Dictionnaire de théologie catholique/VOCATION, I. Notions, II. Données scripturaires

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 809-813).

VOCATION. —
I. Notions préliminaires sur l’idée de vocation. —
II. Données scripturaires sur la vocation sacerdotale et sur la vocation religieuse (col. 3149). —
III. Témoignages de la Tradition ecclésiastique et travail de la réflexion théologique (col. 315(5). —
IV. Précisions récentes et directions du magistère (col. 3171). —
V. Culture des vocations (col. 3174).

I. Notions préliminaires sur l’idée de vocation.

Le concept de vocation dans l’ordre naturel.

La psychologie profane n’ignore pas tout à fait l’idée de vocation : elle appelle ainsi l’inclination innée que l’on se sent pour un métier, une carrière, un état ; on dit couramment : « il faut suivre sa vocation ; plus d’un artiste s’est vu contrarié dans sa vocation. » Si l’instinct populaire a donné à cette inclination naturelle le nom de vocation, qui signifie appel, c’est apparemment parce que l’homme se sent comme appelé, au fond de lui-même, par l’état ou la profession qui répond le mieux à ses aptitudes. Il y a là sans doute une loi profonde de la Providence. Le Créateur, qui a fait son œuvre par amour, a voulu que l’homme pût faire la sienne par un amour semblable ; et, à cet effet, il a mis dans l’ouvrier une inclination naturelle pour l’art auquel semblent l’avoir préparé ses talents. Cette inclination n’est donc pas indigne du nom de vocation : elle est comme l’écho lointain de la Providence divine appelant chaque homme à la place qu’elle lui a préparée dans ce inonde.

Le concept de vocation dans l’ordre surnaturel.

Mais ce monde n’est que l’ombre de l’ordre surnaturel, qui est notre participation à la vie intime de Dieu. Et c’est dans l’ordre surnaturel que le concept de vocation réalise tout son sens d’appel de Dieu à l’homme. Sous son aspect le plus général, la vocation surnaturelle est l’appel mystérieux par lequel Dieu attire l’homme à lui comme à sa fin dernière.

Cet appel se spécifie diversement. C’est ainsi qu’on distingue : du point de vue historique : la vocation d’Abraham, ou l’acte par lequel Dieu appela ce patriarche à devenir l’ancêtre du peuple juif et le « père des croyants » ; la vocation des Gentils, ou l’acte par lequel Dieu appelle les païens à la connaissance de l’Évangile ; — du point de vue théologique : la vocation à la foi et à la grâce, ou l’acte par lequel la divine Providence prépare aux hommes les moyens nécessaires pour leur salut ; la vocation à la gloire, ou l’acte par lequel Dieu appelle les élus à la béatitude éternelle ; — du point de vue du Corps mystique : la vocation sacerdotale, ou l’acte par lequel Dieu appelle certains hommes à la dignité et aux fonctions du sacerdoce ; la vocation religieuse, ou l’acte par lequel Dieu appelle certaines âmes à la pratique des conseils évangéliques sous une règle approuvée par l’Église.

3° Le rôle de la vocation sacerdotale et de la vocation religieuse dans le Corps mystique.

Plus encore que la société naturelle, l’Église, Cité de Dieu, est une harmonie de fonctions et un échange de services entre les membres qui la composent. Aussi saint Paul la compare-t-il au corps humain et l’appelle-t-il le Corps mystique du Christ. « Comme dans un seul corps, dit-il, il y a plusieurs membres qui n’ont pas les mêmes fonctions, ainsi tous dans le Christ formons-nous un seul et même corps, étant les membres les uns des autres. » Boni., xii, 4-6. « Lui-même (le Christ) a établi les uns, apôtres ; les autres, prophètes ; ceux-ci, évangélistes ; ceux-là, pasteurs et docteurs, pour l’édification du Corps du Christ. » Eph., iv, 11-12. « Nous avons donc des charismes différents suivant la grâce qui nous a été donnée : tantôt la prophétie, pour parler selon la règle de la foi, tantôt le ministère pour servir ; soit la doctrine,

pour enseigner ; soit l’exhortation, pour consoler ; l’un distribue ses biens avec générosité, l’autre préside avec sollicitude, un troisième fait l’aumône de bon cœur. » Rom., xii, 6-8. On voit par ces textes quel rôle jouent dans l’organisme du Corps mystique la vocation sacerdotale et la vocation religieuse. Le sacerdoce, par l’enseignement officiel de la doctrine, l’administration des sacrements et l’exercice de l’autorité, continue le rôle des apôtres. Les ordres religieux, par la pratique intense de la prière et de l’ascèse, par les œuvres d’éducation et de direction spirituelle, par le soulagement des infirmités corporelles et la consolation des détresses morales, continuent, à leur manière, le rôle des charismes infus, comme étaient le don de prophétie, celui de guérir les malades ou celui d’exhorter les âmes.

Nous n’avons à traiter ici que de la vocation sacerdotale et de la vocation religieuse.

II. Données scripturaires sur la vocation

    1. SACERDOTALE ET SUR LA VOCATION RELIGIEUSE##


SACERDOTALE ET SUR LA VOCATION RELIGIEUSE.

La vocation sacerdotale.

Les données scripturaires

sur la vocation sacerdotale peuvent se réduire aux points suivants.

1. Le sacerdoce exige une vocation spéciale de Dieu. — Le sacerdoce n’est pas une simple grâce de sanctification personnelle : c’est un charisme, c’est-à-dire une dignité et une fonction conférée par Dieu à certains hommes pour la sanctification de leurs semblables. « Tout pontife, dit l’épître aux Hébreux — et le mot vaut proportionnellement pour le simple prêtre — étant pris d’entre les hommes, est établi en faveur des hommes dans les choses qui se rapportent à Dieu, afin de lui offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. » Hebr., v, 1. C’est donc une participation à l’œuvre rédemptrice du Christ. Or, le simple titre de chrétien ne donne évidemment pas droit à un pareil honneur. Le chrétien, comme tel, ne peut prétendre qu’aux grâces qui lui sont personnellement nécessaires pour son salut. Pour accéder au sacerdoce, il faut donc y être spécialement appelé de Dieu. « Personne, poursuit le texte de l’épître, ne s’attribue à soi-même cet honneur, s’il n’y est appelé de Dieu comme Aaron. » Hebr., v, 4. De fait, nous voyons le Christ choisir et appeler lui-même ses apôtres. Après une nuit passée en prière, nous dit saint Luc, » il appela ses disciples et il choisit douze d’entre eux auxquels il donna le nom d’apôtres > Luc, vi, 13. Et il leur dira un jour avec une précision péremptoire : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure. » Joa., xv, - 16. Cette vocation est si nécessaire que le Christ lui-même n’en a pas été dispensé : il a dû la recevoir de son Père céleste. « C’est pourquoi, conclut l’épître aux Hébreux, le Christ ne s’est pas arrogé à lui-même la dignité de pontife ; mais il l’a reçue de celui qui lui a dit : « Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui » ; et dans un autre endroit il dit : « Tu es prêtre selon l’ordre de Melchisédech. » Hebr.. v, 5-6. Si une vocation spéciale de Dieu a été nécessaire au pontife humano-divin de la Rédemption, à plus forte raison doit-elle l’être à ceux dont le Christ fait ses instruments sacerdotaux dans l’œuvre rédemptrice.

2. La vocation divine au sacerdoce s’exprime par l’appel de la hiérarchie et l’imposition des mains de Vëvêque. — L’appel de Dieu consiste dans la promo tion au sacerdoi i par l’Église. Saint l’aul nous mon lie en effet, en plusieurs endroits de ses (’pitres, qu’on n’accède a la dignité sacerdotale que choisi ou agréé par la hiérarchie ecclésiastique et consacré par l’imposition ries mains du presbylerium. Il écrit à Timothée : Ne néglige pas la gràrc qui est etl toi. laquelle

t’a été donnée, sur indication prophétique, par l’imposition des mains des presbytres. » I Tim., iv, 14. Et une autre fois : « Je te recommande de ressusciter la grâce de Dieu qui est en toi par l’imposition de mes mains. » II Tim., i, 6. Cette grâce est évidemment celle qui se confère de la même manière aujourd’hui par l’imposition des mains de l’évêque et des prêtres qui l’entourent : la grâce sacramentelle de l’ordination. Et ce qui le confirme, c’est que, après avoir rappelé à Timothée les aptitudes et les vertus qu’il doit exiger des aspirants au sacerdoce, il ajoute : « Ne te hâte pas d’imposer les mains à personne, afin de ne pas participer aux péchés d’autrui. » I Tim., v, 22. Cette authentification par l’Église de l’appel divin au sacerdoce est même si indispensable que, lorsque Dieu désigne lui-même extérieurement les sujets qu’il a choisis et appelés, il ne les en soumet pas moins à l’imposition des mains du presbyterium. Ce fut le cas pour saint Paul et saint Barnabe. Act., xiii, 1-3. L’Esprit-Saint, qui déclarait choisir Barnabe et Saul pour la fonction apostolique, aurait pu leur en conférer par le fait même la dignité et se contenter d’en avertir l’assistance. Mais non. Bien que choisis et désignés par Dieu, ils ne seront prêtres et évêques que par l’imposition des mains, c’est-à-dire par l’investiture de l’Église. Ainsi en décide le Saint-Esprit lui-même.

Cette subordination de l’appel divin au contrôle et à la consécration de l’Église est d’autant plus frappante que nous ne voyons rien de semblable pour les dons charimastiques, alors si fréquents et si sujets à illusion, tels que le don de prophétie et le don des langues. Saint Paul veut que l’usage en soit ordonné à l’édification de l’assistance. I Cor., xiv ; saint Jean recommande « d’éprouver les esprits pour s’assurer qu’ils viennent de Dieu. » I Joa., iv, 1. Mais nulle part la hiérarchie ne s’attribue un rôle quelconque dans la collation de ces charismes. L’appel de l’Église est donc l’expression de l’appel de Dieu.

3. L’appel divin ne doit être adressé par l’Église qu’à des sujets doués des aptitudes convenables et animés de l’intention droite. — Idonéité et intention surnaturelle, telles sont, en effet, les deux conditions que saint Paul prescrit à Timothée, I Tim., m, 1-7, et à Tite, Tit., i, 5-11, d’exiger des candidats au sacerdoce. L’idonéité est la condition préalable. « Il faut que l’évêque soit irréprochable, n’ait pas été marié deux fois ; qu’il soit prudent, digne, hospitalier, capable d’enseigner ; qu’il n’aime ni le vin ni les disputes, mais qu’il soit rempli d’indulgente bonté ; qu’il ne soit ni querelleur, ni avare ; qu’il sache bien gouverner sa maison et se faire religieusement obéir de ses enfants, car celui qui ne sait pas conduire sa maison, comment aurait-il soin de l’Eglise de Dieu ? » I Tim., iii, 1-7 ; cf. Tit., i, 7-9.

Mais cette description de l’idonéité exprime aussi l’obligation de l’intention droite, c’est-à-dire, ici, de l’intention surnaturelle. Dire que l’évêque ne doit être ni superbe, ni cupide, ni ami du plaisir, c’est assez dire qu’il ne faut désirer ou accepter le sacerdoce ni pour les honneurs, ni pour les richesses, ni pour les jouissances. Déclarer que l’évêque doit être, comme l’intendant de Dieu : hospitalier, bienveillant, sobre, juste et saint ; qu’il doit enseigner fidèlement la vraie doctrine, exhorter les âmes au bien et gouverner avec sollicitude l’Eglise de Dieu, c’est déclarer qu’on ne doit vouloir le sacerdoce que pour soulager les membres du Christ, prêcher selon l’Évangile, consoler les fidèles et édifier l’Eglise.

I)i-telles exigences se justifient assez par la sublimité du sacerdoce, qui, nous dit l’épître aux Hébreux, fait du prêtre, comme du Christ, « le médialeur entre les hommes et Dieu, offrant à Dieu dons 3 1 r> i

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et sacrifices pour le péché et compatissant aux ignorances et aux errements des hommes. » Hebr., v, 1-2. Aspirer à de telles fonctions sans les aptitudes indispensables serait témérité criminelle. Y aspirer en vue d’avantages terrestres serait prostituer le divin à l’humain et renverser l’ordre essentiel des choses.

4. Quoique nul n’ait droit au sacerdoce et ne puisse l’exiger de l’Église, cependant il n’est pas défendu de le désirer et de le solliciter pour des motifs surnaturels. — Du rôle imparti par Dieu à l’Église dans l’appel au sacerdoce, il résulte que nul ne saurait se prévaloir de ses aptitudes ou de ses dispositions morales pour s’imposer à la hiérarchie et exiger l’ordination. Quelles que soient, en effet, les qualités du candidat, c’est l’évêque sollicité qui doit en juger en dernier ressort, étant responsable des auxiliaires qu’il se donne. Et les qualités du candidat lui paraîtraient-elles suffisantes, celui-ci n’aurait pas droit pour autant à l’ordination. Car, le sacerdoce ayant pour but primordial le bien de la communauté et non la satisfaction, même spirituelle, du prêtre, il appartient encore à l’évêque de voir s’il trouve opportun d’introduire ce nouveau membre dans son clergé. Juste ou erroné, son jugement fait loi : l’aspirant doit donc s’y soumettre à moins qu’il ne rencontre, dans un autre évêque, un juge plus favorable.

Mais, sans avoir droit au sacerdoce, il n’est défendu ni de le désirer ni de le solliciter, si l’on croit raisonnablement avoir les dispositions requises. La preuve en est dans le mot si catégorique de saint Paul : Oporlet ergo episcopum esse irreprehensibilem. Si quis episcopatum desiderat bonum opus desiderat. I Tim., iii, 1-2. Loin de condamner un pareil désir, l’Apôtre paraît au contraire le louer, se contentant de rappeler à son disciple sous quelles conditions celui-ci pourra lui faire bon accueil. Comme le remarquera d’ailleurs saint Thomas, II » -II æ, q. clxxxv, a. 1, il convient de distinguer dans l’épiscopat l’honneur et l’œuvre. L’honneur sans doute ne doit pas être recherché pour lui-même : ce serait contraire, nous l’avons vii, à la pureté d’intention. Mais rien n’empêche de rechercher l’œuvre, ce qui est zèle des âmes et peut devenir occasion de martyre. Il est donc permis et méritoire d’aspirer au sacerdoce spontanément, pourvu que ce soit pour des motifs surnaturels, et il n’est pas nécessaire d’attendre que les autorités ecclésiastiques prennent l’initiative de vous inviter.

5. La vocation sacerdotale est-elle présentée comme libre ou comme obligatoire pour l’appelé ? — Les textes ne contiennent rien de formel à ce sujet ; mais le ton et les circonstances insinuent suffisamment ce que n’expriment pas les épîtres pastorales.

a) Évidemment l’appel dont furent l’objet Saul et Barnabe, Act., xiii, 2, s’imposait à leur conscience : on ne saurait éluder un ordre aussi impératif sans révolte contre la volonté divine. Mais ce cas est unique dans les données scripturaires, et il n’en peut représenter que d’exceptionnels.

b) Dans la méthode de recrutement sacerdotal que semblent supposer les recommandations de saint Paul à Timothée et à Tite, rien ne donne l’impression d’une vocation impérative, mais bien plutôt d’une vocation par accord libre entre l’appelant et l’appelé : tantôt l’Église accueillant la demande du sujet, tantôt le sujet acceptant la proposition de l’Église. « Si quelqu’un désire l’épiscopat, son désir est d’une œuvre bonne : il faut donc que le (futur) évêque soit irréprochable, etc. », I Tim., iii, 1-2 : vocation demandée par le sujet et accordée par l’Église. « Je t’ai laissé en Crète, afin que tu établisses des prêtres dans les cités : si (donc) tu trouves des sujets irré prochables, etc. », Tit., i, 5 : vocation proposée par l’Église et acceptée par le sujet. Une méthode de vocation par voie d’autorité impérative aurait, semblet-il, dû laisser d’autres traces. D’autant que le grand Apôtre sait très bien prescrire le commandement à son disciple quand il le juge à propos : « Ordonne, écrit-il à Timothée, que les veuves soient irréprochables. » I Tim., v, 7. Dans la généralité des cas, la vocation au sacerdoce semble donc avoir été ou concédée ou proposée par l’Église, non imposée. Même impression pour la vocation des diacres. Act., vi, 1-6.

c) La vocation ne semble pas non plus avoir été impérative dans le cas du jeune homme riche appelé par Notre-Seigneur. Toutefois, il est à remarquer que l’appel au sacerdoce se doublait ici de l’appel aux conseils évangéliques, lesquels, considérés en eux-mêmes, sont facultatifs par nature. » Si tu veux être parfait, donne tes biens aux pauvres, et puis viens : suis-moi. » Matth., xix, 16-21. Simple invite, non pas commandement proprement dit. Par conséquent vocation facultative. Toute invite, en effet, considérée en elle-même, abstraction faite des circonstances, est censée se subordonner d’avance au bon plaisir de l’invité. On peut déduire de là que la vocation au sacerdoce dans le cadre de la vie religieuse n’est pas impérative : cela, au moins à cause des conseils évangéliques, qui ne sont pas nécessaires au salut et qui grèvent le sacerdoce d’un fardeau surérogatoire.

d) Maintenant, de ce que la vocation sacerdotale n’est généralement pas impérative, s’ensuit-il qu’elle ne soit pas davantage obligatoire ? L’affirmer d’une manière absolue serait certainement téméraire. Non impérative, elle n’est pas obligatoire en soi, puisque, en la négligeant, on ne viole pas un précepte. Mais il peut se faire que pour tel sujet, en raison de son tempérament ou des circonstances de sa vie, elle constitue le cadre providentiel et moralement nécessaire du salut. En un tel cas, pour autant qu’on peut le juger tel, la vocation est évidemment obligatoire sous peine de péché grave.

Enfin, lors même que la vocation ne paraît s’imposer d’aucune manière, il n’est cependant pas indifférent de l’accepter ou de la refuser : on ne refuse guère sans détriment pour son âme une telle source de grâces et une telle faveur de Dieu. La preuve en serait, au besoin, dans la tristesse de Jésus en voyant le jeune homme se dérober à son appel. « Comme il est difficile à un riche, dit-il, d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Marc, x, 23.

En résumé, si la vocation, d’après les textes scripturaires, ne paraît généralement pas s’imposer sous peine de péché, au moins de péché grave — il y a même des saints qui l’ont refusée par humilité — par contre, il semble généralement plus parfait de l’accepter comme le moyen le plus efficace de contribuer au salut des âmes et comme un incomparable gage de salut pour soi-même.

6. Y a-t-il, d’après les textes scripturaires, une vocation intérieure de Dieu au sacerdoce ? — a) Explicitement les textes scripturaires ne disent rien de la vocation intérieure. Du côté du sujet, ils ne mentionnent que les aptitudes et l’intention droite, comme du côté de Dieu le seul appel par l’intermédiaire de l’Église dans l’imposition des mains. Cependant la vocation intérieure est nécessairement incluse dans l’intention droite. Qu’est-ce, en effet, que l’intention droite ? C’est le désir surnaturel, ou l’acceptation surnaturelle du sacerdoce. Or il n’y a pas de désir ou d’acceptation d’espèce surnaturelle sans une inspiration de la grâce prévenante. C’est donc Dieu qui fait désirer ou accepter le sacerdoce. Mais faire désirer ou accep3 J r> 3

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ter surnaturellement le sacerdoce n’est-ce pas, de la part de Dieu, inviter, appeler intérieurement au sacerdoce ? Voilà bien la vocation intérieure. Elle n’est que la face divine de l’intention droite, comme celleci est la face humaine de la vocation intérieure.

En d’autres termes, l’intention droite est l’acte de deux activités fusionnées ensemble : l’acte de Dieu inspirant le désir ou l’acceptation, l’acte de l’homme désirant ou acceptant. Que l’intervention, d’ailleurs primordiale, de Dieu mérite ici le nom d’appel, rien de plus exact. Car, si l’appel est une tentative d’attraction sur la volonté libre, quelle attraction plus intime et pourtant plus respectueuse de la liberté que celle qui consiste à inspirer le désir de l’acceptation ? Nous avons donc bien là une vocation intérieure de Dieu.

b) Désir ou acceptation du sacerdoce, la vocation intérieure, quand elle existe, précède nécessairement la vocation extérieure ou ordination et par conséquent se distingue d’elle. La vocation sacerdotale n’est donc pas tout entière dans l’appel de l'Église et l’imposition des mains. En réalité, elle est double et se fait en deux actes : dans le premier Dieu agit par la grâce sur la volonté humaine, dans le second il agit canoniquement par l’appel de l'évêque et l’impression du caractère sacramentel. La vocation extérieure, pour être légitime, doit supposer la vocation intérieure, puisque celle-ci se confond, en sa réalité profonde, avec l’intention droite. Mais la vocation intérieure, pour la même raison, est subordonnée légalement au jugement de l'évêque et n’obtient que de l’ordination son efficacité.

c) Cette identité foncière de la vocation intérieure avec l’intention droite, double aspect de la même entité psychologique, explique que la vocation intérieure ne soit pas nommée dans les textes scripturaires. Pratiquement, en effet, il est assez indifférent que la vocation extérieure soit conditionnée par l’intention droite ou par la vocation intérieure. Ainsi s’explique également qu’au cours du temps, par l'étude approfondie de la grâce, la vocation intérieure ait pris tant d’importance dans la préparation aux ordres sacrés et que le nom en soit devenu classique en théologie.

La vocation religieuse.

1. Notions préalables

sur la vie religieuse. - - La perfection chrétienne est proposée à tous : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Matth., v, 48. Et on peut y parvenir par l’observation parfaite des seuls préceptes : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme et de tout ton esprit, et le prochain comme toi-même. En ces deux commandements consiste toute la Loi et les Prophètes. » Matth., xxii, 37-40. Mais on y parvient plus sûrement par la voie des conseils évangéliques : de là est née la vie religieuse. Celle-ci consiste dans une manière stable de tendre à la perfection chrétienne par les vœux publics de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, dans le cadre ascétique de la vie en commun, selon une règle approuvée par l’Eglise cl sous l’autorité de supérieurs reconnus par elle. Inaugurée dès les premiers jours du christianisme, développée, organisée et codifiée au cours des siècles, la vie religieuse présente aujourd’hui une grande variété « le formes, selon la prédominance qui s’y rencontre de la contemplation et de la pénitence ! de l’apostolat et de la science sacrée, ou des œuvres de miséricorde. Elle offre même au sacerdoce un cadre particulièrement approprié, qui le rapproche de la perfection évangélique. Code, can. 1N7 et 488.

2. Origine de la vie religieuse.

La vie religieuse n’a pas été, comme le sacerdoce, directement et formellement instituée par Jéaus-Chriatj mais elle

est née de ses exemples et de ses conseils. Jésus, pendant les trois années de sa prédication, vécut d’aumônes avec ses apôtres. « Les renards, dit-il, ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. » Matth., viii, 20. « Et quiconque, déclare-t-il ailleurs, aura quitté sa maison, ou ses frères et sœurs, ou son père et sa mère, ou son épouse ou ses champs à cause de mon nom, il recevra le centuple et il possédera la vie éternelle. » Matth., xix, 29. C’est l’origine du vœu de pauvreté. Jésus est né d’une vierge, a été annoncé par un précurseur vierge, a aimé de prédilection le disciple vierge. Et il a dit : « Il y a des eunuques qui sont tels par la nature, et il y en a qui se font tels (spirituellement) pour le royaume des cieux. Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux à qui la grâce en a été donnée : que celui qui en a reçu l’intelligence en profite. » Matth., xix, 11-12. Voilà l’origine du vœu de chasteté. Jésus a fait de toute sa vie un long acte d’obéissance à la volonté de son Père. En entrant dans ce monde, il dit : « Père, les holocaustes et les victimes expiatoires ne vous ont pas plu, mais vous m’avez adapté un corps. C’est pourquoi j’ai dit : Voici que je viens, selon ce qui est écrit, pour faire, ô Dieu, votre volonté. » Hebr., x, 5-7. Un jour, il déclara à ses apôtres : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » Joa., iv, 34. Et saint Paul dit de lui : <> Le Christ s’est humilié lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. » Phil., ii, 8. Or, en disant au jeune homme riche : « Si tu veux être parfait, donne aux pauvres tout ce que tu possèdes, puis viens et suis-moi », Matth., xix, 21, il l’invitait à imiter non seulement sa pauvreté et sa chasteté, mais aussi son obéissance. De là est sorti le vœu d’obéissance religieuse. La vie religieuse est donc la réponse des âmes prévenues de la grâce aux exemples et aux suggestions du Christ.

3. La vocation religieuse.

Quoique non directement instituée par le Christ comme le sacerdoce, la vie religieuse n’en suppose pas moins une vocation proprement dite. Tous, en effet, n’y ont pas les aptitudes requises ou ne jouissent pas de la liberté nécessaire pour y entrer. Mais surtout il y faut une grâce spéciale de lumière et d’attrait surnaturel ou d’intention droite qui n’est pas donnée à tous. « Tous, dit Notre-Seigneur en parlant de la chasteté volontaire, ne comprennent pas cette doctrine, mais ceux-là seulement auxquels il a été donné. » Matth., xix, 11-12. C’est ce don, lequel porte aussi sur la pauvreté et l’obéissance, qui constitue proprement la vocation religieuse. On comprend d’ailleurs que ce don ne soit pas universel, puisque d’un côté on peut arriver à la perfection par la seule voie des préceptes, et que de l’autre le célibat généralisé arrêterait la propagation du genre humain.

4. La vocation religieuse, en vertu de la discipline actuelle, est soumise au jugement et à l’acceptation des supérieurs. — La vie religieuse, d’après la discipline actuelle de l'Église, étant communautaire, on comprend qu'à l’appel intérieur de la grâce doive s’ajouter l’appel extérieur des supérieurs de la communauté. Avant d’admettre un sujet dans son ordre ou dans sa congrégation, en effet, il faut, nécessairement, que le supérieur s’assure si le postulant est conduit par une intention surnaturelle et si ses aptitudes répondent aux exigences de l’institut choisi. Et comme le supérieur, en ce qui concerne son institut, agit par l’autorité de l'Église, il en résulte que la vocation religieuse, comme la vocation sacerdotale, doii. pour être authentique, être sanctionnée par l’appel extérieur de l’autorité légitime. Toutefois,

il y a une différence essentielle entre la sanction de la vocation sacerdotale et celle de la vocation religieuse : c’est que la première est sacramentelle et immuable, tandis que la seconde est simplement légale et peut être annulée.

5. La vocation religieuse n’est pas, de soi, une vocation réservée.

La vocation sacerdotale, ayant pour objet une dignité et un charisme, est par là même une vocation réservée : l’offre du sacerdoce n’est pas faite par Dieu à tous ceux qui y auraient les aptitudes, mais à ceux qu’il a choisis comme Aaron. Il n’en est pas tout à fait de même de la vocation religieuse, qui a pour objet un genre de vie plus particulièrement ordonné à la perfection. Tous les hommes étant appelés à la perfection, on comprend que personne ne soit exclu, en principe, de ce moyen plus efficace d’y parvenir, s’il en a le désir surnaturel et n’est pas retenu dans le monde par des obligations indépendantes de lui, comme seraient les liens du mariage ou le devoir d’assister ses parents. Aussi Notre-Seigneur paraît-il en parler comme d’un état accessible à tous quand il dit : « Tous ceux qui auront quitté leur maison, leurs frères ou leurs sœurs, leur père ou leur mère, leur femme ou leurs champs à cause de mon nom recevront le centuple et posséderont la vie éternelle. » Matth., xix, 29. Il avait déjà dit, il est vrai, Ibtd., xix, 11, que tous ne comprennent pas le secret de la chasteté volontaire, qu’il y faut une grâce de Dieu. Mais cette grâce, rien n’empêche de la demander, si on la désire.

6. La vocation religieuse est ordinairement une vocation libre.

A moins d’une indication particulière de Dieu qui l’imposerait à une âme, ou d’un tempérament exceptionnel qui en aurait besoin pour faire son salut, la vocation religieuse ne s’impose pas à la conscience. Évidemment celui qui l’a reçue fera mieux de la suivre : il y trouvera bien plus de sécurité, de consolation et de mérite pour lui-même, et il procurera plus de gloire à Dieu. Ce n’est d’ailleurs pas sans tristesse que Jésus, après avoir offert cette vocation au jeune homme riche, vit ce jeune homme s’y dérober pour posséder ses richesses. « Mes enfants, dit-il à ses disciples, combien il est difficile à ceux qui mettent leur confiance en leurs richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Marc, x, 24. Il préférerait donc, quand il l’offre, qu’elle soit acceptée.

Mais on ne peut pas dire, en règle générale, qu’il y ait péché, au moins péché grave, à décliner la vocation religieuse. La raison en est dans la différence essentielle entre les préceptes et les conseils : les premiers, étant indispensables au salut, sont obligatoires ; les seconds, n’étant pas nécessaires mais seulement utiles, restent facultatifs. Cela est évident dans la réponse de Jésus au jeune homme riche.

7. La vocation religieuse et la vocation sacerdotale peuvent être séparées ou unies.

Lorsque Jésus parle sans autre précision ni indication de circonstances de ceux qui auront tout quitté pour le suivre, Matth., xix, 29, il annonce sans doute la vocation religieuse, abstraction faite du sacerdoce, et il vise aussi bien les femmes que les hommes. Par conséquent, lorsque saint Paul rappelle à Timothée, parmi les conditions de l’épiscopat, celle de « n’avoir pas été marié deux fois, de bien élever ses enfants, de savoir gouverner sa maison », I Tim., iii, 2, 4, 5 ; lorsqu’il lui recommande de « donner double rémunération aux presbytres qui président bien les assemblées, surtout s’ils se dépensent dans l’enseignement de la doctrine », I Tim., v, 17-18, il envisage l’état sacerdotal en dehors du cadre des conseils évangéliques, en dehors de la .chasteté absolue et de la désappropriation privée. La chasteté absolue est pourtant de la plus haute convenance dans le piètre. Néanmoins, nous voyons par ces textes que l’Écriture elle-même n’en fait pas une condition indispensable de l’appel au sacerdoce. La vocation sacerdotale est donc indépendante, en soi, de la vocation religieuse. Enfin, lorsque Jésus, invitant le jeune homme à le suivre parmi les apôtres, lui ordonne au préalable d’aller liquider sa fortune pour en donner la valeur aux pauvres et de renoncer par conséquent à tout ce qu’il avait dans le monde, Matth., xix, 21 ; de même lorsqu’il félicite les apôtres d’avoir tout quitté pour le suivre et leur promet qu’au jour de la parousie ils siégeront sur douze trônes aux côtés du Fils de l’homme, jugeant les douze tribus d’Israël, ibid., xix, 27-28, nul doute qu’il ne préconise les conseils évangéliques comme le cadre de perfection le mieux approprié à l’état sacerdotal. Il y a donc, d’après l’Écriture, une vocation à l’état religieux sans le sacerdoce, une vocation au sacerdoce sans l’état religieux, et une vocation au sacerdoce dans l’état religieux.

Telles sont les données scripturaires sur la vocation. Elles sont inégalement formelles et explicites ; dans leur ensemble, cependant, elles suffisent à fonder une doctrine nette et ferme, qui se développera et s’éclairera au cours des siècles.