Dictionnaire des proverbes (Quitard)/demain

La bibliothèque libre.

demain.Ne remets pas à demain ce que tu peux faire aujourd’hui.

Parce que les délais peuvent compromettre les meilleures affaires. Ceux qui disent Je ferai demain sont des imprudents. Les Latins les comparaient aux corbeaux dont le croassement semble faire entendre cras, cras, demain, demain, ce qui avait donné lieu à l’expression Sponsio corvina, promesse de corbeau, dont saint Augustin s’est servi plusieurs fois. — Voici des réflexions de deux auteurs anglais dans lesquelles le sens moral du proverbe se trouve développé d’une manière élégante et originale. « Sois sage aujourd’hui : c’est folie de différer. Demain le fatal exemple de la veille t’entraînera, et toujours ainsi jusqu’à ce que la sagesse ne soit plus en ton pouvoir. Les délais sont les ravisseurs du temps. Ils nous enlèvent nos années l’une après l’autre. Enfin la vie nous échappe et laisse à la merci d’un seul instant les grands intérêts de l’éternité. Si cette erreur était moins commune, ne serait-elle pas bien étrange ? mais qu’elle soit si commune, cela n’est-il pas plus étrange encore ?… Tous les hommes se préparent à vivre sans jamais sortir des liens de l’enfance. Ils se font tous l’honneur de croire qu’ils reviendront un jour à la raison, et sur la foi de ce retour, leur orgueil reçoit des félicitations toujours prêtes, au moins les leurs. Ils applaudissent à leur future conversion. Qu’elle est édifiante, en effet, cette vie qu’ils ne connaîtront jamais ! Le temps confié à leurs mains devient le patrimoine de la folie. Celui qui appartient au destin, ils le lèguent à la sagesse… Au milieu des meilleures intentions, l’homme forme et reforme de nouveaux plans, puis il meurt le même. »

(Young.)

« Demain, dis-tu ? Demain ! c’est un fripon qui joue son indigence contre ta richesse, qui reçoit ton argent comptant et le rembourse en souhaits, en espérances, en promesses, monnaie des sots ; détestable banqueroute dont un créancier trop crédule est la dupe ! Demain ! c’est un jour qu’on ne trouve nulle part dans les vieux registres des âges, si ce n’est peut-être dans le calendrier des fous. La sagesse rejette ce mot et ne veut point de société avec ceux qui s’en servent… C’est un enfant du caprice dont l’extravagance est la mère. Il est de la même étoffe que les songes et aussi vain que les chimériques visions de la nuit. Crois-moi, mon ami, arrête les moments présents ; car sois certain que ce sont de vrais délateurs ; et quoiqu’ils s’échappent sans bruit, sans laisser de trace après eux, ils vont droit au ciel, où ils rendent compte de ta folie… Arrête le moment présent, mon cher Horatio, imprime sur ses ailes le sceau de la sagesse. Voilà ce qui vaut mieux qu’un royaume, et ce qui est plus précieux que tous les dons brillants de la fortune. Oh ! ne le laisse pas échapper de tes mains ; mais, comme ce bon patriarche dont parlent nos annales, saisis l’ange au vol et retiens-le jusqu’à ce qu’il t’ait béni. »

(Cotton.)

Le proverbe est fort ancien. Blaise de Montluc, dans ses Commentaires (liv. ii, p. 540), l’appelle la devise d’Alexandre-le-Grand, et le rapporte en ces termes : Ce que tu peux faire anuit, n’attends pas au lendemain. Le mot anuit est synonyme de aujourd’hui. Les uns prétendent qu’il a pris cette signification de l’usage de compter par nuits établi chez les Gaulois, ainsi que chez les Hébreux, les Arabes, les Germains, les Islandais, etc. ; les autres pensent qu’il a été formé par contraction de ante noctem (avant la nuit) ; mais ces étymologies sont justement révoquées en doute : il est évident que anuit est dérivé de la préposition en et du vieux substantif huy ou hui qui signifie jour. En hui est une expression qui se trouve dans nos plus anciens livres, notamment dans le Roman de Rou, par Robert Wace. Robert d’Artois disait aux Flamands qu’il conduisait : « Nous bevrons encore en hui de ces bons vins de Saint-Omer. » Cette phrase est dans la Chronique publiée par M. Sauvage, p. 156.)