Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Antoine 2

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ANTOINE (Marc), l’orateur, a été le plus grand ornement de sa maison. À son entrée dans les charges, il fit éclater son mérite, par un endroit qui est digne d’être rapporté. Il avait obtenu la questure de la province d’Asie, et il était déjà arrivé à Brundusium, pour s’y embarquer, afin d’aller exercer sa charge, lorsque ses amis lui firent savoir qu’il avait été accusé d’inceste, et que le préteur Cassius, le juge du monde le plus rigide, jusque-là que l’on appelait son tribunal l’écueil des accusés, était saisi de cette cause. Marc Antoine eût pu se servir du bénéfice de la loi, qui défendait de recevoir les accusations contre ceux qui étaient absens pour le service de la république ; mais il aima mieux se justifier dans les formes, et pour cet effet il revint à Rome, et poursuivit son procès, et le gagna glorieusement [a]. La Sicile lui échut pendant sa préture, et il donna la chasse aux pirates qui infestaient ces mers-là. Il fut fait consul avec A. Posthumius Albinus, l’an de Rome 653, et réprima courageusement et heureusement toutes les machinations turbulentes de Sextus Titus, tribun du peuple. Quelque temps après il fut gouverneur de Cilicie, en qualité de proconsul, et y fit tant de belles choses, qu’il en remporta l’honneur du triomphe. N’oublions pas que, pour cultiver le merveilleux talent d’éloquence qu’il avait, il voulut bien en quelque manière devenir le disciple des plus grands hommes qui fussent à Athènes, et à Rhodes, lorsqu’il alla en Cilicie, et lorsqu’il revint à Rome. Il exerça ensuite la charge de censeur, avec beaucoup de gloire, ayant gagné sa cause devant le peuple contre Marc Duronius, qui lui avait intenté une accusation de brigue, pour se venger d’avoir été rayé du sénat par Marc Antoine ; ce que ce sage censeur avait fait, à cause que Duronius, pendant qu’il était tribun du peuple, avait cassé la loi qui réprimait les dépenses immodérées des festins [b]. C’était un des plus grands orateurs qu’on eût jamais vus à Rome ; et il fut cause, selon le témoignage de Cicéron, bon juge en ces sortes de matières, que l’Italie se pouvait vanter d’égaler la Grèce en l’art de bien dire. Il défendit entre autres personnes Marcus Aquilius, et toucha tellement les juges par les larmes qu’il répandit [c], et par les cicatrices qu’il montra sur la poitrine de son client, qu’il gagna sa cause. On peut voir fort amplement le caractère de son éloquence, et celui de son action, dans les livres que je cite [d]. Il ne voulut jamais publier aucun de ses plaidoyers (A), afin, disait-il, de ne pouvoir pas être convaincu d’avoir dit en un procès ce qui serait contraire à ce qu’il dirait dans un autre. La morale du barreau ne trouvait point en ce temps-là qu’il fût honteux de se dédire en faveur de son client. La précaution de cet avocat est nécessaire aux personnes de sa profession (B), et n’est pas néanmoins toujours capable de les tirer d’affaire (C). Il affectait de ne passer point pour savant (D). Sa modestie, et ses autres qualités d’honnête homme, ne le rendaient pas moins cher à un grand nombre d’illustres amis, que son éloquence le faisait admirer de tout le monde. Il périt malheureusement durant les confusions sanglantes que Marius et Cinna causèrent dans Rome. Il fut découvert au lieu où il s’était caché, et aussitôt des soldats furent envoyés pour le tuer. La manière dont il leur parla les attendrit, et il n’y eut que celui qui les commandait, qui eut la brutalité de le tuer, n’ayant pas écouté son discours, mais étant entré dans sa chambre tout en colère de ce que les soldats n’avaient pas exécuté son ordre [e]. Sa tête fut exposée sur la tribune aux harangues, pro rostris, lieu qu’il avait orné de dépouilles triomphales [f]. Ceci arriva l’an de Rome 667. Il laissa deux fils, dont je vais parler.

  1. Valer. Maximus, lib. III, cap. VII, num. 9. Il rapporte, livre VI, chap. VIII, da constance d’un esclave de ce Marc Antoine à nier que son maître fût coupable.
  2. Glandorpius, Onomast. pag. 68, ex Epitome Livii, Cicerone, etc.
  3. Cicero, de Orat., lib. II, cap. XLVII, et in Verrem, V, initio.
  4. Idem, in Bruto, cap. XXXVII, et de Oratore.
  5. Plutarch., in Mario, pag. 431. Valer. Max., lib. VIII, cap. IX.
  6. Cicero, de Oratore, lib. III, cap. III.

(A) Il ne voulut jamais publier aucun de ses plaidoyers. ] Ce fait, et la raison de ce fait, sont deux choses assez remarquables pour mériter que j’en rapporte les preuves. Cicéron et Valère Maxime sont mes deux témoins. Voici comme parle Cicéron : Hominem ingeniosum M. Antonium aïunt solitum esse dicere, idcircò se nullam unquàm orationem scripsisse, ut si quid aliquandò non opus esset ab se esse dictum, posset se negare dixisse [1]. Nous allons entendre Valère Maxime : Jam M. Antonio remittendum convitium est, qui idcircò se aïebat nullam orationem scripsisse, ut si quid superiore judicio actum ei quem posteà defensurus esset. nociturum foret, non dictum à se affirmare posset : qui facti vix pudentis tolerabilem caussam habuit, pro periclitantium enim capite non solùm eloquentiâ suâ uti, sed etiam verecundiâ abuti erat paratus [2]. Je ne pense pas qu’il y ait de chicaneur assez injuste pour soutenir que je traduis mal le mot scribere. Tout lecteur qui aura quelque intelligence comprendra que Marc Antoine ne voulait pas dire qu’il plaidait par méditation, qu’il n’écrivait rien de tout ce qu’il débitait devant les juges ; car, si c’eût été son sens, il aurait donné une raison impertinente de sa conduite, puisqu’il n’avait pour but que d’empêcher qu’on ne se servît contre lui de ses propres armes. Il pouvait empêcher cela également, soit qu’il écrivît, soit qu’il s’écrivît point ses plaidoyers, pourvu qu’il ne les publiât pas. Un manuscrit caché dans un coffre ne peut pas convaincre un homme, dans le barreau, qu’il a soutenu autrefois une maxime tout opposée à ce qu’il avance présentement. Cet homme le niera avec la même assurance que s’il avait plaidé par méditation, et ne craindra pas qu’on le condamne à produire l’original de son plaidoyer : il aurait plusieurs moyens infaillibles de s’en garantir. Concluons donc qu’il ne s’agit point ici d’écrire ou de ne pas écrire un discours que l’on prononce, mais de le publier ou de ne le publier pas. S’il était besoin de donner des preuves dans une chose si claire, j’en fournirais bientôt deux qui seraient très-fortes. La première serait prise d’un endroit de Cicéron, où Brutus se plaint de ce que l’orateur Marc Antoine n’avait donné au public qu’un très-petit livre : Vellem aliquid Antenio præter illum de ratione dicendi sanè exilem libellum.... libuisset scribere [3]. Il se sert là du mot scribere. Je prendrais la deuxième de la harangue même de Cicéron, où se trouve le fait dont je parle ; car Cicéron, voulant montrer que Marc Antoine ne se précautionnait pas autant qu’il croyait, représente, non pas que l’on peut obliger un avocat à produire l’original de son plaidoyer, mais qu’il y a des auditeurs qui se souviennent long-temps de ce qu’ils ont ouï dire à un avocat : Perindè quasi quid à nobis dictum aut actum sit, id nisi litteris mandaverimus hominum memoriâ, non comprehendatur [4].

(B) La précaution de cet avocat est nécessaire aux personnes de sa profession. ] Je me souviens d’une lettre publiée l’an 1685, où l’on recherchait les causes des contradictions des auteurs [5]. On mit en jeu les avocats, et voici ce qui fut dit sur leur chapitre : « On a quelquefois le plaisir, dans une même semaine, d’entendre plaider un même avocat pour un mari contre sa femme, et pour une femme contre son mari. S’il a l’imagination excessive, il ne parle dans son premier plaidoyer que de l’empire des maris : il le fonde sur la nature, sur la raison, sur la parole de Dieu, sur l’usage. Il cite l’Écriture, il cite les pères, il cite les jurisconsultes, il cite les voyageurs. Il déclame contre les femmes, et il ne raisonne que sur des propositions universelles. Mais deux jours après, ce n’est plus cela. Il passe dans des maximes tout opposées : il traite d’usurpation l’autorité des maris, il parcourt la sainte Écriture, le code, la physique, l’histoire et la morale, en faveur des femmes, raisonnant toujours sur des principes universels : car un esprit véhément ne croit rien prouver, s’il n’affirme, ou s’il ne nie, sans exception ; et, par conséquent, s’il s’engage à soutenir des intérêts opposés ; il faut nécessairement qu’il se contredise. » Avouons qu’un avocat qui aurait donné au public un plaidoyer sur les priviléges des femmes, rempli de tout le feu de son imagination, serait aisé à réfuter, s’il plaidait pour les priviléges des maris. On n’aurait qu’à le renvoyer à son livre. Notre orateur Marc Antoine voulut éviter ce grand inconvénient, et se réserver la liberté de se contredire, en soutenant un jour une chose, et le lendemain une autre, selon l’intérêt de ses parties. Il serait aisé de montrer que les avocats ne sont pas les seuls qui en usent de cette manière : les théologiens controversistes ne font autre chose, à mesure qu’ils ont affaire à diverses gens [6]. Bellarmin, contre les enthousiastes, soutient que l’Écriture est toute remplie de caractères de divinité ; mais contre les protestans, il soutient qu’elle est obscure, et qu’elle a besoin de l’autorité de l’Église [7]. Un ministre, que je ne nommerai pas, soutient, contre ceux de l’église romaine, que l’Écriture est toute brillante de caractères de divinité : contre M. Pajon, il tient un autre langage [8]. Il faudrait laisser en propre ce privilége aux poëtes et aux orateurs. « Ils disent souvent, en différens endroits, des choses contraires les unes aux autres, selon ce qui fait à leur propos. Nos poëtarum more, utì se res dederit, ità sel populi vel eruditorum hominum sententiam nostro quodam jure sequimur, atque aliàs si sit opus, aliter de eâdem dicimus, dit l’excellent monsignor della Casa, archevêque de Bénévent, dans une de ses lettres à Victorius ; et Eustathius, sur le vers 181 du second livre de l’Odyssée, et sur le 243e. du XIIe. de l’Iliade, a remarqué qu’Homère avait dit en ces endroits des choses touchant les augures, qui étaient contraires à celles qu’il avait dites ailleurs : ce qu’il appelle τὸ ἀμϕοτερόγλωσσον. J’ai donc dit en ces premiers endroits de mes poésies que je viens d’alléguer, que c’était une vilaine chose qu’un vieux poëte, parce que cela faisait à mon sujet ; mais cela n’empêche pas que je ne puisse dire ailleurs le contraire, si l’occasion s’en présente. [9]. » Que j’aime cette bonne foi ! et que je serais ravi de la trouver dans Bellarmin et dans le ministre ! mais ce n’est pas une chose qu’il faille espérer. Nous entendrons bientôt Cicéron sur le droit des avocats, par rapport à la liberté de se contredire. Voyez les remarques (H) et (I) de l’article Balde.

(C) La précaution dont il usait n’est pas toujours capable de tirer d’affaire les avocats. ] Nous avons vu [10] comment Cicéron a observé que la mémoire des auditeurs est redoutable aux avocats qui se contredisent [11]. S’il en avait donné des exemples, il aurait mieux fait connaître que les précautions de Marc Antoine étaient inutiles. Mais il faut avouer que ce qu’il ajoute est assez propre à justifier la conduite de cet orateur. Voici ce que c’est. Marc Brutus, qui accusait L. Plancius, défendu par L. Crassus, fit venir deux personnes, qui lurent tout haut certains endroits qu’il avait choisis dans deux harangues de L. Crassus, l’une desquelles élevait extrêmement l’autorité du sénat, et l’autre ne l’abaissait pas moins. Cela mit un peu en peine l’orateur, et l’obligea à préparer des excuses sur la diversité des temps et des causes qui avait exigé de lui ces deux sortes de maximes [12]. Ego verò, dit Cicéron [13], in isto genere libentiùs cùm multorum tum hominis eloquentissimi et sapientissimi L. Crassi autoritatem sequor, qui quùm L. Plancium defenderet accusante M. Bruto, homine in dicendo vehementi et callido, quùm Brutus duobus recitatoribus constitutis ex duabus ejus orationibus capita alterna inter se contraria recitanda curâsset, quòd in dissuasione rogationis ejus quæ contra Coloniam Narbonensem ferebatur quantùm potest de autoritate senatûs detrahit : in suasione legis Serviliæ summis ornat senatum laudibus, et multa in equites romanos quùm ex eâ oratione asperiùs dicta recitâsset, quo animi illorum judicum in Crassum incenderentur : aliquantùm esse commotus dicitur. Itaquè in respondendo primùm exposuit utriusque rationem temporis, ut oratio ex re et causâ habita videretur. Cicéron n’avait garde de désapprouver le parti que L. Crassus choisit en cette rencontre : Cicéron, dis-je, qui se voyait dans le même cas, vu qu’on avait récité un morceau de l’une de ses harangues, qui était fort contraire à la cause qu’il avait alors en main. Il répondit que la harangue dont on avait récité quelque partie, ne contenait point les expressions de ses véritables sentimens, et qu’il ne faut pas considérer ce que dit un homme en qualité d’avocat, comme s’il l’avançait en qualité de témoin ; et que c’est le langage de la cause, et non pas le langage de l’orateur. Cela est assez intelligible : il faut parler selon l’intérêt de la cause, et selon les conjonctures, et non pas selon ses opinions particulières : Ego si quid ejusmodi dixi, neque cognitum commemoravi, neque pro testimonio dixi : et illa oratio potiùs temporis mei quàm judicii et auctoritatis fuit..... Errat vehementer si quis in orationibus nostris quas in judiciis habuimus autoritates nostras consignatas se habere arbitratur. Omnes enim illæ orationes causarum et temporum sunt, non hominum ipsorum aut patronorum. Nam si causæ ipsæ pro se loqui possent, nemo adhiberet oratorem : nunc adhibemur ut ea dicamus non quæ nostrâ auctoritate constituantur, sed quæ ex re ipsâ causâque dicantur [14]. Joignez à cela les paroles que Cicéron met dans la bouche de Marc Antoine, l’orateur : Oratoris omnis actio opinionibus non scientia continetur ; nam et apud eos dicimus qui nesciunt, et ea dicimus quæ nescinus ipsi : ità et illi alias aliud iisdem de rebus et sentiunt et judicant, et nos contrarias sæpè causas dicimus, non modò ut Crassus contra me dicat aliquandò, aut ego contra Crassum, quùm alterutri necesse sit falsum dicere, sed etiam ut uterque nostrûm eâdem de re alias aliud defendat, quùm plus uno verum esse non possit. Ut igitur in ejusmodi re quæ mendacio nixa sit, quæ ad scientiam non sæpè perveniat, quæ opiniones hominum et sæpé errores aucupetur, ità dicam [15]. Je n’assure que la plupart de mes lecteurs seront si aises de voir que ces deux grands orateurs aient eu de tels principes, et qu’ils aient si bien connu le faible de leur métier, qu’on me pardonnera tout ce qui pourrait sentir trop la digression dans cette remarque. Notez que ces principes durent encore. Comparez les plaidoyers de M. Érard contre madame Mazarin, avec la réponse au factum de cette dame. Lisez en particulier ces paroles de la réponse : M. Érard a parlé à madame Mazarin des événemens de ce temps-là, de la manière dont alors elle-même devait les regarder. Après cela, les temps et les événemens différens changent nos sentimens et nos paroles.

(B) Notre Marc Antoine affectait de ne passer point pour savant. ] Si je ne me trompe, c’était moins par modestie que par politique. Il se voyait établi dans une belle réputation de grand orateur : ne pouvait-il pas croire qu’on l’admirerait davantage, si l’on se persuadait qu’il ne devait son éloquence qu’à son génie, que si on la croyait le fruit d’une longue étude des livres grecs ? Il avait une autre raison : il croyait que le peuple se laisserait plus toucher par ses harangues, en les prenant pour une production de la nature, qu’en les prenant pour une production de l’art. On se défie de ceux qui ont appris toutes les ruses du métier. À l’égard des juges, Marc Antoine ne croyait pas que rien fût plus propre à produire un bon effet, que de leur faire accroire qu’on plaidait sans préparation, et que de leur cacher soigneusement les finesses de la rhétorique dont on se servait pour rendre sa cause meilleure. Mais, dans le fond, il était savant, et n’ignorait pas les bons livres que les Grecs avaient produits. Prouvons tout ceci par quelques passages de Cicéron : Magna nobis pueris, Quinte frater, si memoriâ tenes, opinio fuit L. Crassum non plus attigisse doctrinæ quàm quantùm primâ illâ puerili institutione potuisset, M. autem Antonium omninò omnis eruditionis expertem atque ignarum fuisse…. Quùm nos.... ea disceremus quæ Crasso placerent, et ab his doctoribus quibus ille uteretur erudiremur, etiam illud sæpè intelleximus.… illum et græcè sic loqui nullam ut nôsse aliam linguam videretur, et doctoribus nostris ea ponere in percontando, eaque ipsum omni in sermone tractare, ut nihil esse ei novum, nihil inauditum videretur. De Antonio vero quanquàm sæpè ex humanissimo viro patruo nostro acceperamus, quemadmodùm ille vel Athenis vel Rhodi se doctissimorum hominum sermonibus dedisset, tamen ipse adolescentulus, quantùm illius ineuntis ætatis meæ patiebatur pudor, multa ex eo sæpè quæsivi. Non erit profectò tibi quod scribo hoc novum (nam jam tum ex me audiebas), mihi illum ex multis variisque sermonibus nullius rei, quæ quidem esset in his artibus de quibus aliquid existimare possern, rudem aut ignarum esse visum. Sed fuit hoc in utroque eorum ut Crassus non tam existimari vellet non didicisse quàm illa despicere, et nostrarum hominum in omni genere prudentiam Græcis anteferre. Antonius autem probabiliorem hoc populo orationem fore censebat suam, si omninò didicisse nunquàm putaretur. Atque ità uterque se graviorem fore si alter contemnere, alter ne nôsse quidem Græcos videretur. Voilà l’exorde du IIe. livre de l’Orateur. Ajoutez-y ce qu’il y dit de lui-même [16], qu’il ne lisait les auteurs grecs que pour se divertir, qu’il n’entendait rien aux livres des philosophes : Verbum prorsùs nullum intelligo, ità sunt angustis et concisis disputationibus illigati ; qu’il laissait là les poëtes, dont le langage n’était point humain, et qu’il s’arrêtait aux historiens ou aux orateurs qui s’étaient humanisés avec les demi-savans : Videantur voluisse esse nobis, qui non sumus eruditissimi, familiares. Dans la suite de ce livre, ce n’est plus Cicéron qui parle, et l’on entend dire, entre autres choses, à Marc Antoine ce qui suit : Ego ista studia non improbo, moderata modò sint : opinionem istorum studiorum et suspicionem artificii apud eos qui res judicent oratori adversariam esse arbitror, imminuit enim et oratoris autoritatem, et orationis fidem [17]. Voilà le fondement de la conduite que Cicéron lui attribue : Erat memoria summa, nulla meditationis suspicio, imparatus semper aggredi ad carendum videbatur ; sed ità erat paratus, ut judices, illo dicente, nonnunquàm viderentur non satis parati ad cavendum fuisse [18]. Je me souviens à ce propos d’une remarque de M. Daillé sur la différence qui se trouve entre faire l’orateur et être orateur [19]. Cette remarque est très-bonne.

  1. Cicero, in Oratione pro Cluentio, cap. I.
  2. Valer. Maximus, lib. VII, cap. XIII, num. 5.
  3. Cicero, in Brato, cap. XLIV.
  4. Cicero, Orat. pro Cluent., cap. L, et seq.
  5. C’est la IIe. des Nouvelles Lettres contre le calvinisme, de Maimbourg.
  6. Voyez la remarque (L) de l’article de (Jean) Adam.
  7. Voyez les efforts que le jésuite Mulbusinus fait dans l’Auctarium primum Speculi miseriarum Parei, pour soudre cette contradiction. Voyez aussi la remarque (D) de l’article Bellarmin.
  8. Voyez le Supplément du Commentaire philosophique, et les pages 207 et 216 de la Réponse de M. Saurin à ce Commentaire.
  9. C’est M. Ménage qui parle dans l’Anti-Baillet, tom. II, pag. 174, 175.
  10. Ci-dessus, citation (4).
  11. Elle ne l’est pas moins aux prédicateurs, lorsque, bien loin de se contredire, ils débitent de temps en temps presque mot à mot le même sermon.
  12. Voyez Cicéron, Oratione pro Cluent., cap. L, et seq., et encore mieux de Oratore, cap. LV, comment il se vengea de Brutus, en faisant venir trois lecteurs.
  13. Cicero, Orat. pro Cluentio, cap. LI.
  14. Idem, ibid., cap. L.
  15. Cicero, de Oratore, lib. II, cap. VII.
  16. Idem, ibid., cap. XIV. Voyez-le aussi cap. XIX.
  17. Idem, de Oratore, lib. II, c. XXXVII.
  18. Idem, in Bruto, cap. XXXVII.
  19. Daillé, Réponse au P. Adam, IIIe. part., pag. 156.

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