Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Appolinaris

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APOLLINARIS (Caïus Sulpitius), grammairien fort docte, natif de Carthage (A), a vécu dans le IIe. siècle sous les Antonins. Il eut pour successeur dans la profession de grammaire Helvius Pertinax, qui avait été son disciple, et qui fut enfin empereur [a]. On le croit auteur des vers qui paraissent à la tête des comédies de Térence (B), et qui en contiennent le sommaire. On a l’épigramme qu’il composa sur l’ordre que Virgile avait donné de brûler son Énéide (C). Aulu-Gelle, qui avait étudié sous lui, en parle souvent avec éloge (D). Je conseille surtout de voir ce qu’il en a dit dans le chapitre VI du XVIIIe. livre. On y trouvera le portrait d’un fanfaron d’érudition, et la manière adroite dont Apollinaris se moqua de lui (E).

  1. Julius Capitolinus, in Pertinace, cap. I.

(A) Natif de Carthage. ] Je n’ai point trouvé d’auteur ancien qui me l’apprenne : je ne le débite que sur la foi des auteurs modernes qui ont publié des compilations d’épigrammes, ou de Catalectes des anciens poëtes.

(B) On le croit auteur des vers qui paraissent à la tête des comédies de Térence. ] J’ai lu dans une lettre de Pierre Crinitus [1], que Politien avait remarqué que ces vers ne devaient pas être attribués à Térence, comme le croyaient bien des gens, mais à Sulpicius Apollinaris. Il ajoute, qu’on lisait, dans un très-ancien manuscrit de Térence, cette inscription en grands caractères sur les sommaires, G. Sulpici Apollinaris periocha. On s’est fort réglé sur cette inscription dans les éditions de Térence. M. de Tillemont nous renvoie à Sethus Calvisius, touchant ces sommaires [2]. Il est vrai que Calvisius en parle sous l’année 163 : mais il cite Suidas, et je doute fort qu’il l’ait dû faire. Il ne tient pas à M. de Tillemont que l’on ne croie que nous avons encore deux ouvrages d’Apollinaris. Il [* 1] a laissé quelques lettres, dit-il, et [* 2] un écrit où il reprenait un autre grammairien nommé Cæsellius Vindex [* 3].

(C). On a l’épigramme qu’il composa sur l’ordre que Virgile avait donné de brûler son Énéide. ] La voici ; ce n’est qu’un distique [* 4] :

Infelix alio cecidit propè Pergamon igne,

Et pœnè est alio Troja cremata rogo.


Ces vers-là font regretter la perte des autres. Versus habemus ejus aliquos de Æneide Maronis qui deperditorum accendunt sitim [3]. Ces paroles sont du jésuite Briet. Je m’étonne qu’il ne parle pas des sommaires de Térence, et que Vossius ne dise rien de notre poëte [* 5]. J’avoue qu’il parle d’un Apollinaris que le Giraldi a compté entre les poëtes latins ; mais comme c’est un Apollinaris qui vivait au temps de Martial [4], il est manifeste que ce n’est pas le nôtre. D’ailleurs tous ceux qui se plaisent aux vers ne sont pas poëtes : ainsi l’on a eu raison de contester au Giraldi la qualité de poëte qu’il a donnée à l’Apollinaris de Martial, et qu’il a fondée sur l’amour qu’avait cet Apollinaris pour les poésies de Martial : Eum in poëtis memorat Lilius, sed non sat firmo argumento ; nec enim si delectaretur epigrammatis, eo et ipse fuerit poëta [5].

(D). Aulu-Gelle..…. parle souvent d’Apollinaris, avec éloge [6]. ] Il l’appelle virum præstanti litterarum scientiâ [7] : hominem memoriæ nostræ doctissimum [8] : virum eleganti scientiâ ornatum [9] : virum in memoriâ nostrâ præter alios doctum [10]. Voyez le chapitre XIII de son XIIe. livre. Il lui donne une autre qualité, qui n’est pas moins estimable que l’érudition : c’est qu’Apollinaris n’avait pas cette fierté pédantesque, qui fait qu’on censure magistralement ceux qui s’émancipent à parler des choses dont ils ne sont pas bien instruits. Pour lui, il avertissait doucement de l’erreur. Aulu-Gelle en produit un illustre exemple ; car pour peu qu’Apollinaris eût été pédant, il eût pris le ton le plus aigre de la censure, dans l’occasion où Aulu-Gelle le représente revêtu de beaucoup d’honnêteté. On avait demandé en sa présence qui était un certain Cato Nepos, qui paraissait à la tête d’un volume ? Un jeune écolier prit la parole tout le premier, et se mêla de répondre à la question, et se trompa. La majesté professorale se trouvait là offensée ; un jeune homme avait prononcé sur une question en présence d’un professeur en grammaire, sans attendre que le grammairien eût dit son avis : cette précipitation n’était guère supportable ; néanmoins Apollinaris ne rectifia point la fausse réponse du jeune homme, sans débuter par des louanges, et par des honnêtetés : Tum Apollinaris, ut mos ejus in reprehendendo fuit, placidè admodùm leniterque, « Laudo, inquit, te, mi fili, quod in tantulâ ætate etiamsi hunc M. Catonem, de quo nunc quæritur quis fuerit ignoras, auditiunculâ tamen quâdam de Catonis familiâ aspersus es [11]. »

(E). Il se moqua adroitement d’un fanfaron d’érudition. ] Ce fanfaron se vantait chez un libraire d’être le seul qui entendît bien Salluste. « Je ne n’arrête pas, disait-il, à l’écorce, ou à l’extérieur de ses pensées : je vais jusqu’au sang et aux moelles. » Neque primam tantùm cutem ac speciem sententiarum, sed sanguinem quoque ipsum ac medullam verborum ejus eruere atque introspicere penitùs prædicaret. Apollinaris, recourant aux manières ironiques de Socrate [12], adressa la parole à cet homme avec un air respectueux, et se félicita de trouver si à propos un oracle à consulter sur un passage de Salluste, dont on lui avait demandé l’explication le jour précédent, sans qu’il eût pu la donner. Il lui demanda quelle différence mettait Salluste entre stolidior et vanior, quand il disait Cn. Lentulus.…. perincertum stolidior an vanior [13]. Le fanfaron répondit, d’un air méprisant, qu’il fallait proposer ces bagatelles à d’autres, et qu’il ne se donnait point la peine d’approfondir ce que tout le monde savait. Il ne laissa pas de faire clairement connaître son ignorance sur la question proposée ; mais quand il vit qu’on voulait le serrer de plus près, et qu’on se moquait de lui, il se retira sous prétexte d’avoir ailleurs des affaires. Apollinaris expliqua ensuite ce passage de Salluste, et prétendit que vanus signifiait un fourbe, et que stolidus signifiait un homme rude et grossier. Les paroles d’Aulu-Gelle sont dignes d’être rapportées ; elles peignent bien : Tum ille rictu oris labiarumque ductu contemni à se ostendens et rem de quâ quæreretur, et hominem ipsum qui quæreret : « Priscorum, inquit, et remotorum ego verborum medullas et sanguinem, sicuti dixi, perspicere et elicere soleo, non illorum quæ proculcala vulgo et protrita sunt. Ipso illo quippè Cn. Lentulo stolidior et vanior, qui ignorat ejusdem esse vanitatem et stoliditatem. »

  1. (*) Gellius, lib. XV, cap. V.
  2. (*) Idem, lib. II, cap. XVI.
  3. * Joly avoue que M. de Tillemont ne s’est pas expliqué exactement.
  4. * Guib remarque que ce n’est pas un distique : la pièce entière a six vers que Joly rapporte, et qui se trouvent d’ailleurs dans la Vie de Virgile attribuée à Dorat.
  5. * Joly prétend que J. A. Fabricius n’a point consacré d’article à Apollinaris dans sa Bibliotheca Latina. C’est une erreur : le chapitre XIV du livre III est consacré à Symmaque et à Sidoine Apollinaire. L’article de ce dernier est à la page 131 du tome II de l’édition citée par Joly.
  1. Elle est parmi celles de Politien, la XXIIe. du XIIe. livre, édition de Paris, en 1526, in-4o.
  2. Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. II, pag. 589.
  3. Brietius, de Poët. Lat., pag. 42.
  4. Il lui adresse l’épigramme XXV, du VIIe. liv.
  5. Vossius, de Poët. Lat., pag. 50.
  6. Aulus Gell., Noct. Atticar., lib. VI, cap. VI, et lib. XIII, cap. XVI, et lib. XX, cap. VI.
  7. Idem, lib. IV, cap. XVII.
  8. Idem, lib. XIII, cap. XVII.
  9. Idem, lib. XVI, cap. V.
  10. Idem, lib. XVIII, cap. IV.
  11. Aulus Gell., Noct. Atticar., lib. XIII, cap. XVIII.
  12. Jactatorem quempiam et venditatorem Sallustianæ lectionis irrisit illusitque genere illo facetissimæ dissimulationis, quâ Socrates ad sophistas utebatur. A. Gellius, lib. XVIII, cap. IV.
  13. Sallustius, Histor., lib. XII.

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