Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ailli

La bibliothèque libre.

◄  Aiguillon
Index alphabétique — A
Aimon  ►
Index par tome


AILLI[a] (Pierre d’), évêque de Cambrai[b] et cardinal, naquit à Compiègne en Picardie (A), l’an 1350. Sa famille était fort obscure[* 1] : quelques-uns disent qu’il fut sous-portier du collége de Navarre[c], mais ils se trompent. Il n’entra dans ce collége qu’environ l’an 1372. Il y fut reçu boursier parmi les étudians en théologie. Il était alors procureur de la nation de France dans l’université de Paris, et capable de s’ériger en bon auteur, comme il le témoigna par des traités de logique (B), selon les hypothèses des nominaux, et par des traités sur la nature de l’âme et sur celle des météores. Il fit paraître tant de pénétration et de netteté dans ses ouvrages, qu’il jeta par-là les fondemens de cette haute réputation où il s’est vu élevé. Il ne réussit pas moins dans l’explication de Pierre Lombard, en l’année 1375. Cette heureuse application à la science de l’école ne l’empêcha pas de devenir bon prédicateur. Il obtint le doctorat en 1380, et un canonicat à Noyon. Il fut rappelé à Paris quatre ans après, pour y exercer la charge de grand-maître du collége de Navarre. Il y eut une infinité de disciples et entre autres Jean Gerson et Nicolas de Clémangis, Il plaida avec tant de force, en 1387, devant le pape[d], contre un jacobin [e] appelant de la sentence que la faculté de théologie de Paris avait prononcée contre lui, qu’il obtint la confirmation de cette sentence. Il fit aussi un Traité contre ce même jacobin. Cela le mit dans une telle réputation, qu’en 1389 il fut fait confesseur et aumônier de Charles VI (C), et chancelier de l’université. Cinq ans après, on lui conféra la première dignité de la Sainte-Chapelle de Paris ; c’est celle de trésorier. Tant de différens emplois n’empêchèrent pas qu’il ne s’appliquât fortement à chercher les moyens les plus efficaces de faire cesser le schisme qui divisait l’Église romaine. Il alla trouver de la part du roi l’anti-pape Benoit XIII, en 1394, et il lui rendit un témoignage si avantageux à son retour, qu’il fut résolu au conseil du roi de le reconnaître pour le pape légitime. Il obtint l’évêché du Puy en Vellay[f], sur la fin de l’année 1395, et celui de Cambrai au commencement de l’année suivante. Il fut fort considérée de Boniface IX ; et il se servit de cette faveur pour faire établir un théologal dans toutes les églises épiscopales du royaume. Il prêcha à Gênes l’an 1405, sur le mystère de la Trinité, devant le pape Benoit XIII, et persuada à ce pape de faire célébrer à toute l’Église la fête de la Trinité. Il fit admirer son érudition et sa prudence dans le concile de Pise, l’an 1409. Il avait soutenu à Paris, dans toutes les assemblées où l’on avait délibéré sur les remèdes du schisme, que la seule voie de l’éteindre était la convocation d’un concile général. Deux ans après, il fut promu au Cardinalat[g] : il alla en Allemagne l’an 1414, en qualité de légat du pape. Il présida à la troisième session du concile de Constance ; il composa trois écrits pendant la tenue de ce concile : l’un, de Emendandâ Ecclesiâ ; un autre, de Duodecim Honoribus beati Josephi ; un autre, de Modo et Formâ eligendi Papæ, et personne n’eut plus de part que lui aux affaires de cette grande assemblée qui dura trois ans. Il mourut l’an 1425 (D), et fut enterré dans sa cathédrale de Cambrai. Il fit de grands biens au collége de Navarre (E), et destina de grandes sommes par son testament aux services que l’on ferait en plusieurs églises pour le repos de son âme[h]. M. de Launoi, dont j’emprunte tout ce que l’on vient de lire, n’oublie point de regarder comme une tache sur un beau corps la doctrine de Pierre d’Ailli touchant la puissance ecclésiastique. Il veut que l’on impute cela au malheur du temps [i] ; mais je m’étonne qu’il ait oublié une autre tache de ce docteur : je veux dire son entêtement pour l’astrologie judiciaire (F). Au reste, notre Pierre d’Ailli, qui soumettait à la puissance ecclésiastique les sceptres et les couronnes, qui travaillait à la multiplication des fêtes, qui fonda un si grand nombre de messes pour le repos de son âme, qui condamna Jean Hus au supplice (G), ne laisse pas de paraître dans le catalogue des témoins de la vérité (H), comme un précurseur de Luther et de Calvin. Les cartésiens le mettent aussi au nombre de leurs précurseurs dans la question des accidens (I). Il avait été chassé de son église épiscopale, si nous en croyons Érasme, qui ajoute que cet exil lui procura le chapeau de cardinal [j]. Il composa beaucoup de livres (K), dont quelques-uns n’ont encore jamais été imprimés (L). Il se mêla même de rimailler[* 2] en langue vulgaire (M). Consultez les auteurs cités par M. Moréri, et, au lieu de Frissart, auquel il renvoie, lisez Froissard.

  1. * Chauſepié raconte quelques particularités sur d’Ailli, et entre autres, qu’il était fils d’un boucher.
  2. * Prosper Marchand, dans son Dictionnaire, au mot Vossius, trouve cette expression désobligeante, et rapporte une pièce de d’Ailli, pour prouver que le jugement de Bayle est trop sévère.
  1. En latin, Petrus de Alliaco, ou ab Alyaco, ou Alliacensis, ou Alliacus, ou Ailliacus, etc.
  2. Thevet et Vossius, de Hist. Lat., pag. 548 ; de Sc Math., pag. 182, 228, l’en font archevêque.
  3. Voyez la remarque (A).
  4. C’est l’anti-pape Clément VII qui siégeait à Avignon.
  5. C’était un Aragonais, nommé Jean de Monteson, qui niait la Conception immaculée de la Vierge.
  6. Selon Moréri, ce fut l’évêché de Bellei, mais il se trompe.
  7. Moréri dit que ce fut à Pise : il se trompe.
  8. Tiré de l’Historia Regii Navarræ Gymnasii, de M. de Launoi, pag. 467 et suiv.
  9. Dictata hujusmodi danda injuriæ temporis sunt, nœvus in candidissimo pectore. Launoius, ibid. pag. 480.
  10. Petrum Aliacensem Cameracensis civitas episcopum ejecit. Roma ex exule fecit cardinalem. Erasm. de Ratione conscrib. Epistolarum, Epist. consolat.

(A) Naquit à Compiègne en Picardie. ] Cela paraît par les registres publics de l’église de Cambrai[1] : on peut donc mettre dans la liste des mensonges de Thevet ce qu’il dit touchant la patrie de Pierre d’Ailli. Il fut natif d’Allemagne, dit-il[2], en un village fort obscur, dit Ailli, dont aussi, pour la vilité de ses parens, il a tiré sa dénominaison. Il fut si pauvre, que pour avoir le moyen de vacquer à l’estude des lettres, il fut contraint de servir de sous-portier au collége de Navarre. Volaterran avait déjà publié que Pierre d’Ailli était Allemand [3].

(B) Par des traités de logique. ] Il l’entendait parfaitement ; et c’est à cela qu’il fut redevable de la force et de l’adresse avec quoi il soutenait ses opinions, et renversait celles d’autrui. Le célère Wesselus, de Groningue, en parle de cette manière : Quis unquàm ad illum apicem Theologiæ quò Petrus de Alliaco conscendit absque definitionibus, divisionibus, argumentationibus, instantiis logicalibus, perveniret ? in disputationibus dico ubi discussione disertà opus est. Quomodò Petrus Joannem de Montesono in Rotâ de errore quatuordecim illarum conclusionum concussisset, nisi distinctione multiplici, aut elenchi ignorantiâ antecedente vel consequente delusum docuisset ? Opus igitur Theologicis Logicam inferre. Et Gerson ipse, quo tandem tantus ipse Theologus, nisi per accuratissimam illam suam magistri Petri Logicam evasit [4] ? On doit remarquer que M. de Launoi croit que ces mots du passage qu’on vient de lire, Rota de errore, etc., étaient le titre d’un livre fait par Pierre d’Ailli ; mais j’aimerais mieux entendre par Rota le lieu où le pape entendit les disputans. Quoi qu’il en soit, c’est sans doute la Dialectique qui contribua puissamment à cet éloge de Pierre d’Ailli : Aquila Franciæ atque aberrantium à veritate malleus indefessus[5].

(C) Aumônier de Charles VI. ] Voyez du Peyrat, à la page 345 des Antiquités de la chapelle du roi. Il y observe que Pierre d’Ailli n’a jamais porté la qualité de grand aumosnier de France, ny de grand aumosnier du roy, lesquelles estoient encore incognues, et n’ont commencé à paroistre que sous les règnes de Charles VIII et de François Ier, quoi que die l’autheur de la Gaule chrestienne[* 1], en quoi s’est trompé de mesme le continuateur des Annales de Baronius.

(D) Il mourut l’an 1425. ] C’est une chose étrange, qu’un homme de ce rang et de cette distinction soit mort, sans qu’on sache au vrai, ni où, ni en quelle année. Les uns disent qu’il mourut en Allemagne, l’an 1416. Les autres, qu’il mourut à Avignon, le 8 d’août 1425, étant légat du pape en France[6]. D’autres disent bien qu’il mourut à Avignon ; mais ils mettent sa mort à l’année 1426[7]. M. de Launoi se contente de la marquer à l’année 1425, dans la page 479 de son livre ; mais, dans la page 129, il avait dit que Pierre d’Ailli était mort légat du saint siége en Allemagne, l’an 1423 : Anno postquàm vastatum est à Burgundionibus quinto. Or, dans la page 126 de ce même livre, il avait mis ce ravage sous l’an 1418. Les registres de l’église de Cambrai portent qu’il mourut le 9 d’octobre 1425, étant légat du saint siége dans la basse Allemagne ; et qu’au mois de juillet suivant, on porta son corps à Cambrai, où on l’enterra derrière le grand autel[8]. La différence de 1416, et de 1426, est venue d’une faute d’impression : le chiffre 1, mis par mégarde au lieu du chiffre 2, a fondé deux sentimens.

(E) Il fit de grands biens au collége de Navarre. ] Il en a été appelé le second fondateur[9]. C’est lui qui y fit bâtir la maison des théologiens ; mais ce n’est point lui qui y fit bâtir la bibliothéque. M. de Sponde, qui l’assure, qu’est trompé : c’est l’ouvrage de Charles VIII. Spondanus in Annalibus Ecclesiasticis prodidit ab eo exstructam esse Bibliothecam ; sed aberrat : id est opus Caroli octavi regis, cujus et nomen μονόγραμμον in Bibliothecæ vitro centies depingitur, et statua in occidentali turbinati parietis cono erecta conspicitur[10]. Il est bien vrai que Pierre d’Ailli voulut qu’une partie des biens qu’il laissait à ce collége servît à acheter des livres, et qu’il donna souvent des livres[11]. Je ne sais point s’il donna sa propre bibliothéque, comme Aubert le Mire l’a débité. Alliacus, dit-il[12], anno 1425 Avenione moriens Bibliothecam suam legavit Navarræo Parisiis collegio, quam ibi magnâ cum voluptate aliquandò vidimus. Je n’ai point vu que M. de Launoi le dise : son silence seul serait capable de réfuter l’écrivain flamand.

(F) Son entêtement pour l’astrologie judiciaire[13]. ] Bellarmin n’a point oublié cette tache. Unum est, dit-il [14], in quo reprehenditur hic auctor, quòd videlicet sensisse videatur Christi nativitatem prœnosci potuisse ex genethliacis observationibus, atque ad hoc adduxerit apparitionem stellæ, quæ apparuit Magis. D’autres observent que Pierre d’Ailli, dans son livre de Concordiâ Historiæ et Astrologiæ divinatricis, a soutenu que le déluge de Noé, la naissance de Jésus-Christ, et tels autres miracles, et tous les prodiges, ont pu être devinés et prédits par l’astrologie[15] et qu’il a rapporté les naissances, changemens, et ruines des républiques et des religions, aux conjonctions des hautes planètes[16]. Bodin ajoute que Jean Pic, prince de la Mirande, prend les hypothèses de Pierre d’Arliac [* 2][17] pour certaines, sans autrement s’enquérir plus avant de la vérité, combien que de trente-six grandes conjonctions, que ce cardinal a remarquées, depuis 115 ans après la création du monde, jusqu’à l’an de Jésus-Christ 1385, il ne s’en trouve pas six véritables[18]. Ce passage de Bodin a été ainsi changé dans l’édition latine : Mirum mihi visum est quamobrem J. Picus Mirandulæ princeps illius hominis errores sanè pudendos in cœlestium orbium doctrinâ pro certis et compertis demonstrationibus habuerit ; cùm enim post orbem conditum anno centesimo decimo quinto usque ad annum Christi 1385, triginta sex Jovis et Saturni concursus tradiderit, vix tamen ullus eo quo decuit loco ac tempore describitur. Le même Bodin attaque ces hypothèses par le fondement : Le cardinal d’Arliac, dit-il[19], prend sa racine aux grandes conjonctions au temps de la création du monde, supposant à son compte qu’il y a 7158 ans, suivant l’erreur d’Alphons, qui est réprouvé de tous les Hébrieux, et maintenant d’un commun consentement de toutes les églises.... Et par ainsi, c’est une erreur insupportable de supposer la grande conjonction de trois hautes planètes l’an de la création 320, et poser qu’il y eust à présent 7118 ans : c’est-à-dire, douze cents ans devant que le monde fust créé. Cette manière de combattre Pierre d’Ailli ne saurait être décisive présentement, vu le poids des hommes doctes, qui préfèrent le calcul de la Bible grecque touchant la durée du monde, au calcul du texte hébreu. Vossius a plus de raison de l’insulter sur la naissance de l’hérésie d’Arius, que sur la durée du monde. Voici les paroles de Vossius ; on y voit que notre astrologue a mis le commencement de cette hérésie sept cents ans après Jésus-Christ ; ce qui est une très-crasse ignorance : Valdè etiam futile est fundamentum quod arti isti ponit. Ait ab initio mundi usque ad diluvium fluxisse annos 2042 [20], à diluvio ad natalem Christi 3102. His ita constitutis, totus est in eo ut ostendat quandocunquè mirandum aliquid contigit in terris, etiam illustrem aliquam stellarum conjunctionem apparuisse in cœlis. Atqui falsissimum est quod sibi sumit de anno vel diluvii vel natalis Domini : nec levis est error, sed spississimus ; in priori quidem numero annorum penè sexcentorum, in altero autem paulò pauciorum[21]. Quid mirum ? Omninò Cameracensis fuit Chronologiæ imperitissimus, ut vel arguit quòd Arrianam hæresim cœpisse dicat anno Christi septingentesimo, quàm verisimiliùs tùm penè exstinctam dixisset. Ortam verò constat ferè initio sæculi quarti[22]. Si Thevet eût écrit avec jugement, aurait-il parlé de Pierre d’Ailli en ces termes ? « Je désirerois que tous ceux qui se meslent d’astrologiser daignassent un peu mettre le nez avant dans ses livres : ils n’y perdroient leurs peines ; car, outre les singulières observations que je viens de ramentevoir [23], ils y trouveroient la sentence minutée à l’encontre de ceux qui, sous le nom de la vraye astrologie, prennent plaisir de s’embéguiner du faux masque d’astrologie, introduisans une idolâtrie des astres du tout abominable[24]. « Cette prétendue idolâtrie n’était pas plus à craindre au temps de Thevet, que le culte religieux de la terre ; de sorte que, si les livres de Pierre d’Ailli n’étaient bons qu’à convertir cette sorte d’idolâtres, on n’avait presque point à faire d’eux. Mais comme d’autre côté ils étaient propres à entretenir le crédit de l’astrologie, par les vertus que cet auteur attribue aux conjonctions des planètes, choses dont Thevet ne dit pas un mot, leur lecture était infiniment plus préjudiciable que profitable.

(G) Qui condamna Jean Hus au supplice. ] Ce ne fut point sans l’exhorter à se soumettre, et sans lui déclarer que c’était le meilleur parti à prendre : Examinatis dictis testium, et recitatis articulis erroneis in Patrum consessu, cardinalis Cameracensis, judex causæ deputatus à Concilio, dixit ad Joannem Huss : « En viæ duæ propositæ sunt tibi, ut ex his eligas unam : aut te offeras omninò totum in potestatem et gratiam Concilii, ejusque decretis super hâc re acquiescas ; ita namque fiet ut Concilium ob honorem Domini nostri Regis Romanorum nunc præsentis ac fratris ejus Bohemiæ Regis, clementer acturum sit tecum ; aut si ex dictis articulis quosdam tenere ac defendere intendas, et desideres aliam audientiam, concedetur tibi quidem ; sed tunc scias hìc esse magnos et illuminatos viros qui fortissima habent adversùs articulos tuos fundamenta, et verendum est ne indè gravioribus involvaris erroribus. Id consulendo dixerim tibi, non ut judex[25]. » M. de Launoi, ayant rapporté cela, ajoute que cet hérétique aima mieux soutenir opiniâtrement ses opinions et être brûlé, que suivre le conseil salutaire du cardinal d’Ailli : Verùm litigiosus homo dogmata sua nimìs pertinaciter propugnare maluit et comburi, quàm usque adeò salubre cardinalis Alliaci consilium sequi.

(H) Il paraît dans le Catalogue des témoins de la vérité. ] « Par la détermination du concile de l’Église françoise, il fut délégué pour dénoncer aux deux papes, qui s’entrequerelloient pour la papauté, qu’ils se démissent du siége papal. Pour response, lui fut dit que les papes de Rome sont exempts de toute tache de schisme ; mais que c’estoient les prélats françois, qui de gayeté de cœur schismatisoient. Pour cette occasion, il fut depuis renvoyé, suivant l’avis du concile tenu à Paris, avec le sieur Jean Maingre, maréchal de Boucicaud, lequel par après estrilla bien l’antipape à Avignon, comme aussi le cardinal d’Ailli lui lava la tête du long et du large[26]. Et c’est ce que Henri Pantaléon semble le coucher au roolle de ceux qui en cette saison crièrent et de voix et d’escrits contre l’ambition des papes, corruption de l’Église, schismes et divisions qui lors pulluloient grandement ; disant qu’il a escrit un livre intitulé de la Réformation de l’Église, lequel pourtant ne se trouve pas au catalogue de ses livres, qui sont en grand nombre, tant en théologie, qu’en mathématiques[27]. » Rien n’est plus vrai que ce qu’assure Pantaléon touchant le livre de Pierre d’Ailli. Quant au Catalogue des témoins de la vérité, compilé par Flacius Illyricus, on y trouve Pierre d’Ailli, condamnant[* 3] le dogme de la transsubstantiation[28], et donnant au concile de Constance un projet de réformation, selon lequel la cour de Rome eût été privée de tant de moyens qu’elle employait pour amasser de l’argent ; les prélats eussent été obligés à bien vivre et à remplir leurs fonctions ; la pompe des cérémonies, les fêtes superflues[* 4], l’abus des jeûnes, et la canonisation des saints, eussent été abolis ; le nombre des moines, des images et des temples eût été diminué[29]. Nous pouvons croire certainement que tous les écrits de Pierre d’Ailli ne sont pas propres à plaire à la cour de Rome, puisque l’on en a inséré trois ou quatre dans l’Appendix du Fasciculus rerum expetendarum et fugiendarum[30]. Orthuinus Gratius avait déjà inféré dans ce Fasciculus le traité de ce cardinal de Emendatione Ecclesiæ. Ce que j’ai dit touchant la diminution des moines ne s’accorde pas avec ce que Thevet avait ouï dire, que Pierre d’Ailli composa un livre intitulé le Bouclier de la Pauvreté, où il faisait l’apologie des religieux mendians[31].

(I) Les cartésiens le mettent aussi au nombre de leurs précurseurs dans la question des accidens. ] Un professeur de Louvain, des plus opposés à M. Descartes, devint l’un de ses plus zélés sectateurs, après avoir trouvé dans des auteurs fort approuvés de l’Église son sentiment de la transsubstantiation, qui était presque le seul point qui l’arrêtait. Il mit quelque temps après dans ses thèses théologiques un extrait du livre que le cardinal d’Ailli, évêque de Cambrai, a fait sur le Maître des Sentences, pour faire voir que ce cardinal propose l’opinion de M. Descartes touchant les accidens de l’Eucharistie, et l’accorde avec la définition du concile œcuménique de Constance[32].

(K) Il composa beaucoup de livres. ] Ses Commentaires sur le Maître des Sentences, et les quatre Traités qui ont été mis dans l’appendix du Fasciculus rerum expetendarum, furent imprimés à Strasbourg en 1490. On imprima au même lieu, et en même temps, un volume de ses Traités et de ses Sermons. Une partie de ces traités fut réimprimée à Douai, l’an 1634, par les soins de Léandre de Saint-Martin, professeur en hébreu à Douai. Thevet assure qu’il a un livre de Pierre d’Ailli, achevé d’imprimer l’an mil quatre cens dix, le douziesme aoust, au commencement que l’art d’imprimerie fut en usage en France, dans lequel il y a grand nombre de figures de mathématiques[33]. Cela ne peut être ; car l’imprimerie ne fut inventée qu’environ l’an 1440[* 5]. Il eût pu dire qu’on imprima à Louvain, en 1487, le Sacramentale de cet auteur, et à Paris, en 1488[34], ses Quæstiones in sphæram mundi Joannis de Sacrobosco, cum Commentariis Petri Cirveli Daronensis Hispani. Ses Météores furent imprimés à Strasbourg, l’an 1504, et à Vienne en Autriche, l’an 1509. Sa Vie du pape Célestin V fut imprimée à Paris, l’an 1539[35], et se trouve dans les Vies des Saints, compilées par Surius. Le titre de cet ouvrage fait quelque peine, parce qu’il donne à Pierre d’Ailli la qualité de confesseur de Charles V ; mais il vaut incomparablement mieux supposer qu’on a mis là Charles Ve., au lieu de Charles VIe., que de dire qu’il y a eu un autre Pierre d’Ailli. Possevin, qui a cru cela, s’est fort trompé. Je ne vois point de matière qui ait autant tenu au cœur à ce cardinal que l’astrologie ; car, outre qu’il présenta au concile de Constance un écrit sur la réformation du calendrier, il a composé les livres suivans : Tractatus de vero Cyclo lunari ; Vigintilogium de Concordantiâ astronomicæ veritatis cum theologiâ ; Tractatus de Concordiâ astronomicæ veritatis et narrationis historicæ [36] ; Tractatus elucidarius astronomicæ concordæ cum theologiâ et cum historicâ narratione ; Apologetica Defensio astronomicæ veritatis [37] ; Alia secunda apologetica Defensio ejusdem [38] ; Tractatus de Concordiâ discordantium Astronomorum.

Le sieur du Peyrat assure[39] que Bodin, en sa préface de la Demonomanie des Sorciers, fait mention d’un livre composé par le cardinal d’Ailly, où il a soustenu qu’il n’y a pas une seule démonstration nécessaire en Aristote, hormis celle par laquelle il a démonstré qu’il n’y avoit qu’un Dieu. Il y a là deux petites choses à reprendre ; car Bodin ne dit point, comme du Peyrat l’insinue, que Pierre d’Ailli ait fait un traité particulier sur cette matière ; et il dit que cet auteur a remarqué dans Aristote quelques autres démonstrations, quoiqu’en petit nombre[40].

(L) Quelques-uns n’ont jamais été imprimés. ] Ils sont dans la bibliothéque du collége de Navarre[41] : M. de Launoi en donne la liste. Il y en a qui contiennent la réponse à des questions bien curieuses, comme : Utrùm esse tria supposita unius naturæ sit perfectio : Utrùm libertas creaturæ rationalis ante et post lapsum intrinsecè sit æqualis : Utrùm creaturæ rationalis conscientia erronea ejus actum excusare possit ? Cette dernière question me fait souvenir de certains écrits qui ont paru en Hollande depuis quelque temps, sur les droits de la conscience erronée. On y a prouvé d’une manière si démonstrative, que toute action faite contre les lumières de la conscience est essentiellement mauvaise, et qu’il la faut éviter nécessairement et indispensablement, que ceux qui ont voulu combattre cette doctrine se sont précipités dans ce sentiment affreux, qu’il ne faut pas toujours agir selon les lumières de sa conscience ; d’où il s’ensuit, qu’on fait quelquefois une bonne action en agissant contre les lumières de sa conscience : monstre de doctrine, qui renverse toute la morale, et en comparaison duquel le probabilisme le plus outré est un sentiment innocent. Ce qu’il y a de rare en cela, c’est que ce sont des fanatiques qui se sont jetés dans ce précipice, eux, qui ont plus d’intérêt que personne à travailler pour les droits de la conscience.

(M) De rimailler en langue vulgaire. ] Je cite en marge mon garant, qui assure que Pierre d’Ailli a escrit plusieurs vers françois, en rithme usitée de son temps, lesquels ont esté mis en vers latins par Nicolas de Clemangis. J’en ai vu, dit-il[42], quelques-uns imprimez il y a plus de cent ans. Il ajoute que le même auteur a escrit en françois un livre intitulé, les sept Degrez de l’Eschelle de Pénitence, figurez et exposez sur les sept psalmes pénitentiels, imprimé à Paris. Je crains que la Croix du Maine ne nous trompe quant à ce dernier ouvrage ; car M. de Launoi marque positivement qu’Antoine Bélard fit une version française du Traité latin de Pierre d’Ailli sur les sept Psaumes Pénitentiels, et que Denys de Harsi imprima cette traduction à Lyon, l’an 1544, in-16[43].

Voici un supplément : « Les vers français de Pierre d’Ailli, desquels la Croix du Maine a parlé, sont au nombre de trente-deux seulement, et contiennent une courte description de la vie d’un tyran. Nicolas de Clémangis en a fait une paraphrase en vers latins hexamètres, imprimée avec les français de Pierre d’Ailli, à la fin du livre intitulé le Mépris de la Cour, traduit de l’espagnol de Guévare, en français, italien et allemand, à Genève, in-16, chez Jean de Tournes, en 1605. La paraphrase de Clémangis se voit aussi à la fin de ses épîtres, page 355 de l’édition de Leyde. À l’égard de la traduction d’Antoine Bélard, Antoine du Verdier, page 51 de sa Bibliothéque, dit que c’est en 1542 qu’elle fut imprimée, chez Denys de Harsi, in-16, à Lyon, [44]. »

  1. (*) Claudius Robertus, in Galliâ Christianâ, folio 68.
  2. (*) De Alliaco est le nom vulgaire latin de Pierre d’Ailli (Alliacus) ; et c’est de là que Bodin a fait d’Arliac par le changement de la première des deux ll en r, comme en Varlet, Merlin, Merlusine, faits de Vallet, Mellin, Mellusine. Rem. crit.
  3. * Joly fait observer que Bayle lui-même, dans sa remarque (I), reconnaît que d’Ailli admettait la transsubstantiation.
  4. * Leclerc et Joly remarquent que, loin de conseiller d’abolir des fêtes, d’Ailli travaillait à leur multiplication, ainsi que Bayle l’a dit dans le texte.
  5. * Joly reproche à Bayle son ignorance sur ce qui concerne l’origine de l’imprimerie, et sa date ; mais quoique le premier produit connu de l’imprimerie, ayant une date certaine, soit de 1457, il est à croire que l’invention et les premiers essais ont dû précéder d’un certain nombre d’années ; et Bayle n’est pas remonté trop haut, en disant 1440, malgré la critique de Joly. Quant à la date de 1410 que Thevet donne à un livre imprimé de d’Ailli, Leclerc pense qu’il faut lire 1490, et qu’il s’agit du traité : De Concordantiâ Astronomiæ cum Theologiâ, imprimé en effet cette année même à Augsbourg, in-4o .
  1. Apud Launoium, Hist. Coll. Nav. p. 137.
  2. Thevet, Hommes illustres, tom. VII, pag. 86 de l’édit. in-12.
  3. Gesneri Biblioth., fol. 543 verso.
  4. Wesselus, de Potestate Papæ, cap. IX, apud Launoium, Hist. Navar. pag. 469.
  5. Lanuoius, ibid., pag. 134, 476.
  6. Labbe, de Scriptor. Ecclesiast., tom. II, pag. 179.
  7. Vossius, de Histor. Lat., pag. 548. Bellarmin, de Script. Ecclesiast., pag. 384, met la même année, mais sans marquer aucune ville.
  8. Apud Launoium, Hist. Gymn. Navarræ, pag. 137.
  9. Launoius, ibid., pag. 134, 475.
  10. Ibidem, pag. 475.
  11. Ibidem, pag. 134, 135.
  12. Miræus, in Auctario de Script. Eccles., cap. CCCCLIV, pag. 265.
  13. Voyez la remarque (K) vers la fin.
  14. Bellarmin, de Script. Ecclesiast., p. 384. Il nous renvoie à Sixte de Sienne, Bibliothecæ Sanctæ Ann. XV et LXXXI, et lib. VI, Ann. X.
  15. Vossius de Scientiis Mathemat., p. 215.
  16. Bodin, de la République, liv. IV, pag. 548, de la première édition.
  17. C’est ainsi qu’il le nomme.
  18. Bodin, de la République, liv. IV, p. 548.
  19. Pag. 549.
  20. Vossius a voulu dire 2243.
  21. Vossius, dans son hypothèse, a dû trouver ici une erreur de plus de six cents ans.
  22. Vossius, de Scientiis Mathemat., p. 215.
  23. Il n’avait parlé que de la réduction de tous les parallèles de Ptolomée à douze.
  24. Thevet, Histoire des Hommes illustres, tom. VII, p. 89.
  25. Launoii Hist. Gymnasii Navarræ, p. 474, ex Hussitæ cujusdam Relatione, apud Bzovium, ad ann. 1415, num. 47.
  26. Voyez ce que du Plessis-Mornay cite de Froissard, sur cette matière, dans son Mystère d’Iniquité, pag. 486, et suiv. Édition de Saumur, en 1611, in-folio.
  27. Thevet, Hommes illustres, tom. VII, pag. 88.
  28. Voyez la Dissertation de M. Allix, à la tête de la Determinatio Fr. Joannis Parisiensis, imprimée à Londres en 1686, in-8o , p. 71, 72.
  29. Voyez du Plessis, Myst. d’Iniquité, p. 523.
  30. Imprimé à Londres, l’an 1690.
  31. Thevet, Hommes illustr., pag. 90.
  32. Baillet, Vie de Descartes, tom. II, p. 522.
  33. Thevet, Hommes illustres, tom. VII, pag. 89.
  34. Selon Gesner, Biblioth., folio 547 verso, ce fut en 1468.
  35. Tout ceci est tiré, ou de M. de Launoi, Hist. Gymn. Navarræ, pag. 476 et suiv., ou du P. Labbé, de Script. Ecclesiast., pag. 180.
  36. Il le fit à Bâle, l’an 1418.
  37. Il la fit à Cologne, au mois de septemb. 1418.
  38. Faite à Cologne, au mois d’octobre 1418.
  39. Dans ses Antiquités de la Chapelle du Roi de France, pag. 345.
  40. Bodin, Préf. de la Démonomanie, p. 14.
  41. On en trouve une partie à Cambridge, dans le collége d’Emmanuel. Oudin. Supplem. de Script. Ecclesiast., pag. 690.
  42. La Croix du Maine, Biblioth. Franç., pag. 381.
  43. Launoii Hist. Gymnasii Navarræ, p. 479.
  44. M. de la Monnaie, Remarques MSS.

◄  Aiguillon
Aimon  ►