Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Éclaircissemens

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ÉCLAIRCISSEMENS

Sur certaines choses répandues dans ce Dictionnaire, et qui peuvent être réduites à quatre chefs généraux.


I. Aux louanges données à des personnes qui niaient ou la providence ou l’existence de Dieu. II. Aux objections des manichéens. III. Aux objections de pyrrhoniens. IV. Aux obscénités.


Observation générale et préliminaire.

En composant cet ouvrage, je m’apercevais bien qu’il s’y glissait des réflexions un peu libres, et peu conformes aux jugemens ordinaires ; mais je ne prévoyais pas qu’on s’en dût scandaliser. Je m’imaginais que les personnes dont le jugement sert de modèle ou de correctif à celui des autres, prendraient garde à plusieurs choses qui me pouvaient fournir une apologie.

I. J’espérais, en premier lieu, que l’on ferait attention à la nature de ce Dictionnaire. C’est une vaste compilation nécessairement chargée de plusieurs détails de critique dégoûtans et fatigans au dernier point pour ceux qui ne sont pas du métier ; et il a fallu que dans cet amas de toutes sortes de matières, je soutinsse deux personnages, celui d’historien et celui de commentateur. Il n’a pas été possible de le tirer du mépris par rapport à bien des gens, qu’en y faisant entrer des choses qui ne fussent pas communes. Ceux qui ne se soucient guère, ni des disputes des grammairiens, ni des aventures d’un petit particulier, ne sont pas en petit nombre, et méritent que l’on ait égard à leur goût. Il est donc permis à un auteur de faire en sorte que son livre leur paraisse recommandable par quelque endroit ; et si cet auteur écrit en historien, il doit dire, non-seulement ce qu’ont fait les hérétiques, mais aussi quel est le fort et le faible de leurs opinions. Il doit faire principalement cela, s’il est lui-même le commentateur de ses récits ; car c’est dans son commentaire qu’il doit discuter les choses, et comparer ensemble les raisons du pour et du contre avec tout le désintéressement d’un fidèle rapporteur.

II. J’espérais, en second lieu, que l’on prendrait garde à l’air et à la manière dont je débite certains sentimens. Ce n’est point avec le ton de ceux qui veulent dogmatiser, ni avec l’entêtement de ceux qui cherchent des sectateurs. Ce sont des pensées répandues à l’aventure et incidemment, et que je veux bien que l’on prenne pour des jeux d’esprit, et que l’on rejette tout comme on le jugera à propos, et avec encore plus de liberté que je ne m’en donne. Il est aisé de connaître qu’un auteur qui en use de la sorte n’a point de mauvaises intentions, et qu’il ne tend point de piéges ; et que s’il lui échappe des réflexions qui pourraient être dangereuses venant sous une autre forme, il ne faut guère s’en formaliser.

III. J’espérais, en troisième lieu, que l’on prendrait garde aux circonstances qui font qu’une erreur n’est pas à craindre, ou qu’elle est à craindre. On doit en appréhender les suites lorsqu’elle est enseignée par des gens dont les relations au peuple leur ont fourni les occasions de s’autoriser, et de former un parti. On doit la suivre de près, l’observer et la refréner soigneusement lorsqu’un homme d’un caractère vénérable, un pasteur, un professeur en théologie, la répand par des sermons, par des leçons, par de petits livres réduits en système, ou en forme de catéchisme, et par des émissaires qui vont de maison en maison recommander la lecture de ses écrits, et prier les gens de se trouver aux conventicules où l’auteur explique plus en détail ses raisons et sa méthode [1]. Mais si un homme, tout-à-fait laïque comme moi et sans caractère, débitait parmi de vastes recueils historiques et de littérature, quelque erreur de religion ou de morale, on ne voit point qu’il fallût s’en mettre en peine. Ce n’est point dans de tels ouvrages qu’un lecteur cherche la réformation de la foi. On ne prend point pour guide dans cette matière un auteur qui n’en parle qu’en passant et par occasion, et qui, par cela même qu’il jette ses sentimens comme une épingle dans une prairie, fait assez connaître qu’il ne se soucie point d’être suivi. Les erreurs d’un tel écrivain sont sans conséquence, et ne méritent point que l’on s’en inquiète. C’est ainsi que se comportèrent en France les facultés de théologie, par rapport au livre de Michel de Montaigne. Elles laissèrent passer toutes les maximes de cet auteur, qui, sans suivre aucun système, aucune méthode, aucun ordre, entassait et faufilait tout ce qui lui était présenté par sa mémoire. Mais quand Pierre Charron, prêtre et théologal, s’avisa de débiter quelques-uns des sentimens de Montaigne dans un traité méthodique et systématique de morale [2], les théologiens ne se tinrent plus en repos [3].

IV. J’espérais, en quatrième lieu, et c’était le fondement principal de ma confiance, que l’on démêlerait facilement ces deux points-ci : 1°. Que je n’avance jamais sur le pied de mon opinion particulière aucun dogme qui combatte les articles de la confession de foi de l’église réformée où je suis né, et dont je fais profession ; 2°. Que quand je rapporte en historien ce que l’on peut objecter et répliquer aux orthodoxes, et que j’avoue que par les lumières naturelles on ne peut point dénouer toutes les difficultés des mécréans, je fais toujours une digression pour tirer de là une conséquence favorable au principe que les réformes opposent incessamment aux sociniens, que notre raison, étant aussi faible qu’elle l’est, ne doit pas être la règle ou la mesure de notre foi.

Voilà les raisons qui me faisaient croire que si je me servais quelquefois de ce que l’on nomme liberté de philosopher, on ne le prendrait pas en mauvaise part. Je ne m’en serais point servi, si j’avais prévu qu’on n’entrerait pas dans les considérations que je viens de proposer.

Mais l’événement n’a point répondu à mon espérance ; on a murmuré, on a crié contre ces endroits de mon Dictionnaire. Je n’ai jamais été persuadé que ce fût avec raison, néanmoins j’ai été fâché d’avoir dit des choses qu’on trouvait mauvaises, et je me suis toujours senti parfaitement disposé à remédier aux scrupules dans une seconde édition. Ayant su en quoi consistaient les griefs, il m’a paru qu’il était facile d’y apporter du remède, soit par la suppression de quelques pages, soit par quelques changemens d’expression, soit par des éclaircissemens qui fissent envisager les choses selon leur vrai point de vue. Je me suis engagé à cela sans aucune répugnance, et comme doivent faire tous les écrivains qui ne sont point entêtés de leurs pensées, et qui en font agréablement un sacrifice à l’édification du lecteur. Je souhaite que l’on soit content de ma conduite, tant à l’égard de ce qui a été supprimé, qu’à l’égard des choses que je m’en vais éclaircir ; et il me semble que j’ai lieu de me promettre qu’on en sera satisfait. Je me suis proposé ce but, et j’ai eu beaucoup d’attention à y parvenir.

  1. Notez que je joins ensemble toutes ces choses, sans prétendre que l’on ne se doit remuer que contre ceux qui font tout cela. Une partie en peut donner un juste motif.
  2. Conférez ce que dessus, remarque (O) de l’article Charron, tom. V, pag. 102.
  3. Voyez ci-dessus, rem. (F) de l’article Charron, tom. V, pag. 93.

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