Dictionnaire des proverbes (Quitard)/amant
amant. — L’ame d’un amant vit dans un corps étranger.
Cet adage ingénieux, rapporté par Plutarque dans la vie de Marc-Antoine, signifie qu’un amant est tout entier à sa passion et ne s’appartient pas à lui-même. L’ame d’un amant vit plus dans ce qu’elle aime que dans ce qu’elle anime, Anima plus vivit ubi amat quam ubi animat, parce que, disent les philosophes, elle est par nécessité là où elle anime, tandis qu’elle est par choix et par inclination là où elle aime.
La bourse d’un amant est liée avec des feuilles de porreau.
C’est-à-dire qu’elle n’est pas liée, parce que les feuilles de porreau, qui se rompent aussitôt qu’on veut les nouer, ne peuvent servir de lien.
Ce proverbe, qui était usité chez les Grecs et chez les Latins, et qui est cité dans les Symposiaques de Plutarque (liv. i, quest. 5), s’emploie pour marquer la prodigalité des amants. Cette prodigalité, dont on pourrait citer des milliers d’exemples remarquables, ne s’est jamais manifestée par un trait plus charmant que celui qui a inspiré à Delille les vers suivants :
Que j’aime ce mortel qui, dans sa douce ivresse,
Plein d’amour pour les lieux où jouit sa tendresse,
De ses doigts que paraient des anneaux précieux
Détache un diamant, le jette et dit : « Je veux
Qu’un autre aime après moi cet asile que j’aime,
Et soit heureux aux lieux où je le fus moi-même ! »
Cœur noble et délicat ! dis-moi quel diamant
Égale un trait si pur, et vaut ton sentiment.
Cet amant était milord Albemarle, le même qui, voyant un soir mademoiselle Gaucher, sa maîtresse, occupée à regarder fixement une étoile, s’écria : Ne la regardez pas tant, ma chère, je ne pourrais pas vous la donner.
Le sentiment qui respire dans ce mot, où le cœur s’est exprimé avec tant d’esprit et de délicatesse, se retrouve sous une forme non moins naïve qu’originale dans ces vers d’une vieille ballade qui est insérée parmi les ballades de Villon, mais qui n’est pas de Villon :
Or elle a tort, car noise ne rancune
Onc n’eut de moi : tant lui fus gracieux
Que s’elle eût dit : donne-moi de la lune,
J’eusse entrepris de monter jusqu’aux cieux.