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Dictionnaire des proverbes (Quitard)/espérance

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espérance. — L’espérance est le pain des malheureux.

Les malheureux se nourrissent d’espérance, ils suppléent par l’espérance aux biens dont ils sont privés. Eh ! que deviendraient-ils, si elle ne les soutenait, si elle ne fesait luire ses rayons consolateurs sur ce fond d’agonie où se traîne leur misérable existence ?

L’espérance est le viatique de la vie.

L’espérance est la compagne inséparable de l’homme sur le chemin qu’il parcourt du berceau à la tombe, et c’est elle qui le fait vivre jusqu’à son dernier soupir. La devise des philosophes elpistiques, Dum spiro, spero, tant que je respire, j’espère, appartient à tout le genre humain.

L’espérance est le songe d’un homme éveillé.

Sentence d’Aristote passée en proverbe. — L’espérance, en effet, est de la même nature que les songes. Il n’y a rien en elle de réel. Elle fait luire à nos yeux de belles veilles de jours fortunés auxquelles nous ne trouvons pas de lendemain ; elle nous offre de beaux vergers en fleurs dont nous ne cueillons pas les fruits ; elle étend devant nous un horizon doré où la gloire, la fortune, les plaisirs qui nous invitent ne sont plus, à notre approche, que des fantômes. Rivarol l’a définie très spirituellement : Un emprunt fait au bonheur. Mais cet emprunt est presque toujours usuraire ; car il faut payer d’un temps précieux qu’elle nous enlève les chimériques rêves que nous lui devons. Ainsi elle est bien plutôt un vol fait au présent en faveur d’un avenir qui n’existera peut-être jamais. Le sage compte peu sur elle ; il en laisse les illusions aux ames faibles ou malheureuses qui ne savent pas trouver en elles-mêmes ce qu’il leur faut ; il la considère comme ce mirage trompeur dont l’éclat ne brille d’ordinaire que sur les sables arides des déserts.

Les Arabes disent : Qui a de longues espérances a de longues douleurs. — Ils disent aussi : Qui voyage sur le char de l’espérance a la pauvreté pour compagne.

Les Italiens ont ce proverbe : Assai guadagna chi vano sperar perde. Gagne beaucoup qui perd une vaine espérance.

Espérance bretonne.

Cette expression, fréquemment employée par les troubadours et les trouvères, pour marquer une espérance toujours déçue et jamais rebutée, s’explique par celle-ci : Attendre comme les Bretons Arthur, qui est également familière à ces poëtes et qui a la même origine et la même signification. — Cet Arthur ou Artus, héros de la romancerie anglo-normande qui lui attribue l’institution de l’ordre de la Table-Ronde, fut le dernier roi des Bretons-Siluriens[1]. Après avoir défendu longtemps son pays avec succès contre les Angles du nord, les Saxons de l’occident et les Danois qu’il vainquit en douze batailles successives, il fut complétement défait à Camblan, vers 542. Blessé mortellement dans cette affaire, il se fit transporter en un, lieu inconnu, où il termina sa glorieuse vie. Ses soldats étonnés de ne pas le voir reparaître allèrent à sa recherche, et, comme ils ne trouvèrent nulle part son tombeau, ils se persuadèrent qu’il n’était pas mort. La superstition du temps accueillit cette idée exploitée par la politique nationale comme moyen de résistance contre les vainqueurs ; et bientôt ce fut une croyance populaire qu’Arthur reviendrait un jour régner sur l’Angleterre affranchie du joug étranger, et qu’il y ramènerait le siècle d’or. En attendant, il était censé dormir du sommeil d’Endymion au pied du mont Etna, par l’effet d’un philtre magique que les enchanteurs Merlin et Thaliessin lui avaient donné pour prolonger son existence, après l’avoir guéri de sa blessure. Les chants patriotiques des bardes le représentaient tantôt guerroyant en Palestine contre les Infidèles, et tantôt errant dans les forêts des deux Bretagnes. Cette espérance du retour d’Arthur s’accrut à mesure que le peuple fut opprimé. Elle fut assez générale sous la domination despotique des rois normands. Henri II, à qui elle inspirait des inquiétudes, imagina un moyen pour la faire cesser. Il se rendit à Glassenbury, dans le pays de Galles, fit faire des fouilles en un lieu que des vers chantés en sa présence par un pâtre indiquaient comme l’endroit de la sépulture d’un grand homme, et l’on en retira un cercueil de pierre décoré d’une petite croix de plomb, sur laquelle était écrit : Hic jacet inclytus rex Arthurius in insulâ Avaloniâ. Cette prétendue découverte ne produisit pas néanmoins l’effet qu’il en attendait. L’espérance bretonne continua à régner. Elle était si vive au temps d’Alain de l’Isle, que ce savant a écrit dans ses explications, des prophéties de Merlin : « On serait lapidé en Bretagne, si l’on osait dire qu’Arthur est mort. » (Explanat. in proph. Merlini, p. 19, lib. i.)

  1. Le nom d’Arthur est formé des deux mots Arth-uer, qui signifient souverain des Silures, suivant Withaer, auteur d’une histoire intéressante et même probable des guerres de ce prince.