Dictionnaire des proverbes (Quitard)/amour

La bibliothèque libre.

amour. — Amour et mort, rien n’est plus fort.

Rien ne résiste à l’amour ni à la mort. C’est la belle pensée de l’Écriture sainte : Fortis ut mors dilectio ; l’amour est fort comme la mort.

L’amour le plus parfait est le plus malheureux.

Les contrariétés auxquelles l’amour est soumis en prouvent la perfection. Tous les romans semblent faits pour confirmer la vérité de ce proverbe. On n’y voit que des amants poursuivis par une fatale destinée et dont la constance s’affermit sous les coups du malheur.

L’amour fait perdre le repas et le repos.

Ce proverbe est l’un des trente-un articles du Code d’amour qui se trouve dans l’ouvrage intitulé : Livre de l’art d’aimer et de la réprobation de l’amour, par maître André, chapelain de la Cour royale de France. Voici cet article : Minus dormit et edit quem amoris cogitatio vexat.

Le souci ronge ceux qui aiment, dit l’auteur de l’Imitation. Ovide a dit dans son Héroïde, de Pénélope à Ulysse :

Res est solliciti plena timoris amor.
L’amour est toujours plein d’un inquiet effroi.

Les Italiens ont ce proverbe : Chi a l’amor nel petto a sprone nei fianchi ; qui a l’amour au cœur a l’éperon aux flancs.

L’amour sied bien aux jeunes gens et déshonore les vieillards.

Amare juveni fructus est, crimen seni.

(Laberius.)

L’amour, disait Louis XII, est le roi des jeunes gens, et le tyran des vieillards.

Est in camtie ridiculosa Venus.

(Ovide.)

Turpè senex miles.

(Id.)
C’est une grande difformité dans la nature qu’un vieillard amoureux.
(La Bruyère.)

Lorsqu’un vieux fait l’amour,
La mort court à l’entour.

L’amour hâte la fin de la vie d’un vieillard. L’amour chez le vieillard est comme le gui qui fleurit sur un arbre mort.

Qui se marie par amour
A bonnes nuits et mauvais jours.

Une femme d’esprit disait à son fils, pour le dissuader de faire un mariage d’amour, qui est ordinairement un mariage pauvre : Souvenez-vous, mon fils, qu’il n’y a qu’une chose qui revienne tous les jours dans le ménage : c’est le pot-au-feu.

Après l’amour le repentir.

Hélas ! nous ne pouvons aimer toujours, et le repentir nous prend où l’amour nous laisse.

L’amour et la pauvreté font ensemble mauvais ménage.

Le ménage le plus uni cesse de l’être quand il est pauvre. La pauvreté tue l’amour. Les Anglais disent : When poverty comes in at the door, love flies out at the window ; lorsque la pauvreté entre par la porte, l’amour s’envole par la fenêtre.

L’amour ne loge point sous le toit de l’avarice.

Le Code d’amour déjà cité dit : Amor semper ab avaritiœ consuevit domicitiis exulare.

L’amour apprend aux ânes à danser.

La légèreté et la souplesse singulières avec lesquelles les ânes, au mois de mai, bondissent et se trémoussent dans la prairie auprès des ânesses, ont donné lieu à ce proverbe, dont le sens est que l’amour polit le naturel le plus inculte.

L’amour porte la musique.

Les amants aiment à chanter leurs plaisirs et leurs peines. De là ce proverbe, qu’on trouve expliqué dans les Symposiaques de Plutarque (liv. i, quest. 5). Les Anglais disent : Love was the mother of poetry. Amour engendra poésie. Ce qui a été ingénieusement développé dans le Spectateur, no 377.

À battre faut l’amour.

Faut est ici la troisième personne du présent indicatif du verbe faillir, et ce proverbe, tiré du latin, Injuria solvit amorem, signifie que les mauvais traitements font cesser l’amour. — Cependant le cas n’est point sans exceptions. On sait que les femmes moscovites mesuraient l’amour qu’elles inspiraient sur la violence avec laquelle elles étaient battues, et qu’il n’y avait ni paix ni contentement pour elles avant d’avoir éprouvé la pesanteur du bras marital. Experientia testatur fœminas moscoviticas verberibus placari. (Drex., de Jejunio, lib. i, cap. 2.)

Une vieille chanson languedocienne attribue aux filles de Montpellier le même goût.

Lei castagnos aou brasié
Pétoun qan soun pas mourdudos ;
Les fillos de Mounpelié
Plouroun qan soun pas batados.

Ce qu’un ancien traducteur a rendu ainsi vers par vers.

Les châtaignes au brasier
Pètent de n’être mordues ;

Les filles de Montpellier
Pleurent de n’être battues.

Il y a encore une exception très remarquable au proverbe, et ce sont les deux parfaits modèles des amants qui l’ont fournie. Le sensible Abeilard fustigeait quelquefois la sensible Héloïse, qui ne l’en aimait pas moins. Lui-même, parlant à elle-même, raconte la chose dans une de ses lettres, où il avoue d’un cœur contrit les scandaleux excès de sa passion immodérée : In ipsis diebus dominicæ passionis ; … te nolentem ac dissuadentem sæpiùs minis ac flagellis ad consensum trahebam. Les jours mêmes de la passion de notre Seigneur,… lorsque tu me refusais ce que je demandais ou que tu m’exhortais à m’en priver, ne t’ai-je pas trop souvent forcée par des menaces et par des coups de fouet à céder à mes désirs ? Ausone avait deviné le cœur d’Héloïse, lorsqu’il disait en peignant les qualités d’une maîtresse accomplie (épig. 77) : Je veux qu’elle sache recevoir des coups, et qu’après les avoir reçus, elle prodigue ses caresses à son amant.

On revient toujours à ses premières amours.

Parce qu’on espère y trouver un bonheur que ne donnent point les autres.

Ce premier sentiment de l’ame
Laisse un long souvenir que rien ne peut user,
Et c’est dans la première flamme
Qu’est tout le nectar du baiser.

(Lebrun.)

Que la nuit me prenne là où sont mes amours !

Pour dire qu’on s’attarde volontiers dans un endroit où l’on se plaît, auprès des personnes qu’on aime.

Ce vœu tendre et délicat ne serait pas déplacé auprès du vœu de Léandre, dans l’Anthologie ou Choix de fleurs. C’est vraiment une fleur d’amour.

Il n’y a point de laides amours.
L’objet qu’on aime est toujours beau.

« Tout cœur passionné embellit dans son imagination l’objet de sa passion ; il lui donne un éclat que la nature ne lui donne pas, et il est ébloui de ce faux éclat. La lumière du soleil, qui est la vraie joie des yeux, ne lui paraît pas aussi belle. »

(Bossuet.)

Quisquis amal ranam ranam putat esse Dianam.

Quiconque aime une grenouille prend cette grenouille pour Diane.

C’est Diane Limnatis, déesse des marais et des étangs.

Les habitants de l’île de Chypre avaient érigé des autels à Vénus barbue. Les Romains adoraient Vénus louche, comme on le voit dans le second livre de l’Art d’aimer d’Ovide, et dans le Festin de Trimalcion, par Pétrone. Ils disaient même proverbialement, en parlant d’une belle qui avait le rayon du regard faussé : Si pæta, est Veneri similis. Si elle est louche, elle ressemble à Vénus. Horace nous apprend qu’un certain Balbinus trouvait des grâces dans le polype d’Agna sa maîtresse.

Le meilleur développement du proverbe, Il n’y a pas de laides amours, est dans les vers suivants, tirés de la traduction libre que Molière avait faite de Lucrèce, et placés dans la cinquième scène du deuxième acte du Misanthrope.

… L’on voit les amants vanter toujours leur choix ;
Jamais leur passion n’y voit rien de blâmable,
Et dans l’objet aimé tout leur paraît aimable.
Ils comptent les défauts pour des perfections,
Et savent y donner de favorables noms :
La pâle est aux jasmins en blancheur comparable ;
La noire à faire peur, une brune adorable ;
La maigre a de la taille et de la liberté ;
La grasse est, dans son port, pleine de majesté ;
La malpropre, sur soi de peu d’attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée ;
La géante paraît une déesse aux yeux ;
La naine, un abrégé des merveilles des cieux ;
L’orgueilleuse a le cœur digne d’une couronne ;
La fourbe a de l’esprit ; la sotte est toute bonne ;
La trop grande parleuse est d’agréable humeur,
Et la muette garde une honnête pudeur.
C’est ainsi qu’un amant, dont l’amour est extrême,
Aime jusqu’aux défauts des personnes qu’il aime.