l’épiscopat catholique représentant trente nations différentes et réunissant la plus grande variété d’expérience et de culture intellectuelle et sociale. Ni le grand concile de Nicée, qui ne compta que 318 évêques dont 26 à peine appartenaient à l’Occident, ni le premier concile de Constantinople, avec 150 Pères tous orientaux, l’un et l’autre œcuméniques, n’avaient réuni autant de membres. Seuls les III’et [V* conciles du Latran et le IIe de Lyon ont dépassé le chiffre du Vatican, mais les abbés y étaient en proportion beaucoup plus considérable. La question de l’œcuménicité du concile du Vatican ne se pose donc même pas.

3° Caractère strictement ecclésiastique de l’assemblée. Une grande nouveauté du concile du Vatican, c’est qu’il fut une assemblée exclusivement ecclésiastique. Aucun gouvernement n’y fui représenté, tandis que, dans les conciles antérieurs, les souverains avaient leur place marquée d’avance ; ils étaient conviés à y participer soit en personne, soit par leurs ambassadeurs qui souvent exerçaient sur la marche des délibérations une action considérable. Le gouvernement français avait, nous l’avons dit, col. 2517, justifié sa résolution de se tenir à l’écart du concile en déclarant que ce qui était naturel dans un temps où les questions de l’ordre social se confondaient souvent dans celles de l’ordre religieux n’a plus aujourd’hui sa raison d’être, car la liberté de conscience qui est le principe du monde nouveau a modifié la situation.

Lettre du prince de La Tour d’Auvergne déjà citée.

On n’oubliera pas que la France, depuis 1867, occupai) à nouveau ce qui restait des États pontificaux, pour les soustraire aux convoitises italiennes. Le retrait des troupes françaises aurait été, sans aucun doute, la mort immédiate dU concile ; un le vit bien en

septembre 1870. Jamais les gouvernements successifs de la France ne voulurent se servir de cette conjoncture comme d’un moyen de pression sur le pape et l’assemblée. Interventionniste assez décidé, le comte Daru écarta toute suggestion en ce sens ; quant à É. Ollivier, il tint à honneur de ne jamais faire la moindre démarche pour peser sur les délibérations conciliaires.

11. LA PROCÉDURE DU CONCILE. — Usant de son autorité suprême de souverain pontife de l’Église universelle, autorité qui lui permettait de concentrer tous les pouvoirs dans les mains de son chef, Pie IX avait tenu à régler lui-même la procédure prescrite aux membres du concile, et avait fixé le programme et l’ordre de ses travaux.

Les commissions préparatoires.

Les travaux

de l’Assemblée conciliaire étaient ainsi répartis :

Comme à Trente les évêques devaient délibérer sur des projets ou schemata préparés par des théologiens, avec cette différence qu’à Trente les théologiens travaillaient sous les yeux des Pères et sur des matières préparées par eux, tandis que les Pères en arrivant à Rome avaient trouvé les questions déjà élaborées par les théologiens répartis dans les diverses commissions que Pie IX avait instituées pour la préparation du concile. Et les actes de ces commissions autant que les nombreuses réunions tenues par chacune d’elles attestent combien laborieuse et minutieuse fut cette préparation

Le concile se trouvait ainsi en présence de résolutions déjà mûries. L’intervention dans les délibérations conciliaires de consulteurs comme Perrone, Kleutgen, Schrader, Hettinger, Alzog, Maïer, Bianchi et surtout Franzelin, à la commission dogmatique, eut une importance de premier ordre en particulier dans la définition de l’infaillibilité.

2° Les députations. D’autre part, pour que l’assemblée pût voter en connaissance de cause, le sujet à traiter était imprimé, et cet imprimé remis d’avance aux Pères. Huit ou dix jours étaient accordés pour les observations que chacun pouvait désirer faire par écrit. Ces observations étaient soumises à l’examen de commissions compétentes, désignées sous le nom de députations et qui les retenaient si elles étaient jugées pertinentes ou les amendaient, s’il y avait lieu, pour les présenter finalement à l’approbation de l’assemblée conciliaire. Ces « députations « instituées par Pie IX comme les commissions présynodales étaient au nombre de cinq dont le pape désignai lui-même les présidents. Au lieu de députation nous dirons plus ordinairement commission, ce terme nous étant plus familier.

La première fut la députation de posiulatis ou commission d’initiative ( proposilionibus recipiendis et expendendis prtvposita). Elle était chargée d’accueillir ou de rejeter, sauf approbation pontificale, les questions dont ceux qui avaient le droit d’initiative voudraient saisir l’assemblée. Le pape s’était réservé la nomination de tous ses membres en même temps que celle de tous les officiers du concile. Par la bulle Multipliées inter, datée du 27 novembre et distribuée le 2 décembre 1869, texte dans M. P.. t. i.. col. 215*222*, Pie IX s’était borne a en donner connaissance lors de la l re congrégation générale ou réunion plénière du concile tenu le 10 décembre 1869. La députation de postulatis dont l’intervention s’exercera particulièrement dans la question de l’infaillibilité était composée entre autres des cardinaux l’alriLi. Anln nelli, des archevêques de Rouen, Mgr de Bonnechose,

de’l’ours, Mgr quihert, de Malincs. Mgr I)e< hamps, de Westminster. Mgr Manning, de l’évêque de l’ader

boni, Mgr Martin, du patriarche latin de Jérusalem,

M(ii Valerga. Liste complète dans V. P.. t. i. col. 38 39. Les quatre autres députations devaient être élues 2551

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au scrutin secret par les Pères du concile, le pape se réservant néanmoins la nomination de chacun des présidents. Les listes préparées en fin de compte par le cardinal de Angelis, et sur lesquelles ne figuraient pas les évêques les plus importants de la minorité, passèrent telles que le cardinal les avait présentées. L’ostracisme qui présida à la composition de la députation de la foi fut une lourde faute et pesa gravement sur les destinées du concile. Il appelle une explication. Aux réunions de la villa Caserta, maison généralice des rédemptoristes, le 23 décembre 1869, les membres les plus notoires de la majorité conciliaire (plus d’une quarantaine) décidèrent d’exclure de la députation de la foi tous les Pères connus pour leur opposition à la définition de l’infaillibilité. Les candidats à élire seraient pris dans les diverses nations et l’archevêque de Westminster, Mgr Manning, se chargeait de recueillir les noms en plein accord avec le cardinal de Angelis sur le choix à faire. Une liste lithographiée par les soins du cardinal fut mise en circulation. Et seuls furent élus à la majorité ceux qui figuraient sur la liste en questions. (On trouvera dans le Journal de Mgr Senestrey, évêque de Ratisbonne, le récit des diverses manœuvres entreprises aux réunions de la villa Caserta pour le recrutement des adhérents à la définition de l’infaillibilité.) Comme les anti-infaillibilistes avaient de leur côté fait circuler une liste dont tous les membres furent évincés par la majorité conciliaire, on se trouva avoir voté [iour ou contre l’infaillibilité en votant pour ou contre la liste du cardinal de Angelis. Cf. C. L., col. 1646 ; M.-P., t. lui, col. 157 sq. Le scrutin eut lieu le 14 décembre à la 2e congrégation générale et le résultat fut proclamé le 20 (3e séance). Furent élus entre autres : Mgr Pie, évêque de Poitiers, l’archevêque de Posen, Mgr Ledochowski, l’archevêque de Cambrai, Mgr Régnier, le primat de Hongrie, Mgr Simor, l’archevêque de Malines, Mgr Dechamps, l’archevêque de Westminster, Mgr Manning, l’évêque -de Baltimore, Mgr Spalding, l’évêque de Paderborn, Mgr Martin, l’évêque de Ratisbonne, Mgr Senestrey et l’évêque de Brixen, Mgr Casser, enfin le patriarche arménien, Mgr Hassun. On forma au sein de la députation une commission spéciale, composée de trois membres particulièrement influents : l’archevêque de Malines et les évêques de Poitiers et de Paderborn. Le cardinal Bilio fut désigné par Pie IX pour présider la députation de la foi. Il eut en qualité de secrétaire Mgr Schwetzi, prélat domestique, théologien du Vatican et professeur de théologie à Vienne.

A la 4e séance, fut proclamé le résultat du vote pour l’élection de la députation De disciplina, toujours suivant les listes du cardinal de Angelis. Le cardinal Caterini en fut désigné par le pape comme président. Elle se composait des archevêques de New-York, de Birmingham, Tuam, Mexico, Barcelone, Burgos, Lucques, Québec, du patriarche latin d’Alexandrie, des évêques de Nîmes, de Liège, Genève, Lemberg, Wurzbourg, Puno (Pérou), le Mans, Ségovie, Quimper, La Crosse (Wisconsin, É.-U.), Reggio, Ascalon, Caltanisetta (Sicile), Orvieto, Sinigaglia. M.-P., t. l, col. 120. Les deux dernières députations, l’une la députation Pro rébus ordinum regularium, proclamée le 3 janvier 1870 (6e séance), l’autre, la députation Pro rébus ritus orientalis et aposlolicarum missionum, nommée le 14 janvier à la 10e séance (résultats proclamés le 19, à la 12e séance) avec le cardinal Barnabo pour président, devaient avoir un rôle pour ainsi dire posthume. La discussion du projet sur les missions ne vint en effet que dans la 89e et dernière séance, alors que le Concile n’était plus représenté que par 104 membres présents (1 er septembre 1870). Mais le travail de la commission Pro rébus ritus orientalis et aposlolica rum missionum, pas plus que celui de la commission Pro rébus ordinum regularium, ne fut un travail perdu. Il sera largement utilisé sous les successeurs de Pie IX par les rédacteurs du nouveau Code de droit canonique, comme parles instructions pontificales. Texte du projet sur les missions dans M.-P., t. lui, col. 46-53, suivi des volumineuses observations de la commission ; les divers projets de regularibus, il n’y en a pas moins de dix-huit, ibid., col. 783854.

C’est un fait que, vu la composition de ces diverses députations, leurs décisions étaient finalement ratifiées ou rejetées par une majorité compacte de l’assemblée. On n’est pas cependant en droit de conclure, comme on le fit à Rome, dès l’ouverture du concile, que « le siège était fait et la victoire certaine » : ce qui signifierait que la discussion était de pure forme. Les questions traitées donnèrent lieu généralement à un mûr examen et le rôle de la minorité, surtout dans la définition de l’infaillibilité, fut de la plus haute importance. C’est ce qui ressort en particulier de l’étude des congrégations générales.

3° Les congrégations générales (ou séances ordinaires). — C’est aux congrégations générales ou assemblées plénières, qu’aboutissaient les travaux des commissions préparatoires et des députations. Ces séances étaient présidées par cinq cardinaux qui représentaient immédiatement le pape, les cardinaux de Luca, de Angelis, Bizzarri, Capalti et Bilio. La liberté des Pères était sans doute limitée, de ce fait d’abord qu’on ne pouvait saisir le concile d’une proposition sans l’agrément du pape (agissant d’ordinaire par la commission de postulatis), et de cette autre défense que le droit de réplique directe était banni de la discussion générale qui suivait le travail des commissions. On pouvait encore regretter que les évêques qui représentaient la minorité et partant l’opposition, dans le concile, aient eu leurs chefs exclus des commissions préparatoires et des députations. Il eût été préférable que des personnalités éminentes comme l’évêque de Mayence, l’évêque de Rottenbourg, l’archevêque de Kalocza, l’évêque d’Orléans et d’autres encore n’eussent pas été écartés des travaux de ces commissions par la majorité de leurs collègues. De ces faits, il serait inexact de conclure que le rôle des congrégations générales ne fut point différent du rôle passif d’une chambre d’enregistrement. Ce qu’on ne saurait en effet oublier, c’est que chaque Père avait le droit de parler en toute liberté et les discussions duraient en général aussi longtemps qu’il plaisait à un évêque de s’inscrire pour parler. Les présidents des séances n’avaient pas le droit de prononcer la clôture. Le concile seul, sur la demande de dix évêques pouvait déclarer la discussion terminée. On ne peut dire que le concile ait abusé de ce droit essentiel à toute assemblée délibérante. Comment prétendre d’ailleurs que la discussion ait été étouffée dans un concile qui a duré sept mois, où 420 discours ont été entendus, dont un quart sur la question de l’infaillibilité, où les deux constitutions dogmatiques De flde et De Ecclesia furent notablement modifiées par les débats conciliaires et profondément remaniées.

Pour compléter la physionomie des 89 réunions tenues par les congrégations générales, rappelons que leurs assemblées s’ouvraient à neuf heures pour se clôturer ordinairement vers onze heures. Elles commençaient toutes par la célébration d’une messe ; puis, on communiquait à l’assemblée le résultat des votes de la dernière séance ; on lisait le procès-verbal, et on écoutait les orateurs qui s’étaient fait inscrire pour prendre la parole. Les Pères avaient entre les mains, depuis quelques jours, les textes transmis par les diverses députations. Les orateurs inscrits à 2 55.H

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l’avance s’exprimaient en toute liberté sur les textes soumis aux délibérations, proposant, selon qu’il leur paraissait bon, soit le rejet pur et simple du texte, soit les additions, suppressions, modifications qui leur semblaient opportunes. C’était à la commission compétente que revenait le labeur de tenir de ces remarques le compte qu’il fallait. La discussion d’un chapitre ou d’un paragraphe terminée, un rapporteur venait au nom de la commission dire quels amendements étaient admis, quels étaient rejetés par elle… C’est alors seulement qu’intervenait le vote, le plus ordinairement par assis ou levé. Les amendements acceptés par la majorité des présents repassaient alors à la commission qui en faisait état pour l’établissement d’un texte définitif. Celui-ci était alors soumis à un vote par appel nominal, chacun répondant de sa place, à l’appel de son nom soit placet (oui), soit non placet (non), soit placet juxta modum (oui à de certaines conditions). Ce dernier suffrage obligeait celui qui l’avait émis à expliquer par écrit les conditions mises par lui à un suffrage positif ; la commission était une fois encore saisie de ces conditions.

Tel fut au moins le procédé général de discussion qui se régularisa après la publication du décret du 20 février 1870. M.-P., t. l, col. 854. La disposition essentielle de ce décret, lequel provoqua quelque émoi, obligeait ceux qui désiraient un amendement au projet déposé de proposer une rédaction écrite des changements qu’ils souhaitaient. Il autorisait également les présidents à mettre aux voix la clôture d’une discussion, si celle-ci était demandée par dix Pères au moins, et cela par écrit. Ce fut tout spécialement cette disposition qui alarma les évêques de la minorité. Ils s’imaginèrent qu’elle pouvait servir à étrangler la discussion. En fait, il n’y eut jamais de clôture prononcée par surprise. Bien qu’il ne fût pas parfait, le règlement du 20 février se révéla à l’usage comme admissible.

Bien entendu, la langue latine était seule admise dans les discussions ; les discours étaient recueillis par des sténographes qui avaient été spécialement entraînés ; de ce côté il n’y eut pas de plainte. Mais la très mauvaise acoustique de Voulu conciliaire fut, dès les premiers moments, un sujet de récriminations. les mesures prises fin février pour l’améliorer ne purent guère que pallier le mal. D’ailleurs, l’acoustique eût-elle été parfaite que la différence dans la prononciation du latin par les évêques de nationalités si diverses aurait toujours constitué une grosse difficulté. On avait bien proposé de faire imprimer les discours prononcés : la crainte de la violation du secret ilmif le concile devait entourer ses délibérations empêcha d’adopter cette solution.

Les sessions publiques.

L’ailla conciliaire, dont

l’étendue avait été restreinte fin février, reprenait ses dimensions du début pour les sessions auxquelles le public était admis. Il n’y eut que quatre réunions de cette nature y compris celle d’inauguration (sessio prima) tenue le 8 décembre 1869 ri suivie le 10 de la première congrégation générale qui eul lieu sous la présidence de quatre légats : les cardinaux Bizzarri, Bilio, de Lucca <t Capalti, le cinquième, le cardinal de Reisach, ayant manqué à l’appel, pour cause de

grave maladie il mourut en effet le 23 décembre. La deuxième cession publique (secundo sessio) se tint le 6 Janvier 1870, Comme la première fois, les souverains, les princes, les ambassadeurs des puisles hauts fonctionnaires de la cour pontificale’Istalent. L’acte Important de la séance étall la profession de foi de chacun des Pères, profession conforme a celle en usage au concile de Trente. Les vinrent l’un après l’autre jurer sur les évangiles,

en répétant, chacun dans sa propre langue, la formule du serment..La troisième session publique (sessio lertia) eut lieu le dimanche de Quasimodo (24 avril). Le pape présidait en personne ; lecture fut donnée du texte de la constitution Z)ei Filius, tel qu’il était sorti des délibérations antécédentes, le vote nominal eut lieu ; les 667 Pères présents ayant voté unanimement, le pape déclara confirmer de son autorité apostolique les décrets et les canons. Enfin, le 18 juillet 1870, lorsque le vote de la 85e congrégation générale (13 juillet) eut été émis sur l’ensemble du projet De Ecclesia, le nouveau dogme fut proclamé dans la quatrième et dernière session publique (sessio quarta). L’œuvre capitale du concile était accomplie.

La presse.

Le caractère secret des autres

réunions indiquait assez que rien de ce qui se passait dans les congrégations et dans les députations ne pouvait transpirer au dehors, autrement que par des indiscrétions plus ou moins volontaires. A Borne donc la curiosité publique n’avait, pour se satisfaire, que de vagues récits toujours approximatifs, toujours passionnés et plus ou moins exagérés selon le parti auquel appartenait l’informateur qui les colportait. C’était d’ailleurs par bribes qu’arrivaient les nouvelles des résolutions prises pas le concile. Les lois restrictives imposées à la presse romaine expliquaient sa discrétion. Le Giornale di Roma, organe du Vatican, ne rapportait généralement que des faits accomplis, dégagés de tout commentaire, et quelques avis, utiles d’ailleurs, sur les procès-verbaux, le cérémonial et les rites. L’Unità catlolica ayant un jour publié certains détails qui attirèrent l’attention de la censure du concile, deux prélats de la cour pontificale, soupçonnés d’indiscrétion, furent aussitôt destitués. On sait encore que la police pontificale reçut l’ordre d’enfermer le secrétaire d’un évêque arménien pour le punir de ses indiscrétions. L’évêque dut recourir à maintes démarches pour obtenir l’élargissement de son assistant. Pour le détail de cette affaire compliquée voir Granderath, op. cit., t. n a, p. 411-431. Des incidents de cette nature devaient encore se reproduire Et c’est la raison pour laquelle, à plusieurs reprises, on revint dans les congrégations sur l’obligation du secret. L’on publia même des monita secrets relatifs à sa violation.

Ceux qui vivaient à Borne étaient surtout renseignés sur les faits qui se passaient à côté d’eux, mais en dehors d’eux, par les journaux politiques et religieux de Paris et de l’étranger, les uns ultramontains, les autres gallicans. Ces journaux échappaient en effet aux lois restrictives qui frappaient la presse italienne. Mais à l’exception de MM. de Biancey et Louis Yeuillol, considérés comme étant de la maison, les correspondants de la presse étrangère restaient dans la nuit. On sait, d’autre part, que l’imprimerie ne fonctionnait à Borne qu’avec l’autorisation du « Maître du Sacré Palais ".directeur officiel de la censure. C’était le B. P. Mariano Spada. O. 1’., chargé de refuser l’imprimatur à ceux des Pères qui tenteraient de recourir à la publicité par voie de lettres et de brochures. On se dédommageait, d’ailleurs, en se faisant publier à Naples. où la censure du royaume d’Italie laissait toute latitude. Nombre de brochures, quelques-unes assez Volumineuses, y furent ainsi éditées. Mais dans Rome aucun organe ne s’exposait à publier les protestations, les polémiques même qui s’élevaient dans les congrégations ou au sein des commissions ; tout cela n’arriva à la connaissance du public que par ceux-là même qui, les ayant soulevées, cherchaient au dehors, par voie de correspondances qui

revenaient à Home, leurs seuls moyens de justification et (le défense. Il faut signaler à ce point de vue. les Lettres de Rome régulièrement publiées dans 255 !

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VATICAN (CONC. DU). CONSTITUTION DEI FILIUS

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V Allgemeine Zeitung sous la signature de Quirinus, lequel donnait l’impression d’être très étroitement apparenté au Janus de la première heure ; ces lettres étaient très hostiles au concile et contribuèrent beaucoup a développer en Allemagne l’agitation anticonciliaire.

/II. VŒUVRE ni’CONCILE. — 1° Vue générale. — Si des circonstances imprévues ne permirent au concile du Vatican de réaliser qu’une partie infime de son vaste programme, si sa tâche dut se borner à voter, après de longues et mûres délibérations, quelques chapitres seulement d’une constitution sur la foi (Constitution Dei fil i us) et d’autre part les quatre chapitres du projet De Ecclesia Christi intéressant la primauté de juridiction épiscopale et l’infaillibilité du pape (Constitution Pastor œternus), le but essentiel que s’était assigné le promoteur du concile fut du moins atteint, grâce à l’important concours de la Dépulalion de la Foi.

2° Les délibérations sur la constitution dei Fir.i US.

— Les délibérations conciliaires sur les questions élaborées par les commissions présynodales s’ouvrirent dans les derniers jours de décembre 1869. Le premier projet vint le 28 de ce mois, à la 4e séance ; il avait été élaboré par la commission préparatoire De fide et distribué, quelques jours auparavant aux Pères, avec les annotations copieuses dont les théologiens de la commission l’avaient appuyé. Texte dans M.-P., t. l, col. 59-74, annotations, col. 74-119. Cette « constitution », qui débutait par les mots Apostolici muneris sollicitudo, portait le titre : Cônstitutio dogmatica de doctrina catholica contra multipliées errores ex rationalismo dérivâtes. Voici les titres des dix-huit chapitres dont elle se composait :

C. i. Condemnatio materialismi et pantheismi. — C. ii. Condemnatio rationalismi. — C. m. De divinae revelationis fontibus in S. Scriptura et traditione. — C. iv. De supernaturalis revelationis necessitate. — C. v. De mysteriis fidei in divina revelatione propositis. — C. VI. De fidei divinæ distinctione a scientia humana. — C. vu. De necessitate motivorum credibilitatis. — C. vin. De supernaturali virtute fidei et de libertate voluntatis in lidei assensu. — C. ix. De necessitate et supernaturali lirmitate fidei. — C. x. De recto ordine inter scientiam humanam et fidem divinam. — C. XI. De incommutabili veritate illius dogmatum sensus quem tenuit et tenet Kcclesia. — C. xii. De unitate divinæ naturæ seu essentiæ in tribus distinctis personis. — C. xiii. De divina operatione tribus personis communi et de Dei libertate in creando. — C. xiv. De Jesu Christi una divina persona in duabus naturis atque de redemptione et vicaria pro nobis satisfactione per.lesum Christum Dominum nostrum. — C. xv. De communi totius humani generis origine ab uno Adam et de natura humana una composita ex anima rationali et ex corpore. — C. xvi. De ordine supernaturali et de supernaturali statu originalis justitise. — C. xvii. De peccato originali et de pœna asterna destinata cuilibet peccato mortali. — C. xviii. De supernaturali ordine gratia ? quæ nobis per Christum redemptorem donatur.

C’était, comme on le voit, un programme énorme et il ne faut pas s’étonner des critiques qui s’abattirent sur le projet un peu de la part de tout le monde : c’était, disait-on, une œuvre de professeur, d’un latin obscur, d’une pensée souvent alambiquée, soulevant des questions scolastiques. Il n’y eut guère pour le défendre que les gens décidés à trouver parfait tout ce qui venait de la curie. Voir le résumé des critiques dans M.-P., t. l, col. 274-318. Après six séances de discussion confuse (28 décembre au 10 janvier), les présidents, à la fin de la réunion du 10 janvier (8e s.), déclarèrent que le projet était renvoyé à la députation de la foi. En attendant qu’il pût revenir devant le concile, on commencerait la discussion de divers projets disciplinaires. Voir ci-dessous, col. 2559.

Cependant la députation de la foi avait remis sur le métier le projet de constitution De fide catholica. Elle avait commencé par entendre Franzelin, l’auteur du premier projet, si maltraité par le concile, celui-ci ne fit qu’abonder dans son propre sens. M.-P., t. l, col. 317-340. En dépit de quoi, la commission arriva bien vite à l’idée qu’il fallait refondre complètement le projet. Les trois membres les plus influents, Dechamps, Pie et Martin chargés de ce travail, s’en remirent à ce dernier qui s’adjoignit comme théologien Kleutgen ; celui-ci avait été étranger à la première rédaction. Ce fut seulement à la fin de février qu’il put présenter son travail à la commission, qui, après l’avoir examiné et amendé en huit séances, du 1 er au Il mars, le fit distribuer aux Pères le 14.

La caractéristique essentielle de ce nouveau projet, c’est qu’il avait laissé tomber nombre des questions soulevées par le premier. Il les répartissait d’autre part en deux séries : les unes en rapport avec la théologie fondamentale (seule partie qui sera discutée), les autres se rapportant à des dogmes particuliers. La seconde partie, en effet, traitait successivement : c. v. De la très sainte Trinité ; c. vi. De la création de l’homme et de sa nature ; c. vu. De l’élévation de l’homme et de sa chute ; c. vin. Du mystère de l’incarnation ; c. ix. De la grâce du Rédempteur. Cet exposé positif était complété par 28 canons, et le tout se terminait par une monition générale adressée aux catholiques de fuir aussi les erreurs se rapprochant plus ou moins de celles qui étaient condamnées. Texte de tout cet ensemble, tel qu’il fut soumis à la députation dans M.-P., t. lui, col. 164-177 (il y a une autre rédaction du c. vi, col. 210).

La commission fut d’avis de surseoir provisoirement à la discussion de toute la deuxième partie et retint seulement pour la faire distribuer la première partie, qui commençait par ces mots : Cum œternus Dei Patris Filius : quatre chapitres : i. Dieu créateur de l’univers ; n. La révélation ; m. La foi ; iv. La foi et la raison ; dix-huit canons corroboraient par des anathématismes appropriés la doctrine positive des chapitres. Texte dans M.-P., t. li, col. 31-38, c’est, à peu de chose près, le texte qui sera définitivement adopté.

Ce projet, dont la discussion commença le 18 mars (30e s.) devait retenir l’attention du concile jusqu’au 12 avril (45e s.). La discussion se déroula d’ordinaire dans le calme. Il n’y eut guère d’incidents que ceux qui furent soulevés le 22 mars (31e s.) par le discours de Mgr Strossmayer (Diakovo) ; on le trouvait trop favorable aux protestants, trop « libéral », comme l’on disait, et il fut interrompu par de vives protestations. Au fond, bien qu’il ne fût nullement question de l’infaillibilité pontificale dans le discours, c’est à l’anti-infaillibiliste notoire que l’on en avait. « On aurait pu attendre des évêques plus de calme et de dignité », reconnaît le P. Granderath lui-même. Op. cit., t. il b, p. 57.

La discussion du c. n sur les rapports entre la connaissance naturelle de Dieu et la révélation amena des débats animés sur la question du traditionalisme (33e -35e s.). C’est qu’au fait les opinions des Pères étaient assez divergentes ; certains condamnaient absolument toute forme de traditionalisme, d’autres auraient voulu excepter le traditionalisme mitigé. La députation, par l’organe de ses divers rapporteurs, se cramponna à son texte, l’essentiel à son avis, était de mettre à l’abri de toute discussion la certitude de la démonstration de l’existence de Dieu. En fin de compte, les trois amendements furent repoussés à la presque unanimité des votants. Certains Pères se préoccupaient également de l’onto

logisme et un postulatum, signé de deux cardinaux italiens, dont l’un était Joachim Pecci (le futur Léon XIII), demandait une condamnation très explicite de cette erreur. C. L., col. 849-853. Sans doute la députation estima-t-elle que la question n’était pas mûre. Son rapporteur, Mgr Gasser, déclara en son nom que le problème serait repris à un autre moment. En fait il ne fut pas discuté à sa place normale, quand il s’agissait de la connaissance de Dieu, et ne fut plus jamais soulevé. On aurait pu s’attendre à ce que les énoncés du projet relatifs aux Livres saints considérés comme une des sources de la révélation, feraient l’objet d’une étude approfondie, il n’en fut rien ; les questions relatives à l’authenticité de la Vulgate, à l’inspiration de la sainte Écriture, à son interprétation, furent à peine touchées, et d’ailleurs dans la discussion générale du projet, par Mgr Meignan (Châlons ) (32e s., 24 mars).

Le c. iv du projet, sur les rapports entre la foi et la raison, bien que sa discussion n’ait demandé qu’une séance (39e s., 1 er avril), amena une intervention remarquable de Mgr Ginoulhiac (Grenoble) sur la liberté qu’il faut savoir laisser à la science. L’amendement proposé par lui, remplaçait dans le § 4 du chapitre, les mots Porro Ecclesia… tenentur omnino, Denz.-Bannw., n. 1798, par le développement suivant.

Equidem libenter agnoscit Ecclesia inter humanas scientias plures esse quæ nil cum deposito fidei concredito commune habeant ideoque eas plane a revelatione supernaturali independenter tractari posse ; imo veris scientiis jus esse suis principiis, suis methodis ac suis conclusionibus uti, ipsisque liberum nihil in se admittendi, quod non fuerit ab ipsis suis conditionibus acquisitum, aut quod fuerit illis alienum. Nec ullo modo pertimescendum sibi est a liberis investigationibus et variis scientiarum Inventas, si stent legibus suis, et fines proprios non transgrediantur. Verum cum sint scient ia : humaine, quæ in pluribus et potioribus non soluni affines sunt objecto proprio fidei catholicse sed etiam idem objectum habent, in hsque tractandis non raro accidat privatos homines in opiniones abire, qnse fidei doctrin : e contrariæ esse certo cognoscuntur, omnes fidèles eas pro erroribus qui fallacem tantum veritatis speciem præ se ferant, habere tenentur omnino. Ecclesia enim, quæ una cum apostolico minière docendi manâatum accipil custodiendi depositum fidei, jus etiam et ofiïcium divinitus habet oppositiones, quoeumque Domine insigniantur, proscribendi, ne quis decipiatur per pliilosophiam et inanem fallaciam. M.-I’., t. li, col. 251.

Des modifications dans le même sens étaient envisagées pour le paragraphe suivant et pour le can. 2 du même chapitre. La députation, tout en tenant compte, dans la rédaction définitive de certains desiderata exprimés par l’évêque de Grenoble, ne crut pas devoir adopter le texte qu’il proposait. Voir le rapport de Mgr Lie, ibid., col. 370 ; et l’assemblée se rangea à cet avis.

Le vote sur l’ensemble du projet eut lieu le 12 avril i 15’s. i par appel nominal : 515 placet, 83 placet juxta modum, pas de non placet. Nombreuses étaient les conditions annexées aux placet conditionnels. Cf. ibid., col. 392-411. La députation en délibéra rapidement ; le 19 avril le rapporteur, Mgr (lasser vint apporter le résultat ; il ne retenait qu’un tout petit nombre des amendements proposés, et l’assemblée adopta l’avis de sa commission. In certain malaise ne laissait pas de subsister parmi les membres de la minorité, et on aurait pu craindre que le projet ne recueillit pas l’unanimité des volants en séance publique. Il n’en fut rien ; à la m" session publique (2 1 avril) tous les présents votèrent placet et la Constitution Del l’Unis fut immédiatement proclamée par le pape, ’toutefois Mgr Strossmaver l’était fail excuser.

3° Premières discussions autour du projet

— Si les discussions autour de la constitution Dei Flltus étaient inscrites, de janvier a avril, à

i l’ordre du jour du concile, l’attention des Pères et

i plus encore celle du monde extérieur était accaparée

I depuis le 12 janvier par un autre projet dogmatique,

! De Ecclesia Christi, distribué aux conciliaires à la

13e séance, en vue de recueillir, suivant le protocole

en usage, les observations que chacun avait le droit

de faire valoir par écrit. Ce projet en 15 chapitres et

21 canons traitait : 1° de l’Église ; 2° du pape ; 3° des

rapports de l’Église et de l’État.

Voici quelle était son économie : C. i. L’Église est le corps mystique du Christ. C. n. La religion chrétienne ne peut être pratiquée que dans et par l’Église fondée par le Christ. C. m. L’Église est une société vraie, parfaite, spirituelle et surnaturelle. C. iv. L’Eglise est une société visible. C. v. De l’unité visible de l’Église. C. vi. L’Église est une société absolument nécessaire pour arriver au salut. C. vu. Hors de l’Église nul ne peut se sauver. C. vin. L’indéfectibilité de l’Église. C. ix. L’infaillibilité de l’Église. C. x. Le pouvoir de l’Église. C. xi. La primauté du pape. C. xii. Le pouvoir temporel du Saint-Siège. C. XIII. L’accord entre l’Église et la société civile. C. xiv. Les droits et l’exercice du pouvoir civil selon la doctrine de l’Église catholique. C. xv. De quelques droits spéciaux de l’Église dans ses rapports avec la société civile. Suivent 21 canons. Les neuf premiers chapitres sont relativement brefs, les cinq derniers prennent l’ampleur (à l’exception du c. xii) de petites dissertations. Texte dans M.-P., t. li, col. 539-553 ; remarques des théologiens, col. 553-636.

Mais sa communication indiscrète aux journaux provoqua tout aussitôt des complications d’ordre diplomatique, bien qu’il n’y fût en rien question de l’infaillibilité pontificale qui, tant au dedans qu’au dehors du concile, avait suscité une si vive agitation. C’est la troisième partie du projet relative aux rapports de l’Église et de l’État, qui, largement orchestrée par la presse, avait troublé la sérénité des chancelleries et fait sortir le gouvernement français lui-même de la réserve qu’il avait cru devoir garder jusqu’à ce jour. Dans le document qu’une feuille allemande avait reproduit, on voulut voir « la subordination complète de la société civile à la société religieuse ». Selon M. Emile Ollivier, chef du fameux cabinet impérial du 2 janvier, « une clameur s’éleva dans la presse de l’Europe entière ; de toutes parts, on somma les gouvernements d’aviser et de défendre la société civile menacée par des prétentions d’un autre âge ». É. Ollivier, L’Église et l’État au concile du Vatican, p. 101. Témoin de l’émotion universelle et bien renseigné par ses fonctions de ministre des Affaires étrangères sur ce qui se passait et même se préparait contre l’Église dans les divers États, le comte Daru se crut obligé de faire part officiellement de ses craintes à la cour de Rome. De là sa dépèche du 20 février, où, après avoir exposé au cardinal Antonelli les conséquences fâcheuses que, selon lui, l’adoption du projet pouvait entraîner, le ministre français demandait à faire présenter ses observations à l’assemblée conciliaire par un ambassadeur extraordinaire, ’texte dans C. L., col. 1553. La réponse du cardinal secrétaire d’État porte la date du 19 mars. Ibid., col. 1555. C’est une lettre adressée au nonce apostolique à Paris. Elle se résumait dans les déclarations suivantes : Il ne s’agissait encore que d’un simple projet. Lue distinction s’imposait entre les principes rappelés par le projet et leurs applications. Les concordats existants ne seraient pas menacés. Lien ne nécessitait la demande d’envoi d’un ambassadeur extraordinaire. Le saint-père enfin avait accueilli avec satisfaction i la déclaration renouvelée du comte Daru », au sujet île la ferme résolution du gouvernement français de respecter et de vouloir respecter dans tous les cas la pleine liberté du concile.

L’intervention du premier ministre autrichien donnait un son tout différent. Dès le 10 février, il avait

chargé l’ambassadeur d’Autriche à Rome de déclarer au cardinal Antonelli, à propos des canons De Ecclesia, qu’il interdirait la publication de tout acte conciliaire que son gouvernement « jugerait illégal et qu’il rendrait judiciairement responsable toute personne enfreignant une pareille défense ». C. L., col. 1570 sq.

Aussi bien toute cette partie du projet primitif De Ecclesia ne vint jamais en discussion. L’ensemble du texte, d’ailleurs, avant de venir devant le concile, subit une refonte totale et l’on en tira deux constitutions, l’une relative aux pouvoirs du pape, la seule qui ait été étudiée et finalement votée, l’autre relative à l’Église elle-même. La première serait le développement du c. xi du projet primitif et c’est comme conséquence de la primauté pontificale que viendrait l’exposé de l’infaillibilité du pape en matière doctrinale. En dépit de la hâte intempestive de nombreux évêques à faire discuter cette dernière question toutes alïaires cessantes, la direction supérieure du concile eut la sagesse d’ajourner le débat jusqu’au moment où aurait été obtenu le vote définitif de la constitution Dei Filius. Voir plus loin.

Les projets d’ordre disciplinaire.

Pendant que

la députation de la foi remettait sur le métier la constitution De fide catholica, ci-dessus, col. 2556, la députation de la discipline saisissait l’assemblée, de la mi-janvier à la mi-mars, de différents projets jadis élaborés par la commission préparatoire. Elle présenta d’abord deux projets, le premier sur les évêques et les vicaires généraux, le second sur la vacance des sièges épiscopaux (schemata de episcopis, de vicariis generalibus et de sede episcopali vacante) ; le troisième sur les devoirs des ecclésiastiques (schéma de vita et honestate elericorum) ; le quatrième sur l’introduction dans l’Église d’un petit catéchisme unique et universel (schéma de parvo catechismo).

La discussion sur le projet De episcopis débuta à la 10e séance (14 janvier). Entre autres orateurs qui intervinrent dans le débat, on doit signaler I’évêque d’Orléans, qui prit la parole sur la question des évêques et des vicaires capitulaires. À propos de l’obligation imposée aux évêques des voyages ad timina apostolorum, il proclama que ces voyages par les renseignements qu’ils apportaient à Rome « pouvaient être d’une très grande utilité au pape et à l’Église ». L’orateur précisa sa pensée en ces termes : « La plus grande partie des maux, dans l’Église comme dans l’État, vient de ce qu’il y en a bien peu qui osent parler ouvertement et franchement à ceux qui ont en mains le pouvoir et leur découvrir ce qu’ils seraient si heureux qu’ils connussent et si malheureux qu’ils ignorassent. » Le double projet fut renvoyé à la commission compétente.

La discussion du projet sur les devoirs des ecclésiastiques, commencée le 25 janvier (fin de la 16e séance), dura jusqu’au 8 février ; elle occupa six séances, de la 16e à la 23e, et finalement le projet fut renvoyé à la commission compétente, qui annonça la prochaine discussion du quatrième projet relatif au petit catéchisme unique et universel. Cette discussion comme la précédente occupa les travaux de six séances, de la 24e à la 29e, entre le 10 et le 22 février. Au cours des débats, Mgr Dupanloup prit de nouveau la parole contre le remplacement des catéchismes diocésains par un catéchisme universel. Il combattit le projet en le jugeant peu pratique. Comme les précédents, le projet fut renvoyé à la commission de la discipline d’où, pas plus que les autres, il ne devait revenir à la discussion des séances générales. En fin de compte, les travaux de la commission préparatoire parurent assez mal accueillis par l’assemblée. A bien des reprises des critiques assez vives

s’élevèrent contre l’administration ecclésiastique et en particulier contre les errements romains. On critiqua surtout la tendance des canonistes officiels à ne voir que les petits diocèses italiens, à perdre de vue les habitudes, fort légitimes parfois, des autres diocèses. Encore qu’on ait prétendu le contraire, ceci n’avait rien à voir avec les dispositions des orateurs dans la question dogmatique de l’infaillibilité.

IV. LA QUESTION DE L’INFAILLIBILITÉ DEVANT l.K CONCILE. — 1° État de la question. — Bien qu’elle ne fût pas spécifiée dans la bulle pontificale datée du 28 juin 1868 ni dans le programme des questions proposées à l’examen du concile, la doctrine de l’infaillibilité n’en restait pas moins la question capitale qui, avant même l’ouverture de l’assemblée oecuménique, dominait toutes les autres questions.

Au point de vue théologique, cette doctrine de l’infaillibilité pontificale arrivait au concile réuni au Vatican autrement mûre qu’au temps du concile de Trente. La question des pouvoirs du pape dans l’Église avait été pour lors écartée. L’infaillibilité pontificale, conséquence directe de la primauté, était généralement enseignée dans la plus grande partie de l’Église. On sait comment se produisit contre elle la Déclaration gallicane de 1682. Voir ici t. iv, col. 185 sq. En fin de compte, l’opposition à l’infaillibilité avait gagné les pays de langue allemande ; elle y dominait à la fin du xviir 3 siècle. Mais, depuis cette époque, en France, grâce aux événements dont nous avons déjà parlé, grâce en particulier à l’impression produite par le livre Du pape de Joseph de Maistre et surtout par les écrits de Lamennais, la thèse de l’infaillibilité avait fait de grands progrès. Elle était devenue dans la plupart des séminaires français l’enseignement commun qui tendait de plus en plus à remplacer celui des quatre articles de 1682, malgré l’obligation de les enseigner imposée aux professeurs par l’ordonnance royale de 1828. Les réactions contre le « gallicanisme » avaient été moins vives en Allemagne, en dépit de l’adhésion personnelle que nombre d’évêques donnaient à la doctrine de l’infaillibilité.

Les partis.

La définition de ce dogme était

loin cependant de rencontrer une adhésion unanime au sein du concile. Si, dans l’assemblée, une très grande majorité appelait de ses vœux, parfois un peu bruyants, cette définition et en pressait la mise à l’ordre du jour par ses réclamations parfois intempestives, une importante minorité ne montrait pas moins d’ardeur à l’écarter des débats, à cause des conséquences fâcheuses d’un acte qui, à ses yeux, allait trop manifestement contre l’état des esprits de nos jours. Entre ces deux partis, la scission se manifesta avant même l’ouverture des délibérations conciliaires. Comme nous l’avons rappelé, les évêques les plus notoires de la minorité avaient été exclus des listes du cardinal de Angelis pour les commissions à élire. À la suite de cet incident, deux postutata se produisirent, pour et contre la définition de l’infaillibilité. Le premier fut signé par plus de quatre cents évêques, tous acquis à la promulgation du nouveau dogme avant même d’avoir mis le pied à Rome. Il s’exprimait ainsi : « Les soussignés demandent très humblement mais très instamment au concile de vouloir bien sanctionner en termes clairs et excluant toute espèce de doute l’autorité suprême et donc exempte de toute erreur du pape, quand en matière de foi ou de morale il décide et prescrit ce qui doit être cru et tenu, ce qui doit être rejeté et condamné par tous les fidèles. » Suivaient les raisons pour lesquelles cette proposition était déclarée opportune et nécessaire, et une liste des définitions émises en ce sens depuis dix ans par divers conciles provinciaux ou

nationaux. M.-P., t. li, col. 646 sq. Cette demande fut transmise à la commission des postulats le 28 janvier, par le patriarche arménien. Mgr Hassun, et le primat de Pologne, Mgr Ledochowski. Le second postulatum était déposé par cent trente-cinq Pères, c’est-à-dire par une importante partie de la minorité. Il groupait cinq demandes rédigées séparément par les évêques d’Allemagne et de l’Empire austro-hongrois (46), les français (40), les américains (27) les orientaux (15), les italiens du nord (7). S’adressant au pape, ces diverses demandes insistaient sur les difficultés d’ordre théorique et pratique que pourrait soulever une définition et indiquaient que le mieux serait de rester dans le statu quo. Ibid., col. 677-686. Ces diverses demandes, furent transmises à la délégation des postulats, le 29 janvier, par le cardinal Schwarzenberg (Prague). D’autres membres de cette minorité adhéraient à son postulat sans l’avoir signé. Entre ces deux groupes opposés un troisième s’était formé qui, jugeant inévitable avec une telle majorité une définition, s’était donné la délicate mission de chercher une formule qui pût rallier tout le concile. De ces trois groupes émergent soit par leur éminente valeur personnelle ou par l’importance des sièges qu’ils occupent dans l’Église des prélats de tout premier ordre.

1. Les partisans de l’infaillibilité.

Parmi les promoteurs et partisans de l’infaillibilité pontificale, qui représentent dans le concile le groupement des intransigeants et constituent une majorité considérable, la France figure avec honneur tant par le nombre que par la qualité. Les évêques français étaient venus se grouper autour du cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux. Il était, confiait-il à ses amis, moins préoccupé de la thèse elle-même de l’infaillibilité que de la nécessité qui paraissait s’imposer à lui de déférer aux vœux d’un pape aussi saint que Pie IX. Mais l’influence du vieil archevêque s’effaçait un peu devant la haute autorité de Mgr Pic, évêque de Poitiers, autorité qui lui venait de sa science réelle des Écritures, des Pères et de la théologie, autant que de son inflexible orthodoxie. Il était l’effroi des catholiques libéraux qui lui reprochaient d’avoir poussé de toutes ses forces le souverain pontife à la publication du Syllabus. Et lui-même ne déguisait pas son aversion pour ces catholiques qui lui paraissaient « inspirés du diable, plus haïssables et plus dangereux mille fois que les incrédules ». Mgr Pie était particulièrement secondé par Mgr Plantier, évêque de Nîmes, dont les conférences à Notre-Dame étaient loin d’avoir fait oublier celles de Lacordaîre. Il n’en restait pas moins un dialecticien de première force, rompu à toutes les arguties de la scolastique. L’évêque de Poitiers trouvait encore un précieux appui dans Mgr Freppel, ancien professeur à la Faculté de théologie de Paris, qui venait d’être promu au siège d’Angers. Il avait jadis regardé la définition de l’infaillibilité pontificale « comme la mesure la plus inopportune que l’on puisse proposer », mais il s’était ravisé depuis et consacrait à la promulgation de cette infaillibilité une éloquence et un zèle justement appréciés. Autour de ces trois vedettes peuvent être rangés plusieurs évêques français comme Mgr Sergent, évêque de Quimper, Mgr Fillon du Mans, Mgr de Dreux-Brézé de Moulins, d’autres encore que nous verrons intervenir,

I lors de l’épiscopat français la majorité pouvait nommer pour la défense de l’infaillibilité des prélats d’une Incontestable valeur, pour l’Angleterre Mgr Manning, un ascète, converti au catholicisme, auquel le pape avait fait faire une carrière rapide

en l’appelant à l’archevêché de Westminster ; en Allemagne Mgr Martin, évêque de l’adei boni, dont les Interventions auront le plus grand poids soit dans

les commissions soit dans les séances générales ; en Italie, le cardinal Annibale Capalti, né à Rome en 1810, qui apportera dans la lutte pour le Saint-Siège une grande passion et fera partie des commissions les plus actives ; l’évêque de Calvi et Teano, Mgr Bartolomeo d’Avanzo, latiniste consommé, philosophe, savant théologien dont l’éloquence contenue s’opposera aux emportements de Mgr Strossmayer, évêque de Diakovo, et, par une affirmation nette et vive, dès le premier jour, prendra sa place au concile avec autorité. Un autre grand défenseur de l’infaillibilité se révéla parmi les évêques américains dans la personne de Mgr Spalding, archevêque de Baltimore. Mais au premier rang des évêques de la majorité apparaît Mgr Dechamps, récemment nommé par Pie IN archevêque de Malines et primat de Belgique et déjà célèbre par sa controverse avec Mgr Dupanloup et l’abbé Gratry (voir les Quatre lettres de l’abbé Gratry dans A. Chauvin, Le Père Gratry, et les lettres de Mur bu panloup à Mgr Dechamps dans Lagrange. op. cit.. t. iii, p. 158 sq.). L’archevêque de Malines, dont ses adversaires eux-mêmes reconnaîtront l’exquise courtoisie et le courage qu’il mettait au service d’une résolution inébranlable, sera une des principales lumières du concile.

2. Les opposants.

Les évêques français du groupement minoritaire étaient réunis sous la présidence du cardinal Mathieu (Besançon). Ce prélat, esprit cultivé et très fin sous des allures massives, présidait avec une grande affabilité les réunions de ses collègues au palais Salvati. Mais, trop souvent flottant dans les décisions à prendre, il n’avait ni le caractère ni l’âme d’un chef. Deux hommes tout à fait supérieurs suppléaient par leurs qualités autant que par leurs défauts à la carence présidentielle : Mgr Darboy, archevêque de Paris et Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans. Le premier, diplomate très avisé, écrivain d’une pureté de forme et d’une élégance raffinée, orateur dont l’éloquence soulevait l’admiration de Berryer lui-même, était cependant suspect à Rome pour son gallicanisme, qui lui fera commettre une faute grave en le poussant à réclamer avec insistance pendant le concile l’intervention du gouvernement français. Le second dont on devait dire « qu’il était à lui seul une armée au service de l’Église et de l’Esprit-Saint », fut l’objet de nombreuses critiques pour l’ardeur trop passionnée qu’il devait apporter à la défense de son opinion. N’alla-t-on pas jusqu’à l’accuser lui aussi de certaines Interventions gouvernerr entâtes occultes contre la liberté du concile ? Mais aussi prompt dans ses illusions que tenace dans ses décisions, il avait l’âme d’un chef et sous sa bannière se rangeaient des évêques du plus grand mérite, comme Mgr Ginoulhiac, transféré pendant le concile de l’évêché de Grenoble à l’archevêché de Lyon et que son Histoire du doqme catholique pendant les trois premiers siècles de l’Église avail révélé comme un théolo gien de la plus haute valeur. Mgr Landriol. archevêque de Reims, qui relevait une vaste érudition patristique par l’élégance de sa parole, Mgr Meignan, évêque de Chfllons, célèbre dans le monde religieux par ses œuvres d’exégèse et Mgr Place, évêque de Marseille, qui pendant six ans avait été associé aux travaux de Mgr Dupanloup en qualité de vicaire général. Ces deux évêques devaient être promus plus tard aux honneurs du cardinalat. Signalons encore Mgr Dupont des Loges, évêque de Metz, et le savan ! évêque de Sura. lgi Marel. le seul français qui, dans son ouvrage Du concile général et de lu paix rcliqiruse se fut ouvertement révélé comme un adver taire de l’infaillibilité elle-même, dont ses collègues se bornaient à contester l’opportunité.

A ce groupe d’opposants ; i i.i définition de l’infail- :, (, ;  ;

    1. VATICAN (CONC##


VATICAN (CONC. DU). L’INFAILLIBILITÉ

2504

libilité d’éminents évoques étrangers apportaient leur appui. Au premier rang de ces opposants, il faut citer Mgr Haynald, archevêque de Kalocsa et Bacs (Hongrie ) et Mgr Strossmayer, évêque de Diakovo, tous deux membres du parlement austro-hongrois, à la fois orateurs et hommes d’action. Comptent également parmi les opposants Mgr Hefele, le savant auteur de l’Histoire des conciles, Mgr Ketteler, prélat de grande doctrine, le cardinal Rauscher, archevêque de Vienne, ancien précepteur de l’empereur François-Joseph et négociateur du concordat autrichien. Mais dans ce groupe de prélats slaves, allemands et autrichiens, il en est un qui attire l’attention de la foule, c’est le prince de Schwarzenberg, archevêque de Prague, membre de la Chambre des seigneurs, qui fut évêque de Salzbourg à vingt-sept ans et cardinal à trente-trois ans. Il passe pour exercer la charité avec une magnificence sans seconde. Dans l’épiscopat de la Grande-Bretagne et de l’Amérique, il faut signaler tout particulièrement Mgr Clifford, évêque de Clifton, et Mgr Morienty, ainsi que les archevêques d’Halifax et de Saint-Louis.

3. Les conciliateurs.

Entre les deux partis adverses des infaillibilistes et des opposants apparaît un groupe de tiers parti qui ne comptait que seize membres. Au lieu de s’user dans une résistance sans issue à la définition de l’infaillibilité réclamée par l’immense majorité des Pères du concile, les prélats qui composent ce petit groupe croiront plus sage d’employer leurs efforts à en mitiger les termes, à la rendre telle que Bossuet lui-même aurait pu la signer. C’est que, ennemis par principe et par tempérament des questions qui divisent, nos politiques étaient surtout préoccupés d’assurer l’ordre dans l’Église comme dans l’État. Groupés autour du cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, les sages du tiers parti, parmi lesquels NN. SS. Guibert, archevêque de Tours, Lavigerie, archevêque d’Alger, Forcade, évêque de Nevers et futur archevêque d’Aix, retiennent surtout l’attention, s’emploieront de leur mieux à ajourner autant que possible la discussion des questions irritantes, puis, devant l’inutilité de leurs efforts, se rallieront à la majorité en votant la définition.

V. LA LUTTE POUR OU CONTRE LA DÉFINITION DE

L’infaillibilité. — Avec ses commissions, ses congrégations générales, le concile du Vatican se présente comme une grande assemblée délibérante. Mais il ne faut peut-être pas la regarder comme une assemblée composée uniquement de sages. Il est notoire que ce concile connut lui-même dans ses réunions secrètes en particulier, parfois même aux séances générales, ces mouvements passionnés, ces intempérances de langage, ces heurts enfin que peut susciter l’esprit partisan. Incidents singulièrement exagérés par les adversaires de l’Église et que nous n’avons pas à retenir dans le cadre de cette étude, questions de pure forme et sans conséquence pratique dans l’issue d’une œuvre qui se manifesta avec tant d’éclat par le triomphe final de la raison et de la foi.

Pour faciliter en la clarifiant l’exposition des événements relatifs à la définition du dogme de l’infaillibilité, nous les répartirons en deux phases aussi distinctes que possible sans tenir compte des faits étrangers qui sont venus s’y entremêler : une première phase de préparation, allant du 3 janvier au 9 mai et remplie soit par les controverses tant au dedans qu’au dehors du concile, soit par les mesures restrictives dont ces controverses furent la conséquence et une seconde phase de réalisation allant du 9 mai au 18 juillet et remplie par les longues discussions conciliaires auxquelles donna lieu cette définition.

La préparation.

1. La controverse à l’intérieur

du concile (3 janvier-9 mai). — Entre partisans et adversaires de la définition de l’infaillibilité le premier choc s’était fait sentir, sitôt après l’élection des listes du cardinal de Angelis, par la préparation (dès le 3 janvier) et la présentation des deux postulata, l’un pour, l’autre contre la définition dont il a été question ci-dessus, col. 2560. Des protestations s’élevèrent. Le pape répondit lui-même en rappelant à des vues plus justes « les prétendus sages qui veulent qu’on se taise sur certaines questions et qu’on ne marche pas dans un sens opposé aux idées du temps. » Ceux-là, dit Pie IX. sont des « capitaines d’aveugles ». Discours du 9 janvier, prononcé en dehors du concile, dans C. L., col. 1540.

C’est Mgr Dupanloup qui avait pris l’initiative du mouvement protestataire dont Pie IX, très désireux de la promulgation du dogme, prenait ombrage. L’évêque d’Orléans croyait encore qu’on reculerait devant les scrupules de certains prélats, suivant en cela l’exemple de Pie IV, qui avait donné pour instruction à ses légats à Trente de retirer les propositions qui soulèveraient des discussions irritantes. L’intervention de Mgr Dupanloup pour détourner le pape d’une résolution qui dans son esprit était inébranlable n’eut d’autre résultat que d’engager la lutte. La riposte est donnée tout aussitôt par Mgr Dechamps qui croit devoir représenter l’évêque d’Orléans comme le défenseur des doctrines gallicanes. Des lettres courtoises dans la forme, mais très fermes, sont alors échangées entre les deux prélats. « L’opinion gallicane, dit Mgr Dechamps, a été supportée parce qu’elle se donnait uniquement comme une opinion, et qu’elle se réfutait heureusement elle-même dans la pratique, mais aujourd’hui que le gallicanisme, malgré la croyance générale de l’épiscopat et des fidèles, s’affirme comme une doctrine certaine, comment voudriez-vous que le concile se tût ? » L’évêque d’Orléans répond, mais le P. Mariano Spada dont l’imprimatur est nécessaire pour la publication, refuse de lui accorder son visa. Mgr Dupanloup veut que l’archevêque de Malines sache qu’il a tenté de rétorquer ses arguments, mais qu’il se voit dans l’impossibilité de les produire à la lumière.

2. La controverse à l’extérieur du concile.

Au dehors la controverse faisait écho avec une vicacité accrue aux protestations de la minorité conciliaire. En Angleterre la protestation du P. Newman dans sa lettre fameuse à l’évêque de Birmingham en mars, cf. C. L., col. 1513, en Allemagne la multiplicité des écrits contraires à la définition, en particulier les représentations de Dœllinger contre la mise à l’ordre du jour de la définition de l’infaillibilité, en France les lettres de même esprit du R. P. Gratry à Mgr Dechamps auxquelles répondait dom Guéranger et que condamnait Mgr Roess, évêque de Strasbourg, sans parler de la réponse de l’évêque d’Orléans à l’archevêque de Malines, toutes ces manifestations entretenaient la plus déplorable agitation. On allait jusqu’à accuser ouvertement le concile de vouloir transformer l’Église en monarchie absolue et de condamner ainsi les principes qui figuraient dans la plupart des constitutions modernes. Toutes ces manifestations anti-infaillibilistes avaient leur répercussion au sein du concile. Elles étaient pour les évêques majoritaires une preuve de plus de la nécessité d’une prompte définition de l’infaillibilité et pour les évêques minoritaires, comme Mgr Dupanloup, une raison de plus pour affermir leur conviction dans l’inopportunité de cette même définition. C’est pourquoi les mois de janvier et de février se passèrent d’un côté dans la mise sur pied des travaux préparatoires à la promulgation du nouveau dogme, de l’autre, en

négociations sans espoir, en adresses présentées par les dissidents contre une décision considérée déjà comme inévitable.

Le mois suivant, un incident inattendu devait accélérer la marche des événements. Le 13 mars, un télégramme apportait à Rome la nouvelle de la mort de M. de Montalembert. Grand soldat de l’Église, il était de ces catholiques français qui avaient ouvertement manifesté leur opposition au nouveau dogme dans la période de discussions, bien que parfaitement décidé à s’incliner quand l’heure de la soumission aurait sonné. Mais, trois jours avant sa mort, les journaux de France avaient apporté à Rome une lettre du grand orateur catholique à un jeune avocat de Paris, M. Lallemand, que les Pères du concile se passaient de main en main et où on lisait le passage suivant : « Je salue avec la plus reconnaissante admiration d’abord le grand et généreux évêque d’Orléans, puis le prêtre éloquent et intrépide, le P. Gratry, qui ont eu le courage de se mettre en travers du torrent d’adulation, d’imposture et de servilité où nous risquons d’être engloutis. Grâce à eux la France catholique ne sera pas restée au-dessous de l’Allemagne, de la Hongrie et de l’Amérique. Je m’honore publiquement et plus que je ne puis le dire de les avoir pour amis, pour confrères. » Elle faisait le procès de « ces théologiens laïcs de l’absolutisme (il s’agissait évidemment de Veuillot et de son groupe), qui ont commencé par faire litière de toutes nos libertés… devant Napoléon III, pour venir ensuite immoler la justice et la vérité, la raison et l’histoire en holocauste à l’idole qu’ils se sont érigée au Vatican ». C. L., col. 1385 ; cf. Lecanuet, Montalembert, t. iii, p. 466 sq. Ces derniers mots produisirent l’impression la plus fâcheuse ; elle se manifesta par l’acrimonie montrée par l’assemblée et même les présidents à l’endroit de Mgr Strossmayer, lors de son discours du 22 mars (31e séance), qui n’avait cependant rien à faire avec la question de l’infaillibilité. Texte dans M. -P., t. li, col. 72 sq. ; cf. ci-dessus, col. 2556. La première réaction de Pie IX fut également regrettable ; il fit décommander le service solennel que Mgr de Mérode, beau-frère du défunt, avait organisé à Rome pour le repos de l’âme de Montalembert. Il devait d’ailleurs se raviser quelques jours plus tard.

Toute cette agitation extérieure contribua à précipiter les événements. Saisie des postulata des 28 et 29 janvier, la commission compétente en avait discuté le 9 février et répondu qu’il fallait mettre à l’étude la question de l’infaillibilité. M.-P., t. li, col. 687-696. Mis au courant, le pape avait formellement approuvé cette décision qui avait été transmise le 1 er mars au secrétaire général du concile. Ibid., col. 696. La commission des postulata ne cessait plus de recevoir des projets de formules qu’elle transmettait à la députali’in de la foi. Le 6 mars, le secrétaire du concile annonçait aux Pères la distribution d’un additif au projet primitif De Ecclesia. Au c. iii, qui traitait de la primauté pontificale, était annexé un développement assez court, une trentaine de lignes, qui énonçait le dogme de l’infaillibilité. M.-P., ibid., col. 7(11-702. Sans même attendre cette distribution, « les gens pressée, dès le 28 février, demandaient que, tontes affaires Cessantes, y compris la discussion du projet De fuie, la question de l’infaillibilité fût mise en délibéré. Voir une série de postulata, ibid., col. 703-711. La minorité, non sans raison, protestait contre » cette précipitation passionnée ». Ibid., col. 712 Ali. On remarquera surtout la protestation émise, le S mai. par un groupe important, en tête duquel figurent les deux cardinaux Schwarzenbcrg (l’raguc) et Mathieu

inçon), qui insiste sur les graves Inconvénients qu’il y a à parler de prérogatives du pape, avant

d’avoir mis au clair la doctrine de l’Église. Ibid., col. 727-731. Plusieurs incidents ultérieurs devaient montrer le bien-fondé de ces observations.

Quoi qu’il en soit, le 9 mai était envoyé aux Pères le nouveau projet qui portait le titre : Constitutio dogmalica prima de Ecclesia Christl. M.-P., t. lii, col. 3-7. La seconde phase de la discussion allait commencer.

2° La réalisation. Le projet De Ecclesia et sa discussion. — 1. Travaux préparatoires de la députation de la foi. — Le nouveau projet, soumis à l’examen des Pères et sur lequel allait s’ouvrir la discussion était fort différent de celui qui avait été distribué le 21 janvier. Ci-dessus, col. 2558. Il n’en comprenait que la partie relative aux droits et prérogatives du pape (c. xi). Mais ce chapitre, où il n’était primitivement question que de la primauté pontificale, se dilatait en quatre chapitres, groupés sous un préambule qui conservait les premiers mots de l’ancien c. xi. Ils traitaient respectivement de l’institution divine de la primauté (c. i), de sa transmission de Pierre aux pontifes romains (c. u), de la primauté du pontife romain (c. ni) et enfin de son infaillibilité (c. iv). Cette nouvelle forme, dite Première constitution dogmatique sur l’Église, avait été élaborée par les théologiens consulteurs en collaboration avec la députation de la foi, dont ceux-ci recevaient les amendements et les textes qui lui étaient proposés. Procès-verbaux de la députation dans M.-P., t. lui, col. 238 sq.

De cette œuvre collective, dont les adresses et protestations de la minorité conciliaire n’avaient point arrêté la confection, on trouvera ici une énumération sommaire : Le 27 avril, le théologien Schrader présentait à la 34e réunion de la commission un rapport concernant les observations déjà faites sur le chapitre et les canons De Romani pontificis primatu, rapport à la suite duquel un autre théologien, le chanoine Maïer, proposait d’ajouter un nouveau chapitre au projet primitif. Le lendemain, ce même chanoine présentait à la 35e réunion de la commission ses observations sur la chapitre De injallibilitale. comme suite à sa proposition de la veille. Le 1 er mai était donnée connaissance aux membres de la commission du texte de la première constitution De Ecclesia. M.-P., t. lui, col. 240-244. Il y a des différences assez importantes avec le texte qui devait être distribué le 9 mai à tous les Pères du concile. Le c. m sur la primauté avait été réduit et le c. rv relatif à l’infaillibilité était très différent de sa première rédaction. La définition de cette prérogative était beaucoup plus simple que dans la rédaction actuelle et dès lors beaucoup plus extensible.

Definimus per divinam assistentiam fleri ut Romanus pontifex…, cum supremi omnium christianorum doctoris munere fungens, pro auctoritate définit, quld in rébus Hdei

et morum al) universa F.rclesia tenendutn vel rejicienduni sit.errare non possit ; et hanc Romani ponttflcla infallibilitatis pra-rogativam ad idem obJectUID porrigi, ad quod infnllihilitas Ecclesiæ exlenditur. M.-P., t. LUI, col. 243.

Enfin trois canons se présentaient en plusieurs rédactions ad libitum. Le 2 mai, à la 37’réunion, le chanoine Maïer continuait son rapport. I.e 3 mai, avait lieu, à la 38’réunion, l’examen des chapitres u et m du projet. Importante réunion le 5 mai. la 39e de la commission : le matin a lieu l’examen du projet du c. iv relatif à la définition de l’infaillibilité. Sur cette séance, il y a des renseignements importants dans le Journal de l’évéque de Hatisbonne. (J. ibid., col. 281 I). El l’on voit le cardinal lîilio prendre sou dain parti contre la rédaction du chapitre en question. Il pensait que la définition proposée étendait trop le domaine de l’infaillibilité ; d’autant que le domaine de l’infaillibilité générale de l’Église n’avait pas été 2 : » 117

VyYTICAN (CONC. DU). FORMULES SUCCESSIVES

2568

au préalable défini. Pour son compte, il tenait pour certain que le pape était infaillible dans les faits dogmatiques, les canonisations, etc. Il souhaitait ardemment que le concile pût un jour définir cette infaillibilité de l’Église, non seulement dans les définitions dogmatiques proprement dites, mais encore dans les faits dogmatiques, la canonisation des saints, l’approbation des ordres religieux. Mais, puisque l’on avait voulu parler de l’infaillibilité du pape avant de traiter de l’infaillibilité de l’Église, le projet avait l’inconvénient de dire plus qu’il ne fallait. Le cardinal président remit la discussion au soir. À cette 40e réunion, lecture fut donnée de la rédaction amendée et proposée avant la séance au cardinal président par Mgr Martin. Le cardinal Bilio fit alors remarquer que, soit avant l’explosion du jansénisme, soit depuis, soit même récemment, les théologiens de marque n’avaient défendu l’infaillibilité pontificale que dans les définitions dogmatiques. Plusieurs membres de la commission, désireux de rallier la minorité, abondèrent dans le sens du cardinal. On se sépara sans rien conclure.

A son tour, à la 41e réunion, le P. Schrader intervint pour proposer une nouvelle formule ainsi libellée :

Romanum pontificem errare non posse, cum supremi omnium christianorum doctoris munere fungens pro apostolica sua auctoritate définit quid in rébus fidei et morum ab universa Ecclesia fide divina credendum vel tanquam fidei contrarium rejiciendum sit.

Elle ajoutait un mot sur l’irréformabilité de ces jugements et terminait en déclarant que cette infaillibilité du pape était la même que celle de l’Église, qu’elle s’étendait au même objet nempe ad fidei depositum custodiendum inlemeraleque exponendum. Ibid., col. 251 BC. Malgré des divergences de vue assez notables, le cardinal déclara, avec un empressement dont s’étonne l’évêque de Ratisbonne, que la formule était adoptée par l’unanimité des présents, sauf deux. Ibid., col. 282 D.

Rien n’était encore définitif. Le débat toutefois approchait de son dénouement à la commission. Le 7 mai, à la 42e réunion, lecture est faite du projet amendé, lequel est adopté après quelques légères modifications. Il reste toutefois une difficulté ayant trait à l’extension de l’infaillibilité. Le texte ainsi donné de la l re constitution De Ecclesia, c’est-à-dire tel qu’il est sorti des délibérations du 7 mai, sera imprimé pour être distribué aux Pères et c’est le texte lui-même que, le 9 mai, ils auront en mains, sauf quelques modiques changements. Le lendemain, à leur 43e réunion, les théologiens discutèrent les observations présentées par les Pères. Voici comment, dans cette nouvelle rédaction, se terminait le chapitre : definimus hanc infallibilitalem ( R. pontificis) etiam ad unum idemque objectum sese extendere ac (Ecclesiæ infallibilitas). Les mots ad fidei depositum, etc., avaient disparu. Ibid., col. 255 D ; cf. t. lii, col. 7 B. La commission reprendra ses délibérations le 22 mai pour guider et contrôler celles des congrégations générales dans le grand débat sur les quatre chapitres relatifs à la papauté. À cette réunion, se rattache une nouvelle motion du cardinal Bilio proposant qu’une sorte de prologue historique soit mis en tête du c. iv, montrant de quelle manière les papes ont tous exercé dans l’Église le magistère de la foi. Dans la pensée du cardinal le prologue en question couperait court à l’idée fausse que les pontifes romains dans les jugements en matière de foi pourraient procéder absque consilio, deliberalione et scienliæ subsidiis. M.-P., t. lui, col. 283 D.

On sentait bien chez le président le désir de se montrer conciliateur en réduisant le plus possible le

domaine de l’infaillibilité et en précisant les conditions de son exercice. Cette modération était mal vue par les plus intransigeants des infaillibilistes. À la nouvelle de ce qui s’était passé au sein de la commission, beaucoup déclarèrent que le projet des théologiens avait été non amendé, mais déformé. On se promit bien de rejeter la nouvelle formule. Journal de Senestrey, ibid., col. 283 B. Ce fut néanmoins une formule toute proche de celle-ci qui finalement l’emporta comme nous le dirons plus loin.

2. La discussion générale.

C’est le 13 mai que s’ouvrit, dans la seconde partie de la 30e séance, la discussion du projet distribué aux Pères le 9 mai et qui portait désormais le titre de l re constitution De Ecclesia. On avait bien demandé qu’il y eût deux débats distincts, l’un sur les trois premiers chapitres qui soulevaient relativement peu de difficultés, l’autre sur le c. iv, traitant de l’infaillibilité. La direction du concile s’en tint à un seul débat, mais, en fait, dans la discussion générale, on ne parla pas des deux premiers chapitres, le c. m fut seulement touché, le fort des débats porta sur le c. iv.

Le rapport général était présenté par Mgr Pie, qui commença par un appel à la concorde. Parlant de l’infaillibilité, il conclut qu’il était urgent de la discuter ; le silence créerait à son endroit un préjugé défavorable. La formule apportée par la commission était bien nettç, elle déterminait les conditions extérieures que devait remplir la pape, pour jouir de cette prérogative : il devait parler comme docteur suprême, le faire en vertu de son autorité apostolique, et dans des questions relatives à la foi et aux mœurs. M.-P.. t. lii, col. 29-37.

La discussion générale ainsi inaugurée par ce rapport ne prit pas moins de quatorze séances et ne fut clôturée que le 3 juin (04e s.). La plupart des orateurs qui prirent la parole au début de la discussion générale faisaient partie de la minorité. C’est ainsi que l’on entendit Mgr David (Saint-Brieuc) et le cardinal de Schwarzenberg, qui, non sans raison — on s’en était déjà aperçu au sein de la commission — signalèrent l’illogisme qu’il y avait à discuter des pouvoirs du pape avant d’avoir mis au clair la doctrine générale de l’Église. D’autres firent valoir les raisons d’inopportunité, en insistant, ce fut le cas de Mgr Hefele, à la 52e séance, sur les difficultés historiques qu’il y avait à résoudre : « Je déconseille, disait-il, la définition en raison des dangers immenses qu’elle renferme en elle-même, ensuite parce qu’elle élève un obstacle redoutable à la conversion des séparés et enfin parce que la théologie et l’histoire sont contre elle. » II protestait aussi contre un argument qui se répétait dans les rangs de la majorité : la doctrine de l’infaillibilité est révélée, disait-on ; donc les faits contraires ou ne sont pas vrais ou peuvent être mis d’accord avec elle. C’était là, disait non sans raison l’évêque de Rottenbourg, « supposer comme certain ce qui était à prouver et présenter comme admis ce que nous nions ou ce dont nous doutons à bon droit ». M.-P., t. lii, col. 80-84.

Trois évêques opposants se signalèrent encore par leur énergie : Mgr Las Cases (Constantine), Mgr Strossmayer, qui fit un très beau discours (63e s., 2 juin) et Mgr Maret (64e s., 3 juin). Mais ce fut Mgr Darboy (Paris) qui parla avec le plus de force contre l’opportunité (55e s., 20 mai). II critiqua vivement l’origine du projet : la question de l’infaillibilité n’avait pas été posée par la bulle de convocation ; c’étaient des prêtres, voire des laïques, qui avaient soulevé le débat, ce qui avait amené un bouleversement de l’ordre des travaux. Quant à la formule dogmatique proposée — et le travail de Pénélope fait sur le texte le montrait bien — elle était loin d’être par

faite ; les preuves fournies n’étaient pas toutes de nature à exclure le doute, il lui serait impossible de rallier l’unanimité morale si souhaitable en un pareil débat. Il proposait donc la remise de la discussion du projet, ou au moins un remaniement qui préciserait la nature et les limites de l’infaillibilité. M.-P., t. lii, col. 155-162.

Les vues de la majorité infaillibiliste furent défendues avec non moins d’ardeur et d’éclat. À plusieurs reprises les objections que l’histoire peut élever contre l’infaillibilité furent rétorquées ; la question du pape Honorius entre autres, par le cardinal Cullen (Dublin, 54e s., 19 mai), ce ne fut pas d’ailleurs le meilleur discours de ce prélat. Mais l’effort porta surtout sur la question d’opportunité. Mgr Dechamps, au nom de la commission se montra un défenseur habile ; Mgr Ræss (Strasbourg) déclara qu’il fallait savoir braver l’opinion (56e s., 21 mai). Quant à l’influence que pourrait avoir sur les dissidents la promulgation du nouveau dogme, Mgr Manning prétendait que son action serait plutôt favorable (59e s., 25 mai), et le patriarche arménien, Mgr Hassun, déclarait, à rencontre des craintes exprimées par le patriarche melchite d’Antioche, que l’accroissement de l’autorité pontificale n’était pas de nature — tant s’en fallait — à empêcher les retours à l’unité (57° s., 23 mai). D’une façon générale, on était d’accord, au sein de la majorité, pour traiter de chimériques les craintes de schisme qu’agitaient les anti-opportunistes.

Il était inévitable que la prolongation des débats généraux ne finît par engendrer la lassitude. On avait entendu plus de soixante orateurs, dont la moitié appartenait à la minorité. Et il restait à discuter en détail le proœmium et les quatre chapitres de la constitution ! La majorité avait hâte d’en finir. Le 2 juin, une requête signée par 150 Pères fut remise aux présidents demandant, aux termes du règlement du 20 février, la clôture de la discussion générale. M. -P., t. lii, col. 441. À la séance du 3 juin (64e s.), les présidents mirent aux voix cette clôture qui fut acceptée par la grande majorité des présents. Vainement un groupe compact (80 environ) protesta. Au cardinal Schwarzenberg qui apporta cette protestation, les présidents firent entendre que le règlement avait été appliqué et qu’il n’y avait plus à revenir sur la décision prise. Ibid., col. 444. Il fut donc convenu que la discussion spéciale sur le préambule (Proœmium) du projet commencerait le 6 juin (65e s.).

3. La discussion spéciale.

a) Le préambule et les chapitres i et II. — Il en fut fait ainsi et, dès cette première séance, fut expédiée la discussion du préambule. Diverses retouches, surtout rédactionnelles, furent demandées, dont la commission tint compte. Elle rapporta ses conclusions le 13 juin (70e s.). Entrant dans les vues de ceux qui auraient voulu voir mentionnée l’institution de l’épiscopat par le Christ, laquelle n’était pas indiquée dans la première rédaction, elle introduisait le développement : Ouemadmodum iç/itur uposlolos… céleris aposlolis præponens, dont il n’y a pas trace dans la première rédaction. Cf. M.-P., t. lii, col. 4 et comparer avec col. 1002. Ceci amena des remaniements de tout le préambule, sur lequel on vota définitivement par assis et levé, en même temps que sur les c. i et ii, le 2 juillet (81* 1 s.). Le texte de la commission ainsi remanié fut adopté i la quasi-unanimité.

Le r. i, institution de la primauté, et le c. ii, perpétuité rie la primauté ne présentaient point do graves difficultés. En dépit îles observations du cardinal Schwarzenberg, se plaignant une fois de plus de l’illogisme que l’on commettait en parlant de la primauté avant d’avoir parlé de l’Église, la discussion fut terminée en une seule séance (66* s., 7 juin). Remanié

mer. m. rm’-.oi. catiiol.

conformément aux amendements proposés, le projet fut admis comme nous l’avons dit à la séance du 2 juillet. La rédaction définitive se distingue surtout de la première par l’addition àja fin du c. n du témoignage de saint Irénée avec les mots qui suivent : Hac de causa… compagem coalescercnt. Comparer, M.-P., t. lii, col. 5 et col. 1003.

b) Le chapitre ni. — La discussion du c. m allait au contraire donner lieu, un peu contre l’attente générale, à des débats assez longs : cinq séances (67-71) furent nécessaires pour la terminer et trente-trois orateurs y prirent la parole. Aussi bien la question était d’importance. S’appuyant sur les décisions antérieures, tant pontificales que conciliaires, et spécialement sur celle de Florence, le projet déclarait :

Docemus et declaramus hanc, quæ proprie est episcopalis jurisdictionis potestas, ordinariam esse et immediatam, erga quam particularium Ecclesiarum, cujuscumque ritus et dignitatis, pastores atque fidèles, tam seorsim singuli quam simul omnes oflicio hierarchicæ subordinationis verseque obedientiæ obstringuntur, non solum in rébus quæ ad fidem et mores, sed etiam quæ ad disciplinam et regimen Ecclesise… pertinent. M.-P., t. lii, col. 5-6 ; à comparer avec la rédaction définitivement soumise au concile, ibid., col. 1232-1233.

Les qualificatifs donnés à la puissance pontificale : plena, ordinaria, immediala, episcopalis soulevaient les uns et les autres des difficultés. N’y avait-il pas lieu de préciser que le pouvoir du pape était limité par diverses lois ? Quant aux épithètes episcopalis, ordinaria, immediata, ne prêtaient-elles pas à malentendu ? Y avait-il donc dans chaque diocèse une double juridiction épiscopale, immédiate et ordinaire, celle de l’évêque et celle du pape ? En exaltant la puissance pontificale, ne paraissait-on pas diminuer l’autorité des évêques ? Par ailleurs la définition de Florence dont le projet faisait état avait-elle bien le sens précis qu’on lui prêtait ? sa teneur exacte était-elle exactement celle que donnait le texte de la commission ? n’exprimait-elle pas, au contraire, une restriction du pouvoir pontifical qui était délimité « par les actes des conciles œcuméniques et les saints canons » ? C’est autour de ces divers problèmes, les uns historiques, les -autres canoniques, que s’affrontèrent les membres de la majorité et ceux de la minorité.

Parmi les premiers il faut signaler le nouvel évêque d’Angers, Mgr Freppel qui, dans la 71e séance (14 juin), s’exprima avec beaucoup de précision sur la plénitude du pouvoir pontifical et sa restriction possible par les canons. Nul doute, disait-il, que le pape ne soit lié par les décrets disciplinaires des conciles, par ceux de ses prédécesseurs et les siens propres, mais il l’est à la façon dont un législateur peut être lié par ses propres lois, il n’est tenu de les observer qu’aussi longtemps qu’il ne les a pas abrogés dans les formes légales. Mais, en définitive, les canons n’ont pour lui qu’une force directive et non coactive en ce sens que les lois qu’il porte ne peuvent lui interdire d’user de son pouvoir souverain pour en dispenser, les supprimer ou les modifier quand de justes motifs le demandent.

Dans le même discours, Mgr Freppel intervint également en faveur des trois qualificatifs donnés à la « pleine » puissance du pape. L’archevêque de Malines, lui, n’était pas satisfait du texte de la commission qu’il ne trouvait pas encore suffisamment précis. Il aurait voulu la condamnation d’une erreur sur la primauté que le livre de Mgr Maret avait contribué à répandre et suivant laquelle, en cas de divergence entre le pape et la majorité de l’épiscopat, le pape aurait été tenu de se soumettre à cette majorité (67° s., " 9 juin).

Cette même question des qualificatifs fut également

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VATICAN (CONC. DU). DERNIERS DÉBATS

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soulevée par les Orientaux et résolue en des sens divers. Tandis que certains déclaraient que le projet rallierait d’enthousiasme les uniates et même les schismatiques, ainsLMgr Behnam Benni, de Mossoul (67e s., 9 juin), d’autres, tel le patriarche melchite d’Antioche, Mgr lussef, demandaient instamment que l’on confirmât la constitution patriarcale des Églises d’Orient (71e s., 14 juin). La définition de l’autorité pontificale comme ordinaire, immédiate, épiscopale, lui semblait inutile et contraire à la réunion des dissidents ; il fut appuyé par deux Roumains unis. La 71e séance (14 juin) épuisa le débat, où le dernier mot fut dit par Mgr Freppel. On allait pouvoir passer à la discussion du c. iv.

Mais il restait à la commission à délibérer sur les nombreux amendements qui avaient été proposés au c. m. Texte de ces amendements dans M.-P., t. LU, col. 1080-1099. Après cinq réunions de ladite commission, l’évêque de Trévise, Mgr Zinelli, vint présenter le rapport à la 83e séance générale (5 juillet). Ibid., col. 1100-1117. Ce lui fut l’occasion de discuter le sens des qualificatifs « épiscopale, ordinaire, immédiate ». Le qualificatif « épiscopale » veut dire que, dans n’importe quel diocèse, le pape a tous les pouvoirs que possède l’évêque ; ce pouvoir est « ordinaire », c’est-à-dire qu’il n’est pas délégué ; « immédiat » enfin, c’est-à-dire qu’il ne réclame l’entremise d’aucun intermédiaire. Le rapporteur, d’ailleurs, n’expliquait pas comment tout ceci pouvait se concilier avec l’exercice normal de la juridiction épiscopale. Par contre, il ne laissait pas d’aborder le problème, si àprement discuté à Trente, de l’origine du pouvoir des évêques ; mais c’était pour déclarer que le concile ne tranchait pas la question de savoir si les évêques tiennent leur pouvoir immédiatement de Dieu ou par l’intermédiaire du pape. Le concile ne statuait que sur l’exercice du pouvoir et déclarait simplement que le pape pouvait exercer sa puissance sur chacun des diocèses d’une façon immédiate. Le rapporteur s’exprima également sur l’amendement relatif au canon, qui dans le projet primitif terminait le c. m. Mais au lieu d’accepter purement et simplement le texte proposé — il était de Mgr Regnault (Chartres)

— qui avait le mérite de la simplicité, la commission avait élaboré un texte (c’est l’actuel) dont il était difficile de saisir, à la simple audition, toute la teneur. Aussi quand on en vint aux votes sur chacun des amendements, l’assemblée accepta-t-elle dans l’ensemble les indications de sa commission, à l’exception de celle relative au canon. La nouvelle rédaction donna lieu, dans les jours suivants, à d’assez graves incidents, auxquels fut mêlé de très près Mgr Darboy. Il fallut remettre le vote au Il juillet (84e s.), où Mgr Zinelli discuta en détail l’addition faite et donna des explications fort embarrassées, ce qui ne l’empêcha pas d’ailleurs d’emporter les suffrages de la majorité. Le canon fut adopté tel qu’il figure dans le Denzinger. Le c. m réformé par la commission ne sera d’ailleurs soumis au vote définitif du concile que le 13 juillet (85e s.) en même temps que le c. iv et les canons se rapportant aux c. i et n.

c) Le chapitre n. — La discussion de ce chapitre, qui traitait de l’infaillibilité du pape, serait plus chaude encore. Elle commença à la 72e séance (15 juin) et ne se termina qu’à la 84e (Il juillet). Théoriquement elle aurait dû encore se prolonger. Mais la fatigue de l’assemblée croissait ; quelques évêques prirent l’initiative de solliciter de leurs collègues, à quelque parti qu’ils appartinssent, de renoncer à leur tour de parole. Ce désistement annoncé à la 82e séance (4 juillet) fut salué par d’unanimes applaudissements. Aussi bien nombre des arguments pour ou contre la définition avaient déjà été apportés lors

de la discussion générale. Il n’y a pas lieu d’insister sur plusieurs des discours qui furent alors prononcés ; ils touchaient soit aux problèmes historiques soulevés

— la question du pape Vigile par exemple (72e s., par le cardinal Rauscher, en sens opposé à la 73e s., par le cardinal Cullen) — soit à la signification exacte des textes conciliaires ou pontificaux dont la commission avait rempli son projet, soit aux conditions dans lesquelles devait s’exercer la prérogative pontificale. A ce point de vue, Mgr Ketteler (Mayence) fit à la 77e séance (25 juin) un discours extrêmement remarquable. M.-P., t. lii, col. 890-899. La première chose à faire, disait-il, serait de délimiter l’infaillibilité. Quand le pape veut prononcer une définition ex cathedra, il doit, au dire de Melchior Cano, d’abord connaître à fond la vérité dont il s’agit et donc employer tous les moyens nécessaires à la recherche de cette vérité ; les définitions doivent être tirées de l’Écriture et de la Tradition ; l’objet doit être une vérité immédiatement révélée ou si intimement unie à une vérité révélée que, sans elle, la vérité révélée ne puisse être conservée dans sa pureté. Ces préliminaires permettaient à l’orateur de critiquer non point la doctrine générale de l’infaillibilité, mais la formule qu’en donnait le projet de la commission. Telle qu’elle la présentait, c’était une doctrine d’école à qui Bellarmin accordait seulement le qualificatif de probable et de non sûre, tandis qu’il appelait « commune » celle qu’il tenait lui-même et qui faisait une place, dans les délibérations préliminaires, aux conseillers naturels du pape.

Aussi bien on en était resté au texte sorti des délibérations de la commission des 5 et 7 mai. Ci-dessus, col. 2566 sq. Les commissaires avaient résolu d’attendre, pour modifier leur texte, les amendements qui ne manqueraient pas d’être proposés en séances plénières. Cette attitude expectante ne faisait pas le compte des intégristes, qui, groupés autour des évêques de Bourges (Mgr de la Tour d’Auvergne), de Carcassonne (Mgr de la Bouillerie), de Westminster (Mgr Manning), de Genève (Mgr Mermillod) et d’autres voulaient une formule moins limitative et donc plus imprécise de l’infaillibilité, ne renfermant rien qui en restreignît l’objet. N’était-il pas à craindre, disaient-ils, que le concile ne fît œuvre négative, en ramenant, somme toute, l’infaillibilité pontificale en deçà des limites où elle était jusque-là reconnue ? Cette agitation finissait par lasser le cardinal Bilio, qui, d’ailleurs, se montrait hésitant. Il fallut de nombreuses réunions de la commission pour mettre sur pied un texte dont la rédaction finale fut l’œuvre commune de Franzelin et de Kleutgen. Il fut enfin adopté par les commissaires après de longues tergiversations, dans la réunion du 9 juillet (55e réunion). Sur le point essentiel, il s’exprimait ainsi :

Definimus Romanum pontiflcem, cum ex cathedra loquitiir, id est cum omnium christianorum pastoris et doctoris munere fungens, pro suprema sua apostolica auctoritate doctrinam de fide et moribus ab universa Ecclesia tenendam définit, per assistentiam divinam, ipsi in bcato Petro promissam, ea infallibilitate pollere, qua divinus Redemptor Ecclesiam suam in definienda doctrina de fide vel de moribus instructam esse voluit, ideoque ejusmodi Romani pontiflcis definitiones esse ex sese irreformabiks. M.-P., t. lui, col. 274.

Cette rédaction ne sera d’ailleurs soumise aux Pères qu’après la séance du Il juillet, c’est-à-dire après que la discussion sur le c. iv était terminée. M.-P., t. lii, col. 1234. Comme nous l’indiquerons plus loin, elle évitait de prendre position sur l’infaillibilité pontificale en dehors des définitions touchant aux vérités révélées. Dans la hâte qu’elle avait d’en finir, la commission ne prit même pas la peine de libeller la doc25 73

    1. VATICAN (CONC##


VATICAN (CONC. DU), DKRNIKRS DÉRATS

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trine sous forme négative dans un canon final ; on termina tout simplement le c. iv par la menace d’anathème contre qui contreviendrait à la doctrine positive exprimée dans le chapitre. Cf. Journal de Senestrey, M.P., t. lui, col. 285 B.

Aussi bien la commission avait-elle fort à faire pour examiner les divers amendements proposés au c. iv, soit par les orateurs en séance, soit par écrit. Le rapport fut confié à Mgr Gasser (Brixen) qui le lut à la 84e séance générale (Il juillet). M. -P., t. lii, col. 1204-1230.

d) Le rapport sur les amendements au c. IV. — Ce rapport est de capitale importance et il n’est pas inutile d’y recourir pour saisir bien des nuances de la définition élaborée. Il s’exprime d’abord sur les preuves du caractère révélé de la doctrine de l’infaillibilité, empruntées soit à l’Écriture soit à la Tradition. La partie la plus faible concerne l’explication des trois formules du IVe concile de Constantinople (869), du IIe de Lyon (1274) et de celui de Florence (1438), où le rapporteur veut trouver une définition anticipée de l’infaillibilité pontificale. Plus importante est la partie du rapport consacrée aux amendements relatifs à la définition même. Ce fut pour l’orateur l’occasion de s’expliquer sur diverses épithètes qui avaient été employées au cours des débats. Pour caractériser l’infaillibilité du pape, on avait parlé d’infaillibilité personnelle, séparée, absolue. Voici en quel sens il fallait retenir ces adjectifs. En la nommant « personnelle », on excluait simplement la vieille distinction erronée entre sedes et sedens ; en la disant « séparée », ou mieux « particulière », on voulait dire qu’elle reposait sur une promesse particulière de Jésus-Christ et donc sur une assistance particulière de l’Esprit-Saint, non identique à l’assistance dont jouit le corps enseignant de l’Église en union avec son chef. Cette assistance ne saurait exclure d’ailleurs l’emploi de moyens appropriés pour la recherche de la vérité, consultation des évêques, conciles, etc. Mais « absolue », cette infaillibilité ne l’était en aucun sens, étant limitée sous trois rapports : au point de vue du sujet, c’est le pape agissant non comme docteur privé, mais comme docteur suprême de l’Église universelle ; au point de vue de l’objet, il s’agit exclusivement de choses touchant à la foi et aux mœurs ; au point de vue de l’acte même, c’est un acte par lequel le pape prescrit ce que tous les chrétiens doivent croire ou rejeter. Peut-être eût-il été bon d’exprimer ces conditions mêmes dans la définition. Mgr Gasser, au nom de la commission, s’y opposait absolument, déclarant qu’il y aurait là occasion de subterfuges, qu’il valait mieux éviter.

Il annonçait d’ailleurs que la commission s’était enfin mise d’accord sur unv nouvelle formule, ci-dessus col. 2572. Pour la première fois y figuraient officiellement les mots cum et cathedra loquihir. On entendait par là que le pape devait décider non comme personne privée, ni même comme chef d’un diocèse, d’une province, mais parler comme pasteur et docteur de toute la chrétienté ; il ne présentait pas la doctrine d’une manière quelconque, et devait manifester l’intention de mettre fin par une décision définitive aux fluctuations d’une doctrine.

Mais la grande question demeurait toujours celle de l’objet même de l’infaillibilité. Le pape était-il infaillible seulement quand il définissait comme étanl révélée de Dieu une vérité concernant la f<>i ou les mœurs, on bien son Infaillibilité s’étendalt-elle encore à des vérités qfli, sans être révélées et pour lesquelles dès lors on ne pouvait réclamer un acte de foi divine,

n’en ; iv ; iient pas moins une étroite connexion avec les vérités révélées ? C’était l’épineuse question de l’infall litiiliié surtout en matière <>- faits dogmatiques, etc.,

sur laquelle la commission avait eu tant de mal à se faire une religion. Ci-dessus, col. 2566 sq.

Le texte maintenant apporté se contentait de marquer l’exacte coïncidence entre l’infaillibilité du pape et celle de l’Église, en laissant dans l’imprécision ce qui, jusqu’à présent, dans l’état de la théologie, demeurait imprécis. Donc l’infaillibilité pontificale s’étendait très certainement à tout ce qui appartenait proprement au dépôt révélé, par conséquent aux définitions de dogmes ou aux condamnations d’erreurs’contraires à ce dépôt. Tout chrétien devait donc tenir comme de foi que l’Église et le pape, dans la définition des dogmes de foi, sont infaillibles. Mais il y a d’autres vérités qui sont liées plus ou moins étroitement aux vérités révélées et, quoique non révélées, sont cependant nécessaires pour la conservation, l’explication, la confirmation des vérités révélées. De telles vérités, parmi lesquelles il faut compter les faits dogmatiques, n’appartiennent pas directement au dépôt révélé, mais sont une condition nécessaire de la garde de ce dépôt. À cause de cela, la doctrine quasi unanime des théologiens est que l’Église est infaillible dans la proclamation authentique de ces vérités, que le rejet de cette infaillibilité serait une grave erreur ; mais ils n’osent pas prétendre que cette infaillibilité soit un dogme de foi dont la négation serait une hérésie. Puisque donc l’infaillibilité pontificale coïncide très exactement avec celle de l’Église, puisque d’autre part la commission a été unanime à décider qu’il n’y avait pas lieu, pour l’instant, de résoudre la question posée par les décisions ecclésiastiques en matière de vérités non strictement révélées, il s’ensuit qu’elle n’entend pas résoudre non plus la question de l’infaillibilité du pape dans la définition de matières qui ne sont pas révélées au sens propre. Aujourd’hui il est hérétique de nier l’infaillibilité de l’Église en matière de vérités révélées ; il le sera demain, — la définition étant acceptée — de nier l’infaillibilité du pape sur ces mêmes objets. Il n’est pas hérétique, — encore qu’il puisse être erroné — de nier l’infaillibilité de l’Église en matière de faits dogmatiques ; il ne le sera pas davantage de nier l’infaillibilité du pape sur ces mêmes objets. Voici exactement les termes dont usa Mgr Gasser.

In hoc objecto (infallibilitatis) ita gencrice enuntiato infallibilitatem pontificis nec minus nec magis late patere, quain pateat Infailibilitas Ecclesiæ in suis definitionibus doctrines <Ie fide et de mofibus. Unde sicut nemine diflitente hsereticum est Ecclesiee infallibilitatem in defmiendis lidei dogmatibus negare, Ita in hujus decreti Vatican] vini non minus tueretlcum crit negare summi pontificis per se spectati Infalllbilitatem In definitionibus dognintum fidei. In illis autem in quibus theologice quidem certum, non lumen hæteiuis certum de jiile est Ecclesiam esse infnllibllem, etiam infallibilitas pontificis lu>c decreto sacri concilii non definitur tanquam de fide credenda. Qua vero certitudine theologica constal h « c alla objecta prseter dogmata lidei comprehendi Inter ambitum Infallibilitatis qua pollet Ecclesia in suis definitionibus, eadem certitudine tenendum est ac eril ad hœc etiam ohjecta extendi infallibilitatem in definitionibus editis a liomano pontiflee. AL-P., t. iii, col. 1227 BC.

L’assemblée conciliaire fut ensuite invitée à voter par assis et levé sur l’acceptation ou le rejet des divers

amendements retenus par la commission. Le procèsverbal de ce VOte est très peu explicite, et il est absolument Impossible de dire eil quel nombre on vola pour ou contre les indications de la commission : /ère nmnes admiserunt, dit le texte officiel. Il ne restait plus à la commission qu’à tenir compte de ces votes et A rédiger le texte définitif des c. m et iv et des deux canons niai ifs aux c. i et n. Ce fut fait le soir même du M juillet. La première constitution De Hcclesia, dite l’aslor irtrrnus, prenait ainsi son caractère à peu VATICAN (CONC. DU). VOTE DÉFINITIF

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prés définitif. Il n’y avait plus qu’à la soumettre au vote final de l’assemblée.

4. Le vote définitif de la constitution faStdr.eter-NVS. — Ce fut le 13 juillet (85e s.) qu’il fut procédé à ce vote par appel nominal. Liste des votants et suffrage de chacun dans M.-P.. t. lii, col. 1243-1253. Sur 601 présents, 451 Pères votèrent placet, 88 non placet, 62 placet juxta modum, ces derniers devant, d’après le règlement, exprimer par écrit la condition qu’ils mettaient à un sufirage favorable. C’était à la commission à examiner ces amendements et à voir’s’il était possible, par des aménagements au texte, de rallier ces hésitants.

Le vote du 13 juillet montrait en somme, en face d’une majorité compacte, un quart des Pères qui n’acceptaient pas complètement les décisions de cette majorité. On était donc bien loin de cette fameuse unanimité morale, qui n’était sans doute pas une condition pour la validité des décisions conciliaires, mais dont il était à tous égards bien souhaitable que l’on se rapprochât. Devant l’opinion publique, qui serait tôt ou tard mise au courant, il était bien regrettable que l’épiscopat apparût aussi divisé sur une question que l’on avait si bruyamment présentée comme de capitale importance. La qualité de bon nombre des opposants, le fait qu’ils étaient les chefs de diocèses considérables ajoutait encore à cette fâcheuse impression. On y comptait trois cardinaux (Mathieu de Besançon, Schwarzenberg de Prague, Rauscher de Vienne), deux patriarches orientaux, de nombreux archevêques (Paris, Lyon, Milan, Munich, Bamberg, Olmiitz, Léopol, Halifax, Saint-Louis, etc.), de très nombreux évêques de grand renom (parmi les Français : Orléans, Metz, Nancy, Marseille, Dijon, La Rochelle ; parmi les Allemands : Mayence, Brestau, Augsbourg, Rottenbourg, Osnabriick, etc.). N’eut-il pas été préférable de faire, dans les définitions présentées, les aménagements nécessaires, qui auraient finalement rallié la grande masse des opposants ?


C’est ce que pensa Mgr Darboy, qui, après s’être vainement adressé au cardinal Bilio, provoqua une démarche auprès du pape lui-même d’une délégation dont il prit la tête et qui comprenait les archevêques de Lyon (Mgr Ginoulhiac), de Munich (Mgr Scherr), les évêques de Mayence (Mgr Ketteler), de Dijon (Mgr Rivet), de Gran (Mgr Simor). Pie IX évita de donner une réponse et réclama une demande par écrit. Cette audience avait eu lieu le 15 juillet. Le 16, de très grand matin, Mgr Darboy rédigeait cette requête : suppression au canon terminal du c. m de la phrase aut eum habere tantum potiores partes, non vero totam plenitudinem hujus supremæ potestatis ; insertion au c. iv, parmi les conditions de l’infaillibilité pontificale d’une phrase impliquant une certaine participation de l’épiscopat à ces définitions en ajoutant, par exemple, après les mots munere fungens des phrases comme celles-ci : testimonio Ecclesiarum innixus ; ou encore : et mediis, quæ semper in Ecclesia catholica usurpata fuerunt, adhibitis ; ou encore non exclusis episcopis. Moyennant quoi et moyennant aussi la suppression dans le c. m des mots quæ vere episcopalis est, l’archevêque pouvait assurer le pape que la plupart de ceux qui avaient voté non placet à la 85e séance, émettraient un placet à la session publique. Texte dans M.-P., t. lii, col. 1322. Mais Pie IX était bien résolu à ne pas intervenir personnellement et à laisser le concile maître de ses actes.

Or, ce même jour, samedi 16 juillet, dans la 86e séance, les deux rapporteurs de la commission écartaient les diverses propositions faites par ceux qui avaient voté placet juxta modum ; bien plus, ils demandaient l’addition des mots qui, dans la rédac tion actuelle, terminent le c. îv. Romani pontificis definitiones ex sese esse irreformabiles, disait simplement l’ancien texte. Le nouveau ajoutait : non autem ex consensu Ecclesise. Cette addition, sur laquelle on vota simplement par assis et levé, fut acceptée a longe majori patrum parte. Ibid., col. 1318. C’est selon ces modifications que le texte définitif serait établi et distribué aux Pères avant la session solennelle qui fut fixée au lundi 18 juillet.

Qu’allait faire la minorité, dont on n’avait pas écouté les observations finales ? Coup sur coup, au sortir de la séance du samedi, Mgr Dupanloup écrivit deux lettres au pape ; dans la première il s’en remettait à la sagesse du saint père pour écarter les additions faites et introduire les modifications demandées par Mgr Darboy. Puis, se ravisant, il suggérait la procédure suivante : La session publique aurait lieu ; les suffrages seraient recueillis, après quoi le pape déclarerait que « vu les circonstances, de son propre mouvement et après y avoir mûrement réfléchi devant Dieu, il croyait meilleur, par prudence et modération apostolique, de surseoir présentement à la confirmation du vote conciliaire et à la conclusion définitive et d’attendre pour cela un temps plus propice et un plus grand calme des esprits ». Ibid., col. 1321 et 1323.

Mais ces manœuvres de la dernière heure, qui trouvent d’ailleurs leur explication partielle dans le désarroi que venaient de causer dans les esprits les nouvelles sur une déclaration de guerre possible de la France à la Prusse, ne pouvaient plus rien empêcher. L’idée se fit jour, parmi les membres de la minorité, qu’il fallait quitter Rome sur-le-champ. Le geste était licite, puisqu’à la fin de la séance du 16 juillet le président au nom du pape avait donné aux conciliaires une permission générale de quitter la ville, à condition de prévenir le secrétaire du concile et de ne pas prolonger leur absence au delà de la Saint-Martin. Ibid., col. 1319 C. Il pouvait être interprété ad libitum comme une protestation contre les procédés de la majorité ou au contraire comme un acte de déférence à l’endroit du saint père. Voulant soutenir jusqu’au bout l’opinion à laquelle leur conscience les contraignait, les membres de la minorité ne se résignaient cependant pas à émettre un non placet dans la session publique, en présence même du pape. C’est ce qu’expliqua à Pie IX une lettre fort digne signée 8e cinquante-cinq évêques en tête desquels figuraient les archevêques de Prague, Besançon, Gran, Paris, Lyon, Kolocza, Munich, Olmùtz, Milan et Saint-Louis. Ibid., col. 1325. D’autres prélats s’expliquèrent de façon analogue dans des lettres adressées aux présidents de l’assemblée. Un bon nombre des protestataires quittèrent Rome le soir même.

Cette conduite valut d’assez vifs reproches à la minorité que l’on accusa d’avoir manqué de fermeté jusqu’au bout dans ses convictions persistantes et publiquement manifestées. Si ce fut une grande faute, comme devait le déclarer Mgr Huynald (Kalocza et Bacs) à Mgr Dupanloup, elle eut du moins cet heureux effet d’assurer, par l’absence volontaire et le départ de Rome des opposants, cette unanimité morale dont on avait tant parlé.

Le 18 juillet, dans la 4e et dernière session publique du concile, présidée par Pie IX en personne, lecture était faite devant 535 Pères présents du texte définitif de la constitution Pastor seternus. Le vote qui suivit cette lecture avec appel nominal et scrutin public réunit 533 placet et 2 non placet, ces derniers suffrages émis par Mgr Rlccio, évêque de Cajuzzo (Deux-Siciles ) et Mgr Fitzgerald, évêque de Little Rock. Confirmation de ce vote pour ainsi dire unanime fut 257’VATICAN (CONC. DU). LES CONSÉQUENCES

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faite par le pape dans les termes suivants : Décréta et canones placuerunt omnibus patribus, duobus exceptis, nosque, sacro approbante concilio, illa et illos, ita ut lecla s unit deflnimus et apostolica auctoritale conflrmamus. Ces paroles furent accueillies par une immense acclamation qui de Yaula déborda dans la basilique et jusque sur le parvis. Le pape termina sur une brève allocution aux Pères, qui ne laissait pas de témoigner de quelque amertume de l’opposition faite par certains au dogme qu’il venait de proclamer. M.-P., t. lii, col. 1335, note 2, et 1336. Les deux évêques qui avaient voté non place ! vinrent immédiatement déclarer leur soumission et s’unirent au Te Deum qui termina la cérémonie. Au même moment un orage épouvantable secouait la coupole de Saint-Pierre. Comme au Sinaï, comme au Cénacle, le jour de la Pentecôte, c’était, disait-on, le Tout-Puissant qui manifestait sa présence 1

5. La fin du concile.

Le lendemain même de la proclamation (19 juillet), le gouvernement impérial de Paris notifiait à Berlin au gouvernement prussien la déclaration de guerre bien connue. Sans qu’il y ait eu de mesure officielle, les séances du concile s’interrompirent, car les évêques s’étaient très rapidement dispersés ; il ne restait guère à Rome que les Orientaux, les missionnaires et les évêques venus de très loin. Les trois dernières séances qui s’échelonnèrent du 23 août au 1 er septembre grouperont respectivement 136, 127 et 104 présents.

Pourtant, dès le 26 juillet, on avait distribué le projet Super apostolicis missionibus, et une nouvelle rédaction des deux projets De episcopis et De sede episcopali vacante ; ils ne seront pas discutés. La première séance après la proclamation du dogme (87e s., 13 août) ne s’occupa que de reformer la commission de la discipline, fort anémiée par les récents départs. Le 23 août, on essaya d’amorcer le débat sur la constitution De sede episcopali. Corrigée, cette constitution revint le 1 er septembre (89e s.). Ce jour-là on n’indiqua pas aux Pères quand aurait lieu la prochaine réunion. Une convocation leur serait adressée en temps utile. Il n’y en aura plus !

Les événements politiques se précipitaient. Profitant de l’écrasement de la France, l’Italie envahissait le territoire pontifical que nos troupes venaient d’évacuer. Le 17 septembre, Rome était investie, le 20 la brèche était faite à la Porta Pia, par où entrait le général Cadorna. Le 9 octobre, à la suite du plébiscite, Rome et les provinces romaines étaient annexées au royaume d’Italie. En dépit des assurances que donnait le gouvernement italien, Pie IX jugea impossible de continuer le travail conciliaire. Le 20 oc-I tobre, des Lettres apostoliques déclaraient que la célébration du concile était renvoyée sine die, que le concile était donc suspendu jusqu’à un temps plus opportun, que le Siège apostolique ferait connaître. M.-P., t. Lin, col. 155 sq. Depuis cette date, les choses en sont restées là. Il n’y a même pas lieu de s’arrêter aux projets chimériques que firent quelques évêques de demander la réunion du concile à Malines à l’hiver 1870-1871.