Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Akakia 1

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AKAKIA (Martin), professeur en médecine, dans l’université de Paris, au XVIe. siècle, était de Châlons en Champagne (A). Il s’appelait Sans-Malice[* 1] ; mais selon la coutume d’alors, il changea son nom en celui d’Akakia (B), qui signifie en grec la même chose que Sans-Malice en français. Il le transmit à ses descendans qui l’ont toujours porté jusqu’à cette heure. Il fit des progrès considérables à Paris, sous le professeur Pierre Brissot[a], et apprit de lui la plupart des choses qu’il publia ensuite sur Galien (C). Il fut reçu docteur en la faculté de médecine de Paris, l’an 1526. François Ier., dont il fut l’un des principaux médecins, le considéra beaucoup. Je ne sais point en quelle année il devint professeur en médecine ; mais il l’était au temps que Gesner publia sa Bibliothéque, c’est-à-dire, l’an 1545. Il mourut l’an 1551. Il avait pris pour armes, de gueules à la croix d’or accompagnée de quatre cubes aussi d’or, avec cette devise : Quæcunque ferat fortuna, ferenda est ; Faut supporter fortune, quoi qu’elle apporte. Il prit pour femme Marie Chauveau, veuve de Silvain de Monthelon, et en eut un fils, qui fut professeur en médecine, comme l’on va voir. Presque tous ses descendans ont marché dans la même route ; mais il s’en est trouvé un qui s’est mêlé d’autre chose que de médecine (D). Ceux qui ont mis la mort de notre Martin Akakia à l’année 1605, se sont étrangement abusés (E). Marot a parlé de lui avec éloge : ce qu’il en a dit a été cité par M. Ménage [b].

  1. * Leclerc doute que Sans-Malice fût le nom de la famille d’Akakia. Goujet qui, dans son Mémoire sur le Collége royal de France, tom. III, pag. 37, cite les Recherches sur l’Origine de la Chirurgie, rapporte que le vrai nom d’Akakia était Malice.
  1. Moreau, in Vitâ Brissoti.
  2. Ménage, Orig. de la Langue Française, pag. 4.

(A) Il était de Châlons en Champagne. ] M. Moréri, n’ayant pas entendu ce que veut dire Catalaunensis, a cru bonnement qu’Akakia était Catalan. Il était de Catalogne, dit-il ; et, pour comble de méprise, il nous renvoie à Quensted, qui a marqué positivement que ce médecin était de Châlons, ville dont l’évêque se dit comte et pair de France[1].

(B) Il s’appelait Sans-Malice ; mais... il changea son nom en celui d’Akakia. ] C’est ce que témoignent René Moreau dans la Vie de Sylvius, et Gabriel Naudé, dans son Jugement sur Augustin Niphus[2]. Voyez aussi la Mothe-le-Vaïer, à la page 277 du XIIe. tome de ses Œuvres ; et M. Ménage, dans les Origines de la langue française [3]. Le père Labbe croit que tout cela n’est qu’un ex post facto, ou allusion gentille faite après coup, ou bien un sobriquet qu’on lui aurait donné, et qui aurait ensuite passé en nom de famille[4]. Il se fonde sur deux raisons ; la première est qu’Α᾽κaκία signifie, non pas un homme éloigné de toute malice ; mais l’éloignement de la malice. La seconde est que ce médecin de François Ier. aurait écrit Acacia, ou Akakia, s’il avait pris un nom métamorphosé de la langue grecque. Pour confirmer la première, il ajoute que ce médecin, s’il est vrai qu’il s’appelait auparavant Sans-Malice, eust mieux fait de quitter ce nom féminin Ἀκακία, pour en prendre un plus masle et qui eust du rapport à Ἀκάκιος, Acacius, mots usitez parmy les Grecs et les Latins. Qui est-ce qui ne se mocqueroit de la simplicité, ou bestise de celui qui, ayant pour nom de famille, Pelé, ou Vertueux, tourneroit son nom en grec, et s’appelleroit Ἀλωπεκία, ou Ἂρετη ? Ces raisons-là sont très-faibles. On peut avouer, quant à la seconde, que dans l’ordre il fallait écrire, ou Acacia, ou Akakia ; mais je pense qu’effectivement cet habile médecin signait de la dernière manière. À l’égard de l’autre raison, il est facile de voir que le père Labbe ne dit rien qui vaille ; car le nom masculin Ἀκάκιος ne répond pas aussi juste que le féminin Ἀκακία au mot français sans malice. La comparaison de pelé ou vertueux, est hors de propos, puisqu’il est certain que Sans-Malice n’a point la nature d’un nom adjectif, et que si un homme, qui aurait porté le nom Avec-Pelure, eût voulu le préciser, il eût dû prendre celui de Synalopecia plutôt que celui de Synalopecius.

(C) Il publia diverses choses sur Galien. ] Il publia, en 1538[* 1], une traduction latine des deux livres de Galien de Ratione curandi, et l’accompagna d’un Commentaire[5]. Après cela, il traduisit l’Ars Medica, quæ et ars parva, du même Galien. Cet ouvrage fut imprimé à Lyon, en 1548. Il est aussi l’auteur d’un livre imprimé à Paris, l’an 1555, sous le titre de Synopsis eorum quæ quinque prioribus libris Galeni de facultatibus simplicium medicamentorum continentur.

(D) Un de ses descendans se mêla d’autre chose que de médecine. ] Une lettre de Guy-Patin, datée du 22 juillet 1664, contient ces paroles : « Le roi a fait mettre à la Bastille le frère de M. Akakia, notre collègue, pour avoir écrit quelque chose qui a déplu à M. le prince. Il avait été employé, il n’y a pas long-temps, pour le mariage du duc d’Enguien, et avait été secrétaire de l’ambassade de Pologne. » Tout le monde a su les plaintes qu’un ami de la maison d’Autriche, déguisé sous le nom de Stanislaüs Lysimachus, eques polonus, publia en 1683 contre les intelligences que la France entretenait avec le comte de Tékéli, par le moyen d’Akakia et de du Vernai-Boucauld. Je viens de lire, dans un imprimé qui a pour titre, Journal d’Amsterdam [6], que ce même M. Akakia eut beaucoup de part aux intrigues qui tendaient à faire tomber la couronne de Pologne sur la tête du duc de Longueville, par la déposition du roi Michel. On assure dans ce Journal que l’empereur en avait fait faire des plaintes au roi de France, et qu’il avait nommé, entre autres, M. Akakia comme un des principaux conducteurs de cette affaire : que M. Akakia fut mis à la Bastille ; mais qu’il n’en eut que plus d’attention à l’intrigue qu’il avait commencée, et plus de loisir pour entretenir les correspondances qu’il avait liées : que ses lettres et sa négociation allèrent toujours leur train, nonobstant cet emprisonnement, et que l’affaire fut si avancée, qu’il n’y eut que la mort de M. de Longueville [7] qui en empêchât l’exécution. Les médailles étaient déjà toutes préparées. Ce second emprisonnement de M. Akakia ne dura que cinq ou six mois, s’il en faut croire une personne que j’ai consultée depuis la lecture de ce Journal. Cette personne m’a dit de plus que M. Akakia eut tant de joie de se voir choisi pour aller fomenter les troubles de la Hongrie, qu’encore qu’il fût bien malade, il se trouva bientôt assez de santé pour partir. N’osant rendre la route Allemagne, il s’en alla en Angleterre, où il s’embarqua pour la Suède, d’où il se rendit par mer à Riga, et de là en Pologne, où il est mort. C’était un homme d’intrigue, et qui agit vivement pour la conclusion de la paix d’Olive.

(E) Ceux qui ont mis sa mort à l’année 1605 se sont abusés. ] C’est ce qu’a fait l’auteur du Diarium Biographicum [8] ; car voici comme il parle sous cette année-là : Martinus Akakia, Gallus Catalaunensis, medicinæ doctor et professor Lutetiæ Paris. Après quoi il donne le titre de quelques livres dont Akakia de Châlons est véritablement l’auteur. Si l’on avait su que Brissot, dont notre Akakia fut disciple, n’était plus en France l’an 1519, on n’aurait pas allongé la vie de ce disciple jusqu’à l’année 1605, ou bien on aurait dû dire quelque chose d’une vieillesse aussi extraordinaire que l’aurait été celle-là. Ce qui a pu tromper l’auteur du Diarium est qu’en l’année 1605 il mourut un médecin qui s’appelait Akakia. Il était petit-fils du disciple de Brissot. Guy-Patin en parle de cette manière avec sa liberté cynique : Deux docteurs de notre compagnie travaillèrent à l’Apologie de Théodore Mayerne Turquet ; savoir, Seguin notre ancien, qui a toujours porté les charlatans, et son beau-frère Akakia, qui mourut, l’an 1605, de la vérole qu’il avait rapportée d’Italie, où il était allé avec M. de Béthune, ambassadeur à Rome[9]. Si notre Martin Akakia eût pu gagner un tel mal au temps de cette ambassade, il aurait été, sans contredit, le plus vieux paillard de l’Europe.

  1. * Quoique n’ayant été imprimée qu’en 1538, cette traduction est de 1532, comme le prouve Joly après Leclerc.
  1. Quenst. de Patriis Viror. Eruditorum, pag. 51.
  2. Au feuillet O iij.
  3. À la page 4 de l’édition de Paris, en 1694, in-folio, [ou page 6 édit. de 1750.]
  4. Labbe, Étymologies des mots français, pag. 10.
  5. Gesner. in Biblioth., folio 500.
  6. Il a paru au mois de septembre 1693.
  7. Il fut tué au passage du Rhin, le 12 de juin 1672.
  8. Henningus Witte, professeur à Riga, en Livonie
  9. Patin, Lettre VIII de la première édition.

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