Dictionnaire des proverbes (Quitard)/alleluia

La bibliothèque libre.

alleluia. — Enterrer l’alleluia.

On dit qu’on enterre l’alleluia, pour marquer le temps où l’on cesse de le chanter aux offices, c’est-à-dire le samedi veille du dimanche de la Septuagésime ; et il est à remarquer qu’autrefois cette expression avait une signification littérale, comme le prouve un article intitulé Sepelitur alleluia, qui se trouve dans les statuts de l’église de Toul, rédigés au xve siècle. L’enterrement de l’alleluia se fesait très solennellement dans la cathédrale de cette ville, entre nones et vêpres, en présence de tout le chapitre. Les enfants de chœur officiaient et portaient une espèce de bière, qui représentait l’alleluia décédé, et qui était accompagnée des croix, des torches, de l’eau bénite et de l’encens. Il fallait que ces enfants et ceux qui suivaient le cercueil fissent entendre des plaintes et des lamentations jusqu’au cloître, où la fosse était préparée pour l’inhumation.

Fouetter l’alleluia.

Cette expression désignait autrefois une cérémonie qui se fesait aussi dans quelques diocèses, le samedi veille du dimanche de la Septuagésime. Un enfant de chœur lançait dans l’église une toupie autour de laquelle était écrit alleluia en lettres d’or, et, le fouet à la main, il la poussait le long du pavé, jusqu’à ce qu’elle fût tout à fait dehors. L’église alors, comme une mère complaisante, fesait dans sa liturgie la part de la récréation des jeunes clercs.

Alleluia d’automne.

Le peuple appelle ainsi, dans quelques endroits du midi de la France, une joie inconvenante et déplacée, comme le serait un alleluia chanté à l’office des morts qu’on fait en automne ; ce qui revient au proverbe de l’Ecclésiastique (ch. 22, v. 6) ! Musica in luctu, importuna oratio : Un discours à contre-temps est comme une musique pendant le deuil. — Saint Grégoire-le-Grand avait ordonné que l’alleluia (terme hébreu, qui signifie louez Dieu) fût chanté toute l’année. Dès lors ce mot fut joint à toutes les prières, Comme le Gloria Patri à tous les psaumes. Les rubricaires le placèrent même dans l’office des morts, d’où il fut ôté par décision expresse du Onzième canon du quatrième concile de Tolède. De là l’expression Alleluia d’automne, qu’on pourrait regarder aussi comme une altération de Alleluia d’Othon, expliqué plus bas.

On dit encore : Alleluia de Carême, et c’est une superstition notée par Thiers (liv. iv, ch. 3), qu’il ne faut point chanter l’alleluia en Carême, de peur de faire pleurer la bonne Vierge.

Alleluia d’Othon.

L’empereur Othon II fit une irruption en France et s’avança, à la tête de soixante mille Allemands, jusqu’à Paris, qu’il assiégea, au mois d’octobre 978. Il s’approcha d’une des portes de la cité et la frappa de sa lance. Ensuite il monta sur le haut de Montmartre, et fit chanter alleluia en l’honneur d’une telle prouesse. Mais Lothaire, qui arriva sur ces entrefaites avec les troupes du comte Hugues-Capet et du duc de Bourgogne Henri, troubla la joie inconsidérée de ce fier conquérant, le mit en déroute, le poursuivit jusqu’à Soissons, et s’empara de tous ses bagages. L’alleluia d’Othon passa en proverbe, et servit autrefois à désigner une réjouissance intempestive ou une fanfaronnade suivie de quelque effet désagréable pour la fanfaron.