Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arétin 5

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ARÉTIN (Léonard) est plus connu sous ce nom qui lui a été donné à cause qu’il était d’Arezze, que sous celui de Brunus, ou Bruni, qui était son nom de famille [* 1]. Il a été un des plus habiles hommes du XVe. siècle (A). Il apprit le grec sous Émanuel Chrysolore, comme il le raconte lui-même [a] ; et ayant fait connaître son mérite au pape Innocent VII, il en obtint, quoique jeune, la charge de secrétaire des brefs, de laquelle il s’acquitta dignement sous ce pontificat, et sous les quatre suivans [b]. Il fut ensuite secrétaire de la république de Florence [c], et amassa beaucoup de biens [d], tant parce qu’il vécut dans le célibat [e], que parce qu’il fut excessivement bon ménager. Il traduisit de grec en latin quelques Vies de Plutarque (B), et la Morale d’Aristote. Il composa trois livres de la Guerre Punique, qui peuvent servir de supplément à quelques-uns de ceux qui nous manquent de Tite-Live (C). Il composa aussi l’Histoire des choses qui se firent de son temps en Italie (D), celle de la République de Florence, celle de l’ancienne Grèce (E), et celle des Goths. Mais cette dernière, qui lui fit beaucoup d’honneur, pendant que l’on ignora qu’il n’avait fait que la traduire du grec de Procope, attira sur sa mémoire une espèce d’infamie [f], dès qu’on sut après sa mort, par les soins de Christophe Persona [* 2], que Procope, dont il avait supprimé le nom en s’appropriant son travail, était le véritable auteur de cette histoire des Goths (F). Il composa plusieurs autres livres, dont on peut voir le catalogue dans la Bibliothéque de Gesner, et mourut l’an 1443, âgé de soixante-quatorze ans (G), à Florence, où l’on voit son tombeau de marbre dans l’église de Sainte-Croix [g]. Pogge fut un de ceux qui le critiquèrent (H). M. De la Mare, conseiller au parlement de Dijon, publia en 1653 un catalogue des livres de Léonard Arétin, lesquels il avait dessein de faire imprimer. Je ne pense pas que la chose ait jamais été exécutée [* 3]. J’ai ouï dire, qu’on a trouvé depuis peu, parmi les manuscrits de la bibliothéque d’Oxford, un exemplaire de lettres de Léonard Arétin, où il y a XL lettres qui n’ont jamais été imprimées, et que cela pourra bien donner l’envie de travailler à une nouvelle édition [* 4].

  1. * Chaufepié contient quelques particularités extraites, soit du Poggiana, de Lenfant, soit de sa préface de l’Histoire du Concile de Pise.
  2. * Le Journal des Savans (novembre 1742), remarque que L. Arétin reconnaît avoir mis Procope à contribution ; que d’ailleurs Pogge l’avait dit avant Persona. C’est au reste encore Vossius qui a induit ici Bayle en erreur.
  3. * Elle ne l’a pas été quoique La Mare ne soit mort qu’en 1687.
  4. * J.-A. Fabricius donna en 1724 une édition des Épîtres de L. Arétin. Elle laissait encore beaucoup à désirer ; et L. Melius en donna une nouvelle édition beaucoup plus ample et plus correcte, et augmentée de deux livres, Florence, 1741, deux parties, in-8o. On en rend compte dans le Journal des Savans, de novembre 1742, pag. 660 et suiv.
  1. Leon. Aretinus, Histor. Rer. Italicarum. Vide etiam Jovium, Elogior. cap. XXIII.
  2. Jovius, Elogior., cap. IX.
  3. Leand. Alberti Descript. Italiæ.
  4. Jovius, Elogior., cap. IX.
  5. Volaterranus, lib. XXI, pag. 772.
  6. Jovius, Elogior. cap. IX et CXVI.
  7. Idem, ibid., cap. IX.

(A) Il a été un des plus habiles hommes du XVe. siècle. ] Selon Paul Jove, c’est Léonard Arétin qui a le premier rétabli en Italie l’éclat de la langue grecque [1]. Philelphe lui donne beaucoup d’éloquence, et un grand fonds de génie et d’érudition [2]. Pogge [3] et Laurent Valla [4] l’ont mis au-dessus de tous ses contemporains en matière d’éloquence et de science ; mais Floridus Sabinus le loue un peu plus sobrement, et ne donne pas une idée avantageuse de son latin [5] ; à quoi Érasme ne s’accorde pas trop mal [6]. Enée Silvius loue beaucoup notre Arétin dans sa lettre LI, et nous apprend que les Florentins avaient conféré sa charge à Pogge. Sur cela, Vossius remarque qu’Énée Silvius et Léandre Albert ne s’accordent pas, celui-ci disant, dans sa Description d’Italie, que Charles Arétin succéda à Léonard dans le secrétariat de la république de Florence. Voyez ci-dessus l’article de (Charles) Arétin [7], où nous prouvons par Énée Silvius lui-même, que Léandre Albert a raison.

(B) Il a traduit quelques Vies de Plutarque. ] Savoir : celle de Paul-Émile, celle des deux Gracques, celle de Pyrrhus, celle de Sertorius, celle de Démosthène, celle de Marc Antoine, et celle de Caton d’Utique [8]. Les imprimeurs ont fait une étrange bévue dans le Dictionnaire de Moréri, en mettant Vers de Plutarque pour Vies de Plutarque.

(C) Il a composé trois livres de la Guerre Punique, qui peuvent servir de supplément... à Tite-Live. ] Les deux premiers de ces trois livres [* 1] traitent de la première guerre Punique, qui nous manque dans Tite-Live ; le troisième traite des désordres où les Carthaginois tombèrent par la mutinerie des soldats, et par la révolte des peuples ; comme aussi de la guerre contre les Gaulois, et contre ceux d’Illyrie, toutes choses qui nous manquent dans l’historien Romain [9]. L’Arétin n’a presque fait que traduire le grec de Polybe, quoiqu’il l’a nié dans sa préface [* 2] ; et de là vient que Badius Ascensius a mis le nom de Polybe à la tête de cet ouvrage, dans son édition de Paris [10].

(D) .... celle des choses qui se firent de son temps en Italie. ] Cet ouvrage commence au schisme qui s’éleva contre le pape Urbain VI, en 1378, et s’étend jusqu’à la victoire remportée par les Florentins auprès d’Anglare, l’an 1440.

(E) .... celle de l’ancienne Grèce. ] Cet ouvrage s’étend depuis le généralat de Théramène et de Thrasybule chez les Athéniens, jusqu’à la mort d’Épaminondas. C’est comprendre quarante-cinq ou cinquante ans.

(F) On sut, par les soins de Christophe Persona, que Procope, et non pas notre Arétin, était l’auteur de l’histoire des Goths. ] Persona se détermina, selon Vossius, à traduire Agathias, quand il eut pris garde à la mauvaise foi de notre Arétin [11]. Vossius allègue sur cela Paul Jove ; mais il est certain que Paul Jove, ni dans le lieu qu’on en cite [12], ni dans un autre qu’on pouvait citer [13], ne parle aucunement d’Agathias, et qu’il y parle expressément de Procope. J’avoue que Persona a traduit aussi Agathias, mais c’est de la version de Procope que Vossius devait parler dans l’endroit où il s’agissait du plagiat de l’Arétin. C’est ainsi qu’il faut dire, ce me semble, et non pas plagianisme, comme a fait un auteur moderne, dont je vais rapporter tout le passage, à cause qu’il est plein d’erreurs. Nous devons, dit-il [14], l’histoire de Procope en grec à David Heschelius. Léonard Arétin l’avait déja donnée en langue gothique ; mais il avait supprimé le nom de l’auteur : de sorte que, quand cet Arétin fut mort, Christophle Personne l’accusa de larcin, parce qu’ayant lui-même trouvé un autre exemplaire de cette histoire en la même langue, il la divulgua sous le nom de son auteur, et ainsi convainquit l’Arétin de plagianisme. De quel monstre est-ce qu’il nous parle-là ? Procope, en langue gothique, publié premièrement par Arétin, et puis par Persona, est une chimère qu’on n’a jamais vue, et qu’on ne verra jamais. De plus, c’est parler sans aucune exactitude, que de dire que Léonard Arétin, et Persona ont donné l’histoire de Procope ; car ils n’ont traduit qu’une partie de cette histoire. Les imprimeurs du Dictionnaire de Moréri ont lourdement bronché, quand ils ont mis que l’histoire des Goths n’était proprement qu’une traduction de Plutarque.

(G) Il mourut l’an 1443, âgé de soixante-quatorze ans [15]. ] Léandre Albert dit bien qu’il est mort à l’âge de soixante-quatorze ans ; mais il place sa mort à l’année 1440. Son calcul ne s’accorde pas avec Matthieu Palmérius, qui met l’année natale de Léonard Arétin en 1370 [16] : et comme d’ailleurs je vois dans Volaterran, que notre Arétin mourut en 1443 [17], (ce fut le 9 de mars, selon Bucholcer) je n’ai point voulu suivre Léandre Albert. J’ai remarqué ci-dessus [18] la méprise d’un moderne, qui a cru que Léonard Arétin vivait encore l’an 1480.

(H) Pogge fut un de ceux qui le critiquèrent. ] Ces paroles de Philelphe vous l’apprendront : elles se trouvent dans une lettre qu’il écrivit à Laurent de Médicis le 29 de mai 1473 : Quod eò feci accuratiùs quoniàm et Leonardus Arretinus familiaris noster, vir sanè facundissimus, adversùs Blondum Flavium multa disseruit, et post Leonardi obitum Poggius Karolo gratificatus Arretino, quem disertissimi concivis gloria offenderet, libellum etiam contra illius scripta contexuit, cùm neuter suo sit functus officio [19]. Ce passage m’a été communiqué par M. de la Monnoie.

  1. * Le livre d’Arétin est, dans l’édition de 1537, intitulé : Leonardi Aretini de bello Punico libri duo, quorum prior bellum inter Romanos et Carthaginienses primum continet, alter seditionem militis conductitii et populorum Africæ à Carthaginiensibus defectionem : bellum item Illyricum et Gallicum. Le premier livre porte pour titre particulier : de bello Punico liber primus ; l’autre : de bello Carthaginiensium cum Africanis et aliis sociis gesto ; item de Illyrico et Gallico liber secundus. Bayle en donnant trois livres à l’ouvrage de bello Punico, et en disant que les deux premiers traitent de la première guerre Punique, a copié une faute de Vossius qu’il cite plus bas. Cependant Nicéron, tom. 25, pag. 289, dit : « Il y a des éditions où cette histoire est divisée en trois livres. »
  2. * Maittaire (Annales Typograph., tom. IV, pag. 661) cite un Polybius historicus de primo bello Punico, latinè, Leonardo Aretino interprete, Brescia, 1498, in-folio, qui paraît être le même ouvrage que celui qui fut imprimé en 1537, et dont le titre est rapporté plus haut. Le titre de l’édition de 1498 n’annonce point l’intention de s’approprier le travail d’autrui. L’édition de 1537 ne contient pas de préface, du moins dans l’exemplaire que j’ai sous les yeux. Dans l’édition de la traduction de Tite-Live (par Berchoire) faite en 1515 et probablement dans la précédente qui est de 1486, on a inséré une traduction de l’ouvrage d’Arétin ; et dans le prologue de l’auteur, Polybe est nommé comme l’une des sources du livre. Le reproche adressé par Bayle à Arétin est donc mal fondé. Cette faute au reste n’est point de Bayle, mais de Vossius qu’il cite. Leduchat qui, le premier, a parlé de cette traduction d’Arétin, lui assigne la date de 1575. Ce n’est qu’une faute d’impression que Joly a copiée, sans rien dire suivant son usage. Cette traduction d’Arétin est dédiée à Charles VII, et Mercier de Saint-Léger dans ses notes manuscrites sur Duverdier l’attribue à un Jean de la Vesgue, auteur en effet d’une traduction de cet ouvrage que Duverdier et la Monnoie disent ne pas avoir été imprimée. Joly dit que dans la Bibliothéque de J.-A. de Chevannes on voyait le manuscrit d’une traduction française du de bello Punico, faite en 1445 par un Jean le Bègue, et qui fut présentée à Charles VII. Il est à croire que Jean le Bègue et Jean le Vesgue sont le même personnage. Joly dit encore que le père Montfaucon cite une autre traduction française du même livre, dédiée à Philippe duc de Bourgogne, et dont le manuscrit est d’environ 1460.
  1. Jovius, Elog., cap. IX, pag. 27.
  2. Philelphus, Conviviorum lib. I, et Epist. ad eum scripta.
  3. Poggius, in Philelph. Invect. II.
  4. Apud Philelph. Invect. I, in Vallam.
  5. Flor. Sabin. advers. Calumniat, Ling. Lat.
  6. Erasm., in Ciceron.
  7. Dans la remarque (B).
  8. Gesner., in Biblioth.
  9. Gesnerus, in Bibliothecâ.
  10. Vossius, de Histor. Latin., pag. 557.
  11. Idem, ibid., pag. 558.
  12. Il est au chap. CXVI des Éloges.
  13. Il est au chap. IX des Éloges.
  14. Le Gallois, Traité des plus belles Bibliothéques, pag. 169, (mal marquée 163.) édition de Paris, en 1680.
  15. Varillas, dans les Anectodes de Florence, pag. 162, se trompe, en le faisant vivre plus de quatre-vingts ans.
  16. Palm., in Chronic., ad ann. 1370. Les imprimeurs de Vossius, de Hist. Lat., pag. 557, ont mis par erreur ciↄcccclxx.
  17. Volat., lib. XXI, pag. 772.
  18. Dans la remarque (A) de l’article de (François) Arétin.
  19. Philelphus, Epistolar. lib. XXXVII.

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