Dictionnaire des antiquités grecques et romaines/ACCENSI

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ACCENSI. — I. Catégorie particulière de citoyens romains, dans l’organisation de Servius Tullius. Le sens de cette expression est fort controversé entre les savants. D’après une conjecture ingénieuse de Niebuhr, appuyée sur plusieurs textes, et adoptée par MM. Walter 1[1] et Ortolan 2[2], il s’agit d’une partie des citoyens qui, n’atteignant point le taux fixé pour la cinquième classe du cens, ne rentraient pas dans la classification normale des cinq classes 3[3]. Néanmoins ces individus étaient répartis dans des divisions annexes : ceux qui, sans s’élever au chiffre de 12, 500 (ou 11, 000), possédaient néanmoins une valeur de plus de 1, 500 as, proletarii (sensu latu) portaient le nom d’accensi velati, par un double motif 4[4] : I ° ils formaient un rôle supplémentaire du cens des légions ; 2° ils les suivaient à la guerre, mais sans armes, vestiti inermes, pour remplacer les morts. Ces citoyens composaient une centurie particulière ayant sa voix aux comices 5[5]. Ceux, au contraire, dont la fortune s’élevait à 375 as au moins s’appelaient proletarii {stricto sensu) ; au-dessous venaient enfin les capite censi. — D’autres auteurs, au contraire 6[6], soutiennent que la dénomination accensi s’appliquait parfois aux quatre classes inférieures, par opposition à la première, celle des classici par excellence, mais plus spécialement à la cinquième classe 7[7], composée en grande partie de clients. Ce système ne s’appuie que sur une interprétation douteuse de Tite-Live, et ne nous paraît pas vraisemblable. Il est difficile d’admettre, en effet, que les classes les plus nombreuses n’aient été employées à la guerre que pour combler les vides, destination incontestable des accensi velati, d’après Festus et Varron, tandis que la cinquième classe, armée de frondes, devait faire le service des troupes légères 8 <ref8 Tit. Liv. I, 43.></ref> [census, centuria, classis, comitia, servii tullii constitutiones]. G. Humbert.

II. Soldats supplémentaires appartenant à la classe de citoyens dont il vient d’être parlé. Au temps où le service militaire était purement gratuit et où les citoyens s’armaient à leurs frais 9[8], les plus pauvres suivaient l’armée, sans armes défensives et n’ayant d’autres armes offensives que des bâtons ou des cailloux qu’ils lançaient avec la main ou à l’aide de frondes 10[9]. Ils formaient ainsi une sorte d’infanterie légère ; d’après Denys d’Halicarnasse, ils auraient eu aussi de courts javelots, σαυνία [veru] ; ils remplissaient encore certains emplois inférieurs ; enfin ils remplaçaient les légionnaires morts ou hors de combat 11[10], Il ne faut pas oublier que l’institution du corps des accensi appartient à l’époque où l’armée était encore organisée en phalange compacte et profonde, agissant par sa masse ; les hommes qui combattaient aux derniers rangs, protégés par les combattants des premières lignes, n’avaient besoin ni d’armes sérieuses, ni d’une longue habitude des exercices militaires pour contribuer à sa solidité.

Les noms qu’on leur donnait se comprennent aisément. Ils s’appelaient accensi, adscripti, adscriptivi, adscriptivi, parce qu’ils étaient inscrits comme supplémentaires au rôle


des légions (quod ad legionum censum essent adscripti) 12[11] ; Varron 13[12] les nomme supervacanei, et Végèce 14[13] supernumerarii. On a expliqué plus haut le surnom de velati, qu’ils recevaient à cause de la simplicité de leur équipement (quia vestiti inermes sequerentur exercitum) 15[14] ; ils s’appelaient aussi ferentarii, soit, comme le dit Varron 16[15], parce qu’ils n’avaient d’autres armes que les projectiles qu’ils portaient pour les lancer (fundis et lapidibus, his armis quae ferrentur, non quae tenerentur) ; soit, d’après l’explication plus plausible de Caton, parce qu’ils servaient de porteurs aux autres soldats (tela ac potiones militibus proeliantibus ministrabant 17[16]) ; enfin on les appelait rorarii [legio], et cette confusion avec un corps tout à fait distinct vient sans doute de ce que les accensi et les rorarii ne différaient pas à l’origine et de ce qu’ils combattirent toujours de la même manière au commencement de l’action (antequam acies coirent in modum rorantis tempestatis dimicarent) 18[17]. Quand le sénat eut décrété, en 406 avant Jésus-Christ, que l’armée recevrait une solde, les accensi purent se procurer des armes plus efficaces que des frondes ; alors ils eurent des javelots comme les rorarii. Ils eurent même une fois au moins des hastes comme les triarii : stratagème qui permit à T. Manlius de réserver ceux-ci pour une action décisive dans la guerre contre les Latins, en faisant avancer à leur place les accensi qui étaient ordinairement aux derniers rangs 19[18]. Les Latins, croyant avoir affaire aux triarii, firent avancer les leurs et épuisèrent ainsi leurs dernières forces pour se retrouver tout à coup en face des plus solides troupes des Romains.
Fig. 33. Accensus.
Ce fait toutefois est exceptionnel. La haste demeura toujours probablement réservée aux classes des légionnaires, et peut-être la privation de cette arme par le censeur fut-elle la marque de la déchéance des citoyens qui leur appartenaient au rang des accensi velati [hasta, censio hastaria]. On voit encore des combattants armés seulement de pierres ou de bâtons, comme les accensi des premiers temps, dans les bas-reliefs de la colonne Trajane 20[19] (fig. 33).

III. Il y avait aussi des accensi qui faisaient un service dans la cavalerie et qui étaient placés en conséquence sous le commandement du magister equitum 21[20]. Ils avaient pour emploi de tenir les chevaux des chevaliers, quand ceux-ci en changeaient 22[21] ou quand ils combattaient à pied ; peut-être combattaient-ils eux-mêmes, armés de javelots ; ce seraient alors les mêmes que Varron 23[22] désigne sous le nom de ferentarii equites 24[23].

IV. Des accensi remplissaient auprès des officiers les fonctions d’ordonnances 25[24]. Les militaires d’un grade plus élevé qui portaient le titre d’optio, paraissent, à l’origine, être sortis des mêmes rangs 26[25]. V. Les magistrats qui étaient en possession de l’imperium eurent de même à leur disposition dans leurs fonctions civiles des ordonnances nommés accensi. Ainsi l’on voit un accensus auprès des consuls et des proconsuls 27[26], des préteurs 28[27], des dictateurs 29[28], des decemviri legibus scribendis 30[29], des empereurs 31[30]. On trouve dans les inscriptions certains personnages attachés à la personne de l’empereur, désignés par ces mots accensus de lat. (de latere) 32[31]. Les curatores aquarum avaient aussi des aides du même nom 33[32]. Les magistrats qui les avaient choisis d’abord dans l’armée les prirent ensuite parmi leurs affranchis 34[33]. Certaines attributions paraissent avoir été réservées à ces accensi, que les magistrats employaient d’ailleurs comme ils l’entendaient ; ainsi le consul chargeait un accensus de convoquer le peuple à l’ouverture des comices 35[34] ; l’accensus du consul, plus tard celui du préteur, annonçait les divisions principales du jour 36[35] ; un accensus précédait celui des consuls qui n’avait pas les faisceaux 37[36] [fasces]. On voit l’accensus et les licteurs réunis, comme marque de la dignité consulaire, sur une monnaie de Junius Brutus, ici reproduite d’après un exemplaire du Cabinet de France 38[37] (fig. 34). Sur une autre

Fig. 34. Accensus précédant le consul. Fig. 35. Accensus suivant l’empereur.


monnaie du même Cabinet (fig. 35) on voit l’empereur Adrien suivi d’un accensus et de trois enseignes 39[38].

Un employé du même nom faisait les fonctions d’huissier devant le tribunal, appelait les parties, et imposait le silence 40[39]. E. Saglio.

VI. Les monuments épigraphiques de l’époque impériale nous font connaître des accensi velati qui ne semblent avoir rien de commun avec les soldats qui portaient le même nom dans l’armée romaine primitive. Ces nouveaux accensi formaient une centurie ou un collège 41[40] chargé d’entretenir à ses frais les voies publiques. Un passage des fragments du Digeste retrouvés au Vatican par le cardinal A. Mai nous apprend que cette corporation comptait cent membres, lesquels jouissaient, entre autres priviléges, de l’exemption de tutelle et de curatelle 42[41]. Les inscriptions montrent que le collège en question se recrutait surtout dans la classe moyenne de la société romaine. Parmi les accensi velati on trouve des chevaliers romains, et même des fonctionnaires


haut placés dans cet ordre : tribuns militaires, procurateurs de César, etc. L’un d’eux, M. Consius Cerinthus, n’est, il est vrai, qu’un affranchi, mais le style archaïque de son monument funéraire prouve que ce personnage a vécu du temps d’Auguste. L’institution date donc du commencement de l’Empire. La dignité des accensi velati dut grandir dans les siècles suivants, comme celle de tous les corps créés avec le principat. Leurs priviléges grandissaient aussi, et l’exemption des charges devenait de plus en plus précieuse, à mesure que décroissait la prospérité de l’Empire. Dans les derniers siècles, les places de ces corporations privilégiées étaient devenues héréditaires. On comprend, d’après cela, comment lui enfant de quatre ans peut être qualifié de decurialis accensus velatus. Le mot decurialis prouve que le collège de cent membres était divisé en dix décuries.

Cette corporation, comme toutes celles qui étaient autorisées par l’État, avait ses biens propres, et par conséquent ses esclaves. On sait d’autre part que les affranchis, en recevant la liberté, prenaient le nom de leur maître. Ceux qui appartenaient à une tribu, ou à une ville, prenaient un nom tiré de celui de la tribu ou de la ville. Les anciens esclaves publics s’appelaient Publicius. Cette remarque suffit pour faire comprendre comment le nomen gentilitium de T. Velatius, Accensorum Velatorum L. Ganymedes, dérive des velati auxquels le personnage en question avait appartenu comme esclave. C. De la Berge.

Bibliographie. Walter, Geschichte des rômischen Rechts, 3" éd., Bonn, I S60, 1, § 30, 33 et 29S, p. 60 et sui ». ; Ortolan, ExpUcat. liist.des Instituts, 6 » éd. Paris, 1858, 3 vol. ia-S, I, p. 56 ; Mommsen, Die rômische Tribus in admin. Beziehunrj, Altona, 1841, in-8, p. 135, 136, 2)8, 219 ; Lange, Bàmische Alterthùmer, Berlin, 1 S56, in— « , p. 341, 34S ; Becker, Handbuch der rômischen Altertlwm. Leipzig, 1814, II, I, p. 212 el 375, 2 « éd., 1863, § 59 et les auteurs cités dans cet ouvrage. t. H, I, p. 203, et t. U, 3, p. 10 ; Huschke, Servius Tullius, p. 175-183, Heidelberg, 1838 ; Raumer, De Seroii Tullii censu, Erlangen, 1S39 ; Gerlach, Historische Studien, 11, Bâlc, 1847, p. 203 et 260 ; le Beau, Mém. de l’Acad. des Inscr. t. XXIX. p. 369 ; Zander, Andeutung. zur Geschit : ftte der rùm. Kriegswesens. Schônberg, 1 S40, p. 9, et 3 « partie, Uatzeburg, 1 853, p. 25 ; Rein, in Pauly, Real. Encyclop. I, 2e éd., 1^62, s. v. Accensi ; Niebuhr, Rom. Geschichte, I, p. 496 ; Mommsen, Degli Accensi Velati, in Annal. dell’ Institut. archæolog., 1849, p. 109.

  1. ACCENSI. 1 Gesch. des römisch. Rechts, 3e éd. § 30, p. 19 et suiv.
  2. 2 Explic. hist. des Inst. 6e éd. p. 56.
  3. 3 Tit. liv. III, 30 ; Aul. Gell. X, 28. C’est à tort que Denys d’Halicarnasse établit une sixième classe, IV, 18, 20 ; Mommsen, Römische Tribus, p. 218.
  4. 4 Festus, s. v. Adscripti, Velatitii, Adcensi ; Nonn. Marc. XII, 8 ; Varr. Ling. lat. VII, 56.
  5. 5 Tit. Liv. I, 43 ; Cic. Rep. II, 22 ; Walter, 1, § 33, p. 50.
  6. 6 Linge, Röm. Alterth. I, § 59 ; Mommsen, Dom. Tribus, p. 135, 136 et 219.
  7. 7 Dionys, V, 67 ; Tit.Liv. I, 43 ; Plutarch. Pophcol. 21.
  8. 9 Tit. Liv. I, 43 ; IV, 59 ; Dionys. IV, 16, 17 et 19.
  9. 10 Tit. Liv. 1, 43 ; Varro ap. Non. s. v. Decuriones ; Paul. Diac. s. v. Adscriptitii.
  10. 11 Varr. Ling. lat. VII, 56. Paul. Diac. l. l.
  11. 12 Paul Diac. l. l. ; Varro, Ling. lat. VII, 56 ; Plaut. Menoechm. I, 3, 1.
  12. 13 Nonius, I, 279, s. v. Legionum.
  13. 14 II, 9.
  14. 15 p. Diac. l. l.
  15. 16 Ap. Non. s. v. et P. Diac. l. l.
  16. 17 Cat. ap. Varr. Ling. lat. VII, 58 et ap. P. Diac. s. v. Velati. Cf. Plaut. Trin. II, iv, 55.
  17. 18 P. Diac. l. l.
  18. 19 Tit. Liv. VIII. 3 et 10.
  19. 20 Bartoli, Colon. Trajan. tav. 49.
  20. 21 Varr. Ling. lat. V, 82.
  21. 22 P. Diac. s. v. Paribus equis.
  22. 23 Varr. l. l. VII, 57.
  23. 24 Huschke, Servius Tullius, p. 178 ; Zander, Audentungen, III (die römische Légion), p. 28.
  24. 25 Varro ap. Non. s. v. Decuriones ; id. De vita populi romani, lib. III ; id. Ling. lat. VII, 58.
  25. 26 Festus, s. v. Optio.
  26. 27 Varro. Ling. lat. VI, 88 ; Orelli, 1621, 2253, 3127, 6091, 6530 ; Cic. Ad Att. IV, 16 ; Tit. Liv. XLV, 29 ; Plin. Hist. Nat. VII, 60 ; Suet. Caes. 20.
  27. 28 varro, l. l. ; Cic. Verr. II, 1, 28 ; 3, 66.
  28. 29 Tit. Liv. VII, 31.
  29. 30 lit. Liv. III, 33.
  30. 31 Orelli, 2931, 3197, 6340.
  31. 32 Orelli, 2931 ; Muratori, 899, 2.
  32. 33 Frontin. De aquaed. 176.
  33. 34 Cic. Ad Attic. IV, 16 ; Ad Qu. Fr. I, 1, 4 ; Varro, Ling. lat. III, 67 ; Orelli, 323S, 3127, 3306, 6341.
  34. 35 Varro, VI, 88.
  35. 36 id. VI, 3 et 89 ; Plin. Hist. Nat. VII, 60.
  36. 37 Suet. Caes. 20.
  37. 38 Cohen, Monn. consulaires. XXIII, 12.
  38. 39 Cohen, Monn. impér. II, pl. vi, 779.
  39. 40 Cic. Ad Qu. Fr. I, 1, 7.
  40. 41 Orelli, III, 2461, 1368, 3884, 2182, 2153 ; Muratori, 1067, 4, Gruter, 624, 2 ; Mommsen, Inser. Regn. Neap. 3610.
  41. 42 Juris civilis antejustinianei reliquiae ineditae, § 138.