Dictionnaire de théologie catholique/VICTORINUS AFER. IX. Conclusion

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 711-712).

IX. Conclusion.

Ainsi « il y a dans la pensée de Victorinus plus d’unité qu’il ne paraît à première vue. Par-delà un vocabulaire d’école, on trouve une doctrine assez homogène, s’éloignant rarement de la tradition chrétienne authentique ». H. de Leusse, op. cit., p. 205. À vrai dire, malgré qu’il fasse profession de ne connaître, lui aussi, que Jésus crucifié, col. 1076 C, c’est le Verbe du Père, le Consubstantiel, qu’il a pris comme pierre angulaire de son système théologique. Et puis, « Victorin c’est, a-t-on dit, l’enthousiasme aveugle », pour Plotin : chez lui catholicisme et néo-platonisme y sont étroitement cimentés en une construction qui ne manque certes ni de hardiesse, ni d’harmonie, mais qui se présente sans festons ni astragales. Les pièces maîtresses du plotinisme y sont en bonne place : théodicée, théories de la connaissance, des purs esprits, de la préexistence éternelle des âmes, du pananimisme, de la purification etc., sont exposées placidement et avec profondeur, mais sans les développements personnels et les restrictions d’Augustin ou de Grégoire de Nysse : sous ce rapport, Victorin est certainement l’auteur chrétien où l’on peut avec le plus de garanties trouver les éléments durables du néoplatonisme, à l’exclusion de ses parties caduques, telles que l’extase, le polythéisme, la divination, le déterminisme, que le disciple de Plotin laisse mourir sans un mot de regret. Les philosophes ont bien négligé ces lambeaux de philosophie plotinienne, que le maître du néo-platonisme romain a jetés dans sa polémique anti-arienne ou dans ses Commentaires de l’Apôtre ; ils feront bien d’y prêter l’attention qu’ils méritent.

Quant à la tradition chrétienne, l’auteur la réduit aussi aux éléments qu’il en juge essentiels, les seuls peut-être qu’il ait pris le temps de connaître quand il se mêle d’écrire en faveur du Consubstantiel : unité de Dieu, rôle du Christ Sauveur, nécessité de la foi. Un théologien moderne trouvera son christianisme simplifié à l’excès, ou du moins sa théologie fort inégale : ne sont-elles pas bien compliquées, après ses déclarations si nettes sur la Trinité, ses vues sur la personne divine en Jésus ? quoi de plus confus que ses réflexions sur la règle de foi et l’inspiration privée ? sur l’organisation de l’Église, les sacrements, les vertus morales, à quoi il superpose sans cesse son leitmotiv de l’inutilité des œuvres pour le salut ? Dogmatique monophysite, dira-t-on, et ecclésiologie gnostique ! Mais il est plus équitable de dire qu’on a affaire avec un intellectuel récemment converti, qui voit de bonne foi dans le catholicisme un système de pensée en continuité avec ses catégories platoniciennes ; et puis, qu’on pense à l’état embryonnaire de la tradition latine avant saint Ambroise et saint Augustin ! Il a fallu néanmoins de la bonne volonté pour relever, dans ses commentaires de l’Apôtre, quelques allusions à la vie chrétienne qui montrent chez l’exégète un certain souci de la tradition de son Église. À cause de

cette réserve un peu fière vis-à-vis d’une religion qui s’abaissait alors à conquérir les masses, ses premières œuvres chrétiennes présentent les mêmes déficiences qui, vingt ans plus tard, affligeaient le jeune Augustin à la lecture de ses traductions philosophiques : Non habent illæ pagina ? vullum pietalis hujus, lacrymas confessionis, cor contritum… Confess., t. VII, c. xxi, n. 27 ; sous ce rapport, ses trois Hymnes à la Trinité semblent un repentir du dialecticien assagi.

Mais, et pour la même raison, Victorin s’est gardé des curiosités théoriques d’Origène : sur l’origine des âmes et sur la fin des choses, sur tous ces confins de la foi où l’Alexandrin avait imaginé des drames aux cent actes divers : chute des âmes dans l’animalité, chute des Anges dans l’humanité, spiritualisation finale de l’univers, De princ, t. I, c. vii, n. 5 ; t. III, c. i, n. 20 ; t. II, c. i, n. 1 ; c. ii, n. 3, le docteur africain se borne à mentionner à son habitude les solutions néo-platoniciennes et il les harmonise de son mieux avec saint Paul. Pareillement, son homoousiauisme intransigeant l’a bien défendu, au sujet de la divinité du Verbe comme des mérites de Jésus, de telles assertions d’Origène, De princ., t. I, c. i, n. 8 ; t. II, c. vi, n. 3-5 et c. ix, n. 1, 6-9, où plus tard ariens et nestoriens voulurent trouver leur bien. En somme, rien ne prouve que Victorin ait connu le plus grand docteur catholique du siècle précédent, cf. de Leusse, art. cit., p. 228-320 ; les points de contact apparent ne sont dus qu’à leur commune utilisation de Platon, dette ignorance n’est pas pour nous surprendre, de la part du rhéteur converti qui s’est enfermé avec sa Bible comme livre de chevet, et rien n’illustre mieux au contraire la position de principe de notre auteur à l’égard de ses sources doctrinales : indifférence voulue pour toute tradition, aliter in.sinuala, aliter intellecta, non err/u adjungenda, col. 1235 C, aussi bien quand il s’agit des traditions de son Église qu’en matière d’école philosophique : Jésus-Christ et Platon, voilà les deux maîtres de sa pensée ; Plotin et saint Paul, voilà les seuls interprètes autorisés à se faire entendre.

I. ÉDITIONS.

1° Œuvres païennes. — Ars grammatica, dans Keil, Gramm. lat., p. 1-184 ; De deftnilionibus, par Stangl, Mario-Victoriniana, Munich, 1888, p. 17-18 ; Explanationes, dans Halm, Hhetores latini minores, Leipzig, 1863, p. 155-304 ; traduction de Vlsagoyè dans Boèce, P. L., t. lxiv, p. 9-70. Abondante bibliographie et analyse des "livres dans P. Monceaux, Histoire litt. de l’Afrique chrétienne, t. iii, p. 382-395.

2° Œuvres chrétiennes. — De generalione Verbi divini, édité par Ziegler, Raie, 1518, par Herold, llwresiologus, 1556, réédité avec soin par Mabillon, Analecla, t. iv, p. 155 ; Adoersus Arium libri IV et De homoousio recipiendo, édité par Herold, op. cit., 1556, niais sans soin et avec des divisions arbitraires ; In Epistolas b. Pauli, édition de Mai’, Nova’collect. script, neter., t. ni b, p. 1 sq. ; Liber ad JustilUUIl Manicheeum et Dr Verbis Scriplnra ; par Sirmond, Opéra noria, t. I, Paris, 16311. Cet ensemble a été reproduit, avec un supplément de fautes, par Migne, P. L., t. viii, auquel nous avons du. prendre nos références. Une édition critique « 1 1 1 De generalione Verbi, de la lettre d’Arins traduite par Candidus, el des quinze premiers chapitres du I. I de VAdv. Arium a été donnée par.1. Wohrer, dans Jahresbericht des Prlvat-Unterggmn. der Zislerzienær in Wtlhering, 1905-1911. Mais une nouvelle édition s’impose ; elle demandera a son auteur beaucoup de courage et une connaissance approfondie u-Plotin. Elle sera entreprise prochainement, avec Introductions, notes et traduction française, dans la collection Sources chrétiennes. Signalons une traduction française d’extraits caractéristiques

dans Ceillier, Histoire ilis au t. ecclés., I. vi, p. 26-39 ; et du Liber de generalione Verbi, par Et. Gilson, l.a philosophie du Mogen Age.

Parmi les poèmes, Pelper a donné une édition critique du De Machabmts dans le’.orpos de Vienne, t. xxiii ; les .m i r< s poésies qu’on a attribuées 6 Victorin, furent éditées pai Hisin, Sanctm Reltqutee duorum Victor lanonun, 1652, et rééditées par Migne, P. L„ t. M, col. 1113-1Il t.

MCI. DE I III.M.. ( A I MM..

II. Études.

F. Benz, Marins Victorinus, Stuttgart, 1932 ; B. Citterio, article dans la Scuola caltolica, octobre 1937 ; Gore, Victorinus Afer, dans Diction, of christ. Riography, Londres, 1887, p. 1129-1138 ; G. Geiger, C. Marins Viktorinus Afer, ein neuplatonischer Philosoph, Metten, 1888-1889 ; G. Koffniane, De M. Victorino philosopho christiano, Bratislava, 1880 ; Labriolle, Littér. latine chrétienne, p. 304, surt. 346 sq. ; P. Monceaux, , Hist. littér. de l’Afrique chrétienne, t. iii, 1909, p. 377-422, et dans Mélanges L. Havet, 1909, p. 289-310 ; U. Schmid, M. Victorinus und seine Reziehungen zu Augustin, Kiel, 1905 ; A. Souter, The earliest commentaries on the Ep. of S. Paul, Oxford, 1927 ; Tillemont, Mémoires…, t. x, p. 401-406 ; Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 266-278 ; Patrologie, p. 306 ; H. de Leusse, Le problème de la préexistence des âmes dans V., dans Recherches de science religieuse, avril 1939, p. 197-239. Abondante bibliographie dans Bardenhewer, Altkirchliche Literatur, t. iii, p. 460-468, dans Monceaux, op. cit., et dans Harnack, Zeitschr. fur Theol., 1891, p. 159.

Sur le néoplatonisme de Victorin, voir P. Alfaric, L’évolution intellectuelle de saint Augustin, p. 375 sq. ; C. Elser, Neoplatonism in relation to Christianity, Cambridge ; Grandgeorge, Saint Augustin et le Néoplatonisme, p. 36 sq. ; P. Henry, Plotin et l’Occident, c. n-iv ; Guitton, Le temps et l’éternité chez Plotin et saint Augustin, p. xix, 245, 259, 273 ; E. Bréhier, traduction des Ennéades, édit. les Belles-Lettres ; La philosophie de Plotin, Paris, Boiviri, p. 50 sq. ; Ch. Boyer, Christianisme et néoplatonisme dans la formation de S. À ugustin, p. 81-83 ; R. Arnou, Le désir de Dieu, p. 138, n. 1 ; La séparation par simple altérité dans la « trinité » plotinienne, dans Gregorianum, 1930, fasc. 2, p. 181 sq. ; Theiler, Porphyros und Augustin, Halle, 1933, p. 3 ; P. Courcelle, Les lettres grecques en Occident, de Macrobe à Cassiodore, 1943.

P. SÉJOURNÉ.