Dictionnaire des proverbes (Quitard)/vin

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vin.À la Saint-Martin on boit du bon vin.

La fête de saint Martin arrive le onze novembre, après la fin des vendanges, et lorsque le vin commence à être fait. Elle correspond exactement à celle que les païens célébraient en l’honneur de Bacchus, le jour où ils fesaient l’ouverture des tonneaux pour goûter la liqueur nouvelle qu’ils regardaient comme un don de ce dieu. Cette fête était autrefois, en France, ce que le peuple appelle une fête à gueule, une espèce de mardi-gras, ainsi que je l’ai dit à la page 568, et tout le monde la solennisait le verre à la main, avec une égale ferveur. On pourrait croire que c’est à cause de cela que saint Martin devint le patron des buveurs. Cependant on assure que cette importante fonction lui fut conférée pour un autre motif ; et l’on en rapporte l’origine au fait suivant qu’on voit représenté dans plusieurs tableaux d’église. — Notre saint se trouvait à dîner un jour, avec un prêtre qui lui servait la messe, chez l’empereur Maxime. Lorsque l’échanson présenta la coupe au prince suivant l’usage, celui-ci, voulant honorer son hôte, la lui fit remettre afin qu’il y but le premier ; mais saint Martin, après l’avoir portée à ses lèvres, la fit passer à son clerc comme au plus digne de la compagnie. Une action si inattendue étonna tous les convives ; néanmoins elle ne déplut pas à l’empereur, qui loua, dit-on, saint Martin d’avoir fait à sa table ce qu’aucun autre évêque n’aurait osé faire à la table des moindres magistrats, et d’avoir préféré un simple ministre de Dieu au maître du monde.

On disait autrefois martiner pour bien boire, et l’on appelait l’ivresse mal de saint Martin, morbus sancti Martini.

Vin de la Saint-Martin.

On appelait autrefois ainsi l’argent que les maîtres donnaient aux valets et aux ouvriers pour faire la Saint-Martin.

Après bon vin, bon cheval.

Le Duchat explique ainsi ce proverbe : « Quand on a bu de bon vin on s’en ressent, et comme alors on ménage moins le cheval, il paraît meilleur parce qu’il va plus vite. » — Il me semble qu’on a dû dire après bon vin bon cheval, ou à bon vin bon cheval, pour signifier que lorsqu’on a bien bu, on a besoin d’un bon cheval qui ne bronche pas, et ne jette pas son cavalier à terre.

Vin versé n’est pas avalé.

Il ne faut pas compter sur l’avenir, car les espérances les mieux fondées peuvent être déconcertées à l’instant même où elles commencent à se réaliser. Ce proverbe, que nous avons reçu des anciens, a tiré, dit-on, son origine du traitt suivant. — Ancée, roi de Samos, l’un des Argonautes, fesait planter une vigne, et ne donnait aucun relâche aux esclaves employés à cet ouvrage, dans l’impatience où il était de le voir achevé. Un de ces malheureux, excédé de fatigue, prit la liberté de lui dire : Seigneur, à quoi bon nous presser tant ? vous ne boirez jamais du vin de cette vigne. Ancée prit à cœur ces paroles, et fit redoubler le travail. Aussitôt que les ceps eurent produit quelques raisins, il se hâta de les cueillir, de les exprimer dans un vase, et appelant son prophète : Regarde, dit-il, et ose me soutenir que je ne goûterai, point le vin de ma vigne ! À quoi l’esclave répondit : Seigneur, entre la coupe et la bouche il y a assez d’espace pour quelque accident qui peut vous en empêcher. Comme il prononçait ces mots, on vint annoncer au roi qu’un sanglier ravageait son vignoble. À cette nouvelle, il ne songe plus à boire, et se précipitant hors de son palais, il vole à la rencontre du féroce animal, qui s’élance sur lui, déchire ses entrailles et l’étend mort sur la place.

Dans l’Odyssée, Antinoüs, un des amants de Pénélope, périt à peu près dans la même circonstance, car au moment où il portait la coupe à sa bouche, Ulysse lui perça la gorge avec une flèche.

Vin de Brétigny qui fait danser les chèvres.

Quoique le terroir de Brétigny, près de Montlhéri, soit reconnu peu propre à la vigne, cependant il n’est point certain, dit Saint-Foix, que ce soit le vin de ce lieu qui a donné occasion de parler de Brétigny, comme d’un pays de mauvais vin ; peut-être le mépris du vin de Brétigny est-il venu de Bourgogne à Paris. Il y a en effet un village du même nom près de Dijon, et, comme il est dans la plaine, le vin est naturellement moins bon que celui des côtes voisines. Mais le proverbe porte que le vin de Brétigny fait danser les chèvres ; et l’on assure qu’à Brétigny, près de Montlhéry, il y avait autrefois un homme nommé Chèvre, dont la folie, quand il avait bu, était de faire danser sa femme et ses filles. On peut penser que l’homonymie des deux villages aura fait rattacher au proverbe antérieurement connu cette plaisante tradition.

Vin d’une oreille.

On appelle ainsi le bon vin, parce qu’en le dégustant on marque l’approbation par l’inclination de l’oreille gauche ; le vin de deux oreilles, au contraire, ne vaut rien, parce qu’on secoue les deux oreilles en signe de mécontentement.

Le vin donné aux ouvriers est le plus cher vendu.

Les travaux corporels augmentent la soif, dit Brillat-Savarin. Aussi les propriétaires ne manquent jamais de fortifier les ouvriers par des boissons, et de là le proverbe, que le vin qu’on leur donne est toujours le mieux vendu.

Vin sur lait c’est santé, lait sur vin c’est venin.

Ce proverbe signifie qu’on est guéri d’une maladie, lorsqu’on passe de l’usage du lait à celui du vin, et qu’on est malade, au contraire, lorsqu’on cesse de boire du vin pour boire du lait.

Les Espagnols disent : Dixo la lache al vino : bien seas venido, amigo. Le lait dit au vin : ami, sois le bienvenu.

Le vin entre et la raison sort.

Un apologue juif, où les effets du vin sont exprimés à la manière orientale, nous apprend que le patriarche Noé s’étant éloigné un moment du premier pied de vigne qu’il venait de planter, Satan transporté de joie s’en approcha, en s’écriant : Chère plante, je veux t’arroser ! et aussitôt il courut chercher quatre animaux différents, un agneau, un singe, un lion et un pourceau qu’il égorgea tour à tour sur le cep, afin que la vertu de leur sang passât dans la sève et se propageât dans les rejetons. Cette opération du diable fut très heureuse et son influence s’étendit à tous les vignobles du monde. Depuis lors, si l’homme boit une coupe de vin, il devient caressant, aimable ; il a la douceur de l’agneau : deux coupes le rendent vif, folâtre, il va sautant et gambadant comme le singe : trois lui communiquent le naturel du lion ; il se montre fier, intraitable ; il veut que tout lui cède ; il se croit une puissance ; il se dit en lui-même : Qui peut m’égaler ? Boit-il davantage ? il perd le bon sens, il est incapable de se conduire, il se roule dans la fange, il n’est plus qu’un immonde pourceau. De là ce proverbe des sages : Le vin entre et la raison sort.

De là aussi ces expressions, un vin d’agneau, un vin de singe, un vin de lion, un vin de pourceau, dont autrefois on se servait fréquemment, et dont on se sert encore quelquefois pour qualifier les divers effets de la boisson. — On a dit aussi un vin d’âne, qui assoupit et rend hébété ; un vin de pie, qui rend bavard ; un vin de cerf, qui rend triste et larmoyant ; un vin de renard, qui rend malin et cauteleux. Enfin il y a peu de variétés bestiales qu’on n’ait découvertes dans l’ivrogne, et il semble qu’on ait voulu chercher en lui seul les nombreux sujets d’une ménagerie.

Le sens du proverbe, le vin entre et la raison sort, est exprimé poétiquement dans cette maxime tirée du Hava-mal des Scandinaves :L’oiseau de l’oubli chante devant ceux qui s’enivrent, et leur dérobe leur ame.