Dictionnaire de théologie catholique/VERTU. V. Vertus intellectuelles

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 622-623).

V. Vertus intellectuelles.

On a déjà laissé entendre ci-dessus, que les vertus intellectuelles, n'étant pas ordonnées par elles-mêmes à la perfection morale de celui qui les possède, ne sont pas des vertus dans le sens plein du mot. De plus, elles appartiennent essentiellement à l’ordre naturel. Aussi se contentera-t-on de quelques notions brèves résumant la doctriiTe de saint Thomas, I a - 1 1 35, q. lvii.

Vertus intellectuelles spéculatives.

1. Notion.

Ces vertus sont les habitus perfectionnant l’intelligence dans la recherche et la connaissance du vrai : « Ce sont des vertus en tant qu’ils donnent la faculté de cette bonne opération qui consiste à voir le vrai, car c’est là le bon ouvrage de l’intelligence. » Mais elles ne font pas qu’on réalise par elles-mêmes cette bonne opération : « pour ce qui est de l’usage de la science, cela se fait sous l’impulsion de la volonté. » A. 1. Ce sont donc des vertus imparfaites, encore que les vertus intellectuelles représentent quelque chose de plus noble et de plus parfait que les vertus morales. Cf. Salmanticenses, De virtutibus, q. lvii, prol.

Le terme de « vertu spéculative » ne doit pas suggérer l’idée d’un manque d’activité. L’intelligence à la recherche de la vérité est, au contraire, très active ; 'seulement son travail est tout intérieur : le pratique ou l’actif, dit saint Thomas, s’oppose au spéculatif comme quelque chose d’extérieur à l'œuvre intérieure de l’esprit ; mais cette œuvre elle-même est faite d’activité. Q. lvii, a. 1, ad l" m. Cf. a. 3, ad 3um.

2. Trois vertus intellectuelles spéculatives. —

La connaissance du vrai n’offre pas, en toutes choses, le même aspect formel. « Le vrai, évident par lui-même, se présente comme un principe et est immédiatement perçu par l’intelligence : aussi on donne le nom de simple intelligence à V habitua qui perfectionne l’esprit de cette manière et c’est là l’habitus des premiers principes. » — Le vrai peut n'être pas évident par lui-même et n'être perçu qu'à la tuite d’une recherche de la raison. Il se présente alors comme un terme. Si ce terme veut être le dernier mol de toutes choses, et manifester à l’esprit humain les causes les plus bailles, le vrai est l’objet de l’habitus de la sagesse, Mais, s’il s’agit simplement d’avoir le dernier mot en tel ou tel genre de connaissance, c’est la science qui perfectionnera l’intelligence A. 2. Il ne peut y avoir qu’une sagesse ; il y a, dans les sciences autant d’habitus différents qu’il y a de genres différents (le choses a savoir, Ainsi saint Thomas se rallie à l'émunération d’Aristote ; trois vertus intellectuelles spéculatives : sagesse, science et simple intelligence.

3. Rôle moral indirect des vertus intellectuelles spéculatives.

La perfection intellectuelle est un bien véritable, mais qui peut être étranger à la perfection morale de l’homme. Normalement cependant, il n’en devrait pas être ainsi, et les vertus intellectuelles peuvent et doivent servir à l’enrichissement moral de celui qui les possède. Tout d’abord, « à moins d’avoir reçu de la nature de vrais dons capables de se transformer aisément en véritables facilités, on doit généralement déployer beaucoup de ténacité, de persévérance et d’application pour apprendre une science ou un art et pour s’y perfectionner à fond ». R. Bernard, op. cit., t. i, p. 429. Constatons, à l’occasion de ce perfectionnement, un effort volontaire qui touche de bien près au perfectionnement moral. Mais il y a plus. Grâce à cet appui de la volonté, on peut arriver à utiliser les arts et les sciences pour le bien, en faire « un bon usage ». Et ceci touche de plus près encore au perfectionnement moral de l’homme. Enfin, les vertus morales ou mêmes théologales peuvent s’emparer de l’amour de la science ou de l’art pour l’orienter selon les exigences de la fin dernière surnaturelle ; on est alors en plein dans le domaine de la vertu véritable et ainsi « même dans les actes de ces habitus il peut y avoir du mérite s’ils sont accomplis sous l’influence de la charité ». A. 1. D’un mot final, saint Thomas touche un dernier point où la vertu intellectuelle confine au plus haut perfectionnement moral : quand l’intelligence s’attache à la vérité au point de s’y absorber et de s’y complaire dans toute la mesure possible. C’est alors la contemplation, avant-goût de la béatitude parfaite. A. 1, ad 2um. Pensée qu’on trouve à plusieurs reprises chez Platon.

4. L’intelligence spéculative et la vertu de foi.

Dans les considérations qui précèdent, la volonté n’intervient que de l’extérieur dans les habitus intellectuels. Mais il est un cas où l’intelligence spéculative peut être le sujet d’une vertu au plein sens du mot : c’est en tant qu’elle est mue par la volonté. « C’est ainsi, dit saint Thomas, que l’intellect spéculatif ou raison est le siège de la vertu de foi, car pour donner son assentiment aux choses de la foi, l’intelligence est mue par le commandement de la volonté : on ne croit que si on a la volonté de croire. » Q. lvi, a. 3. Voir Foi, t. vi, col. 397.

Les vertus intellectuelles pratiques.

Elles sont' au nombre de deux, l’art et la prudence ; mais la prudence est une véritable vertu qui, par sa matière, appartient déjà à l’ordre moral.

1. L'art, ou plutôt les arts marquent des aptitudes d’esprit dans le domaine pratique. À côté des aptitudes de l'homo sapiens (les vertus intellectuelles spéculatives), saint Thomas, sous le nom d’arts, désigne les aptitudes de l'homo faber, c’est-à-dire des savoir-faire « par lesquels on est en mesure de comprendre ce qui est, par lesquels on est habile à réaliser ce que l’on conçoit. » R. Bernard, op. cit., p. 436. Champ immense et plus varié que celui des sciences, comprenant les arts dits libéraux et les métiers : « Les artisans aussi bien que les artistes : tout ce qui conçoit un ouvrage ou travaille à le faire. Inventeur, ingénieur, technicien, ouvrier qualifié, même simple manœuvre, quiconque est à même de coopérer, par quelque habileté de la tête ou des mains, à une œuvre de fabrication humaine participe de ce que nos maîtres ont accoutumé d’appeler l’habitude d’art. En fait d’ouvrage, tout ce qui peut être l’objet d’un travail proprement humain et être en quelque sorte manié, façonné et transformé par l’homme, est matière d’art. » Ibid.

Toutefois, l’art n’est vertu qu’au même titre que les habitus spéculatifs, vertu secundum quid, puisque, pas plus que la vertu spéculative, l’art ne peut assurer qu’on s’emploiera à un bon ouvrage ; il donne seulement la faculté de le faire.

2. La prudence. — Saint Thomas marque la nécessité d’une vertu intellectuelle qui dirige la vie humaine : « Bien vivre consiste, en effet, à bien agir. Or, pour bien agir, il faut non seulement faire quelque chose, mais encore y mettre la manière, c’est-à-dire agir d’après un choix bien réglé et pas seulement par impulsion ou passion. Mais, comme le choix porte sur des moyens en vue d’une fin, sa rectitude exige deux choses : une fin conforme au devoir, des moyens en rapport avec cette fin. Pour ce qui est de la fin conforme au devoir, on y est convenablement disposé par la vertu qui perfectionne la partie affective de l'âme, dont l’objet est précisément les biens et les fins. Mais, pour ce qui est des moyens en harmonie avec cette fin, il faut qu’on y soit directement préparé par une habitude de la raison, parce que délibérer et choisir, opérations relatives aux moyens, sont des actes de la raison. Aussi est-il nécessaire qu’il y ait dans la raison une vertu intellectuelle qui lui donne toute perfection pour bien se comporter à l'égard des moyens à prendre. Cette vertu est la prudence. » Q. lvii, a. 5. « La prudence est une vertu intellectuelle par son essence. Mais, par sa matière, elle se rencontre avec les vertus morales, car elle est la règle de raison dans la conduite de la vie, et à ce titre elle est au nombre des vertus morales. » On se reportera à l’art. Prudence, t. xiii, col. 1034-1035.