Dictionnaire de théologie catholique/VICTOR CLAUDIUS MARIUS

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 674-675).

VICTOR CLAUDIUS MARIUS, rhéteur et poète gaulois du ve siècle. — Nous possédons, sous le nom de Claudius Marius Victor, orator Massiliensis, un poème en trois livres, qui est une paraphrase de la Genèse, depuis la création du monde jusqu’à la ruine de Sodome et de Gomorrhe, Gen., xix, 28. On identifie généralement l’auteur de ce poème au personnage dont parle une notice de Gennade, De vir. illustr., 60 : Viclorinus, rhetor Massiliensis, ad filii sui Aetherii personam commentalus est in Gcnesim, id est a principio libri usque ad obitum pairiarchse Abrahæ quatluor versu edidit libros christiano quidem et pio sensu, scd utpote sœculari litleralura occupatus homo et nullius magisterio in divinis Scripturis exercitatus, levioris pondcris sententias figuravil. Moritur Thcodosio et Yalenliniano regnanlibus (424-455). Il est vrai que Gennade donne au poète le nom de Victorinus ou, suivant deux manuscrits du viie siècle, celui de Victorius ; mais, de son côté, le seul manuscrit conservé de l’œuvre hésite entre les formes Victorius et Victor. D’autre part, Sidoine Apollinaire compte au nombre de ses relations un certain Victorius qui est caractérisé de vir ut egregius sic undecumque doclissimus, tum cetera patenter, tum potentissime condidil versus, Epist., v, 21, dans lequel on se plaît également à reconnaître notre auteur. La forme Victor semble mieux attestée et le plus souvent acceptée par les historiens contemporains (Krûger, Bardenhewer, de Labriollc). Il est encore vrai que Gennade parle d’un poème en quatre livres qui s’étend jusqu’à la mort d’Abraham, Gen., xxv, 8, tandis que le poème conservé ne contient, nous l’avons dit, que trois livres et s’arrête à la destruction des villes maudites. Mais il n’a pas de conclusion et semble incomplet : il est donc fort possible que Gennade ait eu entre les mains un exemplaire qui comprenait encore l<- quatrième livre et poursuivait le récit jusqu’au terme indiqué. On peut même croire quc Marins Victor avait conçu le dessein ambitieux de mettre toute la Genèse en vers et que seule la grandeur de la tâche l’arrêta en chemin ; cf. Præcat., 106-112. Enfin, il est Mai que notre poème ne dit rien du jeune Aetherius qui, selon Gennade, avait été le destinataire de l’œuvre du rhéteur marseillais ; mais Victor s’adresse à des jeunes gens qu’il prétend former a la vertu : Corda paramus ad verum virtutis iier puerllibus annis (Præcat., 104), et ce sont sans doute des préoccupations d’ordre moral et pédagogique qui ont amené l’auteur a passer sous silence certains épisodes scabreux de la Genèse, comme celui des

filles de l.oth, ou à dissimuler de son mieux les mœurs infâmes des villes vouées a la malédiction divine.

Il n’est d’ailleurs pat interdit de croire que le nom

d’Aetherius figurait soit dans le titre même de l’ouvrage, soit dans une préface en prose qui aurait disparu. Aucune raison décisive ne s’oppose donc à ce que nous appliquions à l’auteur du poème conservé la notice de Gennade, mais il faut bien avouer que, même ainsi, nous ne pouvons pas affirmer grand’chose sur la carrière de l’auteur. Un nom, Claudius Marius Victor ; une patrie, Marseille ; une profession, rhéteur ; une date, le règne de Théodose et de Valentinien ; voilà tout, avec quelques remarques plutôt désobligeantes de Gennade qui supporte mal l’audace d’un laïc, assez imprudent pour porter la main sur un livre inspiré et pour le traduire en vers, non sans ajouter ou retrancher au texte sacré.

Tel quel, le poème de Claudius Marius Victor est intitulé Alelhia, c’est-à-dire la vérité ; ce titre grec n’est pas fait pour étonner, après les exemples donnés par Prudence. Il s’ouvre par une prière de 126 vers. Le 1. I (547 hexamètres) donne les trois premiers chapitres de la Genèse, depuis la création jusqu’à l’expulsion d’Adam du paradis terrestre. Le 1. II (558 vers) interprète les quatre chapitres suivants et va jusqu’à la fin du déluge ; le 1. III s’arrête à la destruction de Sodome (787 vers) et embrasse Gen. vin, 20-xix, 29. La vérité que l’auteur a le dessein d’exposer est l’ensemble des révélations primitives, confiées, dès l’origine, à nos premiers parents, transmises à Noé et à ses enfants au moment du déluge, conservées enfin par Abraham et par le peuple juif.

Victor ne se croit pas obligé de suivre d’une manière servile le texte scripturaire, Alelh., i, 144-146. Il explique qu’il s’est permis d’intervertir à son gré l’ordre des faits et d’abréger ou d’amplifier certaines parties. Du moins afïirme-t-il que jamais la foi n’a subi aucune atteinte de pareilles libertés, Præcat., 119-121, et Gennade, lui-même, en dépit de sa mauvaise humeur, est obligé de rendre hommage au sens vraiment chrétien et pieux dont il fait preuve. On l’a accusé pourtant de semi-pélagianisme, et il ne serait pas étonnant, en effet, de rencontrer des manifestations de cet état d’esprit dans une œuvre écrite à Marseille, au moment précis où les discussions sur la grâce préoccupaient tous les esprits. Il insiste énormément sur le rôle de la liberté humaine et sur sa haute valeur morale : nom quis jructus inest genitis nisi libéra mens est ? Libéra mens prursus nulli est, nisi /as pereundi est. Præcat.. 69. Il affirme que la liberté comporte essentiellement le pouvoir de faire le mal. Il déclare que notre grandeur vient de la possession du libre arbitre : nostra 1 taudis opus fieri, quod sponte benigha largitur famulis, nostri cupit esse labaris et se quod donat mavult debere videri. Alelh., i, 328-331. Il proclame qu’il est plus glorieux et plus grand de vaincre la mort que de l’avoir ignorée : plus est vincere mortem quam nescisse mori. l’ræcat., 95-96. Pourtant, il n’est pas sur qu’il faille Interpréter d’une manière trop rigoureuse de telles formules. Un poète n’est pas un théologien et il n’a pas pour mission d’enseigner les formules rigoureuses et précises qui traduisent l’enseignement divin. Si Victor se réjouit quelque part d’avoir » sans fraude, et comme la pure foi nous en a instruits, déroulé les mystérieuses annales et chanté les origines du monde. Alelh., il. 1-2 i, il faut croire qu’il n’a jamais eu conscience de s’écarter des doctrines traditionnelles.

Le théologien pourra encore relever dans V Alelhia la réfutation de l’atomisme et de l’éternité de la matière : Ce n’est pas un hasard inintelligent, comme on l’a prétendu dans un accès de fureur sacrilège, qui,

par le mouvement d’aveugles atomes a ((imposé une œuvre si parfaite, il n’est pas permis davantage de

dire qu’elle a été produite avanl le temps, car c’est

dans le temps que se mement toutes les choses qui

ont reçu l’existence, et alors le temps n’existait pas… Composé de corps, le monde, il faut l’avouer, a commencé d’être. Car les substances corporelles que les blessures détruisent, que le temps dissout et consume, prouvent par la fin même à laquelle elles tendent, qu’elles ont vraiment commencé, qu’elles ont été faites et qu’elles sont nées. » Aleth., i, 22-32. Il notera aussi la condamnation de l’astrologie qui devait trouver de nombreux adeptes dans la Gaule du ve siècle : « Tandis que, dénombrant les courses des astres et leurs divers retours, l’homme se plonge dans l’étude des merveilleux changements du ciel, il s’assure un crédit équivoque en montrant que, suivant les conjonctions diverses, naissent les inclinations et les criminelles fatalités ; il accuse les étoiles ; il charge de griefs le ciel sacré, les astres, ornements du monde et laisse croire que tout ce qui arrive devait se faire. De là cet art qui interroge les fibres palpitantes, les ailes brillantes et dans les nuées entr’ouvertes la foudre pleine de présages. » Aleth., iii, 139-148.

Du point de vue littéraire, V Alethia offre sans doute plus d’intérêt ; son auteur est un homme cultivé, qui a lu les meilleurs poètes et qui n’oublie pas de s’en inspirer à l’occasion. On retrouve chez lui des emprunts évidents à Virgile, Ovide, Lucrèce, Horace, Claudien. Parmi ses prédécesseurs chrétiens, Juvencus, Prudence, Paulin de Noie ont exercé sur lui une réelle influence. Pour décrire la création du monde, il s’inspire de VHexaméron de saint Ambroise, à travers lequel il atteint saint Basile de Césarée. Mais, comme il ne manque pas de talent, il sait combiner ses emprunts et ses réminiscences dans l’unité d’une œuvre vraiment nouvelle qui, par instant, semble presque s’élever à la véritable poésie. Particulièrement curieuse est la longue digression qui occupe les vers 6-202 du chant n et qui raconte la vie de nos premiers parents après leur expulsion du paradis terrestre. On les voit errer dans la grande forêt primitive où ils rencontrent le serpent. Ils lancent des pierres à la bête qui a causé leur perte ; de ces pierres jaillissent des étincelles ; la forêt s’enflamme ; le sol, fertilisé par les cendres, est prêt à recevoir les premières semences, à faire lever les premières moissons. Ce développement brillant révèle à la fois les qualités et les défauts de l’auteur, son amour de la rhétorique, son impuissance à respecter les proportions de l’ensemble, mais aussi sa facilité, son sens de la prosodie, son habileté technique. En un temps où la décadence est déjà sensible, Marius Victor tient une place honorable parmi les lettrés.

La première édition de V Alethia est due à Jean de Gagny (Gangneius), Lyon, en 1536. Gagny raconte lui-même dans sa préface comment il avait trouvé un manuscrit qui contenait le poème de Marius Victor, et comment ce manuscrit était, en bien des endroits, absolument illisible. Gagny n’en eut pas moins le courage d’en éditer le contenu, non sans avoir comblé les lacunes par un remplissage de sa composition. C’est pourtant cette édition qui est reproduite dans P. L., t. lxi, col. 937-970.

Le manuscrit lyonnais employé par Gagny est perdu. En 1560, G. Morel, qui avait découvert à Paris un autre manuscrit de V Alethia, le seul subsistant actuellement : le Parisinus 7558 (ix c siècle), publia, d’après ce manuscrit, une nouvelle édition incomparablement supérieure à celle de Gagny. Plus récemment, c’est d’après ce même manuscrit que C. Schenkl a donné, dans le Corpus de Vienne, t. xvi, 1888, p. 335-498, une édition critique du poème de Claudius Marins Victor. A. Bourgoin, De Claudio Mario Vielore, rhelore ehristiano quinti sa’culi, Paris, 1883 ; S. Gamber, Un rhéteur chrétien au Ve siècle, Claudius Marius Victor, Marseille, 1884 ; le même, Le livre de la Genèse dans la poésie latine au Ie siècle, Paris, 1899, p. 8 sq. ; H. Maurer, De exemplis quæ Claudius Marins

Victor in Alethia seculus sil, Marbourg, 1896 ; O. Ferrari, l’n poeta rristiuno del 5 secolo, Claudio Mario Vittore, Pavie, 1912 ; le même, Jnlorno aile fonti del poema di Claudio Mario Vittore, dans Didaskaleion, t. l, 1912, p. 57-7 l.

G. Bardy.