Dictionnaire de théologie catholique/VOLONTARISME, I. En Dieu

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 890-894).

VOLONTARISME. — Le mot volontarisme i a été consacré par l’usage pour désigner en pbilOSO phie la prééminence de la volonté sur l’intelligence dans la détermination ou bien ou dans la recherche île la vérité. La thèse volontariste n’est pas unique ment philosophique, eiic ; i lie profondes répercussions en théologie. C’est à ce titre qu’on l’étudié ici : I. Eu Dieu. II. Dans l’âme humaine (col. 3317).

I. Le volontarisme en dieu.

Il s’agit principalement de savoir si la moralité est issue uniquement du commandement divin, si la discrimination du bien et du mal dépend d’un choix arbitraire de Dieu. Accessoirement, on se demande si la volonté divine détermine à son gré la vérité. On retracera d’abord l’histoire des opinions, pour en faire ensuite la critique.

Histoire des opinions.

1. Abélard.

Dans l’histoire de la théologie catholique, il semble qu’Abélard soit à l’origine du volontarisme. Mais son volontarisme est plutôt une réponse à une difficulté qu’une thèse exposée pour elle-même. Il s’agit de la peine positive du feu infligée en enfer aux enfants morts sans baptême. Telle était, on le sait, l’opinion jadis professée par saint Augustin. Voir ici t. ii, col. 367. Abélard accueille cette opinion qu’il puise dans un texte attribué à l’évêque d’Hippone, De fide ad Petrum, régula xxvii, P. L., t. xl, col. 774. Il concède qu’une telle condamnation, si elle émanait d’un juge humain, serait inique. Mais, venant de Dieu, on ne peut la juger telle : « Jamais, dit-il, on ne peut appeler mal ce qui est l’effet de la juste volonté de Dieu. Car nous ne pouvons discerner le bien du mal, que parce que le bien est conforme à la volonté et répond au bon plaisir de Dieu. Ainsi certains actes qui, par eux-mêmes, paraissent très mauvais et, pour autant, répréhensibles, peuvent être accomplis sur l’ordre du Seigneur. » Et Abélard cite des exemples : le pillage des biens égyptiens par les Hébreux, le massacre des coupables s’étant compromis avec les les femmes madianites, etc. Et il conclut : « Il est donc évident que toute discrimination du bien et du mal doit être reportée au bon plaisir de la divine providence, qui dispose à notre insu toutes choses pour le mieux. Rien, en conséquence, ne doit être réputé bien ou mal, sinon ce qui est conforme ou opposé à cette volonté parfaite. » Et la conclusion finale est que, bien que nous ne puissions pas comprendre la peine infligée aux enfants morts sans baptême, il faut confesser que cette peine est juste. In epist. ad Rom., t. II, c. v, P. L., t. clxxviii, col. 869.

2. Duns Scot.

La position de Scot est philosophiquement plus ferme. Son système, en effet, se caractérise par la primauté et l’indépendance de la volonté à l’égard de l’intelligence. Voir t. iv, col. 1880. Par rapport aux choses extérieures à Dieu, rien ne peut faire obstacle à son indépendance et à sa liberté. Des préceptes divins, Scot fera donc deux parts. Les préceptes de la première table qui se rapportent à Dieu considéré dans sa nature sont, comme Dieu lui-même, nécessaires et s’imposent d’une façon immuable. C’est le droit naturel strict. Les préceptes de la seconde table, relatifs à nous-mêmes et au prochain, sont, comme nous, contingents et Dieu, en toute rigueur, pourrait les modifier. Ils constituent le droit naturel large. In /// um Sent., dist. XXXVII, q. i, n. 8. dans Opéra amnia, Lyon 1639, t. vii, p. 898 ; cf. dist. XXXI, n. 12. p. 673. Cf. Landry, La philosophie de Dans Seal, Paris, 1922, p. 264-265. Certains faits rapportés par l’Écriture justifient cette distinction : Dieu a commandé l’homicide (Abraham), a permis le mensonge (Judith), a autorisé le vol (les Hébreux pillant les Egyptiens), a toléré la polygamie inaugurée par l.amcth. Or, un précepte qui s’allirmerall dans ses termes absolument vrai et nécessaire, quelle que soit la façon dont apparaissent Cette vérité et cette nécessité, aurait une priorité réelle sur l’action de la volonté et Dieu lui-même n’y pourrait jamais < ont ie enir sans que sa volonlé accuse un manque de justice et de droiture. Si Dieu a permis le 331 1

    1. YOLONTA RISMK##


YOLONTA RISMK. EN DIEU

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mensonge et ordonné le meurtre, c’est que ces deux actes n’ont de malice qu’en raison de la prohibition générale qu’en a faite Dieu. In III um Sent., dist. XXXVIII, n. 5, p. 919.

Par le point de vue historique, Scot rejoint Abélard ; mais chez Scot, l’explication n’intervient que pour mettre en meilleur relief la thèse fondamentale : enseigner qu’une moralité absolue, inhérente à des choses contingentes, puisse s’imposer à la volonté divine, ce serait équivalemment admettre que cette volonté doive nécessairement et simplement être déterminée par les choses qu’elle pourrait vouloir (par ses volibilia) en dehors de Dieu lui-même. Or, la volonté divine n’est déterminée que par elle-même et ne peut vouloir les choses autres que d’une manière contingente et absolument libre. Dist. XXXVII, schol., p. 879. Cf. É. Gilson, La philosophie au Moyen Age, Paris ; 1922, t. ii, p. 80.

En ce qui concerne les idées des choses en Dieu (les possibles), Duns Scot admet que ces idées, en tant que simples possibles, sont des créations véritables de l’intelligence divine. Voir ici t. iv, col. 1879. La volonté n’intervient que pour faire de ces idées les représentations vraies des êtres que Dieu appelle à l’existence. Mais alors cette vérité est contingente comme les êtres eux-mêmes. In I am Sent., dist. III, q. iv, n. 20, t. v, p. 490 ; cf. dist. XXXV, n. 12, p. 12511252. Cf. Landry, op. cit., p. 318, 319. Position intermédiaire entre celle de saint Thomas, pour qui les possibles préexistent en quelque sorte à la connaissance que Dieu a de son essence, et celle de Descartes qui fera des idées éternelles un produit direct de la volonté divine.Voir plus loin.

3. L’école nominaliste.

Scot admettait encore entre les attributs divins une distinction formelle, t. iv, col. 1875-1876 ; l’école nominaliste n’admet aucune distinction, même de simple raison. C’est là le point de départ métaphysique d’où dérive le volontarisme nominaliste, beaucoup plus accentué que celui de Scot.

La position d’Occam a été retracée à Nominalisme, t. xi, col. 763. À l’intérieur de Dieu, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’entendement divin ne se distingue pas de la volonté parce qu’il est la volonté même. Pour les œuvres ad extra, on peut admettre une certaine direction de la volonté par l’entendement, en raison même de la liberté de la volonté et de la contingence des effets. Rappelons ici la conclusion de M. Vigneaux :

Pour Occam, la volonté divine est dirigée dans la mesure où elle peut l’être. Elle n’a aucun privilège sur l’entendement. Quand on pense au seul entendement divin, il faut penser qu’il est Dieu, en son acte indépendant de tout le reste ; de même, quand on pense à la seule volonté divine, elle est Dieu et rien ne la précède ; quand on pense à l’entendement et à la volonté à la fois, il faut concevoir qu’en Dieu ils sont un. La doctrine occamiste de l’entendement et de la volonté est dominée par cette pensée qu’en Dieu tout est également parfait et absolument simple. IbM., col. 763.

On ne saurait pour autant parler d’arbitraire, puisque ce que Dieu fait est par là même juste, eo ipso quod ipse vult benc et juste factum est. In l um Sent., dist. XVII, q. iii, F.

De ces affirmations de principe, à la rigueur compatibles avec la stricte orthodoxie, Occam, par une logique trop absolue, tire une conclusion déconcertante pour la piété chrétienne, conclusion qu’on lui a reprochée au procès de 1326. C’est l’article 5, ainsi conçu : Odire Deum potest esse aclus rectus, in via et a Deo præceptus. Voir ici, t. xi, col. 894.

C’est du même principe nominaliste que découle l’affirmation de Jean de Mirecourt, également censurée : odium proximi non est denvriloriurn uni quia prohibitum a Dco temponiliter. De la liberté avec laquelle Dieu crée, dans l’âme, intellect ion, volition, sensation, comme il le veut et l’entend, il suit, dit le même auteur, que « Dieu par lui seul peut faire que l’âme haïsse le prochain et Dieu sans démériter ». Art. 27 et 31. Voir t. xi, col. 899.

Avec la même énergie, Biel affirme l’indépendance absolue de la divine volonté. Le principe est toujours qu’aucune distinction, même de simple raison, ne saurait exister entre intelligence et volonté divines. Par conséquent, la volonté divine n’a besoin d’aucune aide ; elle n’est tenue à aucune règle extérieure : « Que Dieu ne puisse rien faire contre la droite raison, c’est la pure vérité ; mais la droite raison, en ce qui concerne les œuvres extérieures, est la volonté divine. Celle-ci n’a aucune autre règle qu’elle-même à laquelle elle doive se conformer ; mais la divine volonté est la règle de toutes les choses contingentes. Ce n’est pas parce que quelque chose est droit et juste que Dieu le veut ; mais parce que Dieu le veut, c’est droit et juste. » Voir dist. XVII, q. i, a. 3, coroll. i, K. Voir ici, t. xi, col. 764. Cette dernière affirmalion restera courante chez les théologiens du début du xve siècle.

4. Gerson.

Parmi ces théologiens, le chancelier Gerson tient une place éminente. Nous citons d’après l’édition d’Anvers, 1706. La position de Gerson est objectivement résumée par Ellies du Pin, dans la préface de cette édition. Gersoniana, t. IV, t. i, p. cv. Gerson accepte pleinement les deux principes du nominalisme : d’une part, la souveraine liberté et indépendance de la volonté divine par rapport aux choses créées, Contra vanam curiositatem, lect. i, t. i, col. 92 AB ; d’autre part, négation de toute distinction, même simplement formelle à la façon de Scot, entre les attributs divins. Ibid., lect. ii, consid. v » et vus col. 100 D-101 A, 103 C ; De oita spiriluali animæ, lect. ii, iii, t. iii, col. 14 B, 26 A.

Dans ce dernier texte, Gerson se demande s’il faut théoriquement identifier la droite raison (l’intelligence ) et la volonté en Dieu ; mais, ajoute-t-il, « il est certain que, dans les préceptes moraux, la droite raison n’a pas priorité sur la volonté : Dieu ne veut pas donner ses lois à la créature raisonnable parce que la droite raison a jugé auparavant qu’il le fallait ; c’est plutôt le contraire ». La conclusion s’impose, celle que nous avons trouvée chez Biel : « Dieu ne veut pas que les choses extérieures soient parce qu’elles sont bonnes, à la façon de la volonté humaine attirée par la présentation du bien vrai ou apparent ; c’est le contraire, les choses extérieures sont bonnes parce que Dieu les veut telles, à tel point que s’il voulait qu’elles ne fussent pas ou fussent autres, cela serait également bien. » De consolalione theologiw, part. I, t. i, col. 147 A. De telle sorte — et c’est ainsi que Gerson interprète l’affirmation étrange d’Occam, — même la haine de Dieu pourrait, les circonstances étant changées, n’être plus intrinsèquement mauvaise. De vita spirituali animæ, lect. i, coroll. 10, t. iii, col. 13 C. Toute la rectitude morale de la volonté humaine résulte donc de sa conformité, de la conformité de ses actions et de ses omissions à la loi divine et à la règle qu’elle pose. Id., ibid., D.

Cependant, quand Gerson quitte le domaine de la spéculation et en vient aux conseils pratiques de la vie spirituelle, il expose la soumission à la volonté divine telle que nous l’avons entendu de la bouche de saint Thomas, voir Volonté, col. 3349. Voir Explicatio : Fiat volunlas tua, t. iii, col. 355-366 ; cf. De directione seu rectiludine cordis, considcratin Vii-x, ibid., col. 469-17(1.

5. Pierre d’Ailly.

La conception de Pierre d’Ailly Ki

s’inspire certainement des mêmes principes nominalistes. Voir ici t. i, col. 651. Que la volonté divine soit le principe de toute obligation, le cardinal de ("ambrai le répète à satiété : « Rien n’est péché de soi, le péché n’existe que là où la volonté divine porte une interdiction. » Principium in I" m Sent. Et il développe cette pensée : « La volonté divine est une cause très efficace qui appelle à l’être ou au devenir. De même est-elle aussi la loi qui oblige, parce qu’elle exige qu’une chose soit faite ou non en tel sens. » Et encore : « Dieu veut que l’homme encore voyageur soit obligé à avoir la charité, obligé à ne pas mentir, obligé à ne pas haïr Dieu et le prochain. Et ainsi de suite pour beaucoup d’autres choses. C’est par suite de cette volonté qu’on est obligé à quelque chose et autrement personne ne pécherait. »

Est-ce à dire qu’en citant la parole étrange d’Occam Pierre d’Ailly la fasse sienne ? L. Salembier le laisse supposer. Textes vérifiés, je n’en suis pas convaincu. Cette étrange proposition avait alors son ère de célébrité. Jean de Mirecourt et Holkot l’avaient, eux aussi, avancée. Voici comment d’Ailly s’exprime : « Si Dieu ne peut évidemment pas ne pas vouloir l’obéissance de sa créature (ce serait se nier soimême), il n’est pas évident qu’il ne puisse l’obliger à le haïr. Certains estiment que cela est impossible de puissance ordonnée, mais non de puissance absolue. » Principium, ibid., 3 a concl. Mais plus loin, q. xiv, a. 3, il discute cette proposition et lui oppose l’opinion contraire de Maître Grégoire (de Rimini).

Quant au « pur protestantisme » qu’aurait professé d’Ailly avant la lettre, en enseignant qu’il n’y a « pas d’actes essentiellement méritoires ou déméritoires, tout mérite venant de la libre acceptation ou du libre refus de Dieu », il semble qu’une appréciation plus objective s’impose. Pierre d’Ailly reste fidèle aux conceptions nominalistes de la justification, voir t. xi, col. 769 sq. Mais l’acceptation de Dieu ne supprime pas, du côté de la créature, un mérite véritable, principalement dû à l’activité libre de l’homme. Il faut aussi faire la part des hypothèses envisagées par rapport à la puissance absolue de Dieu, voir col. 764. Enfin la gratuité de la prédestination, q. xii — Dieu n’accordant pas la vie éternelle en raison des mérites, bien qu’il exige des mérites de la part des prédestinés, tout au moins dans l’économie de sa puissance ordonnée — est une thèse spécifiquement catholique.

6, Descartes. — Il est difficile de ne pas trouver un écho de la thèse nominaliste dans les réponses aux sixièmes objections de Descartes. Voir le texte complet t. iv, col., ">l(>. Une simple comparaison des idées ou des textes mettra ce fait en évidence :

/ lu se île Scol

(ci-deasus, col, 3311). Enseigner qu’une moralité absolue, inhérente à des Chose* contingentes, puisse s’imposer à la volonté divine, ce serait é<|iii ; ilemment ad mettre que cette volonté doive, nécessairement et simplement ïtre déterminée p.ir les choses qu’elle pourrait vouloir en dehors de Dieu lui-même. <>r, la volonté di Ine n’est déterminée que par elle-même et ne peut

vouloir les choses antres que « l’une manière contingente et absolument libre.

I. de de iiiri (col. 3312). t n’est pas parce que quelque chose est droit et

Texte île Descurtes. Il répugne que la volonté de Dieu n’ait pas été de toute éternité indifférente à toutes les choses qui ont été faites ou qui se feront jamais, n’y ayant aucune Idée qui représente le bien OU le vrai, ce qu’il faut Croire, ce qu’il faut faire ou ce qu’il faut omettre, qu’on puisse feindre avoir été l’objet de l’entendement divin a aut que M nature ait été Constituée telle par la détermination de sa volonté.

Texte de Descurtes. I i n’est pas pour a oir vu qui] était meilleur que le

juste que Dieu le veut, mais parce que Dieu le veut, c’est droit et juste.

Texte de Gerson (col. 3313). Dieu ne veut pas que les choses soient parce qu’elles sont bonnes… ; les choses sont bonnes parce que Dieu les veut telles, à tel point que s’il voulait qu’elles ne fussent pas ou fussent autres, ce serait également bien.

monde fût créé dans le temps que dans l’éternité, qu’il a voulu le créer dans le temps ; et il n’a pas voulu que les trois angles d’un triangle fussent égaux à deux droits parce qu’il a connu que cela ne pouvait se faire autrement, etc. Mais, au contraire, par ce qu’il a voulu créer le monde dans le temps, pour cela il est ainsi meilleur que s’il eût été créé dès l’éternité ; et d’autant qu’il a voulu que les trois angles d’un triangle fussent nécessairement égaux à deux droits, pour cela, cela est maintenant vrai, et il ne peut pas être autrement.

Édit. Adam-Tannery, t. ix, p. 232-233.

Il est vraisemblable qu’il y a eu influence réelle, indirecte sans doute, de la philosophie nominaliste et scotiste sur la pensée de Descartes. On n’a pas ici à en rechercher les intermédiaires. Mais Descartes va plus loin que les nominalistes. Ce n’est pas seulement dans le domaine du bien, c’est dans le domaine du vrai que la volonté divine est toute-puissante. Pour Descartes, rien n’échappe au principe de causalité ; cf. Secondes réponses : Axiomes et notions communes, i, t. ix, p. 127. La création des idées éternelles est ainsi la conséquence logique de sa conception d’un Dieu, cause de lui-même : « Si la toute-puissance de Dieu est telle qu’il s’engendre en quelque sorte soi-même au sein de son essence et, pour s’exprimer en termes théologiques, non seulement en tant que Fils, mais même pour ainsi dire en tant que Père, à bien plus forte raison doit-il avoir engendré des vérités qui, compréhensibles pour notre intellect et par conséquent finies, doivent dépendre encore plus complètement de lui qu’il n’en dépend lui-même. » Et. Gilson, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, Paris, 1930, p. 231. Le volontarisme de Descartes est d’autant plus intransigeant qu’il a pris lui-même la précaution d’en exclure toute priorité, même de simple raison, de l’intelligence sur la volonté : « Je dis qu’il a été impossible qu’une telle idée (du bien ou du vrai) ait précédé la détermination de la volonté de Dieu par une priorité d’ordre ou de nature ou de raison raisonnée, ainsi qu’on la nomme dans l’école. » Réponses aux sixièmes objections, loc. cit.

La pensée de Descartes s’affirme plus nette encore, s’il était possible, dans sa réponse (en latin) à Arnauld, au sujet de l’impossibilité prétendue de concevoir le vide. Après avoir affirmé qu’on peut attribuer au vide ou à l’espace qu’on imagine tel les dimensions propres de l’espace, Descartes ajoute :

En recourant (pour expliquer le vide) à la puissance divine, que nous savons infinie, nous lui attribuons un cffet qui, à la réflexion, n’apparaît pas contradictoire, c’est-à-dire Inconcevable. Il me semble, en effet, qu’on ne peut jamais dire qu’une chose soit Impossible à Dieu,

puisque toute Ut règle du vrai et du bien dépend de mi loutepuiMance : je n’oserais donc pas affirmer que Dieu ne

puisse faire qu’une montagne soit sans vallée, ou que

deux et un ne fassent trois, .le dis simplement que J’ai revu de lui un esprit tel que je ne puis concevoir une montagne sans vallée, ou un et deux ne totalisant pas trois, etc. Lettre nxxv, du 26 juillet 1618, I. v, p. 22 : 1-221.

2° Appréciation, On peut considérer la thèse du volontarisme divin en fonction des objection ! qu’elle prétend résoudre it in elle-même.

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    1. VOLONTARISME##


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1. La thèse volontariste en fonction des objections à résoudre. — Nous avons constaté que les théologiens volontaristes, depuis Abélard jusqu’à Pierre d’Ailly, ont enseigné cette conception avec la préoccupation de répondre aux objections tirées de l’Écriture. Il semble donc dillicile de parler ici de doctrine ferme, enseignée pour elle-même. L’apologétique comporte souvent des aspects discutables que, mieux informé, le défenseur de la foi chrétienne s’empresse de modifier. C’est le cas de la thèse d’Abélard. Si Abélard avait écrit cent ans plus tard, la lettre d’Innocent III à Ymbert d’Arles aurait vraisemblablement apaisé ses scrupules touchant la peine du péché originel. Cf. Denz.-Bannw., n. 410.

Le volontarisme de Scot apparaît comme un élément subsidiaire de la solution proposée, bien plus qu’il ne l’inspire. En effet, la distinction entre droit naturel strict et droit naturel large, entre les lois de la première table et celles de la seconde, laisse pressentir un accord possible avec la solution communément présentée. Voir ici Loi, caractère immuable et dispense, t. ix, col. 881-882. Si Occam, Biel, Gerson et d’Ailly affirment sans restriction que la volonté divine est la règle du bien et du mal, non seulement en tant qu’elle prescrit ou défend, mais encore en tant qu’elle détermine ce qui est bien ou ce qui est mal ; s’ils ne distinguent pas, comme Scot, les préceptes de la première table et ceux de la seconde, le droit naturel strict et le droit naturel large, il n’en est pas moins vrai que tous sans exception proclament que le choix auquel s’arrête la volonté divine ne saurait être qualifié d’arbitraire. Occam, qui était allé le plus loin en cette voie, affirme que tout ce que Dieu fait est par là même juste.

On ne saurait admettre cependant que la haine de Dieu, connue comme telle, puisse, par la volonté divine, devenir un acte bon ou même simplement non déméritoire. Aussi est-ce à juste titre qu’avaient été retenues comme dignes de censure la proposition d’Occam et celle de Jean de Mirecourt. On remarquera toutefois que ces auteurs n’ont jamais envisagé cette étrange hypothèse comme réalisable par la puissance ordonnée de Dieu. C’est toujours de potentia absolula qu’ils en parlent. Nous sommes donc en droit de conclure que le volontarisme étendu à la puissance absolue de Dieu est étranger à l’explication des faits relevés dans la sainte Écriture, ces faits relevant nécessairement de la puissance ordonnée de Dieu.

En sorte que, finalement, dépouillée de sa prétention apologétique, le volontarisme est réduit à n’être qu’une opinion philosophique, discutable au premier chef.

2. La thèse du volontarisme considérée en elle-même.

— a) Part de vérité. — Le volontarisme semble avoir raison lorsqu’il s’agit de formuler, en morale, le principe premier de l’obligation et de la responsabilité. Quelles que soient les discussions théoriques possibles sur ce point, il est permis d’adopter la position prise par le cardinal Billot, De Deo uno, th. iii, § 3. Voir également ses articles dans les Études, 20 août 1920. La thèse est reprise et brillamment défendue par le P. Nivard, art. Responsabilité dans le Dict. apol. de la foi cath., t. ii, col. 941 sq. : « L’obligation parfaite de la loi naturelle ne peut être valablement acceptée sur la simple dictée de la raison autonome (Kant) ; — ou sur la seule constatation de ce qui s’accorde avec la nature raisonnable ; — ou avec l’ordre objectif des choses (Vasquez-Gerdil) ; — ou sous la seule poussée des inclinations de la nature profonde (Janet et quelques auteurs récents) ; — mais uniquement sur la manifestation naturelle des volontés divines connues comme telles. » C’est la thèse énoncée par saint Thomas lui-même : « La

conscience n’oblige pas par sa vertu propre, mais par la vertu du précepte divin ; car la conscience n’impose pas de faire quelque chose parce que cela lui paraît obligatoire, mais parce que cela est commandé par Dieu. » In /P"" Sent., dist. XXXIX, q. iii, a. 3, ad 3um. Cf. De veritate, q. xvii, a. 3.

Sans doute, cette position paraît ruiner la preuve assez populaire de l’existence de Dieu par le sentiment de l’obligation morale (ce qui n’est pas d’ailleurs exact : elle la transforme simplement en preuve par l’ordre moral) ; mais elle semble néanmoins conforme au bon sens même : « Car la notion d’obligation suppose évidemment la connaissance préalable de celui qui peut nous obliger, surtout lorsqu’il s’agit de cette obligation absolue, imprescriptible, inévitable, contre laquelle rien en ce bas monde ne peut prévaloir et qui est l’obligation propre à la loi morale. Or, celui qui oblige ainsi ne peut être que Dieu. Donc, avant que ne soit connu Dieu, l’existence de la loi et de l’obligation morale ne saurait être connue et la voix de la conscience, si tant est qu’elle se fasse entendre, n’est qu’une imagination vaine et sans consistance. » Billot, toc. cit. Et l’auteur de conclure : « Dans l’impératif de la conscience considéré en lui-même, pas de droit véritable ; pas de proportion surtout entre le mode catégorique de cet impératif et ce qu’on pourrait en concevoir comme le principe. La froide raison condamne tout cela et n’y voit rien de plus qu’un moyen d’épouvante, un préjugé, une impression purement subjective et qu’il faut mépriser. Ainsi donc, … antérieurement à la connaissance de Dieu, premier principe et fin dernière, il est impossible d’avoir l’idée de loi et d’obligation de conscience… » Ibid., trad. de l’Ami du clergé, 1923, p. 296.

Une seconde concession à faire au volontarisme concerne les lois divines positives, dans la mesure où ces lois ne constituent pas une simple ratification de la loi naturelle. La volonté divine pourrait ici créer, non seulement l’obligation, mais le caractère moral, bon ou mauvais, de l’acte commandé ou prohibé. Nous en avons deux exemples dans le Décalogue. « Tu ne te feras pas d’images taillées… Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. » Ex., xx, 4, 8. La prohibition du culte des images et la sanctification d’un jour par semaine ne relèvent pas de la loi naturelle. Ici, le mal est tel parce qu’il est défendu, le bien est tel, parce qu’il est commandé.

b) L’erreur volontariste. — L’erreur du volontarisme est d’avoir fait de la volonté divine, en excluant le concours de l’intelligence, la règle dernière de toute discrimination entre le bien et le mal. Une telle prétention fournit un fondement sérieux au reproche d’arbitraire porté contre la thèse volontariste. Appréciant la position de Descartes, Leibniz conclut avec raison qu’une telle opinion « déshonore » Dieu. Théodicée, § 184-185. Voir Volonté, col. 3355.

Nous ne pouvons raisonner sur Dieu que par notre connaissance de l’âme humaine et par l’analogie de la foi. Or, la psychologie accorde la priorité à l’intelligence sur la volonté, nihil volitum nisi præcognitum. Pour vouloir une chose, il faut la connaître : l’intelligence précède et éclaire la volonté. De plus, le mystère de la Trinité montre que la procession selon l’intelligence a une priorité de nature sur la procession selon la volonté. Ces deux constatations suffiraient à donner une base solide à la doctrine communément reçue d’un exemplarisme précédant d’une priorité de raison le vouloir divin. Dieu connaît dans son essence, par sa science de simple intelligence, tous les êtres possibles et les enchaînements nécessaires ou contingents de leurs rapports réciproques. L’ordre moral est un de ces rapports et si cet ordre marque une liaison essentielle et nécessaire entre les êtres et 3317 VOLONTARISME. DANS L’AME HUMAINE 3318

leurs actes, la volonté divine ne fait que constater ces liaisons et les rend, à l’extérieur, obligatoires. Dieu, étant le Bien souverain, ne peut pas ne pas vouloir que ses créatures raisonnables et libres échappent à l’obligation du bien moral.

Or, nous pouvons être assurés qu’un tel ordre moral existe dans l’exemplarisme divin, répondant à la nature même des choses, et avant toute intervention de la volonté de Dieu. Kien qu’en considérant la nature raisonnable ordonnée vers le vrai et vers le bien, ou encore la marche normale de la société humaine, on saisit facilement la nécessité et l’existence d’un certain ordre moral, droits et devoirs réciproques, parce que ce sont là des relations essentielles de la nature raisonnable, laquelle, sans ces relations, serait un tissu de contradictions. C’est là ce que les théologiens thomistes appellent la moralité considérée initiative et fundamentaliter. Mais ces relations essentielles, dont notre esprit saisit la nécessité et l’existence, manqueraient de fondement et de caractère obligatoire, s’il n’existait pas un être qui soit le prototype, l’idéal de l’ordre auquel tout homme doit se conformer s’il veut demeurer dans la moralité : prototype idéal, à la fois cause exemplaire — et d’abord cause exemplaire — et cause efficiente, transformant, en le rendant obligatoire, le bien rationnel en bien formellement moral.

En bref, la morale naturelle ne se réduit pas à des commandements divins. Au lieu de rapporter, comme Descartes l’a fait, les essences en général à la volonté divine, « Leibniz a vu la vérité en faisant de l’entendement divin le lieu des essences, et du vouloir divin la source des existences… Si donc on nous pose cette question : le fondement du devoir est-il en Dieu, oui ou non ? nous répondrons : il est en Dieu comme en son dernier support ; mais son support immédiat est l’ordre des relations, l’ordre des fins ». Mgr d’Hulst, Carême 1891, 4e conférence. Cet ordre des relations et des fins trouve lui-même son fondement en Dieu, mais à ne connaître que le support immédiat de la moralité qu’il constitue, on n’est pas encore lié par la conscience de l’obligation, mais on peut en soupçonner l’existence. Toute cette doctrine est résumée par Gonet en cette proposition : Si enim lex œlerna, tubindeque omnes alise leges tollercntur, mendacium iidii essei malum morale nec peccatum FORMALITER et COMPLETIVE (voilà le « moral » ), sed FUNDA-MENTALITER et INITIATIVE, quia effet contrarium naturel rationali (voilà le « rationnel » ) et ex se ac ex sua natura aptum, ut prohiberelw a legibus, si ponerentur. De vit Us et peccatis, n. (56 ; cf. Salmani ii ruses, ibid., disp. VI I, dut), i, n. 11.

Cille position sauvegarde à la fois le caractère rationnel de la morale naturelle et en même temps son fondement divin, tout en éliminant les excès du volontarisme. Sauvegarder le caractère rationnel de la morale naturelle tout en en montrant le fondement divin, ce n’est pas, quoiqu’on en ait dit, ouvrir les voies a la constitution d’une morale laïque, c’est-à-dire dune morale sans Dieu.