Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Albutius 2

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ALBUTIUS (Titus), philosophe de la secte d’Épicure, alla de Rome à Athènes, dès sa première jeunesse, et prit un tel goût aux manières grecques, qu’il aimait mieux passer pour Grec que pour Romain[1] ; ce qui donna lieu à une plaisanterie de Scévola (A), laquelle Lucilius tourna fort malignement dans l’une de ses satires, comme nous l’apprenons de Cicéron[2]. Nous apprenons de ce même auteur, 1°. qu’Albutius était un épicurien passionné [a], et qu’il aurait été meilleur orateur s’il avait eu moins d’attachement à la secte d’Épicure[b] ; 2°. qu’il entendait bien l’érudition grecque[c], et qu’il avait publié quelques Harangues [d] ; 3°. qu’il avait été dans les charges de la république ; qu’il avait gouverné la Sardaigne en qualité de propréteur [e], et qu’il n’obtint point du sénat la procession (B) qu’il avait demandé qu’on fit en action de grâces aux Dieux pour ses exploits ; qu’il fut accusé de concussion (C) et banni (D) ; et qu’il s’en alla philosopher à Athènes [f]. La plaisanterie de Scévola fut une semence d’inimitié entre eux deux (E). Les dictionnaires ne sont pas ici exempts de fautes (F). Je ne crois pas que notre Titus Albutius soit le même que celui dont parle Horace (G) dans la IIe. satire du IIe. livre. On ne trouve rien de ce médecin Albutius, qui est mis par Pline au nombre des plus célèbres[g].

  1. Idem, lib. I de Naturâ Deorum, c. 33.
  2. Idem, in Bruto, cap. 26 et 35.
  3. Cicero in Bruto, d. I.
  4. Ibid.
  5. Idem, de Provinc. Consular., cap. 7, et in Pisonem, cap. 38.
  6. Cicero, Tuscul. V, cap. 37.
  7. Plinius, lib. XXIX, cap. I.
  1. Cicero in Bruto, cap. 26 et 35.
  2. Idem, lib. I de Finib., cap. 3.

(A) Son goût pour les manières grecques donna lieu à une plaisanterie de Scévola. ] Elle consistait en ce que, quand il recevait visite d’Albutius à Athènes, il le saluait en grec, et le faisait saluer en la même langue par tout son monde. On ne peut sentir le ridicule qu’il y avait là-dedans, si l’on ne songe à l’action même. Voici comment Cicéron s’exprime : Res verò bonas verbis electis graviter ornatèque dictatas quis non legat ? nisi qui se planè græcum dici velit, ut a Scævolâ est prætor salutatus Athenis Albutius Quem quidem locum cum multâ venustate et omni sale idem Lucilius, apud quem præclarè Scævola :

Græcum te, Albutî, quam Romanum atque Sabinum
Municipem Pontî, Tritanni, centurionum
Præclarorum hominum ac primorum, signiferùmque,
Maluisti dici. Græcè ergò Prætor Athenis,
Id quod maluisti, te, cùm ad me accedi’ saluto :
χαρῖε, inquam, Tite : lictores, turma omni’, cohorsque,
χαρῖε. Hinc hostis Mutî Albutius, hinc inimicus[1].


Voilà Cicéron qui dit positivement qu’Albutius était alors préteur à Athènes, et néanmoins les vers de Lucilius témoignent qu’Albutius, faisant des visites à Scévola, était salué en grec, et avec des airs moqueurs qui le piquèrent, et qui le rendirent ennemi de Scévola. N’est-il pas clair comme le jour que, selon Lucilius, c’était Scévola, et non pas Albutius qui exerçait la préture ? Si Albutius eût été préteur, il eût reçu et non pas fait les visites ; et s’il en eût fait, on n’aurait pas osé les recevoir avec des plaisanteries piquantes. Je m’étonne donc, ou que Cicéron ait donné la préture à Albutius, ou que, s’il l’a donnée à Scévola, comme il est très-apparent, on n’ait pas corrigé la faute qui s’est glissée dans les éditions. Il faudrait lire, ut à Scævolâ est prætore salutatus Athenis Albutius[2], et non pas, ut à Scævolâ est prætor salutatus Athenis Albutius. M. Dacier cite ces vers de Lucilius, et les traduit de telle sorte, qu’il déclare que Scévola était préteur à Athènes lorsqu’il se moquait d’Albutius qui lui allait faire sa cour[3]. Corradus estime qu’Albutius étudiait à Athènes, et que Scévola y passa, en faisant le voyage de Rhodes, dont il est parlé dans le premier livre de l’Orateur[4].

(B) Il n’obtint point du sénat la procession, etc. ] Cicéron parle de cela afin d’ôter aux amis de Gabinius et de Pison la consolation qu’ils en tiraient. Il leur fait voir que les choses n’étaient point pareilles : Hâc consolatione utuntur etiam T. Albutio supplicationem hunc ordinem denegâsse, quòd est primùm dissimile : res in Sardiniâ cum mastrucatis latrunculis à proprætore, unâ cohorte auxiliaria gesta, et bellum cum maximis Syriæ gentibus ac tyrannis consulari exercitu imperioque confectum. Deindè Albutius, quod à senatu petebat, ipse sibi in Sardiniâ antè decreverat : constabat enim Græcum hominem ac levem in ipsâ provinciâ quasi triumphâsse. Itaque hanc ejus temeritatem senatus supplicatione denegatâ notavit[5]. On croit qu’Albutius commandait dans la Sardaigne l’an 649 de Rome[6].

(C) Il fut accusé de concussion. ] On n’en peut douter après avoir lu ces paroles : Mutius autem augur, quod pro se opus erat ipse dicebat, ut de pecuniis repetundis contra T. Albutium. Is oratorum in numero non fuit, juris civilis intelligentiâ, atque omni prudentiæ genere præstitit[7]. Il n’est pas si certain que Mutius Scévola ait été l’accusateur ; j’aimerais mieux dire qu’il se trouva seulement mêlé dans cette cause, et obligé d’éclaircir ou de soutenir quelque chose qui le concernait, et qui allait à la charge de l’accusé. Il avait assez d’éloquence pour un coup de cette nature, mais d’ailleurs il n’était point orateur : c’est ce que nous lisons clairement dans les paroles que j’ai citées. Quelques critiques y aiment mieux cette leçon : Mutius autem augur, quòd opus erat, per se ipse dicebat[8] : peu m’importe ; car, en lisant ainsi, on ne laisse pas d’avoir lieu de conjecturer que Scévola ne fit qu’intervenir dans cette cause, et parler sur quelque incident. Cette conjecture, dont je parlerai encore dans la remarque (E), se confirme puissamment par une raison que Cicéron allégua contre celui qui lui disputait la charge d’accuser Verrès. Il dit que Caïus Julius, ayant une semblable dispute contre Cnéius Pompée, dans l’affaire d’Albutius, se servit de deux moyens : l’un, que ce Pompée avait été le questeur d’Albutius ; l’autre, que les habitans de Sardaigne l’avaient prié d’accuser Albutius[9]. Il fut juge que Pompée ne serait pas l’accusateur. On peut donc conclure que cette fonction demeura à Caïus Julius. Le lecteur, qui ne le savait pas, apprendra ici, en chemin faisant, qu’on n’approuvait point à Rome qu’un magistrat supérieur fût accusé par son subalterne : Neque ferè unquaàm venit incontentionem de accusando qui quæstor fuisset, quin repudiaretur. Itaque, neque L. Philoni in C. Servilium nominis deferendi potestas est data, neque M. Aurelio Scauro in L. Flaccum, neque Cn. Pompejo in T. Albutium : quorum nemo propter indignitatem repudiatus est, sed ne libido violandæ necessitudinis autoritate judicum comprobaretur[10]. Apulée vient troubler ce que j’ai tâché d’établir ; car il dit dans sa seconde apologie que C. Mutius accusa A. Albutius. Mais il est facile de répondre à cette objection ; puisque, d’un côté, les personnes dont parle Apulée ne s’appellent point comme celles dont il s’agit ici, et que, de l’autre, on ne saurait appliquer au Scévola dont il est ici question ce qu’Apulée remarque de son C. Mutius. Il est certain que notre Albutius s’appelait Titus, et non pas Aulus ; et que notre Scévola se nommait Quintus Mucius : et, comme il était augure, on le désignait souvent par cette charge, Quintus Mucius Scævola augur. L’accusateur dont parle Apulée était un jeune homme qui faisait son coup d’essai pour se mettre au monde, pour se faire connaître dans le barreau : Neque autem gloriæ causâ me accusat ut M. Antonius Cc. Carbonem, C. Mutius A. Albutium..….. quippè homines eruditissimi, juvenes laudis gratiâ primum hoc rudimentum forensis operæ subibant, ut aliquo insigni judicio civibus suis noscerentur, qui mos incipientibus adolescentibus ad illustrandum ingenii florem apud antiquos concessus, diù exolevit[11]. C’est ce qui ne convient point, à notre Mutius Scévola ; il fut consul l’an 636 de Rome[12] : il était vieux quand Cicéron n’avait que dix-huit ans ; c’est-à-dire, l’an de Rome 665 : et Albutius ne fut accusé qu’après son retour de Sardaigne, où il était propréteur en l’année 649. Voyez la remarque suivante. Peut-être que les copistes d’Apulée ont peu à peu, en passant de faute en faute, converti C. Julius, en C. Matius. Il est certain que C. Julius a été l’accusateur d’Albutius, et si Apulée l’avait nommé, il serait à cet égard dans l’exactitude ; mais on ne saurait le justifier en ce qu’il avance, que tous les accusateurs qu’il a nommés étaient de jeunes aventuriers qui cherchaient à signaler par quelque cause célèbre leur avénement au monde. Il emprunte de Cicéron tous ces exemples, comme l’illustre M. Grævius l’a judicieusement remarqué[13] : pourquoi donc les réduit-il tous à une espèce, puisque Cicéron en a fait diverses classes [14] ? N’est-ce point à cause qu’ils ne lui eussent de rien servi, s’ils eussent été divisés ? Voilà une cause très-féconde de la falsification des faits. Quand on ne les trouve pas tels qu’on les souhaite, on leur donne, en les alléguant, le pli et l’entorse dont on a besoin.

(D) Il fut banni. ] Nous ne trouvons point cela aux mêmes endroits de Cicéron où il est parlé du procès d’Albutius, et il ne faut point s’en étonner ; car, quand on ne fait point la vie d’un homme, on se contente de dire de lui ce qui concerne le sujet présent. Lorsque Cicéron a dit quelque chose du procès d’Albutius, il n’avait en vue que les personnes qui avaient parlé ou voulu parler contre l’accusé : il n’était donc pas nécessaire qu’il touchât à l’issue de cette cause. Lorsqu’il a parlé de l’exil d’Albutius, il n’avait en vue que de montrer le bon usage que l’on peut faire de l’exil ; il ne fallait donc pas qu’il remarquât pourquoi Albutius avait été exilé. C’est à nous à faire un tissu de ces différens passages ; et, par ce moyen, nous trouvons qu’Albutius, ayant été accusé de concussion, à la requête des habitans de Sardaigne, fut condamné et banni : Albutius cum in Sardiniâ triumphâsset, Romæ damnatus est[15]. Quid T. Albutius, nonne animo æquissimo Athenis exsul philosophabatur ? cui tamen illud ipsum non accidisset, si in republicâ quiescens Epicuri legibus paruisset [16]. M. Gassendi a très-mal cité ce passage, puisqu’au lieu de si in republicâ..….. paruisset, il a dit nisi in republicâ.….. paruisset[17] Ceux qui voudront quelque preuve de ce que j’ai dit qu’Albutius fut accusé à la requête des habitans de Sardaigne, n’auront qu’à lire ceci : Julius hoc secum autoritatis ad accusandum afferebat, quòd ut hoc tempore nos ab Siculis, sic tùm ille ab Sardis rogatus ad caussam accesserat[18]. Joignez à cela ces paroles du chapitre XVI du IIe. livre des Offices : Aut patrocinio, ut nos pro Siculis, pro Sardis Julius. C’est ainsi qu’il faut lire avec Lambin, ou pro Sardis, contra Albutium Julius, avec Manuce. Consultez Suétone [19].

(E) La plaisanterie que lui fit Scevola fut une semence d’inimitié entre eux deux. ] C’est ce que Lucilius remarqua dans ses Satires : Hinc hostis Muti Albutius, hinc inimicus. Un savant homme a cru qu’ils étaient souvent appointés contraires, et qu’ils le furent nommément dans la cause de Granius, accusé par Albutius, et défendu par Mutius. Il dit que pour le moins Mutius eut beaucoup de joie de l’absolution de Granius. Il prouve cela par un passage de Cicéron, auquel il avoue que d’autres ont donné une explication différente ; savoir, qu’Albutius accusa Mutius de concussion : Sæpè inter se dissentirent et contenderent, ut quùm Albutius Granium oppugnabat, et Mucius eum defendebat, certè illo absolute gaudebat, ut libro secundo de Oratore scriptum videbis, quamvis aliter alii verba illa sint interpretati, et putârunt ipsum Scævolam ab Albutio de pecuniis repetundis accusatum fuisse, quòd ut nos de viro tali credamus adduci non possumus[20]. Je ne saurais m’accommoder, ni du sens que ce critique rejette, ni de celui qu’il approuve. J’aimerais mieux croire que Cicéron a voulu dire que Scévola fut mêlé dans le procès de concussion qui fut intenté à Albutius ; et tellement mêlé, que de sa condamnation devait résulter la justification d’Albutius. Je suppose, selon cette conjecture, que Scévola plaida sa cause à la charge d’Albutius, et que de là est venu qu’il a passé pour l’accusateur. Je suppose qu’il se tira pleinement d’affaire, ce qui servit à la conviction d’Albutius. Je suppose, outre cela, que ce dernier se servit des registres du crieur Granius, pour convaincre Scévola, et que sa preuve fut jugée insuffisante. Granius fut très-aise de l’absolution de Scévola, et en fut raillé, comme s’il se fût réjoui que les juges n’eussent eu aucun égard à ses livres ou à ses procès verbaux. Voici les paroles de Cicéron : Bella etiam est familiaris reprehensio quasi errantis, ut quùm objurgavit Albius Granium, quòd quùm ejus tabulis quiddam Albutio probatum videretur, et valdè absoluto Scævolâ gauderet, neque intelligeret contra suas tabulus esse judicatum[21]. Si l’on voulait d’autres preuves de l’inimitié d’Albutius et de Scévola, je pourrais dire que Lucilius a introduit Scévola se moquant du style d’Albutius [22]. Je voudrais bien savoir d’où le père Proust a pris que la colère de Lucilius contre notre Scévola venait de l’amitié qu’il avait pour Albutius, contre lequel Scévola avait plaidé [23] ? Si Lucilius était ami d’Albutius, il a vérifié la maxime, qu’un railleur préfère ses railleries à ses amis[24] ; car nous avons vu comment ce poëte satirique se divertissait aux dépens d’Albutius.

(F) Les Dictionnaires ne sont pas ici exempts de fautes. ] 1°. Charles Étienne prétend que Varron a parlé de votre Titus Albutius ; et cela, comme d’un poëte qui avait fait des satires à la manière de Lucilius, Luciliano stylo. Mais, quand on consulte Varron, on trouve qu’il a parlé d’un Lucius Albutius : Nonne item L. Albutius, homo (ut scitis) apprimè doctus, cujus Luciliano charactere sunt libelli, dicebat in Albano fundum suum pastionibus semper vinci à villâ, agrum enim minùs dena millia reddere, villam plus vicena[25]. 2°. Il n’est pas vrai que Lucilius se soit moqué d’Albutius, comme d’un homme qui mêlait des mots grecs avec son latin : Charles Étienne n’a pas pris le sens de ce poëte : il s’est imaginé que le χαῖρε appartenait à Albutius ; cependant, c’est à Scévola et à ses gens qu’il le faut donner. Messieurs Lloyd et Hofman n’ont point corrigé ces deux fautes. Prenez bien garde que je ne prétends pas nier qu’Albutius ne mêlât du grec à son latin. 3°. Ce que Charles Étienne, Lloyd et Hofman supposent est très-incertain, que le père de l’empoisonneuse Canidia soit le même Albutius dont il est parlé dans la IIe. satire du IIe. livre d’Horace. M. Dacier croit que ce sont deux Albutius[26]. 4°. Ces trois auteurs de Dictionnaires se trompent lorsqu’ils prennent l’Albutius de la IIe. satire du IIe. livre d’Horace pour un avare fieffé. Nous verrons bientôt que cela est faux. 5°. M. Moréri se trompe quand il s’imagine que l’Albutius dont Cicéron parle au commencement du Ier. livre des Fins, n’est pas le même que celui dont il fait mention au Ier. livre de la Nature des Dieux, et au Ve. livre des Questions Tusculanes. 6°. Il n’est pas vrai qu’Horace dise qu’il y avait un Albutius, le plus avare de tous les hommes, qui avait accoutumé de châtier ses domestiques avant qu’ils entreprissent ce qu’il leur commandait, de peur, disait-il, qu’il n’oubliât de le faire s’ils oubliaient de se bien acquitter de ce qu’il leur commandait. M. Moréri, qui donne tout ce discours à Horace, a été trompé par Charles Étienne, encore que ce dernier n’attribue pas formellement à Horace ce petit conte. Voici tout ce que dit Horace sur ce sujet :

Mundus erit, qui non offendet sordidus, atque
In neutram partem cultùs miser. Hic neque servis
Albutî senis exemplo, dùm munia didit,
Sævus erit : neque, sicut simplex Nœvius, unctam
Convivis præbebit aquam[27].

Il établit que la véritable propreté

n’est point outrée, et qu’elle s’éloigne, non-seulement de la saleté, mais aussi d’une exactitude trop scrupuleuse et trop recherchée[28]. S’il avait vu le soin excessif et servile que l’on prend de la netteté des maisons en quelques endroits de Hollande, il aurait nommé cela une fausse propreté. Albutius et Nævius sont les deux exemples qu’il apporte de l’extrémité vicieuse : le premier est l’exemple du trop de façon ; le dernier est l’exemple du trop peu de façon. Quelques interprètes ont pris le change : ils ont pris Nævius pour un prodigue, et Albutius pour un avare[29]. Mais peut-être ne s’agit-il point là d’avarice et de prodigalité : peut-être ne s’agit-il que de propreté et de malpropreté. Ce dernier défaut est joint quelquefois avec la dépense superflue. Il y a des gens prodigues, et en habits, et en meubles, et en repas, qui cependant ne passent point pour se mettre bien, ni pour donner aux ornemens de leurs chambres un arrangement bien entendu, ni pour avoir une bonne table. Quoi qu’il en soit, Albutius n’est point ici un exemple d’avarice. Je finis par observer que la barbarie d’Albutius pour ses esclaves n’est pas une chose que M. Moréri ait forgée ; il l’avait lue dans son patron[30] : mais il n’a point su que la source en est dans un ancien scoliaste : Asper in exigendâ à singulis impensi ratione castigandoque, adcò ut servos nonnumquàm castigaret priùs et cœderet quàm peccâssent, dicens vereri se ne cùm peccâssent, cœdere tunc ei non vacaret[31].

(G) Je ne crois pas que ce soit le même que celui dont Horace parle. ] Nous venons de voir que l’Albutius d’Horace était d’une exactitude outrée, qu’il ne pardonnait rien à ses domestiques, qu’il voulait que l’un fît précisément ceci, et l’autre cela, et qu’il entrait là-dessus dans un détail pédantesque. Celui, dont parle Lucilius, qui affectait si fort en tout la politesse et l’élégance des Grecs qu’il voulait passer pour Grec[32], était justement taillé pour fournir l’exemple dont Horace avait besoin ; car tout homme qui affecte les manières des pays étrangers, y mêle je ne sais quoi de forcé et d’exorbitant qui fait passer la chose dans le ridicule. Voyez ce que font certains provinciaux si souvent joués par Molière, à l’égard des modes qu’ils ne savent jamais tenir dans le milieu. J’ai de la peine à croire qu’Horace ait amené sur la scène Albutius le Grec, l’Albutius de Lucilius ; mais je ne trouve pas si étrange que Torrentius ait cru cela. M. Dacier aime mieux dire que l’Albutius d’Horace était fils de celui de Lucilius. Je crois que l’affectation d’Albutius pour le grec regardait le langage principalement, où l’on sait d’ailleurs, par les railleries de Lucilius, qu’il aimait un artifice trop étudié : Collocationis est componere et struere verba, sic ut neve asper eorum concursus, neque hiulcus sit, sed quodammodo coagmentatus et lœvis. In quo lepidè soceri [33] persona lusit is qui elegantissimè id facere potuit, Lucilius,

Quàm lepidélexeis compostæ, ut tesserulæ omnes
Arte, pavimento, atque emblemate vermiculato.


Quæ cùm dixisset in Albutium illudens, etc.[34]. Ces vers de Lucilius représentent une certaine espèce d’écrits qu’on pourrait nommer un ouvrage de marqueterie, un ouvrage à la mosaïque.

  1. Cicer. de Finib., lib. I, cap. III.
  2. Corradius, in Brutum Cicer., pag. 189, veut que l’on corrige ainsi. D’autres Critiques sont du même sentiment. Voyez le Cicéron de M. Gronovius.
  3. Dacier sur Horace, Satire II, liv. II, pag. 121, édition de Hollande.
  4. Corrad. in Brutum Ciceronis, pag. 189.
  5. Cicero de Provinc. Consular. d. I.
  6. Proust, Commentario in usum Delphini, in Ciceronem de Claris Oratorib.
  7. Cicero in Bruto, d. I.
  8. Corrad. in Brutum Ciceronis, pag. 189. Douza in Lucilium, pag. 99.
  9. Cicero, Divinatione in Verrem, cap. 19.
  10. Idem, ibid.
  11. Apul. Apolog. II.
  12. Cicero, in Lælio, init.
  13. Grævius, Notis in Cicer. de Offic., lib. II, cap. XIV.
  14. Il donne son accusation contre Verrès pour un exemple : il n’a donc point prétendu citer seulement ceux qui avaient accusé dans leur première jeunesse.
  15. Cicero in Pison., cap. 38.
  16. Idem, lib. V. Tusculan., cap. 37.
  17. Gassendi, de Vitâ Epic., lib. II, cap. VI, pag. 188, in-folio où les Citations ne marge vont très-mal.
  18. Cicero, Divination. in Verrem, cap. 10.
  19. Sueton. in Julio, cap. 55.
  20. Corradus in Brutum Cicer., pag. 189.
  21. Cicero, lib. II, de Oratore, cap. 70.
  22. Voyez ci-dessous la remarque (G).
  23. Proust. Comment. in usum Delphini in Ciceron. de Orat., lib. I, num. 72.
  24. .......Dummodò risum

    Executiat sibi, non hic cuiquam parcet amico.

    Horatii Sat. IV. lib. I, vs. 34.

  25. Varro de Re Rusticâ, lib. III, cap. II.
  26. Dacier, Remarq. sur la Satire Ire, du IIe. livre, pag. 40.
  27. Horat. Satir. II, lib. II, vs. 65.
  28. Voyez M. Dacier, sur ce passage.
  29. Le vieux Commentateur, Lambin, Cruquius, etc., d. I.
  30. Charles Étienne.
  31. Vetus Commentator in Horat. d. I.
  32. Voyez M. Dacier, Remarques sur la Satire Ire. du IIe. livre d’Horace.
  33. Mutius l’augure : d’où nous apprenons que Lucilius le faisait quelquefois parler dans ses Satires.
  34. Cicer. de Oratore, lib. III, cap. 43. Voyez aussi son Orator., cap. 43 et seq.

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