Dictionnaire des proverbes (Quitard)/bénéfice

La bibliothèque libre.

bénéfice. — Bénéfice à l’indigne est maléfice.

Si l’on avait, dit le comte de Maistre, des observations morales comme on a des observations météorologiques, on verrait que les envahissements de l’orgueil, les violations de la foi jurée, ou les biens mal acquis sont autant d’anathèmes dont l’accomplissement est inévitable sur les individus et sur les familles. Le prophète Jérémie (ch. xxxi, v. 29.) a exprimé la même pensée dans ces paroles passées en proverbe chez les Hébreux : Patres comederunt uvam acerbam et dentes filiorum obstrepuerunt. Les pères ont mangé le verjus, et les dents de leurs fils en ont été agacées. Saint Grégoire de Nazianze appelle le gain illicite les arrhes du malheur, dans un beau vers grec traduit ainsi en latin :

Infortunii arrha certa quæstus est malus.

Les Romains disaient dans le même sens : Aurum habere Tolosanum, avoir de l’or de Toulouse ; proverbe dont nous nous servons également, et dont voici l’origine : Il y avait

autrefois à Toulouse, dans un temple qui est devenu, dit-on, l’église de Saint-Sernin, un trésor de cent mille livres pesant d’or, et de cent mille livres pesant d’argent, suivant les écrivains qui ont le moins exagéré dans le calcul de cette richesse. Ce trésor n’avait point de garde, parce que la croyance générale était qu’il porterait malheur à ceux qui l’enlèveraient. Le consul Servilius Cépion, étant entré dans la ville, qui s’était donnée aux Romains pour échapper à la domination des Cimbres, se moqua d’un pareil préjugé, et, n’écoutant que son avarice, il ordonna de piller le temple. Ensuite, il fit partir le butin pour Marseille, d’où on devait le transporter à Rome ; mais il envoya secrètement des assassins qui égorgèrent les conducteurs, et il se l’appropria par ce nouveau crime. L’année suivante, sa folle témérité perdit l’armée et causa un des plus épouvantables désastres qu’aient jamais essuyés les Romains. Il fut destitué de son commandement, dépouillé de ses biens et exilé du sénat. Tous les spoliateurs eurent également un sort misérable, qui fut regardé comme un châtiment infligé par les dieux ; et de là vint l’adage de l’or de Toulouse, usité dans les Gaules pour signifier que les larcins n’attirent sur leurs auteurs que des calamités.

B. Thomas à Villanova (de Villeneuve) rapporte un proverbe semblable, souvent cité dans les écrits des Pères de l’Église : De Jericho sibi aliquid reservare, se réserver quelque chose du butin de Jéricho. Ce qui est fondé sur la punition d’Achan, lapidé, avec toute sa famille, par ordre de Josué, pour s’être emparé d’un manteau d’écarlate, de deux cents sicles d’argent et d’une règle d’or, à la prise Jéricho.

On ne peut avoir en même temps femme et bénéfice.

Il y avait autrefois des bénéfices que, durant certains mois, les collecteurs, patrons laïques, étaient obligés de conférer aux gradués de l’Université. Mais ces gradués ne pouvaient y être nommés lorsqu’ils étaient mariés. De là ce proverbe, dont le sens est qu’on ne peut cumuler deux avantages.

Les chevaux courent les bénéfices et les ânes les attrapent.

On n’accorde pas toujours les places ou les grâces à ceux qui les méritent.

Ce proverbe fut originairement, dit-on, un mot de Louis XII. Ce roi voulut désigner sous le nom d’ânes, par une espèce de calembourg, certains seigneurs ignorants qui couraient à franc-étrier pour aller solliciter quelque bénéfice vacant, et qui l’obtenaient d’ordinaire, parce qu’ils arrivaient les premiers, grâce à leurs chevaux.

Les Espagnols disent dans le même sens : Le plus mauvais pourceau mange le meilleur gland.