Dictionnaire des proverbes (Quitard)/sujet

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sujet. — C’est un mauvais sujet.

Le mot sujet, d’après son étymologie, signifie ce qui est dessous, et par extension ce à quoi ou sur quoi l’on travaille, c’est-à-dire l’objet de nos travaux, de nos veilles, de nos méditations.

La signification de ce mot est assez étendue tant au moral qu’au physique. Je ne veux pas détailler ici toutes les acceptions qu’on lui donne, je ne veux le considérer que dans l’application qu’on en fait à l’homme et dans le sens particulier de l’expression rapportée en tête de cet article. Qu’un prince dise mes sujets, qu’un chirurgien appelle sujets les cadavres qu’il dissèque, cela se conçoit et s’explique aisément ; il n’y a rien dans ces façons de parler qui ne soit selon l’étymologie. Mais, pourquoi dit-on de quelqu’un c’est un bon sujet ou c’est un mauvais sujet, sans aucune espèce de rapport de soumission ni d’obéissance, sans aucune idée apparente de sujétion à qui ou à quoi que ce soit ? Comment ce mot s’est-il introduit dans la langue, comment l’usage en est-il devenu si fréquent ? Quel rapport a-t-il ici avec son étymologie ? Telles sont les questions que me fesait un jour un Allemand qui reprochait à la langue française d’employer des mots pris au hasard, et de n’avoir dans le sens qu’elle leur donnait aucun égard à leur étymologie, quand ils en avaient une.

Cette expression que vous blâmez, lui dis-je, est peut-être la plus profonde et la plus philosophique qu’il y ait dans aucune langue ; elle nous rappelle sans cesse ce que nous sommes, et certes, ce n’est pas la vanité qui l’a consacrée. Considérez l’homme depuis la naissance jusqu’à la mort ; que voyez-vous en lui dans ses premières années ? Une créature faible, souffrante, longtemps incapable de pourvoir à ses besoins, etc. ; trouvez-moi rien dans la nature qui, dans la première période de l’existence, soit aussi dépendant, et par conséquent aussi sujet que l’homme. À mesure qu’il avance dans la carrière de la vie, façonné par les lois, le gouvernement, les mœurs, les usages, les opinions et les préjugés, dirigé souvent par les sociétés qu’il fréquente, entraîné par les exemples qu’il voit, par la force des circonstances où il se trouve et qui l’obligent à se plier en tous sens, à biaiser de toutes les manières, est-il un seul instant ce qu’il devrait toujours et ce qu’il voudrait quelquefois être ? Et si vous le considérez dans les occasions même où il déploie toute l’énergie de son caractère, vous trouverez encore qu’il obéit à une impulsion presque fatale. Ces grands héros que l’histoire a tant vantés, Caton déchirant ses entrailles, Brutus se précipitant sur son épée en blasphémant contre la vertu, ont-ils fait autre chose que céder aux circonstances ? Ajoutez à cela l’influence des climats, des aliments, etc., et dites s’il fut jamais rien de plus sujet que l’homme ? Ceci n’est point un paradoxe : les différences frappantes qui distinguent les peuples du nord des peuples du midi, et les uns et les autres des habitants des zones tempérées, en sont des preuves incontestables. Enfin, sous quelque point de vue que vous envisagiez l’homme, il n’est pas possible de voir en lui autre chose qu’un être assujetti de toutes les manières, un esclave de tout ce qui l’environne, et par conséquent un sujet, dans toute l’extension dont ce mot est susceptible.