Dictionnaire de théologie catholique/ZACHARIE (pape)

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1071-1073).

ZACHARIE, pape du 3(10) décembre 741 au 15 (22) mars 752. — Nous n’avons aucun renseignement sur le curriculum vitæ de Zacharic antérieurement à son élection. Le Liber pontificalis sait seulement qu’il était Grec d’origine et que son père s’appelait Polychronius ; après l'éloge de rigueur sur les vertus de ce pape, le biographe nous introduit immédiatement dans la description des troubles où se trouvaient au moment de son élection Rome et l’Italie. Ces troubles étaient la conséquence de la politique quelque peu tortueuse suivie par le prédécesseur de Zacharie, Grégoire III. Devenu presque indépendant de Constantinople, le duché byzantin de Rome était l’objet des convoitises de la monarchie lombarde, depuis surtout que le roi Liutprand en était devenu le souverain (712). Le pape Grégoire III, que l’iconoclasme agressif de Léon l’Isaurien avait d’ailleurs brouillé avec Constantinople, avait cru habile de profiter des rivalités existant entre la cour de Pavie et les ducs lombards de Spolète et de Bénévent. Mauvais calcul, car ayant mis à la raison les ducs révoltés, Liutprand menaça plus directement Rome. Dans cette conjoncture critique, le pape Grégoire III avait fait une démarche grosse de conséquences. En août 739, il demandait l’intervention du « duc des Francs », Charles Martel. Ce dernier, qui venait de resserrer son alliance avec Liutprand, se souciait peu d’intervenir dans une lutte où tous les torts n'étaient pas du côté des Lombards. Il se contenta d’agir discrètement sur le roi Liutprand, obtint de lui qu’il laissât en paix le duché de Rome, mais ne put l’amener à restituer les places qu’il avait annexées. C’est devant cette situation que se trouve Zacharie au moment de son avènement : tension avec Constantinople, hostilité du côté lombard, défiance du côté de la Francie. Or le nouveau pape se montrera assez habile pour aplanir toutes ces difficultés.

En Italie, il rompt définitivement avec la politique de Grégoire III. Au lieu de s’appuyer sur les ducs révoltés, il prend fait et cause pour le roi de Pavie, faisant appel à ses bons sentiments, qui d’ailleurs étaient réels, l’aidant à faire rentrer dans le devoir, par persuasion ou par force, les vassaux récalcitrants. A plusieurs reprises, au printemps de 742, à l'été de 743 on le vit ainsi au camp de Liutprand, ou même au palais de Pavie. Il obtint de la sorte, outre la restitution des places enlevées sous Grégoire III au duché de Rome, le retour de patrimoines de l'Église romaine, sis en diverses parties du territoire lombard et qui avaient été confisqués depuis plus ou moins longtemps. À sa seconde démarche auprès de Liutprand, c’est pour l’exarchat de Ravenne, plus menacé encore que le duché de Rome, qu’il intervient. Il obtient que cesse la pression continue que le Lombard exerce sur l’exarchat et même quelques légères restitutions territoriales. Après la mort de Liutprand (janvier 744), et la déposition de son neveu Hildebrand (août 744), qui lui avait succédé, ce fut le duc de Frioul, Ratchis, qui devint maître du royaume. Prince très pieux — il devait se retirer au Mont-Cassin en 749 — Ratchis fut plus sensible encore aux démarches de Zacharie. Celui-ci vint trouver le roi à son camp devant Pérouse (749), et fit cesser l’entreprise du Lombard contre l’exarchat. II est vrai que la retraite de Ratchis au couvent amena l’avènement d’Astolphe, son frère, lequel reprit avec une nouvelle énergie la conquête des restes de l’Italie byzantine. Mais son action se porta d’abord sur l’exarchat — Ravenne fut prise en 751 — et le duché de Rome fut relativement à l’abri jusqu'à la mort de Zacharie. Ce serait au successeur Etienne II que reviendrait l’initiative de la nouvelle politique, qui aboutirait à la création de l'État pontifical.

Avec Constantinople aussi, les relations fort tendues sous Grégoire II et Grégoire III s'étaient améliorées. Léon l’Isaurien, le promoteur du premier iconoclasme, était mort le 18 juin 741 ; son fils, Constantin V, qui lui était associé depuis 720, aurait dû être reconnu sans difficulté. En fait, son beau-frère, Artavasde, profita de l’absence du basileus pour lors en Asie, pour se faire proclamer empereur à Constantinople. L’usurpateur se présentait, d’ailleurs, comme le restaurateur de l’orthodoxie et le défenseur des saintes images. Le patriarche Anastase, qui avait donné des gages à la politique iconoclaste, eut tôt fait de chanter la palinodie. Quelle serait, à l’endroit de ce restaurateur des saintes images, l’attitude de Rome ?

Zacharie, sans être au courant de cette résolution, avait envoyé dans la capitale sa synodique de prise de possession, Jaffé, n. 2260, « tout à fait orthodoxe », dit le Liber pontificalis. Entendons que, sur la question des saintes images, elle ne sacrifiait rien des précisions doctrinales formulées par Grégoire II et Grégoire III. Mais le fait même de l’envoi montrait que l’on ne rompait pas avec l'Église impériale, qui s'était inclinée devant les décrets de l’Isaurien. Les apocrisiaires porteurs de la synodique pontificale, arrivés à Constantinople à l'été de 742, trouvèrent Artavasde en place ; ils pouvaient difficilement éviter de le reconnaître et, de fait, pendant quelque temps, les actes officiels à Rome, comme dans toute l’Italie byzantine, furent datés d’après les années de l’usurpateur. Mais, comparée à l’empressement qu’avait mis dans son loyalisme de fraîche date le patriarche œcuménique, leur réserve était de bonne politique. Au fait, quand Constantin V eut triomphé de la rébellion, tandis qu’il se vengeait de la trahison du patriarche Anastase, les apocrisiaires romains jouirent d’un traitement de faveur. Ils purent obtenir du basileus une importante donation en Italie, qui compensait, jusqu'à un certain point, les confiscations prononcées par Léon l’Isaurien. Aussi bien une trêve se marquait à Constantinople dans la lutte contre les saintes images. Soucieux avant tout de la sécurité de l’empire, Constantin se préoccupa davantage de lutter contre les Arabes, les Bulgares, les Slaves que contre les défenseurs des icônes. C’est seulement vers 752, quand il fut débarrassé de ses plus graves soucis politiques, qu’il se laissa reprendre comme son père par le démon de la théologie. Le pape Zacharie ne connaîtrait pas cette époque troublée.

La tranquillité relative dont il jouit permit au pape de s’intéresser à une question qui fut de capitale importance dans l’histoire de l'Église : la première réforme de l'Église franque, point de départ de la grande restauration carolingienne. Charles Martel était mort en octobre 741 ayant partagé ses pouvoirs de maire du palais entre ses deux fils, Carloman (pour l’Austrasie, l’Alémanie et la Thuringe) et Pépin le Bref (pour la Neustrie, la Bourgogne et la Provence). Bien qu’il n’y eût plus de roi des Francs depuis la mort de Thierry IV de Chelles (737), les deux frères portaient simplement le titre de duc ou de majordome (maire du palais). À la différence de leur père, rude soldat mais piètre chrétien, c'étaient tous deux des princes cultivés, pieux, préoccupés de leur devoir. Après avoir assuré la tranquillité de l'État franc, ils entendaient se mettre à la réforme de l'Église. Cette réforme était indispensable. Les guerres civiles du vu 8 siècle, les troubles extérieurs et intérieurs du temps de Charles Martel avaient complètement bouleversé l'Église franque. L’abus le plus grave — mais il y en avait tant d’autres — était l’envahissement de l'Église par les laïques nommés directement par le souverain aux évêchés et aux abbayes et qui ne prenaient même plus la peine de se faire ordonner, se

contentant de percevoir et de monnayer en plaisirs grossiers les revenus des biens ecclésiastiques. On voyait aussi errer dans le pays des évêques gyrovagues, tenant leur juridiction l’on ne savait d’où, des prêtres consacrés par ceux-ci et colportant, de ci de là, pratiques superstitieuses et croyances suspectes. Bref il y avait un peu partout un abaissement marqué de la discipline et de la morale, chez les pasteurs et conséquemment chez les fidèles. C’est contre cet état de choses qu’entendait réagir la piété des deux frères.

Cette piété fut guidée par l’action de saint Boniface, voir son article, t. ii, col. 1005 sq., qui, depuis 732, investi par le pape Grégoire III de pleins pouvoirs en Germanie, travaillait à la réforme religieuse de l’Alémanie et de la Bavière. Sitôt au pouvoir, Carloman s’était abouché avec lui, et lui avait demandé de prendre en main la réforme de l’Église de Francie orientale. Boniface, habitué à ne rien faire sans l’aveu du Saint-Siège, en référa au pape Zacharie, tout en lui exposant l’état de choses qu’il laissait en Bavière. Le pape répondit en approuvant l’organisation ecclésiastique mise sur pied par Boniface et en lui donnant toute latitude de se mettre à la disposition de Carloman. Jafîé, Regesta, n. 2204. Il lui fournissait en même temps les directives convenables. Tenu au printemps de 742, dans une localité que l’on ne saurait préciser, le concile d’Austrasie où figuraient, outre Boniface, les évêques de Wurzbourg, Cologne, Burabourg, Strasbourg et Eichstàdt, prit les mesures les plus urgentes qui furent confirmées par un capitulaire de Carloman. On y reconnut l’autorité de Boniface que l’on saluait comme le missus sancti Pétri, on décida la réunion régulière des conciles, la restitution aux églises des biens enlevés, la dégradation des faux prêtres, des ecclésiastiques adultères et fornicateurs, l’exclusion des évêques inconnus et vagabonds, la répression enfin des fautes charnelles des moines et moniales. Tout ceci fut complété et renforcé dans un concile tenu à Lcpfines (Estines en Hainaut) l’année suivante 743. Boniface communiqua sans doute a Rome les décisions arrêtées ; elles furent approuvées en effet dans un synode romain, comptant cinquante-neuf évêques (été de 743). Jafîé, Regesta, post n. 2272.

Puis ce fut au tour de la Francie occidentale. En mars 744, Pépin réunissait à Soissons un concile dont Boniface de nouveau était l’âme et dont les décisions nous sont connues par un capitulaire de Pépin. L’évêque imposteur Aldebcrt, propagateur de pratiques superstitieuses et charlatanesques, y fut condamné et peut être aussi l’évêque Clément, voir ici t. iii, col. 200. On décida que, parmi les évêques de Francie, ceux de Reims, de Sens et de Rouen auraient titre et pouvoirs de métropolitains (l’autorité métropolitaine avait complètement disparu dans l’Église mérovingienne ; c’était là un timide essai de restauration). Mis au courant de ces décisions, le pape Zacharie approuva ce nouveau règlement et promit d’envoyer le pallium aux évêques désignés. Jaffé, n. 2270. Aussi fut-il quelque peu surpris quand Boniface lui apprit que, réflexion faite, on ne retiendrait comme métropolitain que l’évêque de Rouen. Jaffé, n. 2271. Mail Zacharie ne tint pas rigueur à son représent ; uit. En octobre 745, un concile romain de sept évoques ronfirmail 1rs mesurai prises à Soissons et faisait la procès d<s deux faux évêques Aldebcrl et Clément, Jaffé, post n. 2273 a.

A quelque temps de là, sans que l’on puisse <i miner la date avec certitude, Pépin faisait dresser un long questionnaire relatif à la réforme ecclésiastique qu’il envoyait au pape. On a la réponse que celui i i adressa, en janvier 747, à Pépin et aux évêques, abbés et princes francs. Jaffé, n. 2777 ; cf. n. 2278 où le

pape met Boniface au courant de ses décisions, en le priant de les faire entériner par un concile, où l’on achèverait en même temps de ventiler les causes d’Aldebert et de Clément. Ce concile est vraisemblablement celui qui se tint au début de 747 — avant la retraite de Carloman au Mont-Cassin — et qui est connu dans les collections comme le Concilium in Francia habitum, mais sur lequel malheureusement l’on manque de précisions. Par une lettre de Zacharie à Boniface, postérieure au concile, Jaffé, n. 2286, nous apprenons, entre autres, que Boniface avait fait circuler, parmi les évêques, un volumen de unitate fidei catholicæ, transmis ultérieurement à Rome, en même temps qu’une charta verse atque orthodoxee professionis et catholicæ unitatis, envoyée au nom de tous les évêques de Francie. Une autre lettre pontificale adressée collectivement à ces évêques, dont treize sont expressément nommés, les remercie de leur constance et de leur foi et leur recommande la soumission à l’endroit de Boniface « leur archevêque ». Jaffé, n. 2287. De ces diverses pièces il paraît résulter qu’une assemblée de tout l’épiscopat franc se réunit, véritable concile national, sur la convocation des deux princes Pépin et Carloman. On y voyait entre autres les évêques de Rouen, Beauvais, Amiens, Noyon, Tongres, Spire, Tarvane, Cambrai, Wurzbourg, Laon, Meaux, Cologne, Strasbourg. De la réunion Boniface était une fois de plus l’animateur. L’on y adhéra à des décisions pontificales, celles-là mêmes, sans doute, que Pépin avait sollicitées de Zacharie et l’on y exprima le loyalisme le plus net à l’endroit du Siège apostolique. C’était du meilleur augure pour la réforme de l’Église franque. Ce ne fut pas encore, d’ailleurs, la fin de l’action de Boniface, qui continua à rester en relations étroites avec le pape Zacharie. Il s’est conservé plusieurs des réponses que celui-ci adressa à l’apôtre de la Germanie, devenu finalement archevêque de Mayence. Cf. Jaffé, n. 2270, 2291, 2292. Zacharie devait encore intervenir en Francie dans une circonstance mémorable. Depuis cent ans, les descendants de Clovis n’y régnaient plus que de nom, la réalité du pouvoir étant passée finalement aux maires du palais. Pourtant le principe de la légitimité avait été sauvé jusqu’à la mort, en 737, de Thierry IV de Chelles, au nom de qui gouvernait Charles Martel. Ce Mérovingien n’avait cependant pas été remplacé ; à la mort de Charles Martel il n’y avait donc plus de roi des Francs.Toutefois en 743, pour satisfaire à la légitimité, Pépin et Carloman avaient été obligés de proclamer un obscur descendant de Clovis, Childéric III. Or, en 747, Carloman s’était retiré de la vie politique et s’était fait moine au Mont-Cassin. l’épin, demeuré seul au gouvernement de toute la Francie, voulut en finir avec une situation qui devenait de plus en plus anormale. Des scrupules de conscience l’arrêtaient cependant. Pouvait-il sans injustice prendre le titre de roi ? Seul le pape, pensa-t-il, était qualifié pour juger de ce cas de conscience. En 750, il envoyait à Rome Burchard, évêque de Wurzbourg et Fuldrade, abbé de Saint -Denis. Selon les Annales de Lorsch, ceux-ci devaient demander au pape « s’il était bien que les rois de Francie continuassent à porter un titre, dont ils ne remplissaient pas les charges : de rrgibus in Franria qui non habrntrs rrçjalem pntrstatem si brnr sit an non. Nous n’avons pas la réponse authentique du pape à cette consultation. Les mêmes Annales disent seule ment que le pape répondit qu’il valait mieux que celui-là fût appelé roi qui en exerçait le pouvoir plutôt que celui qui demeurait sans puissance royale, de la sorte, l’ordre ne serait pas troublé.. Ainsi, glose le chroniqueur, par l’autorité apostolique, il ordon nait que Pépin devint ml. Texte dans P. I, ., t

col. 374 ; même narration dans le Continuateur de Frédégaire, t. lxxi, col. 684. C’est à la suite de cette consultation que Pépin, en novembre 751, se fit proclamer roi à Soissons. Pour donner à la cérémonie un caractère religieux, Boniface, selon une coutume qui depuis quelque temps s’était établie en Angleterre, donna au nouveau souverain l’onction sainte. Tel est ce « transfert de la dignité royale » de la première à la seconde race, sur lequel au xiv° siècle s’animeront défenseurs et adversaires du pouvoir du pape en matière temporelle. En fait, le geste de Zacharie n’est en aucune sorte une « déposition » du souverain légitime ; c’est la réponse à un cas de conscience qui lui est soumis. Et ce qui embarrasse l’âme de Pépin, ce n’est point le fait que ses ancêtres et lui aient accaparé le pouvoir souverain ; il y a là une situation de fait sur laquelle il n’est pas question de revenir. Cette situation le pape n’est pas sollicité d’en juger, et, pour autant que nous les connaissions, les termes de sa réponse excluent toute sentence à cet égard. Pépin a tout simplement scrupule de prendre à l’héritier légitime de Clovis le seul bien qui lui reste, tout vide qu’il soit. Mais il lui paraît qu’il y a pour tous des avantages à ce que ce titre passe désormais à celui qui en possède la réalité. Le pape ne fait qu’approuver ce jugement et par le fait délie, en vertu de son pouvoir spirituel, la conscience du prince de tout scrupule. Rien qui ressemble moins à un pouvoir direct s’exerçant sur le temporel. S’il y a lieu de parler d’une action pontificale, c’est tout au plus d’une action ratione peccati.

En définitive les dix années de pontificat de Zacharie s’étaient montrées fécondes ; son action politique en Italie, en Francie, à Constantinople même avait ramené un commencement de paix et permis les débuts d’une réforme de l’Église que la fin du même vme siècle devait voir se réaliser plus pleinement.

Jaflé, Regesta pontiflcum Romanorum, t. i, p. 262. Le Liber pontificalis, éd. Duchesne, t. i. p. 426 ; les textes conciliaires relatifs à l’action de Boniface dans Mansi, Concil., t.xii, et mieux dans Mon. Germ. histor., Leges, i ; Epist., in ; Script., il. — Comme travaux, voir surtout A. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, 3° éd., t. I, p. 484, et les travaux signalés à l’art. Boniface, t. ii, col. 1007-1008 ; ajouter R. Aigrain, dans Fliche-Martin, Histoire de l’Église, t. v, p. 418 sq., 360 sq.

É. Amann.