Dictionnaire des proverbes (Quitard)/dieu

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dieu. — L’homme propose et Dieu dispose.

C’est-à-dire que les desseins des hommes ne réussissent qu’au tant qu’il plaît à Dieu ; que leurs entreprises tournent fréquemment au contraire de leurs projets et de leurs espérances. Les Espagnols disent : Los dichos en nos, los hechos en dios ; les dits en nous, les faits en Dieu.

Il y a souvent dans les affaires les mieux concertées des rencontres imprévues qui les font échouer ou réussir, comme pour prouver l’insuffisance des calculs humains et manifester la supériorité de la Providence. L’homme dispose sa voie, dit la Sagesse, et Dieu conduit ses pas ; ce que Fénelon a redit heureusement dans cette phrase de son beau sermon pour la fête de l’Épiphanie : « Dieu ne donne aux passions humaines, lors même qu’elles semblent décider de tout, que ce qu’il leur faut pour être les instruments de ses desseins. Ainsi, l’homme s’agite et Dieu le mène. »

Écoutons Bossuet sur la même matière. « Il n’y a point de hasard, dit-il, dans le gouvernement des affaires humaines, et la fortune n’est qu’un mot qui n’a aucun sens. Tout est sagesse et providence. On a beau compasser dans son esprit tous ses discours et tous ses desseins, l’occasion apporte toujours je ne sais quoi d’imprévu ; en sorte qu’on dit et qu’on fait toujours plus ou moins qu’on ne pensait. Et cet endroit inconnu à l’homme dans ses propres actions et dans ses propres démarches, c’est l’endroit secret par où Dieu agit, et le ressort secret qu’il remue. »

Aux petits des oiseaux Dieu donne leur pâture.

La providence de Dieu est grande, elle pourvoit à la subsistance de toutes les créatures. — Les Espagnols disent : Les petits oiseaux des champs ont le bon Dieu pour maître-d’hôtel. Il y a dans leur proverbe je ne sais quel mélange de fierté et de confiance qui caractérise la pauvreté castillane, habituée à ne pas travailler et à vivre au soleil, dans des vestibules de palais et sous des porches d’église.

Servir Dieu, c’est régner.

Parce que celui qui sert Dieu maîtrise toutes ses passions, et règne sur lui-même. Ce proverbe est la traduction littérale de cette pensée d’un père de l’Église, Servire Deo regnare est. Il a beaucoup d’analogie avec ce qu’a dit Horace (Ode 6, liv. iii) ;

Dis te minorem quod geris imperas.

Dieu donne le froid selon le drap.

Dieu proportionne les peines qu’il nous envoie aux forces que nous avons pour les supporter. — Henri Étienne, qui ne laisse guère échapper l’occasion de ridiculiser les moines, prétend dans le chapitre 32 de son Apologie d’Hérodote, que quelques-uns d’entre eux avaient traduit par ce proverbe la belle expression du psaume 147, v. 16, Dat nivem sicut lanam, dont Godeau a fait la paraphrase suivante :

Lorsque la froidure inhumaine
De leur vert ornement dépouille les forêts,
Sous une neige épaisse il couvre les guérets,
Et la neige a pour eux la chaleur de la laine.

Dieu vous bénisse !

Polydore Virgile prétend que du temps de saint Grégoire-le-Grand, en 591, il régna dans l’Italie une épidémie violente qui fesait mourir en éternuant ceux qui en étaient atteints, et que le pontife ordonna des prières accompagnées de vœux pour arrêter les progrès du mal, ce qui introduisit la coutume de dire : Dieu vous bénisse ! Mais cette coutume date d’une époque bien antérieure au sixième siècle. Elle a existé de toute antiquité dans toutes les parties de l’ancien monde, et les navigateurs qui ont découvert le nouveau l’y ont trouvée établie. Plusieurs auteurs qui en ont recherché l’origine, l’attribuent à diverses raisons qu’ils déduisent de la religion, ou de la morale, ou de la physique. Je vais rapporter ce que j’ai pu recueillir de plus curieux sur cette matière traitée par Skookius, par Bartolin, par Strada et par d’autres savants.

histoire de l’éternument.

Lorsque notre père Adam fut devenu mortel par sa désobéissance, Dieu, disent les rabbins, décida, dans sa sagesse, que ce pécheur éternuerait une fois, et que ce serait au moment de rendre l’esprit. Il n’y eut pas, ajoutent-ils, d’autre genre de mort naturelle parmi les hommes jusqu’à Jacob. Ce patriarche, moins résigné que ses prédécesseurs à une pareille fin, et craignant de quitter ce monde à chaque bâillement qu’il fesait, obtint du Seigneur la révocation d’un tel arrêt. Il éternua et resta vivant, à la grande surprise de ceux qui l’entendirent. Ce miracle pourtant ne détruisit pas toutes les frayeurs que causait le mortel éternument. On crut que ses effets pourraient bien n’avoir été que différés, et l’on contracta l’habitude d’y remédier par des vœux. Ces vœux furent si efficaces, que le signe du trépas devint celui de la vie. Les enfants commencèrent dès lors à éternuer en naissant, et dans la suite le fils de la Sunamite, rappelé du tombeau à la voix du prophète Élysée, marqua sa résurrection par sept éternuments consécutifs qui, suivant la remarque d’un mélomane, retentirent en formant les sept tons de la gamme.

Il serait difficile de trouver un sens raisonnable au récit des rabbins, peu scrupuleux, comme on sait, à donner des énigmes sans mot. Ce que les mythologues ont imaginé sur le même sujet vaut un peu mieux. Lorsque Prométhée, disent-ils, eut façonné sa statue d’argile, il alla dérober, avec l’aide de Minerve, le feu céleste dont il avait besoin pour l’animer, et il l’apporta sur la terre dans un flacon hermétiquement bouché qu’il ouvrit ensuite sous le nez de cette statue pour le lui faire aspirer. Aussitôt que le phlogistique divin se fut insinué dans le cerveau, elle agita sa tête en éternuant. Prométhée ravi lui dit : Bien te fasse ! et ce souhait fit tant d’impression sur la nouvelle créature, qu’elle ne l’oublia jamais et le répéta toujours, dans le même cas, à ses descendants qui l’ont perpétué jusqu’à nous. Cette fiction ingénieuse prouve du moins que les secrets de l’électricité, dont elle est une allégorie, n’étaient pas tout à fait inconnus dans les temps les plus reculés ; mais elle ne décide pas la question qui nous occupe.

Aristote et d’autres philosophes ont cru trouver la solution de cette question dans le respect religieux qu’on avait jadis pour la tête, regardée comme la partie la plus noble du corps humain et le siége de l’ame, cet être immatériel et pensant émané de la divinité même à qui le cerveau fut consacré pour cette raison. C’est à cause de cela, assurent-ils, que l’éternument fut toujours accueilli avec une grande vénération, et qu’il obtint même des adorations en certains pays où l’on se mettait à genoux aussitôt qu’il se fesait entendre.

Les Siamois ont une opinion différente. Ils sont persuadés qu’il y a dans leur enfer plusieurs juges écrivant sans cesse sur un livre tous les péchés des hommes qui doivent paraître un jour devant leur tribunal ; que le premier de ces juges, nommé Prayomppaban, est incessamment occupé à feuilleter ce registre où la dernière heure de chaque créature humaine est marquée, et que les personnes dont il lit l’article ne manquent jamais d’éternuer au même instant ; ce qui dénote qu’elles ont bon nez. Ainsi l’éternument est de la part de ces personnes un signe de détresse pour avertir la compassion d’implorer l’assistance divine en leur faveur.

Avicène et Cardan le regardent comme une espèce de convulsion qui fait craindre l’épilepsie, et ils prétendent que les souhaits dont il est accompagné n’ont pas d’autre fondement que cette crainte.

Suivant d’autres médecins, l’éternument est une crise avantageuse dans plusieurs maladies, et une preuve du bon état du cerveau dans presque toutes les circonstances. Voilà pourquoi il a toujours obtenu des compliments de la part de ceux qui l’entendent.

Un auteur anonyme a fait l’hypothèse suivante : Parmi les enfants qui viennent de naître, quelques-uns ne respirent que quelques instants après qu’ils sont au monde, et d’autres restent tellement plongés dans un état de mort apparente qu’il faut avec des liqueurs irritantes leur communiquer la chaleur et la vie. Dans tous les cas possibles, le premier effet de l’air et le premier signe d’existence qu’ils donnent est l’éternument : cette espèce de convulsion générale semble les réveiller en sursaut. C’est alors que commence le jeu de la respiration, l’harmonie parfaite, et le libre exercice de chaque organe. Au comble de ses vœux, ou dans l’excès même de ses craintes, un père n’a qu’un souhait à faire, un souhait qu’il répétera, ou qui retentira dans son cœur, à chaque secousse qui fait tressaillir l’enfant : c’est qu’il vive, que le Dieu des cieux le conserve. Ainsi cet usage, en apparence frivole, ridicule, bizarre, inexplicable, est l’image et l’expression du sentiment le plus pur excité par le tableau le plus touchant de la nature. C’est la trace de la plus douce émotion et de l’élan irrésistible de l’homme vers son plus cher ouvrage ; c’est le souvenir de la première chaîne d’affection qui se soit formée autour d’un nouveau membre de la société, du premier vivat qui soit sorti de la bouche des hommes. Enfin cet usage, dans quelque sens qu’on le prenne, est le cri général, universel de la tendresse paternelle, de la piété filiale, de l’amitié fraternelle, de toutes les plus douces affections de l’homme dans l’âge d’or ; et cet âge, du moins sous ce rapport, existera toujours pour les ames sensibles.

On voit par ce qu’on vient de lire que l’habitude de saluer ceux qui éternuent, quoique attribuée à des causes diverses, est des plus antiques, des plus répandues et des plus constantes. Pour la rendre telle, il a fallu sans doute des motifs plus puissants que ceux de la civilité qui, soumise à diverses modifications dépendantes des temps, des lieux et des mœurs, n’aurait pu seule la propager partout, de siècle en siècle, et d’une manière si uniforme. On doit y reconnaître l’influence de la superstition établie à demeure fixe dans l’esprit humain dominé toujours par elle, soit à son insu, soit de son consentement, soit malgré lui, par l’entremise des passions dont elle est inséparable. La superstition, dans ce cas, a été favorisée par des législateurs qui n’y ont rien vu que d’honnête. Témoin ce précepte du Sadder, abrégé du Zend-Avesta de Zoroastre ; « Dis Ahunovar et Ashim vuhâ, lorsque tu entends éternuer. »

Examinons maintenant les idées qui ont été attachées à l’éternument, et les cérémonies auxquelles il a donné lieu chez plusieurs peuples, soit anciens, soit modernes. Les Égyptiens, les Grecs et les Romains le prenaient pour un avertissement divin de la conduite qu’ils devaient tenir en telle ou telle circonstance, et pour un présage, tantôt favorable et tantôt funeste, des événements de la vie. Il y avait chez eux des devins qui fesaient métier d’expliquer ce qu’il signifiait, selon l’endroit, le temps et l’heure où il était venu, selon le bruit plus ou moins fort qu’il avait fait, et selon la position de la tête d’où il était parti. S’il paraissait d’heureux augure, on rendait grâces aux dieux, et l’on se hâtait de conclure les affaires qu’on avait le plus à cœur ; mais s’il ne présageait rien de bon, on s’abstenait de toute entreprise importante, de sortir de chez soi, de manger même ; jusqu’à ce qu’on eût rompu le maléfice par certaines pratiques religieuses ou par l’acceptation volontaire de quelque petit malheur en remplacement de celui qu’on croyait avoir à redouter. Les poëtes et les historiens ont pris plaisir à nous faire connaître de semblables préjugés, et s’il faut en citer des exemples,

Les exemples fameux ne nous manqueront pas.

Lorsque Pénélope, obsédée par ses amants, priait les dieux immortels de lui ramener Ulysse, son fils Télémaque fit un éternument si fort que tout le palais en retentit ; et la chaste princesse se livra dès lors à la joie, ne doutant plus de l’accomplissement de sa prière, quoiqu’elle l’eût faite en vain tant de fois.

Les Athéniens, partis pour une expédition navale, voulaient rentrer dans le port parce que Thimothée, leur amiral, avait éternué. Eh quoi ! leur dit-il, vous vous étonnez de ce qu’un homme sur dix mille a le cerveau humide !

Pendant que Xénophon exhortait les troupes à un parti périlleux, mais nécessaire, un soldat éternua. L’armée se persuada que son nez, qui était sans doute très remarquable, avait été choisi par les dieux pour sonner à la fois la charge et la victoire. Décidée aussitôt par ce pronostic bien plus que par l’éloquence de son chef, elle offrit un sacrifice au bon événement et brava tous les dangers avec confiance.

Les bonnes gens pensent que Socrate ne devint le plus sage des hommes qu’à force d’étudier la philosophie et de lutter contre ses passions ; c’est une erreur. Qu’on lise Plutarque, De genio Socratis, on verra qu’il dut principalement cet avantage aux éternuments par lesquels son génie l’avertissait.

On croyait que l’amour éternuait à la naissance des belles et les destinait ainsi à partager avec les Grâces et Vénus l’encens des mortels. Aussi le plus joli compliment qu’un galant petit-maître de Rome pût adresser à celle dont il était épris consistait-il à lui dire : Sternuit tibi amor, l’amour a éternué pour vous. Ce que Parny s’est peut-être rappelé lorsqu’il a dit à son Éléonore :

 Éternuez en assurance,
 Le dieu d’amour vous bénira.

L’éternument eut quelquefois le privilége d’adoucir la férocité d’un tyran. Tibère devenait affable lorsqu’il avait éternué sous l’influence du bon quart-d’heure, et il se promenait sur un char dans les rues pour recevoir les félicitations de ses sujets.

Cette précieuse civilité n’avait pas lieu seulement à l’égard des autres : on ne négligeait point de se la faire à soi-même. Martial parle d’un certain Proclus dont le nez, curieux morceau d’histoire naturelle, avait son bout si distant des oreilles que le pauvre homme ne pouvait s’entendre éternuer pour former en son propre honneur le vœu ordinaire.

L’auteur de l’Histoire de la conquête du Pérou rapporte que lorsque le cacique de Guachoia ou Guacaya éternuait, ses sujets étaient avertis de cet heureux événement par des signaux publics, afin qu’ils se prosternassent en l’honneur de leur maître et qu’ils priassent le soleil de le protéger, de l’éclairer et d’être toujours avec lui.

Quand le roi de Monomotapa éternue, a dit quelque part Helvétius, tous les courtisans sont obligés d’éternuer aussi ; et l’éternument gagnant de la cour à la ville et de la ville en province, l’empire paraît affligé d’un rhume général.

Chez le roi de Sennar, les choses se passent d’une manière plus curieuse encore. Aussitôt que ce prince a éternué, tous ceux qui sont en sa présence lui tournent le dos en faisant une pirouette et en se donnant une claque sur la fesse droite. Ils prétendent que le salut de l’état dépend de cette manœuvre. Ne nous en moquons pas, car nous le faisons dépendre aussi quelquefois de choses qui, pour paraître plus sérieuses, n’en sont pas moins risibles.

Les anabaptistes et les quakers ont proscrit le culte de l’éternument. Ce qu’ils ont fait là par esprit de secte et par singularité, on le fait maintenant dans le monde pour éviter la gène et pour se conformer au bon ton qui ne permet plus de dire Dieu vous bénisse à quelqu’un, si ce n’est à un pauvre auquel on refuse la charité. Je suis assurément bien éloigné de trouver mauvais qu’on éternue sans cérémonie et tout à son aise ; mais bien des gens n’approuvent pas les réformateurs, et ils regardent comme funeste l’abolition d’une coutume si religieusement observée pendant tant de siècles.

Ressembler au bon Dieu de Gibelou.

Cette comparaison, qu’on emploie en parlant d’une personne mal accoutrée et chargée de plusieurs pièces d’habillement l’une sur l’autre, est fondée sur une tradition populaire qui rapporte que les habitants de Gibelou avaient coutume d’envelopper la statue de l’enfant Jésus de chiffons de toute espèce.

Promettre ou jurer ses grands dieux.

Les païens, comme on sait, avaient de grands dieux et de petits dieux, et les engagements qu’ils prenaient en jurant par les grands dieux étaient plus solennels et plus sacrés que ceux qu’ils prenaient en jurant par les petits dieux.