Dictionnaire de théologie catholique/WYCLIF, III. Continuateurs, IV. Avec Jean Hus

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1038-1042).

III. Les continuateurs de Wyclu in Asm iu.e. —

Celui qui avait tant déclamé (’entre les ordres religieux avait en réalité institué une confié rie que l’on pouvait considérer comme une sorte d’ordre religieux, sans 1rs vœux habituels les pauvres prêtres f poor prirsts). On les avait surnomnu les tollards, d’un nom qui avait été attribué, antérieu renient, aux Paya-Bas, aux Alexiens, puis au ghards. Voir l’art. Loli.aiids, t. ix, col. 910 iq. Le sens de ee mot fut du reste diversement expliqué. Il paraît avoir signifié : les marmotteurs. parce que les lollards susdits marmottaient ou chantaient tout bas, au cours de leurs pérégrinations, des pi latines. Par un Jeu de mot facile, on affecta parfois de faire venir le mot du latin hlium. Ivraie. On disait

donc : Lollardi sunt zizania. Eux-mêmes les prédicateurs ambulants de Wyclif se nommaient soit les « hommes vrais », true men, soit les « chrétiens », Christian men. On leur donna plus tard, mais surtout en Bohême, le nom qu’ils n’avaient jamais pris de Wyclifites. "Wyclif avait fabriqué pour leur usage un grand nombre de sermons et de tracts. Après lui, ses disciples les plus remarquables, surtout Hereford et Purvey, tous deux traducteurs de la Bible, sous son impulsion, continuèrent à les fournir de compositions de cette sorte. Un grand nombre de ces pièces ont été imprimées. Il en reste beaucoup en manuscrits. On les a longtemps attribuées en bloc à Wyclif. La recherche récente a su distinguer divers auteurs, par l’examen du style, de la méthode, des sujets traités. Il semble que Wyclif ait réussi à grouper autour de lui un nombre assez considérable de collaborateurs instruits. Nous ne connaissons les noms que de quelques-uns. A Hereford et Purvey, il faut joindre celui d’Aston. Mais il y en eut sûrement d’autres qui nous sont inconnus. Les tracts ont été composés soit dans les dernières années de Wyclif, soit après sa mort. Leur caractère général est la violence. Ils sont très anticléricaux. Ils attaquent avec une particulière âpreté les frères mendiants, qui étaient pour les poor priests les concurrents les plus dangereux. Ils chargent les frères des crimes les plus odieux : adultères, sodomie, cupidité. Les évêques ne sont naturellement pas ménagés, les moines « possessionnés » non plus. Le clergé paroissial est également fort malmené. La plupart de ces tracts sont en anglais. Voici la traduction de quelques-uns de leurs titres, suffisamment révélateurs de leur contenu : Du levain des pharisiens ;

— Les cinquante hérésies et erreurs des frères (Friars, il s’agit des frères mendiants) ; — Des prélats ; — Des clercs possessionnés ; — L’Office des vicaires (Curâtes) ; — - L’ordre de la prêtrise ; — De l’office pastoral, etc. Non seulement les lollards propagèrent toutes les opinions subversives de leur fondateur, mais en général, suivant la courbe de sa propre évolution, ils les accentuèrent dans le sens du radicalisme le plus excessif. Ils obtinrent un grand succès auprès du peuple et peut-être surtout auprès de la petite noblesse campagnarde, ou gentry, qui voyait dans les richesses de l’Église médiévale une proie très enviable.

Les documents du temps révèlent, chez les autorités anglaises civiles et ecclésiastiques, une véritable panique, en face des progrès de l’hérésie. Ils assurent que la moitié de la population était conquise. Deux hommes se dressèrent surtout contre elle : Guillaume de Courtenay, archevêque de Cantorbéry et primat d’Angleterre, du 9 septembre 1381 au 31 juillet 1396, et son successeur, Thomas Arundel, du 25 septembre 1396 au 19 février 1414. À la mort de ce dernier, le danger était complètement conjuré. La résistance des lollards fut très différente, selon qu’il s’agissait des maîtres d’Oxford, où Wyclif avait conquis de puissants concours, ou des prédicateurs ambulants et de leurs protecteurs dans la noblesse campagnarde. A Oxford, un coup avait été frappé par Courtenay, du vivant de Wyclif, par le triple synode des Blackfriars, en mai et juin 1382. À la suite de ces synodes, des lettres patentes contre les lollards avaient été obtenues de la Couronne, le 26 juin 1382. En novembre de la même année, on enregistrait, à Oxford, des rétractations importantes : Repingdon, Bedeman, Aston se soumettaient humblement. Le premier devait être nommé évêque de Lincoln, par la faveur du roi Henri IV de Lancastre, en 1404. Il devait mourir, chargé d’honneurs, en 1424. Le second devint, au temps d’Arundel, un zélé prédicateur contre l’hérésie. Le troisième par contre se repentit de sa rétractation

et retomba dans le lollardisme ; c’est pourquoi on peut lui attribuer, avec probabilité, un bon nombre des tracts lollards du temps. On ne sait pas ce qu’il devint, mais il semble qu’il ait persévéré jusqu’au bout dans l’hérésie. Hereford, autre lollard de marque, rétracta ses erreurs, en 1390, ou peut-être un peu plus tôt, et se fit le dénonciateur de ses anciens amis, qui lui reprochèrent durement son « horrible apostasie ». Il se fit chartreux, en 1417. Purvey fut plus fidèle à la mémoire de son maître Wyclif et c’est lui qu’il faut vraisemblablement regarder comme l’auteur des professions de foi lollardes dont il sera parlé dans un instant.

Parmi les nobles campagnards, l’histoire a conservé quelques noms moins obscurs que les autres. Le développement du lollardisme fut favorisé par les circonstances politiques et religieuses. La croisade de Spenser avait causé un grand mécontentement et de grandes pertes en hommes et en argent. Une guerre contre l’Ecosse, en 1385, aggrava la situation. Aux parlements de 1388, de 1390 et de 1393 furent énoncés en vain des griefs — toujours les mêmes — contre la Cour de Rome et contre le clergé en général. Mais ces réclamations non suivies d’effet n’en favorisaient pas moins la propagande lollarde à travers le pays, en y développant un esprit de plus en plus antipapal. Quand les pauvres prêtres prêchaient, la plupart du temps en plein air, dans les cimetières, il arrivait souvent que les chevaliers se tenaient en armes à leurs côtés, prêts à les protéger contre toute insulte ou toute répression. L’immense majorité des adhérents du lollardisme restaient profondément ignorants des doctrines propres à Wyclif, mais n’en retenaient que l’anticléricalisme foncier. Courtenay ne cessait de presser le gouvernement d’agir contre les hérétiques. Il obtenait des pouvoirs spéciaux pour les évêques des régions les plus contaminées. Il fut même assez habile pour arracher à la majorité du parlement de 1388 des ordres de poursuites contre les lollards, confirmant les prescriptions déjà édictées par le gouvernement royal. Pour cela il avait produit une liste de vingt-cinq erreurs reprochées aux lollards. Cette liste nous a été conservée et nous permet de préciser les doctrines des wyclifites, à cette date.

La note dominante des Vingt-cinq points de 1388, c’est le rigorisme moral, ou comme disent les Anglais, le « puritanisme ». On y proteste contre les chansons, contre les serments, contre les fêtes des saints, contre l’emploi dans le clergé de « chevaux gras », de bijoux et de riches vêtements. Wyclif avait déclamé maintes fois contre le luxe et contre le culte des saints, à l’exception du culte de la Vierge, qu’il consentait à maintenir, mais ici l’accent se faisait plus rude. On disait par exemple que « nul chargé d’âmes » (curate) ne devrait s’absenter d’auprès de ses enfants spirituels pour prendre part à une pompe mondaine, à une réjouissance du ventre ou à des affaires temporelles dans les cours épiscopales. Wyclif avait critiqué le culte des images, mais il n’avait jamais été aussi loin que le texte suivant : « Ces images ne peuvent faire ni bien ni mal aux âmes humaines, mais elles pourraient réchauffer le corps d’un pauvre homme, en temps de froid, si on les mettait au feu, et l’argent et les joyaux qui les parent profiteraient aux malheureux, et les cierges brûlés devant elles serviraient à éclairer de pauvres créatures dans leur travail. »

— « Le Christ, disait-on encore, est le frère de l’homme, c’est donc une hérésie manifeste d’enseigner qu’il est meilleur et plus agréable à Dieu d’offrir des dons à des bûches inertes ou à des pierres qu’aux pauvres gens, qui portent en eux l’image et ressemblance de la sainte Trinité. »

On note par contre que la phrase de Wyclif sur « l’obéissance due au diable par Dieu » ne figure plus ici. Elle disparaîtra complètement des formulaires lollards. Les Vingt-cinq points précisent également, contre l’opinion extrémiste lollarde, que « le prêtre en état de péché mortel peut administrer les sacrements pour le salut de ceux qui les reçoivent dignement ». Le donatisme est donc ici renié. En sens inverse, le document est plus agressif que Wyclif ne l’avait été contre les canonisations opérées par les papes. Il n’avait jamais dit en effet, comme il est dit ici, que « beaucoup de saints reconnus par l’Église sont en enfer ». Il n’avait pas non plus attaqué nommément saint Thomas Becket. Tout cela dans Arnold, Select english Works of Wycliꝟ. 1869, t. iii, p. 454-496.

Les mesures répressives contre les lollards, prises en 1388, eurent pour résultat de ralentir considérablement l’expansion de l’erreur. Mais au début de 1394, il devint évident que les lollards relevaient la tête. Le schisme durait toujours. Le pape de Rome, Boniface IX, exigeait la suppression en Angleterre des Statutes of Provisors et Præmunire, ce qui revenait à dire qu’il prétendait de nouveau disposer des bénéfices ecclésiastiques. Le mécontentement fut grand dans le royaume et comme toujours ce fut l’hérésie qui en profita. Le roi Richard II renouvela ses ordonnances contre les lollards, ce qui accrut son immense impopularité. L’opposition prit donc en main la cause lollarde. Sous la conduite des nobles affiliés ou favorables à la secte, Stury, Clifford, Latimer et Montague — ce dernier membre du Conseil privé royal et le plus haut protecteur que les lollards aient jamais eu — on essaya de faire discuter au parlement réuni à Westminster, le 27 janvier 1395, un projet de 1 "forme de l’Église, en Douze points, qui étaient d’inspiration wycliflte très marquée. Les critiques les plus avertis estiment que l’auteur de ces Douze points de 1395 ne peut être que Purvey, le secrétaire de Wyclif et le traducteur de la Bible, en sa seconde forme. En voici le contenu : « Le sacerdoce usuel, qui tire son origine de Rome, notre grande marâtre, ne saurait être le sacerdoce institué par le Christ dans ses apôtres ». — L’ordination des évêques est « un spectacle pénible pour un homme sensé », parce qu’on y « joue avec le Saint-Esprit ». — La transsubstantiation n’est qu’un « miracle imaginaire » tendant « sauf en peu de cas, à l’idolâtrie ». — « Plût au ciel que les prêtres fussent bien pénétrés des enseignements du Docteur évangélique (Wyclif) dans son Trialogus ». — L’office du Saint-Sacrement, rédigé par frère Thomas (d’Aquin) est faux et plein de miracles mensongers.

— Les exorcismes, les bénédictions du pain, du viii, de la cire, des croix, des habits, et autres du même genre, ont une saveur de « nécromancie ». — La confession auriculaire « exalte l’orgueil des prêtres qui, pour un coup à boire ou pour une pièce de monnaie, vendront la bénédiction du ciel ». De plus, elle tend, par ses t entretiens secrets », à provoquer le péché mortel. — En fait de reliques, les lèvres de Judas, qui ont touché le Christ, seraient une relique merveilleuse, si on pouvait les avoirl (Cela dit, bien entendu, par moquerie). — Les pèlerinages aux images muettes et aux crucifix aveugles sont proches parents de l’idolâtrie. L’homme dans le besoin est seul l’image de Dieu, eu plus parfaite ressemblance que la pierre ou le bois. - Les membres du clergé césarien, tonne dont se servait Wyclif pour désigner le clergé mondain servant dans les emplois civils, ne sont que des hermaphrodites >, des ambidextres », des hommes dont l’état est incertain et double, ni religieux ni civil, et les deux à la foisl

Les Douze articles attaquaient encore le culte rendu à saint Thomas Becket, en déclarant qu’il n’nvait pas été martyr. De plus, alors que Wyclif

avait glorifié la virginité, le texte de 1395 se livrait à une violente attaque contre le célibat ecclésiastique, comme tendant à la sodomie et à l’immoralité. On ne trouvait rien dans les Douze articles sur la suzeraineté fondée sur l’état de grâce. Cette doctrine de Wyclif était purement et simplement abandonnée. Par contre, alors que Wyclif, dans son De officio régis (hiver de 1378), avait expressément maintenu la légalité des serments, les lollards les déclaraient en général contraires à l’Évangile. C’est à eux qu’il faut attribuer la proposition 43 qui se trouve parmi les propositions de Wyclif condamnées à Constance : Juramenta illicita sunt quæ fiunt a<l corroborandos humanos contractus et commercia civilin. Denz.-Bannw., n. 623. Voir De officio régis, éd. Pollard et Sayle, 1887, p. 218 sq. — Cependant Wyclif condamnait, comme l’Église, les serments ou jurements inutiles ; cf. Sermons, t. iv, p. 415-417.

Les Douze propositions n’eurent, comme il fallait s’y attendre, aucun succès. Lord Montague, devenu plus tard comte de Salisbury, abandonna le parti lollard, ce qui ne l’empêcha pas d’être décapité par la foule de Londres, en 1400, pour avoir tenté de restaurer le pouvoir absolu du roi Richard IL Dans l’intervalle, l’archevêque-primat, Thomas Arundel, arrivé au siège de Cantorbéry en 1396, avait pris très vigoureusement en mains la répression des lollards. Sans entrer dans le détail de son action tenace et habile, disons seulement qu’il fit adopter par l’Assemblée du clergé — ce qu’on nomme en Angleterre : la Convocation — - en 1407, treize constitutions contre les écrits de Wyclif, contre les doctrines de ses disciples, contre les prédicateurs ambulants, contre l’enseignement de l’hérésie dans les universités. Il interdit notamment de façon absolue toute prédication non-autorisée par l’évêque. Nul pasteur de paroisse ne devait accepter un prédicateur non muni de l’autorisation épiscopale. Les curés des paroisses devaient s’en tenir dans leurs prédications — quatre fois l’an — aux thèmes prescrits par une ancienne constitution remontant au primat Peckham († 1292), à savoir « les quatorze articles de la foi (Symbole des Apôtres), les dix commandements, les deux préceptes de l’Évangile, amour de Dieu et du prochain, les sept œuvres de miséricorde et les sept péchés capitaux », que l’on exposerait « sans l’intervention d’aucune subtilité fantaisiste d’aucune sorte ».

C’étaient là de sages prescriptions, en somme, mais il paraît qu’elles mirent en sommeil à la fois l’enseignement universitaire d’Oxford, qui ne cessa plus de décliner, et aussi la prédication paroissiale qui devint à peu près nulle. Grâce aux mesures prises, toutefois, le lollardisme fut frappé à mort et il avait complètement disparu, sans laisser de trace, quand éclata la crise protestante, au xvi° siècle. Il n’eut donc sur elle qu’une influence très indirecte, en ce sens qu’il servit à affaiblir le respect et l’attachement envers le Siège pontifical et disposa les esprits en Angleterre à un séparatisme fondé sur la souveraine autorité du roi et du parlement, en matière religieuse comme en matière civile.

IV. Rapports BNTRB Wyclif, Jkan Mis 11 r.riiu.H. — Nous nous bornerons ici à préciser le degré de dépendance entre les doctrines fie Jean Ilus et celles de Wyclif. Pour la vie de Jean Uns et son enseignement voir ce mol. Pour Luther, le problème est des plus faciles à résoudre.

L’éditeur de l’ouvrage de Wyclif Dr rrntnlr Scrtp lnrir. Buddensieg, rapporte, qu’il a vu un psautier bohémien de 1572, dans lequel Wyclif est représente’tirant des étincelles d’un briquet, Hus en train d’allumer des charbons et Luther brandissant une torche érlniréc à ce feu. L’image est assez suggestive. Hus

n’accepta pas toutes les doctrines de Wyclif, mais tout ce qui fut condamné de lui au concile de Constance était tiré presque mot pour mot des œuvres de Wyclif. Voir la série des propositions condamnées dans Denz.-Bannw., n. 627-656. Et le concile ne sépara jamais les deux noms de Wyclif et de Hus, auxquels il joignait seulement celui de Jérôme de Prague. De même, quand le pape Martin V dressa, par la bulle Inler cunctas, du 22 février 1418, une liste de Trente-neuf articles sur lesquels on devait interroger toute personne suspecte de hussitisme ou de wyclifitisme (lollardisme), Denz.-Bannw., n. 657-689, les mêmes noms étaient toujours mis côte à côte, comme ceux d’hérétiques professant des erreurs analogues. En 1525, le Trialogus de Wyclif fut imprimé pour la première fois à Bâle. Il semble que Luther ait possédé ou du moins connu ce livre. Il ne parle cependant pas de Wyclif dans ses écrits, si ce n’est de façon tout à fait accessoire et insignifiante. Par contre, il a précisé de la façon suivante ses relations personnelles avec Jean Hus, dans une lettre de février 1520 (non 1529, comme dit Workman, Wyclif, t. i, p. 9) à Spalatin : « Imprudent que je suis, jusqu’ici j’ai enseigné et soutenu toutes les doctrines de Jean Hus ; avec la même imprudence, Jean Staupitz (voir ce mot) les a enseignées aussi ; bref, nous sommes tous hussites sans le savoir, enfin Paul et Augustin sont hussites à la lettre. Considère les monstruosités auxquelles nous sommes parvenus sans avoir pour chef ni pour docteur ce Bohémien. Dans ma stupeur, je ne sais plus que penser, en voyant les si terribles jugements de Dieu parmi les hommes, alors que la vérité évangélique très évidente a été brûlée publiquement depuis plus de cent ans déjà et qu’elle est tenue pour condamnée et qu’il n’est pas permis de la professer 1° Enders, Luther’s Briefwechsel, t. ii, p. 345.

Ce texte est décisif pour démontrer que Luther ne subit, directement, aucune influence de la part de Hus et encore moins de Wyclif, dans l’élaboration de ses doctrines. Par contre, la subordination doctrinale de Hus par rapport à Wyclif est absolument indéniable et elle atteint les proportions du plagiat pur et simple.

Il y avait eu des relations entre l’université d’Oxford et celle de Prague, presque depuis la fondation de cette dernière, en 1347-1349. Le fervent nationaliste tchèque, Adalbert Rankow, avait fondé des bourses d’étudiants tchèques à Oxford en 1388, quelques années après la mort de Wyclif. Les relations entre la Bohême et l’Angleterre avaient été multipliées par le mariage du roi Richard II d’Angleterre avec Anne, la sœur du roi de Bohême, Wencestas, en 1382. Les voyages des courtisans et serviteurs tchèques de la reine s’ajoutèrent à ceux des étudiants pour favoriser les échanges de manuscrits d’un pays à l’autre. Au cours de sa discussion avec l’Anglais Stokes, en 1411, Jean Hus devait dire qu’il y avait vingt ans et plus que des membres de l’université de Prague et lui-même possédaient et lisaient les œuvres de Wyclif. Il y a des raisons de croire qu’il ne parlait que des ouvrages philosophiques. Ce serait donc depuis environ l’année 1391 que ces ouvrages auraient été répandus à Prague. L’une des raisons de leur succès, c’était la querelle violente qui divisait Prague, entre les nominalistes et les réalistes. Mais une raison locale aggravait l’acharnement des partis opposés. Les Allemands, dont les Tchèques accusaient les envahissements, étaient pour le nominalisme, tandis que les Tchèques étaient tenants du réalisme. Il subsiste à la Bibliothèque royale de Stockholm cinq traités philosophiques de Wyclif écrits de la propre main de Jean Hus, avec des notes marginales en tchèque où il manifeste une admiration voisine de

l’enthousiasme. Ces traités furent copiés en 1398. En cette même année, un jeune étudiant tchèque, Jérôme de Prague, déjà pourvu de sa licence, obtenait la permission de passer à Oxford pour y poursuivre ses études. Il en revenait, en 1401, rapportant un tableau représentant Wyclif, comme prince des philosophes, et aussi deux manuscrits recopiés par lui des œuvres de Wyclif, notamment le Trialogus, qui était comme un abrégé de toute sa doctrine, dans son dernier état. Jérôme de Prague avait voué à Wyclif un culte si ardent qu’il put affirmer, au cours d’une dispute publique : « Quiconque n’a pas étudié les ouvrages de Wyclif ne trouvera jamais la racine vraie de la connaissance. » Il n’eut pas de peine à communiquer ses sentiments à un patriote tchèque, conquis d’avance, tel que Jean Hus. Mais les adversaires étaient aux aguets. Le 28 mai 1403, le recteur de l’université de Prague, à la suite d’un âpre débat au collège Carolinum, publia une ordonnance interdisant toute discussion sur les Vingt-quatre propositions de Wyclif condamnées au concile des Blackfriars, en mai 1382. À ces propositions, un docteur silésien en ajouta vingt et une autres. Ainsi fut constituée la liste des Quarante-cinq propositions, qui furent désormais censées résumer les erreurs de Wyclif et qui furent condamnées à ce titre, à Constance, le 4 mai 1415. Denz.-Bannw., n. 581-625. On savait pourtant que les œuvres de Wyclif contenaient bien d’autres opinions condamnables, car, à Constance, on proposa 260 chefs d’accusation contre lui. Entre 1403 et 1407, Jean Hus traduisit du latin en tchèque le Trialogus de Wyclif, probablement avec le concours de Jérôme de Prague. Les achats de manuscrits wyclifites, en Angleterre, se poursuivirent activement, de la part des docteurs bohémiens. Jean Hus déployait une grande activité littéraire, mais on a pu dire de ses écrits, que ses lettres à ses amis sont seules à avoir quelque originalité. « Pour les œuvres de Hus, écrit Workman, elles ne sont, pour la plus grande part, que de simples copies de Wyclif. Souvent des sections entières des ouvrages du grand Anglais ont été transcrites en bloc, sans altération et sans discernement. Mêmes les titres ne sont pas originaux. Leur apparence de science, qui devait tromper Luther, est entièrement d’emprunt. L’Anglais Stokes avait raison, à Constance, de demander crûment à Hus : « Pourquoi te glorifles-tu de ces écrits, en les présentant faussement comme tiens, puisque, après tout, ils « ne t’appartiennent pas mais sont à Wyclif, sur les « traces de qui tu marches ? » Dans le même sens, le vieil ami de Hus, André Brod, lui criait : « Wyclif « a-t-il été crucifié pour nous ? Avons-nous été baptisés « en son nom ? « Workman, The âge of Hus, 1902, p. 177. Cependant, il est exact que Hus n’a pas accepté toutes les opinions de son maître. Si l’on compare les Trente propositions de Hus condamnées à Constance, Denz.-Bannw., n. 627-656, avec les Quarante-cinq de Wyclif, Denz.-Bannw., n. 581-625, on constate deux choses importantes : 1. Hus n’a pas été condamné, quoi qu’en dise Workman, ibid., p. 303, pour avoir soutenu les propositions de Wyclif contre la transsubstantiation, qu’il admettait encore, car aucune mention n’est faite de cet article dans les propositions qui lui sont reprochées ; — 2. les propositions en question, reprochées à Hus, roulent en général sur l’Église et elles sont aussi bien de Wyclif que de lui-même. En voici un abrégé qui permettra d’en juger : Il n’existe qu’une Église sainte et universelle, qui est l’universalité des prédestinés (1). La prop. 6, confirmant la première, la donne comme un article de foi. La prop. 21 expose que c’est par la grâce de prédestination que tout le corps de l’Église et ses membres sont unis à leur chef, le Christ. Un certain (il

nombre de propositions sont consacrées à exclure de l’Église tous les præsciti, ou réprouvés, même s’ils sont en apparence dans l’Église et même si, pour un temps, ils sont dans l’état de grâce, tandis que les prédestinés, même avant leur conversion, comme saint Paul, ou pendant qu’ils sont en état de péché mortel, ne sont jamais séparés de l’Église. Prop. 2, 3, 5. Mais la majeure partie des propositions sont consacrées au pape : Pierre n’est pas et ne fut jamais le chef de l’Église (7). — La dignité papale a été instituée par les empereurs (9). — Nul ne peut, sans révélation particulière, affirmer qu’il est le chef d’une Église particulière ; le pape pas plus que les autres, à moins que Dieu ne l’ait prédestiné, ne peut se dire chef de l’Église locale de Rome (10, 11). — Nul ne peut remplir la fonction du Christ ou de Pierre, s’il ne l’imite dans ses mœurs (12). — Le pape n’est pas le véritable et certain successeur du prince des apôtres, Pierre ; s’il vit d’une façon contraire à celle de Pierre et, s’il recherche l’avarice, il est le vicaire de Judas. Il faut en dire autant des cardinaux (13). — Si le pape est mauvais et surtout s’il est præscitus, il n’est que l’apôtre du diable, comme Judas, un voleur et un fils de la perdition et il n’est pas le chef de l’Église, dont il n’est pas même membre (20, 22). — On ne doit pas appeler le pape très saint, en raison de son office, car on devrait en dire autant du roi, des bourreaux et même du diable, car tous, à leur façon, ils sont des officiers de Dieu (23). — Un pape très légitimement élu n’est légitime que s’il vit selon le Christ, car Judas fut élu très légitimement et cependant n’était qu’un mercenaire dans le bercail (24, 26). — Il n’y a pas une étincelle d’apparence qu’il soit nécessaire qu’il y ait un chef de l’Église, en matière spirituelle (27). — Le Christ conduirait bien mieux son Église, sans ces chefs fastueux, au moyen de ses vrais disciples épars dans l’univers (28). — Les apôtres et les prêtres fidèles du Seigneur dirigeaient fort bien l’Église, dans les choses nécessaires au salut, avant l’institution de l’office papal et, si le pape venait à disparaître, ils le feraient encore jusqu’au jour du jugement (29).

Comme Wyclif et après lui, Hus avait aussi recommandé à ses disciples de mépriser les excommunications, quand ils voulaient prêcher l’Évangile. Il assimile aux pharisiens livrant Jésus à Pilate les docteurs qui enseignent qu’il faut livrer au bras séculier quiconque a été frappé des censures ecclésiastiques et refuse de s’amender (14). — L’obéissance ecclésiastique est une invention pure des prêtres et n’est point dans l’Écriture (15). — Les prêtres vivant selon la loi du Christ et connaissant les Écritures doivent prêcher sans égard à aucune interdiction ou censure (17, 18). — Les censures ne. procèdent que de l’Antéchrist (19).

On reprochait aussi à Hus d’avoir déclaré : « La condamnation des Quarante-cinq articles de Jean Wyclif faite par les docteurs fut déraisonnable, injuste et mal faite ; la raison invoquée par eux était feinte, à savoir qu’aucun de ces articles n’était catholique, mais que tous ils étaient ou hérétiques ou erronés ou scandaleux » (25). La prop. 30 de Hus ne fait que reproduire textuellement la prop. 15 de Wyclif : Xullus est dominus clvilis, nullité est prætatus, nullus est episcopus, dum est in peccalo mortali. Enfin, il est probable que la prop. 4 de Hus : Duse naturæ, divinilas et humnnilas. sunt unus Christus, rappelait le réalisme de Wyclif. selon lequel le Christ avait uni à la divinité l’humanité-typr et non pas une nature humaine particulière comme la nôtre.

I. Sources.

Œuvre » de Wyclif, publiées par la Wyclif Solcety, en latin, 36 volumes ; auxmirlles Il faut ajouter : De officto pattnrnll, M. T.rchW. Leipzig. 1803 ; Trar.taUis de

Cliristo et suo adversario Anticliristo, éd. Buddensieg, Gotha, 1880 ; Trialogus, éd. Lechler, Oxford, 1869. — Pour les Œuvres en anglais, dont beaucoup sont des disciples de Wyclif, Arnold, Select English Works of Wycliꝟ. 3 vol., 1869 ; Forshall, Remoiistrances against Romish corruptions, 1851 ; Matthiew, The english Works of Wyclif hitherto unprinted, 1880 ; Forshall et Madden, The Hoh] Bible made from the Latin Vulgale by Jolm Wycliffe, 4 vol., 1850 ; Gascoigne, Locie libro veritatum, éd. Rogers, 1881 ; Shirley, Fasciculi zizaniorum Mag. Joh. Wycliꝟ. 1858 ; Catalogue of the extant Latin Works of Wyclif, révisé par Loserth, 1924. Voir aussi la bibliographie au mot Hus, t. vii, col. 344.

IL Ouvrages a consulter. — Deanesty, Tfie Lollard Bible, 1920 ; Gairdner, Lollardy and the Reformation in England, 4 vol., 1908 ; Gasquet, Old English Bible, 1908 ; Lechler, John Wycliffe and his english Precursors, 1884 ; Lewis, The History of the Life and Sufferings of the Rev. J. Wycliffe, 1720 ; Loserth, Wiclif and Hus, 1884 ; Lutzow, The Life and Times of master John Hus, 1909 ; Manning, The People’s Faith in the lime of Wycliꝟ. 1919 ; Owst, Médiéval Preaching in England, 1926 ; Poole, Wyclif and Movements of Reform, 1889 ; Powel and Trevelyan, The Peasants’Rising and the Lollards, 1899 ; Sergeant, John Wycliꝟ. 1893 ; Trevelyan, England in the âge of Wyclif, 1899 ; Vaughan, John de Wycliffe, 1853 ; Wilkins, Was Wyclif a négligent pluralist ? 1915 ; Workman, The âge of Hus, 1904 ; du môme, John Wyclif, a Study of the english médiéval Church, 1926.

L. Cristiani.