Dictionnaire des proverbes (Quitard)/singe

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singe. — Payer en gambades ou en monnaie de singe.

Cette locution est venue de ce que, dans un tarif fait par saint Louis pour régler les droits de péage qui étaient dus à l’entrée de Paris sous le petit Châtelet, les joculateurs étaient exempts de payer en fesant jouer et danser leurs singes devant le péager. Voici les propres termes de ce tarif : « Li singes au marchant doibt quatre deniers, se il por vendre le porte ; se li singes est à homme qui l’aist acheté por son déduit, si est quites, et se il singes est au joueur, jouer en doibt devant le péagier, et por son jeu doibt estre quites de toute la chose qu’il achète à son usage et aussitôt le jongleur sont quite por un ver de chanson. » (Establissements des métiers de Paris, par Estienne Boileau, chapitre del péage de Petit Pont.)

Les mots qui terminent ce passage curieux donnent aussi l’origine de cette autre expression proverbiale, payer de chansons ou en chansons.

Jean le Chapelain, dans son Dit du segretain (sacristain) de Cluny, atteste que de son temps régnait la coutume de défrayer son hôte par une chanson ou par un conte.

Usages est en Normandie
Que qui hébergiez est qu’il die
Fable ou chanson die à son oste.
Cette coutume pas n’en oste
Sire Jehan II Chapelain.

Caresses de singe.

On croit que le singe réserve toute son affection pour un seul de ses petits, qui ne s’en trouve pas plus heureux, car tandis que les autres échappent à la haine du père, en fuyant loin de lui, cet objet de ses préférences, sans cesse léché et sans cesse caressé, devient la victime de cette tendresse insensée, et finit par être étouffé dans les embrassements. De cette observation, mise en apologue par Ésope, est venue l’expression proverbiale caresses de singe, dont le sens est suffisamment déterminé par ce qui précède.

Plus le singe s’élève, plus il montre son cul pelé.

Proverbe qu’on applique à un parvenu dont la basse origine ou les défauts sont mis en plus grande évidence par le contraste de la position brillante où la fortune l’a élevé.

Les singes de Chauny.

Ce sobriquet donné aux habitants de Chauny, en Picardie, vient, suivant les uns, de ce que les arquebusiers de cette ville avaient un singe fort laid représenté sur leur bannière ; suivant les autres, il tient à cette vieille anecdote rapportée dans les Mémoires de l’Académie Celtique (n. xvi, p. 95). La municipalité de Chauny arrêta un jour dans son conseil, qu’il serait mis dans les eaux qui environnent la ville, et pour en faire l’ornement, une certaine quantité de cygnes. En conséquence, elle écrivit à Paris pour qu’on lui en procurât ; mais comme les officiers municipaux n’étaient pas probablement d’habiles grammairiens, ou peut être aussi par un lapsus calami, ils mirent cynges dans leur missive, au lieu de cygnes ; et il n’y eut en cela que le déplacement d’une seule lettre, car le mot singe dans ce temps s’écrivait par un c et un y. Les Parisiens auxquels ils s’étaient adressés, quoique étonnés qu’on leur demandât une aussi grande quantité de singes, ne laissèrent pourtant pas de les envoyer. On peut juger quelle fut la figure du maire et des échevins de Chauny, et quels furent les rires de la populace à l’arrivée d’une charretée de sapajous. Cette aventure fut bientôt connue dans tous les lieux voisins, et donna naissance au dicton.

Rabelais a dit (liv. i, ch. 24) : « Ceux de Chaunys en Picardie, sont grands jureurs et beaulx bailleurs de ballivernes en matière de singes verts : » c’est-à-dire en matière de fables et d’inventions, parce que dans le temps de Rabelais, on ne croyait pas qu’il y eût des singes verts, et on les regardait comme des êtres imaginaires, ainsi que les merles blancs et les cygnes noirs.

La pomme est pour le vieux singe.

L’avantage est pour celui qui a le plus d’expérience. — Ce proverbe est le résultat d’un apologue, dont un sculpteur, inconnu, de la fin du douzième siècle, développa l’action en relief, pour l’instruction des Parisiens, sur un grand poteau qui formait autrefois les coins des rues Saint-Honoré et des Vieilles Étuves. Cette pièce grotesque et curieuse, qu’on a pu voir au musée des monuments français, représente un gros pommier, environné de singes qui en convoitent le fruit. Les sapajous grimpent à qui mieux mieux sur l’arbre, tandis que le plus vieux de la bande se tient tapi au-dessous. Il a déjà recueilli une pomme que les grimpeurs ont fait tomber par leurs secousses, et il la leur montre d’un air goguenard, qui semble dire : à vous la peine, à moi le profit.

Il y a une fable de Lamotte, sur le pouvoir électif, qui a été probablement prise de là ; voici les vers qui la terminent :

On dit que le vieux singe affaibli par son âge
Au pied de l’arbre se campa ;

Qu’il prévit en animal sage
Que le fruit ébranlé tomberait du branchage,
Et dans sa chute il l’attrapa.
Le peuple à son bon sens décerna la puissance :
L’on n’est roi que par la prudence.