Dictionnaire des proverbes (Quitard)/Champenois

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champenois. — Quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenois font cent bêtes.

« On donne à ce dicton, dit l’abbé Tuet, une origine qui a tout l’air d’un conte. Lorsque César fit la conquête des Gaules, le principal revenu de la Champagne consistait en troupeaux de moutons qui payaient au fisc un impôt en nature. Le vainqueur, pour favoriser le commerce de cette province, exempta de la taxe tous les troupeaux au-dessous de cent bêtes ; alors les Champenois ne formèrent plus que des troupeaux de quatre-vingt-dix-neuf moutons. Cela n’était pas si bête ; mais César, instruit de la ruse, ordonna qu’à l’avenir le berger de chaque troupeau serait compté pour un mouton et paierait comme tel. »

Thibault IV, comte de Champagne, voulant faire face aux dépenses occasionnées par les fêtes qu’il donnait, mit aussi un impôt sur les troupeaux de cent moutons, et usa du même expédient que César pour faire payer cet impôt que ses sujets prétendaient éluder à la façon de leurs aïeux. Mais le dicton paraît antérieur à ce second fait, auquel il se rattacherait avec plus de vraisemblance qu’au premier.

Les Champenois le regardent comme une allusion à leur excessive bonté qu’on a voulu assimiler à la bêtise, et ils soutiennent que la bêtise leur a été imputée fort gratuitement, puisque la Champagne a produit, aussi souvent que toute autre contrée de la France, des talents éminents dans tous les genres. Je crois qu’ils ont raison, et je leur conseille de prendre pour devise ces deux vers de Juvénal :

Summos posse viros et magna exempta daturos
Vervecum in patriâ crassoque sub aëre nasci.

Des hommes supérieurs, et dont la vie est fertile en grands exemples, peuvent naître dans une atmosphère épaisse et dans la patrie des moutons.

Cette expression vervecum patria, la patrie des moutons, était proverbiale chez les anciens, qui croyaient que l’air de certains lieux abrutissait les hommes, lorsqu’il était favorable aux animaux. C’est à cause de cela que les Béotiens passaient pour les sots de la Grèce et les Campaniens pour les sots de l’Italie. Il est très probable que les Champenois en France auront été victimes du même préjugé fortement réveillé dans les esprits par le nom latin Campani qui leur est donné dans les chartes du moyen âge, et qui est le même que celui des habitants de l’ancienne Campanie. L’homonymie leur a porté malheur.