Dictionnaire des proverbes (Quitard)/sot

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sot. — C’est un sot en trois lettres.

C’est un homme dont la sottise est très promptement reconnue et non moins promptement exprimée, puisqu’il n’y a que trois lettres dans le mot sot. Il se peut que ces trois lettres soient rappelées ici, non seulement pour rendre l’épithète plus saillante par cette espèce de redondance, mais encore pour faire allusion à l’expression proverbiale trium litterarum homo, homme de trois lettres, dont les Romains fesaient ironiquement l’application à un glorieux qui se prétendait issu de noble race ; car les grands personnages de Rome avaient ordinairement trois noms ; savoir, le prénom, le nom et le surnom, comme Marcus Tullius Cicero, et quand on parlait d’eux dans un écrit, on ne les désignait que par les lettres initiales de ces trois noms : M. T. C. — Sot en trois lettres équivaudrait alors à sot fieffé.

Le Pays, auteur médiocre, ayant dit à Linière, qui ne l’était guère moins : Vous êtes un sot en trois lettres ; celui-ci lui repartit : Et vous, vous en êtes un en mille que vous avez écrites.

Le mot sot est fort ancien dans notre langue. Il existait du temps des Francs. La preuve en est dans les deux traits que voici. Théodulfe évêque d’Orléans, au neuvième siècle, disait de Jean Scot, que la lettre c était une faute d’orthographe dans son nom, et qu’il fallait l’en retrancher. — L’empereur Charles-le-Chauve étant à table avec le même Jean Scot, lui adressa cette question : Quid distat inter scotum et Sotum ? quelle distance y a-t-il de Scot à sot ? À quoi Jean Scot répliqua : Mensa tantum, celle de la table.

Sot comme un panier.

Allusion au sobriquet de panier percé qu’on applique non seulement à un prodigue, mais à un homme sans mémoire, incapable de rien retenir de ce qu’on lui apprend. Les Grecs disaient ἀνὴρ ἠλεὸς ἄγγυει τρουμένῳ ὁμός, le sot est semblable à un panier percé.

Sot comme un prunier.

Nous disons proverbialement sot comme un prunier, à cause des rejetons impertinents de cet arbre, propter stolones. D’où sont venus aussi stolidus et stoliditas. (Lamothe Levayer.)

Pour être heureux il faut être roi ou sot.

Proverbe qui se trouve dans l’Apocoloquintose de Sénèque.

Un astrologue, je crois que c’est Cardan, a dit que les rois et les sots naissaient sous la même constellation. Il faut avouer pourtant qu’aujourd’hui l’influence heureuse de cette constellation est prodigieusement diminuée pour les rois ; mais elle existe toujours pleine et entière pour les sots.

Les sots sont heureux.

La fortune se déclare toujours pour les sots, fortuna favet fatuis. — Le peintre Essequi a représenté la fortune portée sur une autruche, pour rappeler qu’elle accorde presque toujours ses faveurs aux sots.

« Comment arrive-t-il que des sots réussissent toujours et que des gens de sens échouent en tout ; en sorte qu’on dirait que les uns semblent de toute éternité avoir été prédestinés au bonheur, et les autres à l’infortune ? je réponds à cette question que la vie est un jeu de hasard, que les sots ne jouent pas assez longtemps pour recueillir le salaire de leur sottise, ni les gens sensés celui de leur circonspection. Ils quittent les dés lorsque la chance allait tourner, en sorte que, selon moi, un sot fortuné et un homme d’esprit malheureux, sont deux êtres qui ne sont pas assez vieux. » (Diderot.)

« La raison pour laquelle les sots réussissent toujours dans leurs entreprises, c’est que ne sachant pas et ne voyant pas quand ils sont impétueux, ils ne s’arrêtent jamais. » (Montesquieu.)

Le maréchal de Grammont disait qu’il ne pouvait se mettre dans l’esprit que Dieu aimât les sots.

Les sots de Ham.

Ce sobriquet est venu de ce qu’il y avait autrefois à Ham une confrérie très renommée de sots ou de fous, mots synonymes et pris en bonne part. Ces fous avaient un chef auquel ils donnaient le titre de prince. Ils se réunissaient sous sa conduite en certains jours de l’année, et parcouraient la ville en fesant mille folies ; chacun d’eux était alors affublé d’un costume grotesque et monté sur un âne, dont il tenait la queue à la main en guise de bride. Cette farce était probablement une petite imitation de la fête des fous, qui, au XIIIe siècle, avait lieu dans l’église de Paris, le jour de la Circoncision, dans d’autres cathédrales, le jour de l’Epiphanie, et ailleurs le jour des Innocents[1].

Dieu seul devine les sots.

On peut prédire jusqu’à un certain point ce que pensera ou fera un bon esprit dans une circonstance donnée, car sa conduite est conforme à la raison, qui est une et simple, et procède toujours d’une manière suivie ; mais, il n’en est pas de même d’un sot, dont la marche n’est jamais régulière ni conséquente. La sottise est mère, elle enfante à chaque instant de nouvelles sottises, qu’on ne peut pas plus prévoir qu’on ne prévoit les monstres avant l’accouchement ; et voilà pourquoi on dit qu’il n’y a que Dieu qui devine les sots.

  1. La fête des fous dont Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, avait composé un office qu’on trouve dans un diptyque conservé à la bibliothèque de cette ville, était un mélange monstrueux d’impiété et de religion. Elle donnait lieu à des cérémonies bizarres et extravagantes. On y élisait un évèque et même, dans quelques églises, un pape des fous. Les prêtres y figuraient barbouillés de lie, masqués ou travestis de la manière la plus folle et la plus ridicule. Promenés dans des tombereaux pleins d’ordure, ils chantaient des chansons obscènes, prenaient des postures lascives, fesaient des gestes impudiques et mettaient des morceaux de vieilles savattes dans leurs encensoirs. La fameuse prose de l’âne y était chantée à deux chœurs qui imitaient par intervalles et comme par refrain le braire de cet animal qu’on voulait honorer parce qu’il avait assisté à la naissance de Jésus-Christ, et l’avait porté sur son dos, lors de sa fuite en Égypte et de son entrée à Jérusalem. En chantant la prose on conduisait l’âne, vêtu d’une belle chape, à la porte de l’église ou vers l’autel.

    M. Michelet voit un symbole dans la fête des fous. L’homme, dit-il, y offrait l’hommage même de son imbécillité, de son infamie, à l’église qui devait le régénérer. C’était une comédie sacrée qu’on jugea dangereuse, lorsque, ayant cessé de la comprendre, on ne vit que la lettre et on perdit le sens du symbole.