Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arétin 2

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ARÉTIN (François) a vécu au XVe siècle. Il avait beaucoup de lecture, et savait le grec. Il traduisit en latin les Commentaires de saint Chrysostome sur saint Jean, et une vingtaine d’Homélies du même père. Il traduisit aussi en latin les Lettres de Phalaris (A). On a encore de lui un traité de Balneis Puteolanis [* 1]. Jean Antoine Campanus, qui fut en faveur auprès de Pie II et de Sixte IV, était l’un de ses intimes amis [a]. Érasme n’estimait point le travail de notre Arétin sur saint Chrysostome (B).

Quelques-uns croient que notre François Arétin ne diffère pas du fameux jurisconsulte Franciscus Aretinus, qui était de la famille des Accolti. Mais d’autres ont de la peine à s’imaginer que le traducteur de quelques ouvrages de saint Chrysostome, etc., soit le même que François Accolti, dont les ouvrages de jurisprudence respirent la plus grossière barbarie, sans aucune ombre de la connaissance du grec. J’ai des observations à produire là-dessus, qui pourront convaincre bien des gens qu’il n’y a ici qu’un seul François Arétin (C). Quoi qu’il en soit, parlons d’Arétin le jurisconsulte. Il étudiait à Sienne, environ l’an 1443 [b], et puis il y enseigna la jurisprudence avec une telle vivacité de génie, qu’on le surnomma le prince des subtilités, et que la subtilité d’Arétin passa en proverbe. Il faisait principalement éclater ce beau talent dans les disputes ; car personne ne lui pouvait résister. Il donnait ses conseils avec tant de confiance, qu’il assurait les consultans qu’ils gagneraient leurs procès. L’expérience ne lui fut pas contraire, puisqu’on disait ordinairement dans le barreau, une telle cause a été condamnée par l’Arétin, elle sera donc perdue. Il enseigna aussi dans l’académie de Pise, et dans celle de Ferrare. Il fut à Rome sous le pontificat de Sixte IV, et ne s’y arrêta pas long-temps ; car il vit bientôt que les grandes espérances qu’il avait bâties sur sa réputation seraient nulles. Ce pape déclara qu’il lui donnerait volontiers la dignité de cardinal, s’il ne craignait de faire tort au public, en ôtant à la jeunesse un si excellent professeur. Lorsque la vieillesse ne lui permit plus de remplir toutes les fonctions de sa charge, il fut dispensé de faire leçon, et on lui continua ses gages. Il ne laissa pas de monter quelquefois en chaire ; et, quoique ses leçons fussent sans force, il avait néanmoins beaucoup d’auditeurs : on donnait cela à sa renommée. Un jour que les étudians étaient accourus à des spectacles, il s’aperçut qu’il n’y avait que quarante personnes dans son auditoire, et il s’en fâcha tellement qu’il jeta son livre, et qu’il se mit à crier, jamais l’Arétin n’expliquera la jurisprudence à peu de monde. Il se retira tout en colère, et ne voulut plus enseigner. Il était d’un naturel sévère, et il ne garda jamais plus d’un mois ou deux le mème valet : Ceux qu’on a loués depuis peu servent beaucoup mieux, disait-il. On l’honora de la qualité de chevalier, et il passa toute sa vie dans le célibat, et dans une épargne qui lui donna lieu d’amasser beaucoup de richesses. Il ne fut pas moins honoré à cause de sa chasteté, qu’à cause de son érudition. On sera bien aise de savoir la ruse dont il se servit pour apprendre à ses disciples combien il importe de passer pour honnête homme (D). Quoiqu’il eût destiné ses biens à l’entretien d’un collége, il les laissa à ses parens [c]. Il avait un frère qui se rendit fort illustre sous le nom de Benedictus Accoltus Aretinus (E). J’en parlerai dans une remarque.

  1. * Joly, d’après la Bibl. Manuscriptorum nova de Montfaucon, dit que Fr. Arétin a encore laissé, 1°. des Lettres ; 2°. une traduction des Lettres de Diogène le philosophe ; 3°. une version de l’Odyssée d’Homère.
  1. Tiré d’Aubert le Mire, Auctar. de Scriptor. Ecclesiast., pag. 268.
  2. Panzirol. de Clair. Lezum interpretib., lib. II, cap. CIII, pag. 249 et seqq.
  3. Tiré de Panzirole, de Claris Legum Interpretibus, lib. II, cap. CIII, pag. 249 et seqq.

(A) Il traduisit en latin les Lettres de Phalaris. ] J’ai vu, dans un livre imprimé en Allemagne l’an 1689 [1], plusieurs curieuses recherches touchant ces Lettres ; mais je ne puis m’empêcher de dire qu’on attribue à Léonard Arétin ce qui n’est dû qu’à François : Latinè emisit Leonhardus Aretinus Florentiæ mcccclxxx. Nous verrons en son lieu [2] que Léonard n’était point en vie au temps de cette édition.

(B) Érasme n’estimait point le travail de notre Arétin sur saint Chrysostome. ] Il remarque en deux endroits la faute que ce traducteur avait faite sur le mot οἴησις, dans la version du Commentaire sur la Ire. épître aux Corinthiens : Quod attinet ad fidem benè reddendi Græca, magis peccatum est ab Aniano, Aretino, et cæteris, quam ab Œcolampadio, qui magis peccat festinatione quàm imperitiâ, Versionem Francisci Aretini in priorem ad Corinth. habemus usque ad cap. 30. Cepi gustum quàm scitè tractâsset rem, et ecce in ipso statìm limine, quod est τὸν τύϕον κατέϐαλε καὶ χαμαὶ ἔῥῥιψε πᾶσαν αὐτῶν οἴησιν, οἴησιν opinionem vertit pro arrogantiâ [3]. Il remarque en un autre lieu [4] qu’Arétin avait achevé de traduire les Commentaires sur la Ire. épître aux Corinthiens, jusqu’à la XXe. Homélie.

(C) J’ai des observations à produire...., qui pourront convaincre...... qu’il n’y a ici qu’un seul François Arétin. ] Proposons d’abord le doute de Panzirole : Liberalibus artibus imbutus non solùm latinis, sed etiam græcis litteris operam dedisse creditur, et Joannis Chrysostomi in D. Joannem et Epistolam primam Pauli ad Corinthios Commentaria latina fecisse ; vereor tamen ne is sit Accoltus, cum quæ in jure scripsit, illum stylum non oleant, neque ullum servent linguæ græcæ vestigium [5]. Puis voyons ce que M. de la Monnoie m’a écrit sur ce doute-là [6]. « François Accolti d’Arezzo ayant écrit ses conseils, et ses autres ouvrages de jurisprudence, d’un style qui témoigne non-seulement une entière ignorance du grec, mais aussi du latin, j’ai douté comme Panzirole que ce fût ce même François d’Arezzo qui nous a donné des versions du grec, la diction desquelles ne cède point à celle de la plupart des autres humanistes de son temps. Je voyais que le jurisconsulte prenait le nom d’Accolti et les qualités de docteur et de chevalier, au lieu que l’humaniste était simplement nommé Franciscus Arétinus. Cependant, ayant eu depuis peu communication d’un exemplaire des Épîtres de François Philelphe imprimées à Venise, in-folio, l’an 1502, édition très-rare et plus ample que les autres de XXI livres, j’y ai trouvé de quoi revenir de mon doute, par la lecture de plusieurs de ces Épîtres, où l’auteur parle d’un François d’Arezzo son disciple, savant également dans le droit et dans les belles-lettres. Le temps et les circonstances font connaître évidemment que c’est celui dont Volaterran, écrivain presque contemporain, fait mention à la fin de son XXIe. livre. Outre ses compositions de droit, ses traductions de saint Chrysostome, des épîtres de Phalaris, et de celles de Diogène le Cynique, on lui attribue un Traité des Bains de Poussol, dont il n’est pourtant pas auteur, et qu’il n’a fait que dédier au pape Pie II, par une lettre assez mal conçue. Il avait aussi composé un livre de la Vie et des Mœurs de saint Antonin, archevêque de Florence. Philelphe, lettre XII du livre XVII, parle de cet ouvrage avec éloge. Dans le XXVIIe. livre des Lettres du même Philelphe il y en a six qui s’adressent Francisco Arretino, Equiti aurato ac jureconsulto, alors professeur en droit dans l’université de Sienne. Il lui donne dans la plupart de ces lettres de grandes louanges, sur lesquelles il y avait bien à rabattre. Quasi dubitandum sit, lui dit-il dans la première, minùs tibi esse apud florentissimam istam Remp. secunda omnia, qui vir in omni eruditionis ac sapientiæ genere præstantissimus sis, atque eâ virtute præditus quâ non modò ex hominibus hujusce tempestatis nemini cedis, sed potes jure cum universâ antiquitate de laude contendere. Par la troisième, datée du 8 mars 1468, il paraît que Francois d’Arezzo avait alors un peu plus de cinquante ans ; raison dont il se servait pour se dispenser du mariage. Sur quoi Philelphe lui dit fort gaillardement : Nam quòd ais sentire te debilitatas tibi esse corporis vires, cùm sis quinquagenarius, aut paulò ampliùs, id nullâ tibi causâ accidit aliâ, quàm quòd ætatis robur remiseris, ut quo tempore tendendus erat arcus, tum eum tu maximè relaxaveris. Quòd si eam servasses mediocritatem, quam et philosophi probant, et ego secutus sum, consuluisses tu sanè et posteritati et tibi. Dans la IVe. du XXVIIIe., il lui demande des nouvelles de ses études : Cæterùm cupio ex te nôsse quid rerum agas ? Non enim satis tuo præstanti ingenio, singularique doctrinæ esse duco, quòd doceas leges et jus civile, nam hæc jam tibi nullius sunt industriæ, cujus memoria divina est potiùs quam humana. Majora quædam te arbitror meditari, nec enim in eodem semper versaris ludo, itaque fieri non potest, quin aliquid novi semper cudas excudasque. Dans la Ve., il le prie de lui faire copier en parchemin l’Histoire d’Ammien Marcellin. Dans une lettre du XXIXe. livre, il lui propose de faire recevoir à Sienne, aux gages de la république, Démétrius Castrenus de Constantinople, pour enseigner le grec à la jeunesse. Dans une autre lettre du XXXIe. livre, il lui donne avis du dessein qu’avait le sénat de Venise de le tirer de Sienne, et de lui offrir une chaire à Padoue : Ad hæc ego, ajoute-t-il, contra locutus sum, et quæ vera esse novi, et quibus te delectari existimavi, quippè qui non essem oblitus quæ mecum nuper cùm ad octobrem Senæ fuissem, et de temperamento corporis tui, et de istius cœli, quantum ad te attinet, intemperie locutus fueras. Ce qu’il y a de surprenant est que dans la même lettre il dit que François d’Arezzo est ennemi du style barbare : Nec illud sanè prætereundum censui, Appianum Alexandrinum esse jam ab me magnâ ex parte latinum factum, quoniam tu nullâ barbariæ linguâ delectaris. Est-ce donc à l’usage de ce temps-là qu’il faut attribuer les expressions barbares de François d’Arezzo dans ses écrits sur le droit ? Il y a, ce semble, lieu de croire qu’il les affectait exprès, de peur qu’en voulant passer pour un écrivain plus poli, il ne fût estimé moins habile jurisconsulte. J’ai parcouru quelques-uns de ses conseils qui sont la barbarie même. On s’est fort moqué du CXLIIe., où, en conséquence de l’accord fait entre François Sforce, duc de Milan, et Louis de Gonzague, marquis de Mantoue, qu’au cas que Dorothée, fille du marquis, se trouvât sans difformité de bosse, ou d’autre défaut, à l’âge de quatorze ans, le mariage s’en ferait avec Galéas, fils du duc, il soutient que le duc était en droit de demander la visite par des médecins qui verraient et toucheraient la princesse à nu partout où il appartiendrait, suivant l’exigence du cas. Il paraît cependant que cette visite, toute fâcheuse qu’elle était dans l’exécution, était exigible de droit : aussi fut-elle demandée par le duc, mais refusée par le marquis. »

Après avoir examiné ces observations de M. de la Monnoie, je lui proposai encore quelque doute ; et voici de quelle manière il confirma de nouveau son sentiment : Vous ne devez nullement douter que François d’Arezzo, traducteur de quelques ouvrages grecs, et François d’Arezzo, jurisconsulte, dont nous avons des Commentaires sur le Droit, et des Conseils, ne soient un seul et même auteur. Volaterran, qui pouvait avoir vu le jurisconsulte, lui attribue, outre la science du droit, une grande connaissance des belles-lettres [7]. Philelphe, qui écrivait quelques années auparavant, dit la même chose. On voit par les témoignages des épîtres que je vous ai citées, qu’il y avait de son temps un Franciscus Aretinus, ou Arretinus, (comme lui et d’autres écrivent toujours) son disciple, chevalier, jurisconsulte, professeur en droit dans l’université de Sienne, homme excellent en toute sorte de littérature. J’ajoute ce passage à ceux que je vous ai déjà envoyés. Il est de la Ire. épître du XXVIe. livre, laquelle est une invective contre Léodrisio Crivello : At laudas Franciscum Arretinum, et jure quidem, sed, ut arbitror, dormitans. Egisti enim præter ingenium, et consuetudinem tuam. At meretur Franciscus Arretinus, cùm sit tum jureconsultorum omnium præstantissimus, tum nullius præclaræ disciplinæ ignarus. Tamen laudari à te flagitiorum ormnium scelerumque sentinâ, dedecorosum est. Jubes ab illo ut discam : rectè mones, nam non ab isto solùm, sed etiam abs te ipso, si quid boni afferre posses, non invitus discerem. Sed cur quem tantoporè laudas, non item imitaris ? Ille prædicat apud omnes discipulum se meum extitisse, mihique tribuit tantas laudes, quantis vellem me non carere. At est te, inquis, omni doctrinâ præstantior. Non eo inficias, neque fero graviter me à multis etiam discipulis meis superari, id quod sine aliquâ meâ laude fieri non potuerit, siquidem hi grati esse voluêre. Cette lettre est du 1er. d’août 1465. À peu près dans le même temps, Janus Pannonius, qui étudiait alors en Italie, adressa une épigramme à notre François d’Arezzo, dont voici les deux premiers vers :

Francisce interpres legum, ô Aretine, Sacrarum,
Nec minùs Aoniâ nobilis in citharâ.


Il est donc sûr que ce professeur en droit à Sienne, nommé François d’Arezzo, ou Arétin, était savant dans les belles-lettres : il n’est pas moins sûr que le nom de famille de ce même professeur était Accolti. Vous pouvez l’en croire lui-même. Ego Franciscus de Accoltis de Aretio, dit-il au bas de son CXVIIIe. conseil, Decretorum Doctor, Senis ordinariè legens, et illustris D. Marchionis Estensis Consiliarius, et ad fidem me subscripsi, et meos solito signo signari jussi. Les temps se rapportent. Volaterran dit que Francois Arétin, humaniste et jurisconsulte, fut à Rome sous Sixte IV. C’est contre le même Sixte que François Accolti écrivit son CLXIIIe. conseil en faveur de Laurent de Médicis et des Florentins que ce pape avait excommuniés à cause du meurtre de l’archevêque de Pise, et de l’emprisonnement du cardinal son petit-neveu. Volaterran dit que François Arétin étant allé à Rome, plein de grandes espérances, en partit bientôt, voyant que le succès n’y répondait pas à son attente. D’où je tire la conséquence que François Accolti, qui est le même que le François Arretin de Volaterran, se chargea d’autant plus volontiers d’écrire pour les Florentins contre Sixte, qu’il se souvint que ce pape l’avait laissé partir de Rome sans reconnaître son mérite. Peut-être même que c’était dans la vue de quelque dignité ecclésiastique dont il se flattait (comme on l’a dit du jurisconsulte Jason), qu’il n’avait point voulu se marier. Reste le scrupule de la différence qui se trouve entre la diction d’Arétin, professeur en droit, et celle d’Arétin, traducteur. Il est vrai que cette différence est énorme. Bien que les versions qu’il nous a données ne soient pas en effet d’une fort exquise latinité, on peut dire néanmoins qu’en comparaison de ses ouvrages de jurisprudence, elle est plus que cicéronienne. Quand il aurait voulu faire ce qu’ont fait de certains auteurs qui, pour se divertir, ont écrit en style macaronique, il n’aurait pas mieux réussi : Sunt etiam multi testes, dit-il, conseil LXXXIIIe., qui viderunt aquam benè ire ad mollendinum, et ipsum benè molere, et stechariam lignaminis benè in puncto. Et conseil XIII : Probatur per duos testes nostros quod ista mulier gessit portaturam capitis secundum babitum nuptarum à sex annis citra. Tout le livre est plein de ces fleurettes. L’orthographe des mots tirés du grec y est étrangement défigurée. On y trouve Economus, emologatio, cyrothecæ, Grisogonus, emphitheota. J’ai insinué la raison que ce jurisconsulte avait eue d’en user de la sorte, qui est que ses confrères n’écrivaient, ni ne s’exprimaient pas autrement. Son langage, s’il avait été plus correct, n’aurait pas été entendu des gens du métier. François Arétin ou Accolti, comme il vous plaira, et pu mieux parler ; mais il aimait l’argent, et s’il se fût avisé d’employer un style de Papinien, il se serait morfondu dans son étude, on l’aurait généralement abandonné. La même barbarie régnait alors parmi les théologiens et les médecins. Ceux d’entre eux qui voulurent les premiers introduire la politesse, n’étaient, disait-on, ni théologiens, ni médecins : ils n’étaient que grammairiens. On n’était pas encore bien revenu de cette prévention, du temps de Louis Vivès. Ses paroles méritent d’être rapportées : Quæ Lyranus et Hugo scribunt, (dit-il, livre Ier. de Causis corrupt. Art.) theologica est ; quæ Erasmus, grammatica. Idem de Hieronymo, Ambrosio, Augustino, Hilario dicturi, nisi nomer obstaret, tametsi hîc etiam nescio quid mussant. Quod si Joannes Picus Apologiam suam corrupto illo non scripsisset sermone, haud quaquàm haberetur theologus, sed grammaticus. Alciatus, Zasius, Cantiuncula, grammatici sunt, cùm de jure disputant : Accursius est jurisconsultus, vel cùm interpretatur, que, id est, et : ait, id est, dixi : seu, id est, aut. Ça donc été, monsieur, une espèce de nécessité à François Arétin, jurisconsulte, de s’accommoder à l’usage de son temps ; et je pense que ces réflexions jointes aux précédentes, suffiront pour vous persuader qu’il ne diffère de l’humaniste que par l’élocution.

(D) On sera bien aise de savoir la ruse dont il se servit pour apprendre à ses disciples combien il importe de passer pour un honnête homme. ] Il se servit de ce stratagème, après avoir vu que les fréquentes exhortations qu’il leur faisait à conserver une bonne réputation ne servaient de rien : Ubi (Ferrariæ) studiosos ad famam boni nominis conservandam sæpè hortatus cùm nihil proficeret ; ridiculum commentum excogitavit, ut quam vim maximam habeat existimatio, ostenderet [8]. Les bouchers de Ferrare laissaient les viandes à la boucherie toute la nuit. Il y alla avec son valet, avant le jour, et, ayant rompu leurs caisses, il enleva toutes les viandes. Deux écoliers, qui passaient pour plus pétulans que tous les autres, furent accusés de cette action, et emprisonnés. L’Arétin fut trouver le duc Hercule, et lui demanda leur liberté, et se chargea de toute la faute. Mais plus il soutenait fermement qu’il l’avait faite, plus croyait-on que les prisonniers en étaient coupables ; car personne n’osait soupçonner d’une telle chose un professeur dont la gravité et la sagesse étaient si connues. L’affaire ayant été enfin terminée, il déclara quel avait été son but. C’était de montrer le poids et l’autorité d’une bonne renommée : Quò constantiùs se facti autorem fatebatur, eò magis qui in vinculis erant rei credebantur, cùm ob viri gravitatem nemo id de eo suspicari auderet. Re demùm compositâ, id se Aretinus ad demonstrandam hominis bonæ opinionis auctoritatem fecisse dixit [9]. Personne n’ignore que ceux qui passent pour de grands menteurs ne sont point crus, lors même qu’ils disent la vérité. Il arrive tout le contraire à ceux qui passent pour fort ingénus : on les croit lors même qu’ils mentent. Voyez dans Valère Maxime ce que peut la bonne opinion que l’on a conçue d’un homme [10].

(E) Son frère se rendit fort illustre sous le nom de Benedictus Accoltus Aretinus. ] Il naquit l’an 1415, et après avoir bien fait ses humanités, il s’appliqua à l’étude de la jurisprudence avec tant d’ardeur qu’il ne tarda guère à parvenir au doctorat : après quoi, tant par des leçons publiques, que par des consultations [11], il se mit au rang des jurisconsultes les plus renommés. Il ne renonça point aux belles-lettres, et il écrivit des traités qui sont une preuve qu’elles ne lui étaient point indifférentes. Son dialogue de Præstantiâ Virorum sui ævi fut imprimé à Parme, l’an 1692, sur le manuscrit que M. Magliabecchi avait fourni. Il fut premier secrétaire de la république de Florence, les sept dernières années de sa vie. Il mourut à Florence, l’an 1466, âgé de cinquante-un ans. Son fils Pierre, grand jurisconsulte, ayant été auditeur de rote pendant vingt-cinq années, fut honoré du chapeau de cardinal par le pape Jules II. Il eut un autre fils, nommé Michel, qui fut père de Benoît Accoltus. Celui-ci fut secrétaire de Clément VII, et puis cardinal [12]. Voyez le Dictionnaire de Moréri, au mot Accolti.

  1. Decas Decadum Joh. Alberti Fabricii, num. 8.
  2. Dans la remarque (G) de l’article de (Léonard) Arétin.
  3. Erasm., Epist. LIX, lib. XXVI, pag. 1478. Voyez aussi Epistolâ IV, lib. XXVIII, pag. 1591.
  4. Pag. 1591.
  5. Panzirol., de Claris Legum Interpret., lib. II, cap. CIII, pag. 249.
  6. M. de La Monnoie, Remarques manuscrit.
  7. Voici les paroles de Volaterran, à la fin du XXIe. livre, pag. 782. Alexander Imolensis, et Franciscus Aretinus, ambo Scriptis excellentibus nuper relictis in memoriâ posteritatis vivent. Franciscus, præter jura, cæteras etiam liberales artes est adeptus, princeps seculi hujus habebatur. Xisti tempore magnâ expectatione in hanc urbem venit, paulòque post spe frustratus remigravit impari doctrinæ sapientâ vitæque instituto, cùm io cælibatu vixerit, ac opibus inhiaverit ; quas cumulatissimas cognatis demùm reliquit.
  8. Panzirol., de Claris Legum Interpret., pag. 250.
  9. Id., ibid., pag. 251.
  10. Valer. Maximus, lib. III, cap. VII, num. 8.
  11. Il y en a quelques-unes d’imprimées.
  12. Tiré de la Vie de Benedictus Accoltus, à la tête du dialogue de Præstantiâ Virorum sui ævi.

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