Dictionnaire des patois romans de la Moselle/Préface

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Librairie Istra ; Faculté de lettres de l’Université de Strasbourg (p. v-ix).

« Èt si de ç’ que j’ā dit is sont tortus contants,
« Je s’rā pèyè d’mè pwinne èt n’regrèt’rā m’ mo tams.

(Lo bètome don piat fè d’Chan Heurlîn, 464—465).

PRÉFACE.


La Société d’Histoire et d’Archéologie lorraine’' s’est occupée dès les premiers moments de son existence de l’étude de nos patois. Fidèle à ses principes et pour sauver de l'oubli un langage qui se perd[1], elle a décidé de publier un Glossaire des patois romans de la Moselle et nous a fait l’honneur de nous charger de ce travail, qui était achevé en 1914, lorsque la guerre éclata. La crise du papier et de la main-d’œuvre en empêchèrent l’impression.

Notre Société n’ayant plus, hélas ! de fonds disponibles, la Faculté des Lettres de Strasbourg a bien voulu prendre à sa charge la publication de notre ouvrage ; je l’en remercie de tout mon cœur.

Voici comment nous avons procédé dans notre travail. Depuis plus de trente ans, nous nous sommes voué à l’étude des différents idiomes romans parlés dans notre pays, cherchant entre autres choses à former un recueil de mots et de locutions patoises. C’est notre travail personnel qui forme la partie fondamentale du dictionnaire. En second lieu, nous nous sommes servi des travaux de nos devanciers, parus sous forme de glossaires[2]. Toutefois nous avons dû constater qu’il ne faut faire usage qu’avec précaution de celui de Jaclot de Saulny, tandis qu’on peut, en général, avoir confiance dans le travail de Rolland. Le glossaire du patois messin de Lorrain ne répond pas exactement à son titre, plusieurs groupes de patois s’y trouvant mélangés ; il contient un certain nombre de mots empruntés à des chroniques messines. L’abbé Vion a laissé dans ses papiers des travaux préparatoires pour un dictionnaire du patois messin. Il forge de nouveaux mots empruntés au français, pensant sans doute que le dialecte devait être assez riche pour traduire même les pensées les plus abstraites ; mais son travail a le mérite de nous avoir conservé un grand nombre de vocables que nous n’avons pas trouvés ailleurs.

Les écrits patois publiés depuis le XVIIIe siècle[3] constituent une autre source à laquelle nous avons largement puisé. Là aussi, la plus grande circonspection dans le choix des mots s’imposait, les auteurs de ces écrits, sans aucune exception, donnant simplement une forme dialectale à un mot ou à une locution française quand le terme patois leur manquait. Il a été fait abstraction de la Grosse Enwaraye et du Dialogue facétieux, le langage de ces morceaux étant tout différent de nos patois parlés actuellement.

Il serait trop long et trop fastidieux d’énumérer les textes patois de moindre importance, trouvés par-ci par-là dans les journaux, dans les feuilles volantes ou ailleurs, où nous avons glané tantôt un mot, tantôt une locution ou un proverbe.

Tous les matériaux dont nous venons de parler et ceux qui sont énumérés plus bas[3] étaient loin de suffire. Un appel fut lancé à tous ceux qui s’intéressaient à nos patois et un questionnaire idéologique fut envoyé à toutes les personnes disposées à prendre part aux travaux préparatoires du Dictionnaire. Les réponses affluèrent. Dans la suite, bon nombre de nos collaborateurs changèrent de méthode de travail ; ils prirent un dictionnaire français et traduisirent dans leur langage les vocables qu’ils connaissaient.

Bien souvent les matériaux qu'on nous envoyait étaient sujets à caution, mais, grâce à ceux provenant des localités voisines, il était d’ordinaire possible, par voie de comparaison, de corriger ce qu’ils avaient de fautif ou de défectueux. Souvent ces matériaux ont pu être contrôlés sur place.

Le choix des mots à admettre dans le Glossaire présentait une grande difficulté. N’y ont été introduits que ceux qui ont une forme franchement patoise.

Les locutions et les proverbes qui figurent dans le corps du travail ne sont pas particuliers à un groupe de patois ; on les retrouve dans presque tous ; ils sont publiés sous la forme qu’ils revêtent dans le patois messin. Ceux qui ne sont propres qu’à un seul groupe sont désignés comme tels.

Les recettes de cuisine, qui figurent à certains endroits, seront aussi, croyons-nous, les bienvenues ; car, si le nom d’un mets est intéressant, il l’est encore davantage d’apprendre comment ce mets se préparait autrefois.

Nous avons cru bon aussi d’ajouter quelques illustrations représentant certains objets qui ne se retrouvent plus guère que dans des musées ou peut-être dans des villages très reculés.

Selon le désir formel exprimé par le Comité de la Société d’Histoire et d’Archéologie lorraine, le Dictionnaire ne doit pas seulement s’adresser aux dialectologues, mais aussi aux personnes qui portent quelque intérêt au vieux langage de notre pays. C’est pourquoi il a été jugé nécessaire d’em- ployer deux graphies : l’une, à la portée de tous, pour le mot qui se trouve en tête, est celle de la Société liégeoise de littérature wallonne ; une seconde notation, entre crochets, est strictement phonétique. Il ne nous a pas été toujours possible, hélas ! de mettre d’accord la première transcription avec l’étymologie, surtout pour les sons AU (0) et E (EU) ; on voudra ne pas nous en tenir rigueur.

Passons maintenant à la disposition matérielle du dictionnaire.

Lorsqu’on fait l’inventaire d’une langue possédant plusieurs dialectes, il faut prendre un de ces dialectes comme point de départ du travail. Nous avons choisi le patois messin, qui s’imposait par le seul fait que la presque totalité des ouvrages publiés jusque dans ces derniers temps l’ont été en cet idiome. Mais il faut se demander : quel patois était parlé dans la ville de Metz même ? — Si l’on envisage la phonétique du langage populaire tel que le parlent encore les Messins de vieille souche, on constate qu’elle concorde avec celle du patois parlé au nord-est et qui s’étend presque jusqu’aux portes de la ville. Les divergences que l’on rencontre dans les villages de la plus proche banlieue s’expliquent d’une manière naturelle par une infiltration venant du groupe dialectal parlé au sud-ouest et se bornent en somme au traitement des terminaisons latines -ARE et -ATA.

Le vocable qui se trouve en tête de chaque article appartient donc au patois messin. Entre parenthèses se trouve le même mot, suivi des formes telles qu’elles se présentent dans les autres groupes, cette fois dans la transcription de Bœhmer. Pour ne pas trop surcharger le Dictionnaire, nous nous bornerons, quand les divergences ne sont pas trop prononcées, à transcrire la forme messine en caractères phonétiques. Les linguistes sauront trouver dans les ouvrages indiqués à la bibliographie toutes les explications qui concernent les désinences telles qu’elles se présentent dans les groupes de patois autres que le messin. Cependant, les mots qui, par leur initiale ou leur terminaison, diffèrent sensiblement de la forme messine, ainsi que ceux qui commencent ou se terminent par CH ou J, correspondant à HH ou à H sonore, initiale ou finale, se trouvent à leur place alphabétique avec renvoi au mot type. Nous voulons par là éviter des difficultés au lecteur, Pour assigner un mot à un groupe de patois, il fallait qu’il fût en usage dans plusieurs localités de ce groupe, situées dans plusieurs directions.

La majeure partie des mots se rencontre dans tous les groupes de patois. Si un mot représenté dans un ou plusieurs groupes ne se trouve pas noté pour les autres, c’est qu’il ne nous a pas été communiqué ou que nous ne l’avons pas rencontré lors de nos recherches faites dans la contrée.

Dans chaque groupe de dialectes, nous avons pu nous assurer le concours désintéressé de collaborateurs des plus zélés. Qu’il me soit permis d’exprimer ma reconnaissance en première ligne à mon ami M. l’abbé Thiriot, qui a mis de riches matériaux à ma disposition et qui a revu tout le travail avant l’impression. Pour le groupe du nord-ouest, M. Leclère, de Fontoy, et M. Perruchot, d’Aumetz, nous ont fourni des notes très précieuses. Pour le patois du Pays-Haut, M. Viville, ainsi que M. L. Maujean, nous ont communiqué des matériaux considérables, et ce dernier nous a documenté en outre sur le parler de son village natal, Destry, et sur le patois si intéressant de Landroff. À M. Dosdat, qui a relu aussi une partie du manuscrit, nous devons de nombreux renseignements sur le patois de la Nied ; nous en devons aussi à M. Renaud sur celui de Pontoy. Le Dr de Westphalen nous a fourni une ample moisson de vocables appartenant aux cantons de Verny et de Gorze, et a enrichi notre ouvrage de termes concernant la faune et la flore de notre contrée, ainsi que d’un grand nombre de locutions. Lui non plus n’a pas reculé devant la lourde tâche de revoir tout le dictionnaire avant l’impression. M. Brod a eu l’amabilité de mettre à notre disposition de nombreuses notes qu’il avait recueillies dans le Saunois, et M. Paul Buzy, d’Attilloncourt, a rassemblé dans la même contrée un nombre considérable de mots, de locutions et de proverbes. Il a revu en outre le Glossaire pour la partie du Saunois. La regrettée Mme Winkel, de Lafrimbolle, et M. Rudeau, de Réchicourt, nous ont communiqué de nombreuses notes sur le patois parlé dans la partie vosgienne ; elles ont servi à compléter les contributions de haute valeur qui nous avaient été gracieusement fournies par M. J. Callais, en plus de ses notes sur le patois d’Ommeray ; il a bien voulu les revoir au cours de l’impression. MM. E. Hœpffner et A. Terracher, professeurs à l’Université de Strasbourg, ont revu les épreuves et se sont ingéniés à y relever les moindres erreurs. Last not least, M. Ch. Bruneau, professeur à l’Université de Nancy, nous a aidé à corriger les épreuves et nous a suggéré de nombreuses et utiles corrections. À tous ces collaborateurs, ainsi qu’à tous les autres, très nombreux, qui ont contribué, pour peu ou pour beaucoup, à l’achèvement de notre travail, nous disons ici un cordial merci.

Léon ZÉLIQZON.
  1. Austrasie, 1841, t. ix, p. 351—377.
  2. Voir la liste des ouvrages utilisés, p. xii.
  3. a et b Voir la liste des ouvrages consultés, p. xiii.