Dictionnaire de théologie catholique/VICTORINUS AFER. VII. Le mystère du Christ
VII. Le mystère du Christ. —
C’est de tous les enseignements de Victorin l’un des plus décevants. Accusons-en l’état rudimentaire de la doctrine christologique au milieu du ive siècle ; peut-être aussi une catéchèse particulièrement nuageuse : Quomodo istud audivi et dico, col. 1081, et qui autorisait d’avance toutes les spéculations du converti. On notera toutefois que, grâce aux rites traditionnels de la catéchèse, l’essentiel est tout de même sauvegardé des mystères de l’incarnation et de la rédemption.
1° Les hérésies. —
Il note deux erreurs opposées : l’une, celle des patripassiens, qui confond le Père et le Fils, alors que « nous enseignons un Père et un Fils, ce dernier seul passible - par son incarnation dans la matière ; et celle de Marcel d’Ancyre et de Photin, qui relègue le Christ hors de la Trinité, quartum mitem Filium, en disant que le Verbe est une réalité, el l’homme une autre, en quoi réside le Christ : le Verbe le régit comme un serviteur et lui aurait préparé le siège (de Fils)… Adv. Arium, t. I, c. xlv, col. l()7. r > B. Sur les patripassiens, cf. col. 1074 ; sur Photin, col. 1055 1 ! -1 ().">() A. Les symmachiens disent que i Jésus est Adam, et l’âme universelle, et autres blasphèmes de ce genre », col. 1155 B ; l’ancien docétisme y voyait « un fantôme en figure d’homme i, Ad Phil., il", 7. col. 1208 C.
2° L’élément divin.
C’est le Verbe, le Fils, et aussi le Christ éternel. Il s’est trouvé « un hérétique pour dire que Paul n’appelle presque jamais le Christ, Dieu. (.’est pourtant ce que nous avons prouvé en de nom breux passages ». Ad (ial., i, 2, col. L148 A. Voir les exégèses curieuses de (ial., II, 10, col. 1019 C ; de Phil., iv, 20, col. 1231. Aussi faut-il bien comprendre cpie le Christ, avant de s’incarner, existait », col. 1046 A. i qu’il était l’Esprit de Dieu et Dieu lui-même i, col. 1050 I). Quand existait-il ? Avant devenir en son corps. Quel était il ? Le Verbe de Dieu. Col. 1055 C.
De même, le Fils est bien le nom au-dessus de loul nom cpie le Christ a reçu du Père à son retour au ciel ; mais, s’il a alors reçu ce nom. il avait auparavant la vertu, la réalité, il était le /VoYOÇ. Qui pourrait dire qu’il n’était pas des lors appelé- I ils’… I’enseignement 940
catholique dit qu’il y eut toujours et le Père et le Fils », Ad Phil., ii, 9, col. 1210-1211. « Le Fils était avant de naître de Marie », col. 1088 D ; « dès le commencement était le Verbe, donc le Fils, qui plus tard sera Jésus en s’incarnant, à cause du mystère (de salut) qu’il accomplit par ordre du Père », col. 1089 A. « Le Fils qui nous a racheté par son sang, c’est le Fils de Marie, mais aussi le Fils unique de Dieu ». Col. 1067 D.
Ainsi, le Christ était, il a commencé pourtant ; cela est vrai, mais pas au sens de Marcel et de Photin ; qui disent qu’il a commencé en Marie, et que ce n’est pas le Verbe qui a revêtu la chair, mais le Christ. Non, le Christ est le F’ils de Dieu et filius natus. Il a commencé aliquo modo fuisse comme toutes réalités divines et issues de la divinité sont éternellement puissance, dont le processus est acte, et manifestation de mouvement et naissance. Mais qui en Dieu peut naître, quid Dei nascitur ? Pas le Père qui est inengendré… Adv. Arium, t. II, c. ii, col. 1089 D. Victorin ne veut qu’une génération du Christ, la génération éternelle.
C’est le Verbe, qui naît de Dieu, qui naîtra dans l’humanité : « il s’est anéanti en prenant la chair ; mais pourquoi serait-ce là un anéantissement s’il n’était pas le Christ avant l’incarnation ? Le bel anéantissement s’il porte sur un être étranger à la Trinité ! Mais c’est lui-même qu’il a anéanti. L’anéantissement consiste en ce que, lui, le Verbe de l’univers n’était plus universel en devenant le Verbe de la chair ». Col. 1056 B. Il y a là pour le Verbe, « une diminution à naître de Marie ». Col. 1080 B ; cꝟ. 1083 C, 1075 C, 1209 B. Cependant « Celui qui est la Vie, vivant par lui-même, nunquam cœpit, ut nunquam se deseruii mit deserel », t. IV, c. ix, col. 1120 A ; cꝟ. 1208 B.
3° Pourquoi le Verbe ? — Parce qu’il a pris la responsabilité et supporte déjà les résistances de sa création. « Le Verbe, par qui tout a été fait, et omnia efjectus, s’est fait chair pour racheter l’homme tout entier, qui est dans la chair. » L. I, c. xlv, col. 1075 C. Il s’était déjà penché sur le monde, « lui, impassible, en créant toutes choses, et surtout en souffrant de son action dans la matière, impassibiliter patiens ». Loc. cit., col. 1077 A. Comment patiens ? « Dans la création, patitur si quid putitur, au contact des substances ; mais c’est dans l’incarnation, au bout de sa procession, qu’il a souffert véritablement », col. 1056 C. sans toutefois que ses souffrances atteignent sa divinité, loc. cit., et col. 1074 D. En sens contraire, cf. col. 1075 A, 104*i A.
Mais le Verbe, dans la théorie trinitaire de Victorin, n’est-il pas à la fois le Fils et l’Esprit ? Et, n’avait-on pas enseigné à notre philosophe que « le Christ de Nazareth, incarné en Marie, était le Fils de Dieu devenu l’Esprit incarné » ? Adv. Arium, t. I, c. lui, col. 1081 D. Aussi encombre-t-il sa théorie christologique d’assertions comme celles-ci : « Le Christ est tout : la chair, le Saint-Esprit, la Vertu du Très-Haut, le Verbe ; car ce qu’il fallait sauver c’était la vie totale, y compris la chair, par la lumière éternelle ! » Loc. cit., col. 1083 C. L’explication qui suit est d’une grande élévation de pensée : qu’on la lise dans la traduction qui doit paraître ; elle a des accents qui rejoignent notre vue actuelle de l’univers racheté. « Par l’Esprit-Saint, le Christ a été conçu dans la chair, sanctifié dans le baptême ; le même Esprit est dans le Christ incarné, il est donné aux Apôtres… ; idem ipse et Christus et Spiritus sanctus. » Col. 1113 D ; voir encore, col. 1047 À et 1048 A.
4° La nature humaine.
Fïdèle à sa philosophie,
Victorin se préoccupe peu d’unifier les divers éléments de l’homme en Jésus par un lien naturel ; mais il les réunit tout de même au complet et dans leur réalité,
les mettant sous l’empire du Verbe et de l’Esprit. « Avec le secours du Verbe de l’âme et du Verbe de la chair, c’est-à-dire du Verbe universel, c’est toute la matière inférieure et toute la corruption, les âmes et les chairs qui ont été prises par… le Verbe et l’Esprit : ce sont eux qui ont collaboré à féconder Marie, à construire une chair avec la chair… « Ado. Arium, t. I, c. lviii, col. 1084 CD ; cf. col. 1080 A, et 1088 C : ipse sibimet filius erat ! « Il a donc accepté d’être dans la chair et de partager le sort commun de la vie humaine, et d’être élevé en croix », col. 1059 C ; car il a pris toute chair et il est manifeste qu’il eut aussi une âme, Matth., xxvii, 33, Ps., xv, 40 et une âme complète, avec ses colères, Matth., x, 15 ; xi, 23 ; ses désirs, Matth., xxvi, 39, et ses hésitations. Matth., xxvi, 39. Ce qu’il a pris, c’est l’homme tout entier : il l’a pris et l’a libéré. Toute la chair, toute l’âme, tout cela au complet, a été élevé en croix et purifié par le Verbe, Sauveur universel de toutes choses. » L. III, c. iii, col. 1100 D ; cf. col. 1046 A. Cette âme était au pouvoir de l’Esprit, « pour la prendre, la quitter et la reprendre en sa résurrection. Lorsque l’Esprit prend âme, il descend au-dessous de lui-même et n’ajoute rien à sa vie, mais il complète le monde où il vient ». Col. 1108 AC. Sur la descente aux enfers, non utique sine anima, cf. col. 1108 C ; sur la vie spiritualisée, mais en corps et en âme du Christ ressuscité, loc. cit. et col. 1110 BC.
Si la création fut « la première descente » du Verbe, l’incarnation a été la « seconde, par laquelle il apparut dans la matière, la chair et les ténèbres ». Col. 1060 A. Cette « apparition dans la chair était une manifestation sensible de sa présence intellectuelle éternelle ». Col. 1059 D. Prsesentia signifie la vie du Christ sur la terre. Col. 1048 A, 1051 C. Le Christ peut vouloir autre chose que le Père. Col. 11Il A. « Il n’a donc pas pris la forme de l’homme sans en prendre la substance ; il a revêtu la chair ; que dis-je, il a été dans la chair et il y a souffert ! » Col. 1056 A.
5° L’union hy postât ique ? — Elle est très intime, et il n’est pas suffisant de dire avec Marcel et Photin que « le Verbe demeure à part, prend comme en surcroît une nature humaine et lui inspire d’une certaine façon son esprit pour agir. Il n’a pas pris l’humanité, il s’est fait chair », col. 1056 A, et, après l’union, « non aliud Verbum, aliud homo, in quo Christum dicunt esse : c’est le Verbe même qui s’est incarné, et l’homme lui-même est le Verbe ». Col. 1075 B. Mais cette union va bien loin, jusqu’à l’unité de nature, comme en Dieu : « Tout ce qu’est le Christ : la Vie éternelle, l’Esprit, l’âme, la chair, de tout cela il est le Verbe, tout est vie et esprit, tout est 6±ooûciiov ». L. IV, c. vii, col. 1118 A. Et les explications sont d’un pur monophysite : « La forma servi est donc consubstantielle à la forme (forma Dei) principale et première en puissance ; elle est substanlia avec la substance qu’elle informe. » Loc. cit., col. 1056 B. Qu’on se rappelle que « la substance c’est le sujet avec tout ce qui lui survient et qui a en lui une existence distincte ». Col. 1063 A. Aussi saint Paul use-t-il d’une expression de juste milieu : « habitu invenlus lanquam homo, non pas qu’il mette -en doute son humanité, quasi non homo fuerit, sed phantasma hominis, mais parce que véritablement non homo fuit, sed Deus : seulement, il avait pris chair et figure humaines ». Ad Phil., ii, 7, col. 1208 D. « C’est bien l’homme même qui a été assumé, mais c’est le Verbe même qui, dans l’incarnation, a été informé en ressemblance d’homme. » Loc. cit., col. 1208 C. Voilà pourquoi « le Fils de Dieu est dit passible et impassible ». Col. 1056 C. » Non pas que le Verbe ait disparu et se soit changé en la chair, mais, lui qui était déjà tout le créé, est devenu aussi chair ! » col. 1075 C, et « cette ressemblance aux
autres hommes rentre désormais dans la notion du Consubstantiel ». Col. 1076 B.
La communication des idiomes présente des inconvénients, car ce sont les hérétiques qui « disent que le Christ a été homme, il faut dire qu’il a été dans l’humanité », col. 1224 D, parce qu’il « n’est pas homo ab homine, Christus neque peccator, neque homo ». Col. 1043 CD. « Ainsi donc le Christ n’est pas solum homo, sed Deus in homine. Ce n’est pas lui qui a souffert, mais son humanité. » Col. 1048 I). « L’expression : Filins Dei redemit nos montre bien que c’est tout à fait le même, que ce qui est né de Marie n’est pas une créature, parce que le Fils de Dieu est lui-même dans le Fils né de Marie. » Adv. Arium, t. I, c. xxxv, col. 1068 A. Ainsi le monophysisme de notre auteur s’accommode d’un certain adoptianisme qu’il faut comprendre : « Car nous sommes fils par adoption, lui par nature, encore que le Christ aussi soit fils par une certaine adoption, mais selon la chair. Je t’ai engendré aujourd’hui, Ps., ii, 7 ; ce mot ne s’adresse qu’à l’homme qu’il a pour Fils », Adv. Arium, t. I, c. x, col. 1045 C. C’est que « l’adoption se fait par voie d’établissement, positione ». De gêner., c. xxx, col. 1035 C.
6o Rédemption. —
L’affirmation ici n’a pas autant de netteté que de vigueur. Il y a des notes traditionnelles : « Il a acheté tout l’homme par sa passion et sa mort dans les douleurs de son corps », col. 1075 C ; « il a la volonté, et tout ce qu’il fait, il le fait par la volonté du Père », col. 1076 B ; cꝟ. 1209 B ; mais ces mérites et ces souffrances n’opèrent la rémission des péchés que parce que la victime est le Fils unique. Col. 1067. « Quel est donc l’amour de Dieu pour nous, qu’il a anéanti son Fils, pour qu’il nous rachetât par sa passion… qui est la mort de nos péchés… contre l’adversaire qui nous revendiquait. » Col. 1254 D-1255.
Le Christ s’est exposé à ma place, et m’a libéré des péchés per peccala in se punila ». Col. 1166 B. « Par le mystère de la croix, toutes les puissances ennemies du Christ ont été par lui vaincues… Par sa passion, il a été fidèle aux ordres du Père, et il les a observés, malgré qu’il en eût ». Col. 11Il A. On aura reconnu les théories du mérite, de la satisfaction pénale, des droits du démon.
Mais, bousculant ces aperçus fugitifs, Victorin développe la théorie mystique, chère aux Grecs, de la compréhension de tous les hommes par le Christ : « Quand il a pris la chair, il a pris toute la raison de chair, universalem X6yov carnis snmpsit ; et, à cause de cela, c’est la puissance de toute l’humanité qui a triomphé dans la chair, et il a sauvé toute chair : Omnis caro ad me veniet. Ps.. lxiv. 3 ; Is., xi., 5 : Luc, m, 0. et toute âme, Y ; /… xviii, 4. Assumptus ergo homo lotus et liberatus, non seulement un homme complet. mais l’humanité entière : en lui tout est universel, i Adv. Arium, I. III. c m. col. IfOO I). Cette vue bien platonicienne tient lieu de la substitution, » car, en suspendant la chair à la croix, c’est tout le monde qui a été crucifié per illum : voilà donc en cette chair toute la puissance du monde vaincue. Mais et c’est une manière « le satisfaction vicaire « puisque le Christ a eu un corps universel, Calholicum corpus ud omnem hominem, il a universalisé tout ce qu’il a fait ; et moi. charnel d’origine et de sentiments, j’ai été le monde livré au châtiment. Ad Gal., vi. i i, col. 1 196 D. La suite du raisonnement amène Victorin a conclure en principe au salut de tous les baptisés, précisément parce qu’il n’y a dans le Christ nullu rm. nullci discretio, lui. ni., col. 1197 A. Cf. S. Augustin. Enchiridiotl, c. lxvii et CXII. Sur les fruits de la rédemption et la part de la miséricorde, col. 1213 C, 12 17 A. 1255 I !. 1204 B.
7o Le corps mystique.
Autant de conceptions diverses de ce corps du Christ qu’il y a de « descentes » du Verbe dans le monde. À la première descente, celle de la création : « Caput Christi, ex quo omne corpus. Col., ii, 19 : c’est le corps de tout l’univers, corps organisé, hiérarchique, quod ex Jesu omnia, el ideo ex Deo omnia. Mais ce corps insubstantié à Dieu et à son Image, ne leur est pas consubstantiel… » Adv. Arium, t. I, c. xxv-xxvi, col. 1059. Ce n’est pourtant là que le début de « la procession du Christ, premier universel, par qui tout émane et tout revient à Dieu », et ce n’est pas le vrai corps du Christ. Col. 1252 A.
Celui-ci, c’est l’Église, et il relève du « mouvement de l’incarnation : l’Église, ce sont tous les membres du Christ sanctifiés par la foi, toute âme qui s’est revêtue de ses mystères et a mis en lui son espérance ». Il y a là « des membres qui ont chacun leur fonction pour la sanctification du mystère et la foi chrétienne, et qui se rendent de mutuels services ». Col. 1277 B. « Mais ce corps du Christ, qui est corporalis substantiel, est aussi une réalité céleste et sa substance unit chez les fidèles l’âme à l’esprit. » Col. 1259 A. En d’autres termes, comme le Christ incarné est esprit, « les âmes devenues spirituelles constituent l’Église totale qui est le corps du Christ. Beaucoup d’auteurs disent que l’Église s’entend de toutes les âmes. Oui, en principe, puisque par Jésus-Christ, elles peuvent se libérer de leur qualité d’âme (purement humaine), connaître Dieu et vivre spirituellement. Ainsi, l’Église c’est bien toute âme, mais en tant qu’elle peut être sauvée : elle aura désormais sa substance, substantiam de œlernis per quam vigent omnia… ». Col. 1252 B. Mais, en fait, cette Église spirituelle, qui « rend concorporales, c’est-à-dire quasi cjusdem corporis avec le Christ, ce sont toutes les âmes saintes et libérées, unies au Christ par l’Esprit ». Col. 1264 A. En fait aussi, « tous les hommes ne sont pas du Christ ». Col. 1049 A. Une part de l’Église n’est pas encore céleste. Col. 1170 C.
L’union avec le Christ, « il ne faut pas l’entendre matériellement, comme si nous avions une part de la chair qu’il a prise dans sa vie terrestre : mais nous avons reçu toute sa divinité, qui est chose spirituelle, mens, spiritus, et aussi anima : tout cela nous l’avons, nous sommes dans la substance de l’Esprit : par la vertu divine, tout notre être est esprit dans le ciel ». Col. 1288 Cl). « Le Christ dans ce corps est l’esprit, et l’Église en est l’âme, le principe vital. Le Christ a dans ses membres l’Église, et l’Église a pour tête le Christ, les deux sont dans la même chair. » Col. 1289 B ; cf. col. 1259 AB. Sur la prédestination gratuite à la gloire, cf. col. 1238 C. 1239 B, 1241 D, 1215 C.