Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Antoine 3

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ANTOINE (Marc), fils aîné du précédent, eut le surnom de Crétique [a]. Il ne s’avança pas au-delà de la préture ; mais il l’exerça avec une étendue d’autorité qui n’était pas ordinaire, vu qu’ayant eu la commission de faire venir des blés, cela lui donna le commandement sur toute la mer [b]. Ce fut une prérogative qu’il obtint par la faveur du consul Cotta [c], et par la faction de Céthégus [d], et dont on ne murmura pas, comme l’on eût fait, s’il eût eu plus de mérite (A). On prétend qu’il se laissa corrompre par de mauvais conseils, pour faire des extorsions dans les provinces. Il en fit beaucoup [e]. Celles de la Sicile ont été représentées en peu de mots par Cicéron [f]. La guerre de Crète, dont il avait cru que le bon succès serait si facile, qu’il avait embarqué moins d’armes sur la flotte, que de fers pour enchaîner les vaincus [g], ne lui ayant pas réussi, il tomba malade de chagrin et en mourut. Il n’eut pas la force de résister aux réflexions mortifiantes qui s’élevaient dans son âme, lorsqu’il songeait que les ennemis, s’étant rendus maîtres de plusieurs de ses vaisseaux, avaient pendu aux mâts les soldats romains, et que, voguant avec ce spectacle, ils triomphaient insolemment de la république en mille lieux. Julie, sa seconde femme (B), lui donna trois fils, savoir, Marc Antoine, Caïus Antoine, et Lucius Antoine [h], dont nous parlerons dans la suite.

J’aurai quelques fautes à relever (C) ; et peut-être faudrait-il prendre pour une erreur l’éloge qui a été donné par Plutarque à notre Antoine (D).

  1. Plut. in M. Antonio, pag. 915.
  2. Paterculus, lib. II, cap. XXXI.
  3. J’examinerai dans l’article Céthégus, si Cotta était consul lorsque Marc Antoine reçut cette commission.
  4. Ascon. Pedianus in Orat. Cic. contra Verrem, pag. 113.
  5. Ascon. Ped. in Orat. Cicer. contra Verrem, pag. 113. Voyez-le aussi, pag. 37.
  6. Cicero, Orat. III in Verrem, cap. XCI ; voyez-le aussi. Orat., in Verrem II, cap. III.
  7. Florus, lib. III, cap. VII.
  8. Glandorp. Onomastic. pag. 73.

(A) On eût murmuré de lui voir le commandement sur toute la mer, s’il eût eu plus de mérite. ] Velléius Paterculus me fournit cette pensée : c’est dans l’endroit où il rapporte que Pompée obtint une commission, deux ans après, qui le rendit presque maître de toute la terre. Cela ne lui fut point accordé sans opposition, au lieu qu’on n’avait rien dit contre le décret qui avait mis une semblable puissance entre les mains de Marc Antoine. C’est qu’on n’avait pas jugé qu’il fût capable de se faire craindre ; mais on trouvait dans Pompée un mérite redoutable à la liberté publique : Idem hoc ante biennium in M. Antonii præturâ decretum erat, sed interdùm persona, ut exemplo nocet, ita invidiam auget aut levat. In Antonio homines æquo animo passi erant : rarò enim invidetur eorum honoribus quorum vis non timetur ; contrà in iis homines extraordinaria reformidant, qui ea suo arbitrio aut deposituri aut retenturi videntur, et modum in voluntate habent [1]. Voilà un beau texte pour les faiseurs de commentaires politiques. Je le leur abandonne presque tout entier ; car je me contente de cette petite observation. On se plaint que les mêmes choses, qui devaient faire monter un homme aux grandes charges, l’’empêchent d’y parvenir. Estamos à tiempo, disait George de Monte Mayor, que mererer la cosa, es principal parte para no alcançarla : c’est-à-dire, et ce sont les termes du président du Vair : En ce temps, rien n’a tant empesché les honnestes gens d’avoir des biens et honneurs, que de les mériter [2]. Cette plainte est trop souvent bien fondée : mais il y a des rencontres où elle n’a pas assez de solidité ; car, pour mériter une charge, il ne suffit pas d’avoir les qualités nécessaires à la bien remplir selon toutes ses fonctions, il faut de plus que ces qualités ne soient point jointes à certains défauts, qui font qu’on abuse de la gloire que l’on acquiert en s’acquittant de ses emplois avec toute la capacité et avec tout le succès imaginable. Le mélange de ces défauts, proprement parlant, peut rendre indignes d’une charge ceux qui en seraient les plus dignes par leurs belles qualités. Ce n’est donc pas toujours une injustice, que de refuser à certains sujets les charges qu’ils sont très-capables de bien exercer : c’est une précaution, c’est une prudence nécessaire, et principalement dans les républiques. Les qualités éminentes inspirent beaucoup d’ambition. Donnez lieu à ceux qui les possèdent de rendre des services importans à leur patrie, vous allumez de plus en plus le feu de cette ambition ; la gloire qu’ils acquièrent en s’acquittant dignement d’une grande charge leur inspire le dessein d’abuser de leur crédit, et leur montre qu’il sera aisé de monter plus haut. Ils tentent la fortune ; ils aspirent quelquefois à la souveraineté : et soit qu’ils y réussissent, soit qu’ils n’y réussissent pas, ils font naître mille désordres que l’on aurait évités en donnant les charges à des personnes d’un mérite médiocre.

(B) Julie, sa seconde femme. ] Elle était fille de Julius César, consul l’an de Rome 664, et sœur d’un autre Julius César, consul l’an 690. Sa vertu et son mérite l’égalaient aux plus illustres dames de son temps : Ταῖς ἀρίςαις τότε καὶ σωϕρονεςάταις ἐνάμιλλος. Cum præstantissimis et pudicissimis illius memoriæ matronis comparanda [3]. Elle ne fut pas des plus heureuses en maris ; car après la mort de Marc Antoine le Crétique, elle épousa Publius Cornélius Lentulus, qui fut l’un des complices de la conjuration de Catilina, et l’un de ceux à qui ce crime coûta la vie. Ce qu’elle fit, pour sauver Lucius César son frère mérite de l’admiration [4]. Il fut proscrit pendant le triumvirat, et s’alla cacher chez elle. Les soldats allaient l’y chercher pour le mettre à mort ; mais elle se mit à la porte, et leur déclara qu’ils n’entreraient point avant que de la tuer, elle qui avait mis au monde Marc Antoine dont ils voulaient exécuter l’ordre. Cela les fit retirer [5]. La première femme de notre Antoine s’appelait Numitoria : elle était fille de Quintus Numitorius Pullus. On l’appelle la fille d’un traître dans les Philippiques de Cicéron [6].

(C) J’ai quelques fautes à relever sur son sujet. ] Thysius, professeur en éloquence dans l’académie de Leide, a fait une note qui peut nous donner une mauvaise opinion de son savoir. Cette note se rapporte à ces paroles de Lactance : De Neptuni sorte manifestum est, cujus regnum tale fuisse dicimus quale M. Antoni fuit infinitum illud imperium, cui totius oræ maritimæ potestatem senatus decreverat ut prædones persequeretur ac mare omne pacaret [7]. Thysius prétend, qu’au lieu d’Antonii, il faut lire Pompeii, qui est la leçon des bons manuscrits ; et sur cela, il rapporte que Pompée fut nommé Neptune, et que plusieurs de ses statues furent ornées des enseignes de cette divinité. Il s’abuse : on ne peut douter que Lactance, qui possédait parfaitement Cicéron, n’ait eu égard au passage de la IVe. Verrine, qui va être copié : Postquàm Marci Antonii infinitum ullud imperium senserant [8], ou à ces paroles de l’oraison suivante : Ità se in isto infinito imperio Marcum Antonium gessisse, ut, etc. [9]. L’un des fils de Vossius eût pu épargner cette fausse note au professeur de Leide : car il remarque dans un livre, qui fut imprimé treize ans avant le Lactance de Thysius, que Thomasius a eu grand tort de mettre Pompeii, au lieu d’Antonii dans son édition de Lactance ; et il le prouve par l’autorité de Cicéron, et par celle de Paterculus [10]. J’ajoute qu’il croit que Florus a parlé du même Antoine, en disant : Quùm ille (Pompeius) res in Asiâ gerens eò quoque præfectum misisset Antonium in alienâ provinciâ inclytus fuit [11]. Il montre que Florus a confondu cet Antoine avec Octavius, qui, selon Plutarque [12], et Dion [13], fut envoyé dans l’île de Crète par Pompée, lorsque Métellus y commandait. Il a plus de raison en cela, qu’à dire qu’il faut corriger dans Plutarque le surnom de Criticus donné à ce Marc Antoine, et lire Creticus. Je ne sais point de quelle édition de Plutarque il se servit ; mais j’ai trouvé Κρηικὸς dans l’édition de Francfort de 1620, et dans celle de Paris de 1624. Je voudrais qu’il eût pris la peine d’examiner une erreur chronologique qui paraît être dans Paterculus. Cet historien assure qu’il ne se passa que deux ans entre la charge qu’on donna à Marc Antoine, et celle que l’on donna à Pompée ; et néanmoins, Asconius Pedianus rapporte que Marc Antoine l’obtint par la faveur d’un consul appelé Cotta. Je touche cette difficulté dans l’article Céthégus.

(D) Peut-être faut-il prendre pour une erreur l’éloge qui a été donné par Plutarque à notre Antoine. ] « Marc Antoine, dit-il [14], était bon et droit, et fort libéral. Comme il n’était point riche, les oppositions de sa femme gênaient beaucoup son inclination à faire paraître sa libéralité. Il se trouva sans argent un jour qu’un de ses amis lui en empruntait ; mais il ne laissa pas de le secourir. Il se fit porter de l’eau dans un gobelet d’argent, sous prétexte de se raser : il mouilla sa barbe, et renvoya son laquais, et donna le gobelet à son ami. Tout le domestique fut en désordre : on cherchait partout ce gobelet ; la femme de Marc Antoine faisait un bruit effroyable, et voulait mettre tous les valets à la question. Il prévint cela, en lui avouant ce qu’il avait fait, et en la suppliant de lui pardonner. » Ωμολόγησε συγγνώμην ἔχειν δεηθείς [15]. Petitâ veniâ id quod erut confessus est. Plutarque ne représente pas bien le caractère de cet homme : il le fait libéral ; il fallait le faire prodigue. Salluste ne s’y est pas trompé : M. Antonius perdundæ pecuniæ genitus, vacuusque curis nisi instantibus [16]. Ne dissimulons point que Cicéron nie ce que l’opinion commune attribuait à ce Marc Antoine. On disait qu’il n’écrivait rien ni de sa recette, ni de sa dépense : Audimus aliquem tabulas nunquàm confecisse : quæ est opinio hominum de Antonio falsa, nam fecit diligentissimè [17].

  1. Vell. Paterculus, lib. II, cap. XXXI.
  2. Voyez Pierre Matthieu, à la fin de la préface de l’Histoire de la Paix.
  3. Plutarch., in M. Anton., init., pag. 916.
  4. Plutarch., in M. Anton, init., pag. 916.
  5. Idem, ibid., pag. 924.
  6. Tiré de Glandorp, pag. 74 et 75.
  7. Lactant., lib. I, cap. I, pag. 34.
  8. Cicero, Orat. II in Verr., cap. III.
  9. Idem, Orat. III in Verr., cap. XCI.
  10. Gerardus Vossius, Not. in Vell. Paterculum, pag. 55, edit. 1636 : il cite Cicéron, Verrinâ I ; mais il fallait le citer Verrinâ II et III, dd. II.
  11. Florus, lib III, cap. VII, et non pas cap. VIII, comme Gérard Vossius le cite.
  12. Plut., in Pompeio.
  13. Dio, lib. XXXVI.
  14. Plut., in M. Antonio, init., pag. 915, 916.
  15. Id., ibid., pag. 916, A.
  16. Sallust., in Fragm. Historic., lib. III, pag. 446.
  17. Cicero, Orat. I in Verrem, cap. XXIII.

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