Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arnauld 4

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ARNAULD (Antoine), docteur de Sorbonne, fils d’Antoine Arnauld l’avocat (A), naquit à Paris le 6 de février 1612, le vingtième enfant du mariage de son père avec Catherine Marion. Il fit ses humanités et son cours de philosophie dans le collége de Calvi [a], et puis il commença d’étudier la jurisprudence ; mais il fut bientôt retiré de cette étude, et déterminé à la théologie, par les soins de sa mère secondée par abbé de Saint-Cyran. Après cette détermination, il se mit à étudier dans le collége de Sorbonne [b], et prit le traité de la Grâce sous M. l’Escot. Comme il ne trouva point conformes à la doctrine de saint Paul les leçons de ce professeur de Sorbonne, il voulut étudier cette matière dans saint Augustin, et il préféra le système de ce docteur de la grâce à celui de M. l’Escot. C’est ce qu’il témoigna publiquement par la tentative qu’il soutint l’an 1636, pour prendre le degré de bachelier [c]. Il employa à l’étude les deux années d’intervalle qui se doivent trouver, selon les lois de la faculté de Paris, entre la tentative et la licence ; après quoi, il commença les actes de sa licence à Pâques de l’an 1638, et les continua jusqu’au carême de 1640. Il soutint l’acte de vesperies le 18 de décembre 1641, et le lendemain il prit le bonnet de docteur. Il avait composé et enseigné publiquement un Cours de philosophie durant sa licence [d]. À la fin de ce cours de philosophie, qu’il régenta à Paris dans le collége du Mans, il fit soutenir des thèses où il témoigna d’une manière fort remarquable sa bonne foi, sa docilité, son humilité (B). Il fut ordonné prêtre aux quatre temps de septembre de 1641, et il célébra sa première messe le jour de la Toussaint de la même année, après une retraite de quarante jours...... Il avait commencé sa licence, sans avoir eu dessein d’être de la maison de Sorbonne..... Il s’était contenté de jouir des droits de l’hospitalité qui lui donnaient la liberté de loger dans la maison [e] ; mais les principaux docteurs l’ayant fort pressé de penser sérieusement à y entrer, et lui ayant promis que, pourvu qu’il régentât un cours de philosophie, on ne prendrait point garde à la circonstance du temps, il entre prit cette affaire, sans s’arrêter à l’obstacle qui se présentait, c’est qu’étant en sa licence, le temps dans lequel les statuts prescrivent que soit fait le cours de philosophie était passé... Les deux années de ce pénible travail étant achevées, il supplia la maison de l’admettre à la preuve de son cours, et de délibérer sur l’honneur qu’il lui demandait d’être reçu dans cet illustre corps. M. l’Escot trouva là une occasion de se venger. Il n’avait point appris au cardinal de Richelieu, son pénitent, à pardonner, et il avait appris de son pénitent à ne pardonner pas [f]. Il empêcha que M. Arnauld ne fût admis à la société de Sorbonne (C). Il n’eut pas le même crédit après la mort du cardinal ; mais s’il fut contraint de voir entrer ce jeune docteur dans cette société, l’an 1643, il n’oublia pas de travailler à l’en exclure, dès que l’occasion lui en fut offerte. Le livre de la Fréquente Communion publié par M. Arnauld [* 1], l’an 1643, déplut extrêmement aux jésuites. Ils le réfutèrent, et dans leurs sermons, et dans des ouvrages imprimés, comme rempli d’une très-pernicieuse doctrine. Les disputes sur la grâce, qui s’échauffèrent en ce temps-là dans l’université de Paris, ne servirent qu’à fomenter l’animosité réciproque des jésuites et de M. Arnauld. Ce docteur soutint le parti de Jansénius par des écrits d’une grande force, soit en réfutant les trois sermons de M. Habert et l’apologie que le prédicateur en fit, soit en réfutant M. le Moine, professeur de Sorbonne [g], et quelques autres. On ne trouva lieu de le censurer juridiquement, que lorsqu’il eut publié deux lettres sur une aventure du duc de Liancour, grand ami de Port-Royal (D). On trouva, dans la seconde de ces lettres, deux propositions que la faculté de théologie condamna l’an 1656. M. Arnauld fut en même temps déclaré exclus de la faculté. Il y eut bien des irrégularités dans les procédures (E). Il y avait déjà plusieurs années qu’il ne se montrait point ; car, depuis qu’à l’occasion des troubles de la fréquente communion il se vit cité à Rome, et que ce ne fut qu’à force de remontrances que l’on fit révoquer à la reine mère les ordres qu’elle lui avait donnés de partir incessamment, il demeura ou caché en divers lieux, ou comme solitaire à Port-Royal des Champs. Cette vie de retraite dura près de vingt-cinq années, jusqu’à la paix du jansénisme conclue l’an 1668. M. Arnauld fut compris dans cette paix : il alla faire la révérence au roi et au nonce, et parut autant qu’il voulut en public, jusqu’à ce qu’en 1679, il se retira volontairement hors du royaume, parce qu’il sut que ses ennemis le rendaient suspect au roi [h]. On ne doute point qu’il n’ait vécu depuis ce temps-là dans le Pays-Bas, mais il ne s’est jamais fait connaître qu’à un petit nombre d’amis affidés. On l’inquiéta à Liége, l’an 1690 (F). La réflexion qui a été faite sur cette entreprise est digne de l’attention de ceux qui gouvernent [i]. Il a continué ses exploits de plume contre les jésuites avec une grande force jusqu’à sa mort. Il continua aussi pendant quelque temps à écrire contre ceux de la religion ; mais un ministre, le plus exposé à ses attaques, employa en 1683 un stratagème qui fit cesser ses irruptions sur le parti protestant. Je parle de l’auteur de l’Esprit de M. Arnauld (G). Nous pourrions donner une longue liste des faussetés de fait qui regardent ce docteur, mais nous nous contenterons d’en rapporter quelques-unes. On l’a fait huguenot [j] ; on l’a mis de l’assemblée de Bourg-Fontaine (H) : on l’a fait aller au sabbat (I) ; on l’a envoyé commander les troupes vaudoises (K) ; on lui a donné la charge d’écuyer du Goliath Pierre Jurieu (L) ; on a dit qu’il avait été banni de France (M), et qu’il avait fait l’Apologie pour les catholiques, afin de recouvrer ses bénéfices (N) ; on lui a imputé plusieurs livres qu’il n’avait point composés (O) : j’en marquerai quelques-uns, et je ne doute pas que l’on n’en puisse indiquer bien d’autres. On a imputé son silence à une fausse raison (P) ; on lui a donné des lunettes, et un valet infidèle (Q). Les principaux livres qu’il a faits depuis sa sortie de France concernent le système de la nature et de la grâce du père Mallebranche, le péché philosophique, la morale pratique des jésuites [* 2], et quelques propositions de M. Steyaert. Il s’est battu vigoureusement contre le père Simon dans ce dernier livre, soit pour le Nouveau Testament de Mons, soit touchant l’inspiration des auteurs sacrés et les versions de l’Écriture en langue vulgaire (R), soit en faveur des attestations des Grecs (S), etc.

Il mourut la nuit du 8 au 9 d’août 1694, âgé de quatre-vingt-deux ans, six mois et deux jours. Il reçut du ciel dans cette grande vieillesse deux faveurs insignes et tout-à-fait rares ; car la maladie dont il mourut ne dura qu’une semaine, plus ou moins, et ne l’empêcha pas de dire la messe ou de l’entendre, et de réciter son bréviaire à peu près aux heures ordinaires [k]. Son agonie fut douce, tranquille, courte. Il eut d’autre côté, autant de force d’esprit, et de mémoire, et de plume, la dernière année de sa vie, qu’à l’âge de quarante ou de cinquante ans. Ce sont deux bonheurs qui arrivent à peu de personnes de lettres. Il avait écrit peu de mois avant sa mort quatre lettres contre le père Mallebranche [l], et une lettre à M. du Bois, son ancien ami, toute remplie de réflexions sur l’éloquence des prédicateurs [m]. Le public a vu ces derniers ouvrages, et n’y a trouvé aucune marque d’un esprit diminué. M. du Bois ne survécut guère ni à sa réception à l’académie française, ni à la lecture des Réflexions [* 3], où il avait pu apprendre qu’il n’avait rien entendu dans la doctrine de saint Augustin touchant l’éloquence de la chaire [n]. Je ne sais si le public verra jamais ce que M. Arnauld écrivit environ le même temps [* 4] en faveur de M. Despréaux (T), mais je ne doute point que cette lettre ne soit admirable. Il y a un autre bonheur à considérer dans sa vie, et qui surpasse ceux que j’ai marqués, c’est qu’il fut toujours exact dans la pratique des exercices de piété que son sacerdoce exigeait de lui ; et ce qui est encore plus difficile, c’est que, même dans sa jeunesse il s’éloigna des plaisirs des sens ; et que la pureté de ses mœurs ne se démentit jamais [o]. On n’a point vu que ses adversaires lui aient donné des atteintes par cet endroit-là, quoiqu’à l’égard de l’orthodoxie, ils aient tâché de le diffamer à toute outrance. Si la lecture des mauvais livres produisait dans le cœur des jeunes gens les mêmes effets qu’en lui, il serait bon de la conseiller (V). Les protestations qu’il a faites de son attachement à la vraie foi, et de son zèle pour Dieu, paraissent en divers endroits de ses livres, et surtout dans le Testament spirituel (X) qu’il fit le 16 de septembre 1679, où il prend Dieu à témoin des dispositions avec lesquelles il s’est engagé à faire tels et tels livres. On a reconnu enfin à la cour de Rome ce qu’il valait (Y), et il n’a tenu qu’à lui d’être cardinal. Il n’est pas besoin de dire qu’il combattit de toute sa force les relâchemens de la morale, et qu’il fut toujours un docteur et un directeur d’austérité. On trouve qu’il s’écarta un peu de la voie étroite, dans l’affaire qui donna lieu à un factum de M. Des-Lyons (Z). Notez qu’on ignore le nom du lieu où il mourut : on croit que ce fut dans un village du pays de Liége. On sait encore moins le lieu où il a été enterré, et c’est l’une des conformités que ses amis ont marquées entre son destin et celui de Moïse [p]. Il souhaita qu’on portât son cœur à Port-Royal [q]. Cela fut exécuté ; mais les vers de M. Santeuil sur ce sujet excitèrent une guerre fort violente (AA), et qui a bien diverti plusieurs personnes. On cria beaucoup contre les jésuites, sur ce qu’ils obtinrent que M. Perrault fût obligé à supprimer le feuillet qu’il avait destiné à M. Arnauld dans son Recueil des portraits et des éloges des hommes illustres de la nation française (BB). Je n’oublierai pas l’estime que ce docteur de Sorbonne mérita auprès de M. Descartes (CC). J’ai ouï dire à des gens qui avaient été admis à sa familiarité, que c’était un homme fort simple dans ses manières, et qu’à moins qu’on lui proposât quelque question, ou qu’on lui demandât quelque instruction, il ne disait rien qui fût au-dessus des conversations communes (DD), et qui pût faire conjecturer qu’il était habile ; mais dès qu’il s’agissait de répondre à ceux qui le voulaient mettre sur quelque matière de science, on le voyait comme transformé en un autre homme, on l’entendait débiter cent belles choses avec beaucoup de clarté et beaucoup d’érudition, et l’on trouvait qu’il avait un don tout particulier de se rendre intelligible aux esprits les moins pénétrans. Je crois que j’insérerai dans quelque endroit de mon ouvrage [r] une lettre que l’on supposa que le roi lui écrivit l’an 1678. Au reste, ceux qui furent cause qu’il prit la résolution de s’exiler volontairement y ont plus perdu que gagné ; car il n’eût rien écrit contre eux dans Paris : il eût observé en cela les conditions de la paix ; au lieu que, se voyant hors du royaume, il a publié un fort grand nombre d’écrits, qui ont fait beaucoup de tort aux jésuites [s]. On prétend même qu’il est devenu l’apôtre du jansénisme en Hollande (EE).

  1. * Leclerc prétend que dans cet ouvrage il n’y a guère que le style qui soit de M. Arnauld. Il dit que l’ouvrage est en partie de l’abbé de Saint-Cyran, et en partie de M. Lemaistre et de M. de Sacy, son frère : mais ce fut Arnauld qui le publia.
  2. * Comme le remarque Leclerc, Bayle lui-même a transcrit dans sa remarque (O), n°. ii, un passage où Arnauld désavoue cet ouvrage.
  3. * Leclerc dit que Dubois mourut avant que le manuscrit d’Arnauld fût arrivé à Paris.
  4. * Joly reproche à Bayle d’avoir dit que cette lettre était adressée à Despréaux, tandis qu’elle l’était à Perrault en faveur de Despréaux. Bayle, qui ne dit pas à qui elle est adressée, n’a pas pu se tromper d’adresse, comme le prétend Joly ; et, de plus, il indique, ce qui était suffisant, en faveur de qui était cette lettre.
  1. Il ne subsiste plus, les nouveaux édifices de Sorbonne ayant été élevés sur ses ruines.
  2. L’an 1633.
  3. Cette Thèse fut dédiée au clergé de France assemblé alors à Paris.
  4. Notez une chose, que l’auteur que je copie ne distingue pas, c’est que M. Arnauld ne commença de régenter ce cours de philosophie, que la deuxième année de sa licence.
  5. Il y avait été admis le 31 d’octobre 1636. Causæ Arnald. Præf., pag. xxvj.
  6. Il fut confesseur du cardinal de Richelieu, et puis évêque de Chartres.
  7. Cette réfutation a pour titre, Apologie pour les saints pères de l’église, défenseurs de la grâce de Jésus-Christ.
  8. Tiré, ou d’un livre imprimé l’an 1690, sous le titre de Question curieuse si M. Arnauld, docteur de Sorbonne, est hérétique, ou d’un livre qui est une seconde édition de celui-là bien augmenté, et publié l’an 1695, sous le titre d’Histoire abrégée de la vie et des ouvrages de M. Arnauld. Voyez aussi la préface du Causa Arnaldina.
  9. Voyez la remarque (A) de l’article de (Jacques Le Bossu).
  10. Voyez la remarque (D) de l’article d’Antoine Arnauld l’avocat.
  11. Histoire abrégée de M. Arnauld, p. 279.
  12. Voyez le Journal des Savans, du 28 juin 1694 et les suivans.
  13. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 294.
  14. Ce qu’il avait dit sur cela se trouve dans la préface de sa traduction française de quelques Sermons de saint Augustin. Voyez le Journal des Savans du 7 juin 1694.
  15. Præfat. Causæ Arnald., pag. ix. Voyez aussi l’Histoire abrégée de sa vie, pag. 26.
  16. Voyez l’Histoire abrégée de sa vie. pag. 303.
  17. Perrault, Hommes Illustres, pag. 57.
  18. Voyez la remarque (A) de l’article Ypres. [C’est à la lettre I, comme si l’on écrivait Ipres, qu’il faut chercher cet article.]
  19. Voyez l’Histoire abrégée de sa vie, pag. 179.

(A) Il est fils d’Antoine Arnauld l’avocat. ] Cette filiation est sans doute l’origine de la grande haine des jésuites pour M. Arnauld, et de M. Arnauld pour les jésuites. L’auteur de la Question curieuse [1] ne m’en désavouera pas tout-à-fait, puisqu’il parle ainsi [2] : M. Arnauld vint au monde le 6 de février l’an 1612, et eut pour père M. Antoine Arnauld, si célèbre dans le barreau, et connu dans l’histoire des jésuites par le fameux plaidoyer qu’il fit contre eux pour l’université de Paris, en 1594... Par la raison que je viens de dire, M. Arnauld naquit avec un second péché originel, que nul sacrement ne peut effacer, et le crime du plaidoyer ayant rendu le père calviniste et ministre de l’Antechrist dans l’esprit des jésuites [3], quoique toujours bon catholique et bon chrétien partout ailleurs, le fils ne pouvait manquer de naître à leur égard enfant de colère, et d’être hérétique, et pis encore, avant que d’être chrétien. L’un des protestans qui ont écrit contre l’Histoire du Calvinisme de M. Maimbourg, a cru que la haine de M. Arnauld pour les jésuites était une haine d’éducation. Voici ses paroles [4] : Je l’ai autrefois compare à Annibal trop opiniâtrément persécute par les Romains [5] : je ne sais si je ne pourrais pas le comparer au même Annibal promettant à son père dès ses plus tendres années, qu’aussitôt qu’il serait en âge de porter les armes, il ferait la guerre à ces mortels ennemis de sa patrie. On sait que M. Arnauld est fils de ce célèbre Antoine Arnauld, avocat au parlement de Paris, qui plaida si éloquemment pour l’université contre les jésuites, l’an 1594, et qui n’oublia rien pour persuader aux juges, qu’il ne fallait point les souffrir dans le royaume. Cette action le rendit odieux à toute la société, autant ou plus que la société ne lui était odieuse. Il est fort apparent qu’il inspira à ses fils les sentimens qu’il avait pour les jésuites ; au moins, est-il bien certain qu’en cela ils n’ont point dégénéré de la vertu de leur père.

(B) Il fit soutenir des thèses, où il témoigna d’une manière fort remarquable sa bonne foi, sa docilité, son humilité. ] « À la fin du cours de philosophie, qu’il régenta au collége du Mans dans l’université de Paris, il fit soutenir des thèses à plusieurs de ses écoliers : entre lesquels étaient le sieur Barbey, depuis célèbre professeur de philosophie dans la même université, et M. Wallon de Beaupuis, ecclésiastique de Beauvais, d’une grande piété, qui vit encore, et qui a laissé ce fait par écrit. Ce dernier soutenant ses thèses le 25 juillet 1641, M. de la Barde, savant prêtre de l’Oratoire, alors chanoine de l’église cathédrale de Paris, y dispusta, et poussa si vigoureusement son argument, que le professeur fut obligé de venir au secours de l’écolier. Mais il fut lui-même si vivement pressé par l’illustre disputant, qu’il vit bien qu’il n’y avait pas de bonne réponse à lui donner. Il ne lui aurait pas été difficile de se tirer d’affaire par une distinction telle quelle, comme font souvent les professeurs ; mais cela ne s’accommodait pas avec sa sincérité et son amour pour la vérité. Il lui dit donc publiquement et sans façon, qu’il croyait qu’il avait raison, que son sentiment lui paraissait le plus véritable, et qu’il le suivrait lui-même à l’avenir. Il n’y manqua pas ; car environ trois ans après, son même disciple ayant à soutenir en Sorbonne sa tentative pour le baccalauréat, il pria M. Arnauld de lui composer ses thèses. Il le fit, et y mit l’opinion contraire à celle de ses thèses de philosophie [6]. » Il manque dans ce narré une partie essentielle ; on n’y dit point quelle est l’opinion que M. Arnauld avait soutenue, et dont il connut la fausseté par les fortes objections de l’opposant. Suppléons cela, et disons que la thèse que M. de la Barde attaqua était celle-ci. Ens synonimè convenit Deo et Creaturæ [7]. L’auteur du narré juge bien des choses, quand il dit que cette action de M. Arnauld était grande devant Dieu, et rare devant les hommes, et que ce qui vient d’une grande droiture de cœur, d’un amour constant et uniforme de la vérité, d’une grandeur d’âme qui est au-dessus du désir de vaincre et de la crainte d’affaiblir sa réputation... est toujours grand [8] : mais il me semble qu’il traite avec un peu trop de mépris les solutions que l’on peut donner aux argumens de ceux qui soutiennent que l’idée de l’être ne convient pas univoquement à Dieu et aux créatures. J’ai autrefois examiné cette dispute, qui est fort célèbre dans les écoles, et il me parut que ceux qui nient l’univocation de l’être ont pour eux la foule, le grand nombre [9], mais non pas les plus solides raisons ; c’est pourquoi je choisis le sentiment qu’ils combattent. Je l’ai soutenu souvent dans des disputes publiques, et n’ai jamais éprouvé qu’on me proposât aucune objection embarrassante. Ce n’est pas que l’on ne sautât d’abord à l’objection, que Dieu est l’être par excellence, l’être nécessaire, infini, souverainement parfait, au lieu que celui des créatures n’est que précaire. Je ne trouvais aucune force dans cette objection ; car les élémens de la doctrine des universaux nous instruisent, que les idées du genre se séparent entièrement des propriétés spécifiques par la précision de notre esprit. Mais si j’avais su que M. Arnauld, ayant soutenu cette opinion, avait été déterminé par le choc de la dispute à y renoncer, j’aurais soupçonné qu’il y avait là certaines difficultés que je n’avais rencontrées dans aucun des scolastiques espagnols que j’avais examinés. Souvenons-nous qu’on remarque qu’il ne fut point nécessité à changer de sentiment. Cela porte à croire qu’il ne trouva point insoutenable son premier dogme ; mais seulement, que l’analogie de l’être lui parut une meilleure doctrine que l’univocation. Erudito discipulo sub validissimorum argumentorumque mole fatiscente [10], suppetias venit magister, diùque conflictatus, non cedendi necessitate coactus, sed veritate et veritatis amore victus, victum se ultrâ professus est, et à sententiâ suâ discessurum publicè spopondit. Promissis stetit, etc. [11].

(C) M. l’Escot empêcha que M. Arnauld ne fût admis à la société de Sorbonne. ] Il n’y eut que deux docteurs qui ne furent pas favorables à la requête de M. Arnauld. Ils alléguaient contre le sentiment des autres la loi et la coutume, qui voulaient que le cours eût été fait avant la licence : et sur ce différent, qui devait être décidé à la pluralité des voix, ils furent d’avis qu’il en fallait rendre juge le cardinal de Richelieu, proviseur de Sorbonne, ce qui était contre les lois et contre la liberté de la maison : mais c’eût été un crime alors de refuser un tel juge. On lui députa donc M. Hardiviliers archevêque de Bourges, et M. Habert théologal de l’église de Paris... [12]. Le cardinal ne jugea pas à propos que la compagnie fît rien contre ses lois et ses coutumes. Mais c’était moins le zèle de l’ordre et du règlement qui le faisait agir et parler ainsi, que la connaissance qu’il avait de l’étroite union qui était entre M. Arnauld et M. de St.-Cyran, le dépit de ce ministre de ce que M. Arnauld n’avait point recherché sa protection durant sa licence, et enfin le crédit qu’avait M. l’Escot sur l’esprit du cardinal, son pénitent. Car ce docteur était l’un des deux opposans, et avait pris, comme j’ai remarqué, un grand éloignement de M. Arnauld, par un esprit de jalousie et de vengeance. Il était assurément plus glorieux à M. Arnauld d’être exclus de la société de cette manière, que d’y être reçu comme la plupart des autres. Il y fut néanmoins reçu après la mort du cardinal, la Sorbonne ayant recouvré alors sa liberté, aussi-bien que beaucoup d’autres [13]. M. l’Escot « s’en dédommagea dans la suite, en le faisant exclure, et de la maison de Sorbonne, et de la faculté, par la censure de 1656, dont il fut le promoteur, avec M. le Moine, successeur de sa chaire et de ses sentimens [14]. »

(D) Il publia deux lettres sur une aventure du duc de Liancour, grand ami de Port-Royal. ] Ce duc faisait élever sa petite-fille à Port-Royal, et avait chez lui M. l’abbé de Bourzeys. Il se présenta en 1655, pour la confession, à un prêtre de St.-Sulpice sa paroisse, qui lui déclara qu’il ne lui pouvait donner l’absolution, à moins qu’il ne lui promit de rompre tout commerce avec ces messieurs, de retirer sa petite-fille de Port-Royal, et de congédier de chez lui cet abbé... Cette affaire ayant fait grand bruit dans Paris et par toute la France, M. Arnauld fut prié de faire imprimer une lettre pour la justification de ce seigneur... Un grand nombre d’écrits ayant été publiés contre cette lettre, M. Arnauld se crut obligé de réfuter les faussetés et les calomnies dont ils étaient remplis, en faisant imprimer une seconde lettre, qui répond à neuf de ces écrits [15].

(E) Il fut exclus de la faculté. Il y eut bien des irrégularités dans les procédures. ] « On nomma pour commissaires (à M. Arnauld) ses plus déclarés ennemis, contre qui il avait écrit sur ces matières, et qui étaient connus de tout le monde pour les plus ardens à sa perte, et tout ce qu’il put faire représenter sur cela ne lui servit de rien [16]. Tous les docteurs de la communauté de Saint-Sulpice, continue-t-on, contre qui la lettre de M. Arnauld était écrite, eurent la dureté et l’injustice de demeurer ses juges, nonobstant sa récusation, au lieu qu’il ne leur fallait qu’un peu d’honneur, pour les porter à se récuser eux-mêmes, comme font les honnêtes gens dans les tribunaux même laïques [17]. » On verra plusieurs autres irrégularités, innovations, contraventions à l’ordre toujours observé en ces rencontres, et violemens même de l’équité naturelle, si on lit l’acte de protestation que M. Arnauld fit signer à la faculté [18].

L’ouvrage qui a été publié à Liége l’an 1699, sous le titre de Causa Arnaldina, peut servir d’instruction complète touchant cette procédure des théologiens de Paris, et touchant le fonds du dogme qu’ils censurèrent. On a recueilli dans cet ouvrage plusieurs écrits que M. Arnaud et ses partisans firent imprimer en ce temps-là, pour soutenir la justice de sa cause.

(F) On l’inquiéta à Liége, l’an 1690. ] Six supérieurs s’assemblèrent pour exploiter canoniquement contre lui. Ce furent le gardien des récollets, le gardien des cordeliers, le sous-prieur-vicaire des augustins, le recteur des jésuites, le vicaire des carmes déchaussés, et le prieur des jacobins. Ils l’appelèrent un certain Arnold ; mais, ne leur en déplaise, cela ne fait point d’honneur à leurs communautés : il y a là, ou une ignorance impardonnable à des gens de lettres, ou une affectation d’airs dédaigneux, qui ne sied pas bien à des personnes consacrées au service divin, et qui décrètent pour la foi. Il n’y a point d’homme de lettres qui puisse dire, sans s’exposer à la risée des savans, un certain Scaliger, un certain Sirmond, un certain Pétau, un certain Saumaise, un certain Grotius, un certain Seldenus et (s’il s’agit du docteur de Sorbonne) un certain Arnauld. Les disputes où ce dernier s’est vu engagé ont fait tant de bruit, et sont remarquables par tant de grands exploits de part et d’autre, que tout homme d’étude qui se verrait soupçonné de les ignorer, aurait sujet d’opposer à ces soupçons injurieux ces quatre vers de Virgile :

Quis genus Æneadum, quis Trojæ nesciat urbem,
Virtutesque, virosque, aut tanti incendia belli ?
Non obtusa adeò gestamus pectora Pœni,
Nec tam adversùs equos Tyriâ sol jungit ab urbe [19].

Quoi qu’il en soit, je ne saurais m’empêcher de mettre ici le décret des six réguliers de Liége [20] : la latinité en est si exquise, qu’elle pourra délasser un peu mon lecteur. Nos infrà scripti superiores conventuales regularium in civitate Leodiensi, certiorati de conventiculis, quæ habentur apud certum Arnoldum doctrinam suspectam spargentem, censemus D. Vicarium charitativè certiorandum, ut similia conventicula dissipare, et prohibere non dedignetur etiam cum dicto Arnoldo conversationes. Datum in conventu minorum hâc 25 Augusti 1690. Ad quem effectunt conmisimus R. P. M. Ludovicum Lamet, priorem dominicanorum, ad nomine nostro accedendum D. Vicarium, et exponendum intentionem nostram. L’auteur de la Question curieuse dit bien que le père d’Iserin s’était vanté d’avoir eu commission ou permission de son altesse l’évêque de Liége de faire arrêter M. Arnauld partout où il le trouverait dans le diocèse [21] ; mais il traite cela d’une insigne fausseté [22].

(G) Je parle de l’auteur de l’Esprit de M. Arnauld. ] Il y aurait cent choses à rapporter touchant cet ouvrage ; mais comme on aura apparemment d’autres occasions d’en parler, on se bornera ici à un petit nombre d’observations. L’auteur de ce livre avait publié un écrit qui eut beaucoup de succès. Ceux qui eurent soin de l’impression à la Haye, l’intitulèrent la Politique du clergé de France. Ce sont des dialogues où il y a beaucoup d’agrémens et de politesse, mais peu de solidité de raisonnement, et très-peu de circonspection dans le débit de plusieurs faits notoirement faux. M. Arnauld réfuta ce livre [23] avec un peu trop de hauteur, et d’une manière d’autant plus désobligeante, qu’il convainquait manifestement son adversaire d’avoir très-mal raisonné, et d’avoir avancé plusieurs faussetés. Il entama un autre ouvrage du même auteur [24] ; il fit paraître qu’il avait envie de répliquer à l’Apologie de la morale des réformés au sujet de l’inadmissibilité de la grâce ; en un mot, l’auteur de la Politique du clergé prévit très-bien qu’il allait avoir en la personne de M. Arnauld un adversaire qui ne lui laisserait aucun repos, et qui ne lui passerait aucune contradiction, aucun faux raisonnement, ni aucune fausseté de fait. Cela n’accommodait nullement un homme qui voulait publier beaucoup de livres, et qui ne se donnait guère la peine de revoir ce qu’il avait une fois écrit. Il s’abandonnait à son feu et à son imagination, et c’était une source inépuisable de fausse logique, et de contradictions grossières. Il chercha donc les moyens de n’avoir plus M. Arnauld à ses trousses, et rien ne lui parut plus propre pour cela que de l’attaquer personnellement, je veux dire, que de lui imputer toutes sortes de mauvaises qualités personnelles. Il exécuta ce dessein avec tout l’emportement imaginable ; et, se trouvant en train de médire, il n’épargna quoi que ce soit : il se jeta à travers champs à droite et à gauche, pour trouver plus d’occasions de satiriser ; et l’on peut dire de lui, sur le chapitre de la médisance, ce que l’on disait de Voiture sur le chapitre de l’amour : il l’a étendue depuis le sceptre jusqu’à la houlette, depuis la couronne jusqu’à la cale. M. Arnauld ne trouvant pas à propos de se commettre avec un homme qui se servait de telles armes, prit le parti de se taire absolument par rapport aux réformés ; et ainsi, ce que toute la société des jésuites n’avait su imaginer, un seul ministre l’imagina et l’exécuta heureusement : je parle du secret de faire taire ce docteur. Ce n’est pas le seul avantage que l’auteur de l’Esprit de M. Arnauld ait retiré de cette satire : il imprima une telle crainte à cent auteurs qui auraient voulu l’attaquer, et à une infinité d’autres personnes à qui il aurait pu se rendre désagréable, qu’ils n’ont osé s’attirer son indignation. Cela ne doit pas tant surprendre ; car enfin, il y a peu de familles à qui l’on ne puisse reprocher quelque aventure [25], ou qui n’ait des ennemis assez malicieux pour l’attaquer par quelque bon conte, lorsqu’on sait à qui s’adresser pour le faire mettre sous la presse impunément. L’Esprit de M. Arnauld semblait promettre l’impression à toutes les historiettes scandaleuses qu’on enverrait par la poste, soit qu’elles regardassent un simple particulier, comme le prêtre Soulier ; soit qu’elles regardassent un secrétaire d’état, comme feu M. Colbert.

Je sais qu’un jeune janséniste, considérant l’effet de cette satire, comparait M. Arnauld à l’ancienne ville de Troie, dont les plus braves guerriers, ni mille vaisseaux, ne purent venir à bout, et qui succomba par les ruses d’un transfuge, et par un cheval de bois.

Talibus insidiis perjurique arte Sinonis
Credita res, captique doli....
Quos neque Tydides nec Larissæus Achilles,
Non anni domuêre decem, non mille carinæ [26].

Il est vrai, ajoutait-il, que cette comparaison cloche, car l’Esprit de M. Arnauld n’est point semblable au cheval de bois, où l’on enferma les principaux capitaines de l’armée [27] ; il ressemble à ces vaisseaux qui, par le conseil d’Annibal, furent pourvus de pots de terre remplis de serpens. Voyez Cornélius Népos, dans la vie de ce capitaine carthaginois.

(H) On l’a mis de l’assemblée de Bourg-Fontaine. ] L’abus de Dupleix à l’égard du père n’est rien en comparaison de la fausseté que M. Filleau, avocat du roi au présidial de Poitiers, publia touchant le fils en l’année 1654 ; car il n’y a nul lieu de douter, qu’il n’ait mis M. Arnauld au nombre de sept docteurs de l’assemblée de Bourg-Fontaine [28]. Voici ce que c’est en peu de mots. M. Filleau, publiant en 1654 une relation juridique de ce qui s’était passé à Poitiers au sujet de la nouvelle doctrine de Jansénius, exposa qu’un ecclésiastique lui avait dit que, dans une conférence que sept personnes eurent à Bourg-Fontaine, l’an 1621. il fut délibéré des moyens d’anéantir le christianisme ; que cet ecclésiastique était l’un des sept personnages ; qu’il avait rompu quelque temps après avec les six autres, dont il ne restait qu’un en vie, et qui étaient (J. D. V. D. H.) (C. J.) (P. C.) (P. C.) (A. A.) (S. V.). Par de certaines circonstances dont ce récit est accompagné, et par le caractère de certains livres qu’on fait entendre n’avoir été publiés qu’en exécution des engagemens de Bourg-Fontaine, tout le monde a cru que les lettres du premier nom désignaient Jean du Verger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran ; que celles du second désignaient Corneille Jansénius, évêque d’Ipres ; que celles du troisième désignaient Philippe Cospean, docteur de Sorbonne, évêque de Nantes, et puis de Lisieux ; que celles du quatrième désignaient Pierre Camus, évêque de Belley ; que celles du cinquième désignaient Antoine Arnauld, dont nous parlons dans cet article ; et que celles du sixième désignaient Simon Vigor, conseiller au grand conseil. M. Filleau assure qu’il fut résolu dans cette assemblée d’attaquer les deux sacremens les plus fréquentés par les adultes, qui sont celui de la pénitence, et celui de l’eucharistie ; et le moyen d’y parvenir fut ouvert par l’éloignement que l’on en procurerait, non en témoignant aucun dessein de faire en sorte qu’ils fussent moins fréquentés, mais en rendant la pratique si difficile, et accompagnée de circonstances si peu compatibles avec la condition des hommes de ce temps, qu’ils restassent comme innaccessibles, et que dans le non usage, fondé sur ces belles apparences, on en perdît peu à peu la foi. Le public a cru que cela s’adressait à M. Arnauld, à cause de son livre de la Fréquente communion, et qu’ainsi M. Filleau n’entendait que lui, par le cinquième de ces dangereux conspirateurs contre la religion chrétienne, marqué (A. A.) [29].

Comme il ne s’agit pas ici d’examiner la vérité ou la fausseté de cette conspiration, je me contenterai de dire que M. Arnauld traita cela d’un des plus grands excès de calomnie qu’on ait jamais vus, et qu’en particulier il se justifia invinciblement de l’accusation qu’on lui avait intentée, de s’être trouvé à la conférence de ces déistes [30] ; car il fit voir, qu’étant né en 1612 il n’avait que neuf ans lorsqu’on prétendait qu’elle s’était tenue. Cette justification est si forte, que non-seulement le silence du dénonciateur, mais aussi l’aveu formel d’un de ses amis, fit connaître qu’on n’avait rien à y répliquer. Le père Meynier, prétendant d’ailleurs que la relation de M. Filleau touchant la conférence de Bourg-Fontaine ne contenait rien qui ne fût très-positif, avoua que M. Arnauld avait donné des preuves convaincantes qu’il n’était pas de cette assemblée ; mais il se trompe, ajouta-t-il, en ce qu’il croit que par ces A. A. on entend Antoine Arnauld. Je lui dis de la part de l’auteur de la relation juridique, que ces lettres désignent un autre qui est encore en vie, et qui est trop bon ami de M. Arnauld pour lui être inconnu [31]. M. Pascal, qui travaillait alors aux Provinciales, pressa vivement les jésuites de nommer le délateur secret de la conférence, les six docteurs qui y avaient assisté, et en particulier celui qui était désigné par les lettres A. A., et qui, n’étant point M. Arnauld, était trop de ses amis pour ne lui être pas connu ; mais on laissa tomber ces sommations, et ce n’est que depuis quelques années, qu’un jésuite d’Anvers fort célèbre, a déclaré au public que cet ami de M. Arnauld était son propre frère Arnauld d’Andilli [32]. On a réfuté cela. Voyez la remarque (B) de l’article Arnauld d’Andilli.

(I) On l’a fait aller au sabbat. ] Je ne sais à laquelle des deux assemblées M. Arnauld aurait mieux aimé se trouver, ou à celle de Bourg-Fontaine, ou à celle dont feu M. de Maupas, évêque d’Évreux, a quelquefois parlé. Il est certain qu’il a assuré à plusieurs personnes, qu’il avait appris d’un sorcier converti, qu’il avait vu au sabbat M. Arnauld et une princesse du sang [33], et que M. Arnauld y avait fait une fort belle harangue aux diables [34]. S’il eût fallu choisir entre ces deux extrémités, et si la harangue n’eût tendu qu’à exciter les démons à quelque sorte d’amendement de vie, je ne doute pas que ce docteur n’eût mieux aimé avoir harangué au sabbat, qu’avoir opiné dans la chartreuse de Bourg-Fontaine à l’abolition du christianisme, et à la propagation du déisme.

Ce serait abuser de la patience de mes lecteurs, que de les avertir du ridicule de l’historiette que ce prélat a racontée à plusieurs personnes, et c’est une de ces faussetés que M. Arnauld ne croit pas qu’on se doive jamais donner la peine de réfuter. Voici ses paroles [35] : L’intérêt de l’honneur peut être regardé en deux manières, ou par rapport à la calomnie en soi, qui d’elle-même serait atroce, ou par rapport à ceux qui, pouvant en être prévenus, auraient ensuite très-méchante opinion de la personne calomniée. C’est proprement ce dernier rapport qui oblige à s’en défendre ; car quelque énormes qu’elles fussent, on les pourrait négliger, si elles étaient de telle nature, qu’il n’y eût point de personne sage qui y pût ajouter foi. Par exemple, ce que feu M. de Maupas, évêque d’Évreux, avait dit autrefois, qu’il avait appris d’un sorcier converti, que M. Arnauld avait été au sabbat, et que les diables avaient admiré la harangue qu’il y avait faite, était en soi une horrible calomnie ; cependant aurait-on voulu que, si quelque brouillon avait mis cela dans un libelle, ce docteur se fût amusé à le réfuter, et que, faute de le faire, on eût droit de supposer que ç’aurait été l’impuissance de répondre qui l’aurait forcé à se taire, et qu’il y aurait donné les mains ?

(K) On l’a envoyé commander les troupes vaudoises. ] La fausseté que voici n’est guère plus vraisemblable que la précédente. Il y a eu des nouvelles manuscrites qui ont assuré positivement que cet Arnauld qui est à la tête des Vaudois ; est M. Arnauld docteur de Sorbonne, qu’il s’est enfin déclaré, et qu’il fait merveille en Savoie, à la tête des troupes du parti [36]. Ce serait une métamorphose bien surprenante, si, à l’âge de soixante et dix-huit ans, un docteur de Sorbonne qui n’a jamais fait qu’étudier, et qui a tant écrit contre les ministres, était devenu lui-même un ministre colonel, qui eût pendu la plume au croc, pour ne se servir que du mousquet et du sabre, travaillant à faire parler des carabins d’Arnauld encore plus qu’un de ses oncles, fort connu des Rochellois, n’en fit parler sous le règne de Louis XIII [37]. Feu M. l’évêque de Liége a ouï dire à sa table, que M. Arnauld avait fait abjuration de la foi catholique à Bois-le-Duc, et qu’il s’y était marié [38]. La plupart de ceux qu’on appelle zélateurs ne craignent rien tant que l’orthodoxie de ceux qu’ils accusent. Ils ne font pas comme Dieu, qui ne veut point la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive : ils veulent que leur accusé se pervertisse, et ils sont fâchés qu’il ne passe pas dans le parti ennemi, afin de rendre véritables leurs accusations. Ils aiment mieux qu’un autre se damne, que s’ils passaient pour des calomniateurs insignes. Voyez ce qu’a dit un auteur moderne [39].

(L) On lui a donné la charge d’écuyer du Goliath Pierre Jurieu. ] Ceux qui ont placé M. Arnauld à la tête des Vaudois lui ont fait sans doute plus de plaisir que ceux qui l’ont représenté comme l’écuyer du Goliath M. Jurieu : c’est ce qu’a fait M. l’évêque de Malaga dans sa Plainte catholique, en appliquant le mieux qu’il a pu à ces deux fameux écrivains une pensée de saint Bernard sur Pierre Abeilard et Arnauld de Bresse [40], ce qui lui donne lieu d’employer cette conclusion : Isti qui modo surrexerunt novus Golias, et ejus armiger, Petrus scilicet, et Arnaldus, facili negotio exterminabuntur. Le public a vu la lettre que M. Arnauld a écrite à ce prélat, où il lui montre qu’il faut qu’on ait étrangement surpris son altesse [41], puisqu’on lui a fait prendre le docteur Arnauld pour l’écuyer de Jurieu, le Goliath des protestans contre le parti catholique. Car, poursuit-il, votre altesse aurait-elle été capable, si elle avait connu cet Arnauld, d’une aussi grande faute de jugement, que de mettre du même parti les deux ennemis les plus déclarés, et de prendre celui qui a soutenu avec zèle la cause de l’église contre ce ministre, pour son associé et son confident dans la cruelle guerre qu’il fait à l’église ? Il est certain que les deux auteurs qu’on a pris, l’un pour Goliath, l’autre pour l’écuyer de Goliath, le sont si peu, qu’il n’est pas plus faux que M. Arnauld ait assisté à la conférence de Bourg-Fontaine, ou au sabbat, ou à l’irruption des Vaudois, qu’il est faux qu’il soit l’écuyer du Goliath Pierre Jurieu. Rien donc ne saurait être non-seulement plus froid, mais aussi plus éloigné de la vérité, que les allusions trouvées dans le passage de saint Bernard.

C’est ce que le prétendu Goliath n’a pas moins reproché à l’auteur de la plainte catholique, que le prétendu écuyer. Si cet évêque avait du bon goût, dit-il [42], il n’aurait pas fait rouler ses violentes invectives sur de froides allusions des noms d’Arnauld de Bresse et Pierre Abaillard ; voulant que M. Arnauld soit le successeur d’Arnauld de Bresse, et le ministre Pierre Jurieu celui de Pierre Abaillard. Il n’aurait pas appelé ce ministre le Goliath ennemi de l’église, et Arnauld son écuyer. Cet Arnauld et ce ministre s’entendent trop mal pour faire partie ensemble ; et de plus, M. Arnauld est bien d’âge, de taille, et de force à être le Goliath, plutôt que l’écuyer ; aussi le prétend-il bien, et l’on veut bien lui en laisser l’honneur.

Je remarquerai ici un petit défaut de mémoire de M. Arnauld. Il s’est plaint [43] qu’après la froide comparaison d’Arnauld de Bresse avec Arnauld de Paris, et de Pierre Abaillard avec Pierre Jurieu, on fait dire à M. l’évêque de Malaga, que ce docteur est le Goliath du parti, et le ministre son écuyer. Nous avons vu qu’on lui a fait dire tout le contraire.

(M) On a dit qu’il avait été banni de France. ] Un docteur de Sorbonne, savoyard de nation [44], a soutenu dans ses Préjugés légitimes contre le jansénisme, imprimés à Genève [45], l’an 1686, que M. Arnauld avait été chassé de France par ordre du roi. C’est ce que signifient ces paroles de l’avertissement au lecteur : Je n’ai pas cru pouvoir dire la vérité, et ne pas blâmer la conduite de ce vieux tartufe, que la justice du roi très-chrétien a rendu fugitif dans la Hollande. Il est néanmoins certain qu’il s’est retiré hors du royaume volontairement, et l’on n’en saurait douter, après les lettres qu’il écrivit en 1679 à M. le chancelier le Tellier, et à M. l’archevêque de Paris, imprimées dans le Ier. tome de l’Esprit de M. Arnauld, l’an 1684 : de sorte qu’il est assez étrange que, deux ans après, l’abbé de Ville ait fait paraître qu’il ignorait une vérité exposée aux yeux de tout le monde, dans une satire qui a tant couru. Mais il est encore plus étrange, qu’en l’année 1690, M. Arnauld ait été contraint de faire imprimer ces deux lettres, pour réfuter ceux qui publient partout qu’il est rebelle à son roi, et qu’il a été chassé de France comme un brouillon [46]. Je ne crois pas que l’auteur de son Esprit ait débité un moindre mensonge que celui-là, en soutenant qu’il a été chassé de Flandre. Bien que ce bon homme, poursuit-il [47], croye que ses aventures sont fort enterrées, on n’a pas laissé d’apprendre de bonne part, qu’il avait été chassé des Pays-Bas par ordre du gouverneur. Le terme de chasser, dont l’auteur de la Critique générale du Calvinisme s’est servi, est un peu équivoque. Ils ont fait acroire, dit-il [48], que la maison de M. Arnauld était un rendez-vous de mécontens, qu’on y tenait des conférences pleines de cabales et de factions, qu’on y préparait des mémoires pour la cour de Rome ; en un mot, ils ont obtenu tout ce qu’il fallait pour le chasser avec le reste de la troupe. Cela ne veut dire sinon qu’ils obtinrent qu’on donnât certains ordres à M. Arnauld, qui furent cause qu’il se choisit une retraite dans les pays étrangers.

(N) On a dit… qu’il avait fait l’Apologie pour les catholiques, afin de recouvrer ses bénéfices. ] M. Jurieu s’est fort abusé lorsqu’il a dit que M. Arnauld avait fait l’Apologie pour les catholiques dans la vue d’obtenir son rappel en France, afin d’y jouir paisiblement de son bien et de ses bénéfices [49], et que la crainte qu’on ne fît confisquer ses bénéfices l’a engagé dans quelques démarches. On ne pourrait guère mieux convaincre cela de faux par une démonstration géométrique que par la déclaration que M. Arnauld a faite publiquement, qu’il n’a aucun bénéfice ; car il n’entrera jamais dans l’esprit d’aucun homme raisonnable, qu’un docteur aussi jaloux de sa réputation que celui-là, et qui ne peut s’attendre à aucun moyen d’éviter la plus mortifiante de toutes les confusions, en cas qu’il nie faussement qu’il ait quelque bénéfice, en ait quelqu’un, s’il se trouve qu’il le nie dans un écrit imprimé. Il ne faut donc que jeter les yeux sur ces paroles de M. Arnauld, pour être démonstrativement convaincu du mensonge de son adversaire. La manière séditieuse, dit-il [50], dont ils avaient osé parler des affaires de ce pays-là, a obligé l’ambassadeur de sa Majesté britannique d’obtenir de Messieurs Les États la condamnation du plus emporté de leurs libelles, auquel il leur a plu de donner pour titre l’Esprit de M. Arnauld, quoique je sois peut-être le moins mal traité d’un grand nombre de personnes qu’ils y déchirent sans aucun rapport à moi, que ridicule ou imaginaire ; n’ayant presque rien autre chose à me reprocher que des intentions cachées, fondées souvent sur des faussetés manifestes : comme lorsqu’ils disent que ce n’a été par aucune vue de religion que j’ai fait l’Apologie pour les Catholiques, mais par une vue d’intérêt, pour ne pas perdre mes bénéfices, moi que tout le monde sait qui n’en ai aucun. C’est ainsi qu’il parle dans une lettre datée du 20 d’octobre 1684. Il ne parle pas moins affirmativement dans un ouvrage imprimé en 1689. Pour le livre faussement intitulé l’Esprit de M. Arnauld, il [51] n’a jamais eu aucune pensée d’y répondre ; car lui ayant été envoyé quelque temps après qu’il parut, en ouvrant l’un et l’autre tome en divers endroits, il tomba sur des choses qui lui firent assez connaître le génie de ce ministre, comme est cette folle calomnie, qu’on laissait lire à Port-Royal les livres des sociniens à des enfans de qualité de douze ou treize ans, à qui on enseignait les lettres humaines [52] ; et une autre non moins ridicule, quoique moins atroce, que M. Arnauld, qui n’a aucun bénéfice, et qui n’en a jamais recherché, a écrit l’Apologie des catholiques pour conserver ses bénéfices. Il conclut de là qu’un calomniateur si outré et si déraisonnable, étant indigne de créance, ne méritait aucune réponse, et il n’a depuis rien lu de ce livre avant que votre Défense eût paru. Voilà ce que je sais d’original [53]. Il est donc arrivé à l’auteur de l’Esprit de M. Arnauld ce que les Latins exprimaient par le proverbe, Cantherius in portâ : il a bronché dès le premier pas.

Notez que M. Arnauld avait un canonicat dans l’église cathédrale de Verdun, lorsqu’il commença sa licence, l’an 1638 [54] ; mais il quitta ce bénéfice un peu avant que de recevoir le degré du diaconat, l’an 1641 [55].

(O) On lui a imputé plusieurs livres qu’il n’avait point composés. ] Nous diviserons cette remarque en quatre sections [* 1].

I. Sans avoir égard à l’ordre du temps, je donnerai pour la première fausseté en matière d’attributions de livres, celle qui regarde la Perpétuité de la Foi ; car cet ouvrage a donné lieu à l’une des plus célèbres disputes qui se soient jamais excitées entre les catholiques romains et les protestans. M. Claude, qui a été le tenant de ceux-ci, en a remporté la plus belle réputation que jamais ministre se soit acquise ; et M. Arnauld, qui a été le principal tenant de ceux-là, n’a jamais peut-être employé avec plus d’application qu’alors, toutes les forces de son esprit. On a vu de part et d’autre, dans le cours de cette fameuse contestation, tout ce que le génie, l’éloquence, la lecture, la logique peuvent fournir de plus brillant et de plus fort : chaque parti prétend avoir remporté la victoire sans que les peines incroyables que le Port-Royal s’est données pour faire venir à grands frais un grand nombre d’attestations du Levant, aient presque de rien servi contre la persuasion où étaient les réformés touchant la foi des chrétiens de ce pays-là par rapport à l’eucharistie. L’ignorance qui règne parmi ces chrétiens, le décri de la nation grecque de temps immémorial sur le chapitre de la bonne foi, la vénalité de signature dont on les croit capables [56], etc., énervent à l’égard des protestans les attestations que le Port-Royal a produites. Mais cela n’empêche pas que cette dispute ne puisse être regardée, mettant à part les préjugés de parti, comme une des plus mémorables et des plus glorieuses occupations de M. Arnauld. C’est donc avec raison que j’ai commencé cette remarque par le premier exploit de ce grand combat.

Je voudrais que l’auteur qui nous a donné un bon abrégé de la vie de M. Claude [57], eût marqué avec la dernière précision l’époque de cette guerre, puisque M. Claude n’avait mis aucune date à la préface de son premier livre. Ce défaut de date peut tromper beaucoup de gens ; car, par exemple, j’ai la première réponse de M. Claude, imprimée à Paris, chez Étienne Lucas, en 1672. Le titre n’apprend point si c’est la première ou la seconde édition ; et dès la première ligne de la préface, je vois qu’il y avait environ quatre ans que cette dispute était née, et qu’il y avait un an que le manuscrit qu’on avait communiqué en ce temps-là à M. Claude était imprimé. Si je n’ai point d’autres lumières, je me sens presque invinciblement porté à faire ce faux jugement, que la Perpétuité de la Foi a été imprimée pour la première fois l’an 1671. Je ne dis pas cela sans avoir pris garde que l’on s’est souvent abusé de cette manière, pour n’avoir pas trouvé dans des préfaces la date qui leur convient. Mon édition de la Perpétuité de la Foi est la quatrième, et de l’an 1666 ; mais je ne laisse pas d’y apprendre la date de la première, parce que j’y trouve au bas de l’extrait du privilége que ce livre a été achevé d’imprimer pour la première fois le 15 de juillet 1664. La publication de la première réponse de M. Claude est de l’an 1666, ce me semble [58]. L’auteur de sa Vie, n’ayant pas cru qu’un détail précis des dates fût nécessaire dans un abrégé, a été cause que les savans hommes qui font le journal de Leipsick avec beaucoup d’avantage pour la république des lettres, et avec beaucoup de gloire pour leur ville, qu’on peut à bon droit appeler l’Athènes de l’Allemagne, se sont trompés sur le premier écrit de ce ministre. Ils prétendent que sa première réponse à la Perpétuité de la Foi fut imprimée avant qu’il allât servir l’église de Montauban [59] ; mais la vérité est que la première et la seconde ont été imprimées en même temps, après que la première eut couru quatre ou cinq années en manuscrit, et lorsqu’il n’était plus à Montauban. Revenons au fait.

M. de la Devèze n’assure pas que la Perpétuité de la Foi soit un ouvrage de M. Arnauld : il se contente de dire qu’on l’en croit l’auteur. Les journalistes de Leipsick se renferment dans les mêmes bornes [60] ; mais dans le supplément de Moréri, où l’on a donné un fort long article de M. Claude, tiré en partie de l’abrégé de sa vie, on assure tout net que M. Arnauld est l’auteur de la Perpétuité de la Foi. Cependant l’opinion la plus commune et la plus probable donne ce livre à M. Nicolle [* 2], les trois gros volumes de la de l’université de Paris, comme nous l’apprend un excellent journaliste [61].

Je passe sous silence une erreur du jésuite Papebroch ; c’est celle d’attribuer à M. Arnauld les livres qui ont paru sous le nom de Pétrus Aurélius. Petrus Aurelius vero nomine est Antonius Arnaldus [62]. Je ne sais que dire à l’égard d’un fait que j’ai trouvé dans une pièce volante [63], intitulée Défense du Mandement de Monseigneur l’évêque d’Arras, du 30 décembre 1697, contre un libelle intitulé, Ancienne Hérésie des jésuites renouvelée, etc. L’auteur de cette défense prétend prouver que les jansénistes ont reconnu l’autorité de l’Église à l’égard de la détermination du sens d’un ouvrage ; et voici ce qu’il dit dans la page 24. « De plusieurs que je pourrais produire, je me contenterai d’un seul qui peut tenir lieu de tous les autres. C’est M. Arnauld, le chef et l’oracle du jansénisme. Après avoir enchéri dans la quatrième partie de l’Apologie pour les religieuses de Port-Royal sur tout ce qui avait été dit jusque-là contre l’infaillibilité de l’Église à l’égard du sens des livres, enfin dans un nouvel ouvrage, fait pour soutenir cette apologie même et d’autres de ses écrits, réduit à ne pouvoir autrement se défendre du reproche qu’on lui faisait, que ses raisonnemens allaient à détruire la certitude de la tradition, il se vit contraint de faire malgré lui cet aveu important et décisif, qui ruinait en peu de lignes ses travaux de tant d’années. Il y a de certains faits, dit cet écrivain [* 3], dont on conclut nécessairement la vérité d’une doctrine, et ce sont ceux qui contiennent la tradition de l’église. Par exemple, il s’ensuit de ce que les pères ont enseigné unanimement une doctrine comme de foi, que cette doctrine est de foi... et ainsi, il est clair que l’église étant infaillible dans la décision des dogmes, elle l’est aussi dans la décision de ces sortes de faits qui s’ensuivent nécessairement des dogmes, et qui sont les moyens nécessaires par lesquels elle arrive à la connaissance des vérités de foi. Tout cela est de M. Arnauld. » Voilà qui est net et précis. On affirme positivement que l’Apologie des Religieuses, et la réfutation d’un livre du père Annat, sont deux ouvrages de notre docteur. Je ne prétends pas le nier, quoique d’une part le style de l’Apologie me paraisse plus châtié que le sien, et de l’autre moins vif, moins impétueux. Cette Apologie est un assez gros in-quarto divisé en IV parties, imprimé l’an 1665. Notez en passant le sort des disputes : il n’arrive presque jamais, en soutenant une opinion, que l’on ait une entière liberté de se servir de maximes purement universelles. On a quelques autres sentimens à ménager, qui obligent à des restrictions, mais c’est une gêne très-incommode ; car votre adversaire se prévaut de ce que vous exceptez. Cela lui fournit des argumens ad hominem, et de fort grands avantages, et c’est presque toujours par-là qu’il se relève de sa chute, après qu’on l’a terrassé. Les jansénistes en sont un exemple dans l’Apologie du Mandement de M. d’Arras. Je voudrais bien voir comment ils s’en tireront. Chaque parti souffre dans cette matière. On ne peut point soutenir l’infaillibilité de l’Église à l’égard des faits ; et, à moins que de l’admettre, on s’expose à mille inconvéniens. Quant au livre des Deux chefs qui n’en font qu’un, j’en parlerai en quelque autre endroit. C’est un ouvrage que l’on donne faussement à M. Arnauld : j’ai trouvé cette imputation dans un écrit anonyme, imprimé l’an 1688, et qui passe pour être du père le Tellier. Il a pour titre, Lettre Apologétique pour M. Arnauld, etc. On aurait plus de raison de dire que le dogme même des deux chefs qui n’en font qu’un, a été soutenu par ce docteur de Sorbonne dans la préface du livre de la Fréquente Communion ; mais cela même demande quelques éclaircissemens. Voyez l’Histoire abrégée de sa vie [64].

(P) On a imputé son silence à une fausse raison. ] Les difficultés proposées à M. Steyaert font voir que l’auteur du Voyage du Monde de Descartes [* 4] n’a pas consulté exactement l’époque de la querelle de M. Arnauld et du père Mallebranche, quand il a dit que le premier s’y engagea, afin d’avoir un prétexte de ne pas répondre à deux livres qui avaient paru contre lui, l’un composé par un ministre, l’autre composé par un jésuite. Il faut avouer que le public n’est pas encore trop bien revenu de l’étonnement que lui donnèrent les premières années du silence de ce docteur à l’égard de ces deux livres ; mais il est certain, quoi qu’en dise le voyageur subtil et poli de ce nouveau Monde, que la partie était liée avec le père Mallebranche, avant que l’Esprit de M. Arnauld et les Observations du père le Tellier eussent paru [65]. Je ne dois pas dissimuler que les raisons que M. Arnauld a données de son silence ont plu à quelques personnes ; mais il s’en faut beaucoup qu’elles aient plu à tous les lecteurs. J’ai déjà rapporté un [66] passage qui concerne ces raisons [67] ; en voici un autre : « Et quant à M. Jurieu, il s’est rendu si fameux dans toute l’Europe par ses médisances et ses calomnies, qu’il n’est plus capable de faire du mal à ceux qu’il déchire. Je sais que deux diverses personnes, tous deux protestans, en ont écrit à M. Arnauld, comme d’un homme décrié parmi les siens, et dont les emportemens leur faisaient honte ; et qu’ils se sont offerts de lui envoyer des mémoires qui le feraient connaître pour tel qu’il est. Mais on ne s’étonne pas que M. Arnauld ne les ait pas pris au mot, et qu’il n’ait pas voulu perdre le temps à écrire contre un homme qui n’est fort qu’en injures et en médisances [68]. » Il produit tout incontinent quelques faits, qu’il prétend n’être que des calomnies atroces publiées par ce ministre. Les raisons, qu’il donne de son silence, par rapport au père le Tellier [69], ont satisfait peu de gens.

(Q) On lui a donné des lunettes et un valet infidèle. ] Les écrits publiés sur le commerce de lettres d’un faux Arnauld avec un professeur de Douai, contiennent des choses qui pourraient convenir à cet ouvrage ; néanmoins je ne rapporterai que la manière dont M. Arnauld réfute la plainte qu’on lui a imputée d’avoir été volé par son valet, et d’avoir de la peine à cause de son grand âge à lire le petit caractère. Comment, dit-il [70], me pourrais-je plaindre d’un valet qui m’aurait volé et trahi, moi qui n’en ai jamais eu que de très-fidèles, et qui n’en ai eu aucun depuis douze ans que je suis sorti de Paris ? Dans une note sur la lettre de M. de Ligni, il y a, que jamais M. Arnauld ne s’est servi de lunettes, et qu’il ne laisse pas de lire la plus petite lettre aussi bien que la grosse [71]. Voilà deux petites singularités, qui méritaient d’être communiquées aux curieux de l’histoire des Hommes illustres. Pour l’intrigue du faux Arnauld, c’est une des plus fines comédies qui ait été jamais jouée : le succès en a été aussi grand que les auteurs le pouvaient attendre. Il n’y a peut-être point d’exemple de mortalité, qui ait enlevé en si peu de temps plus de professeurs à une académie, que cette affaire en a enlevé à l’université de Douai ; et jamais décharge n’éclaircit si bien les rangs : c’est de quoi se souvenir de cette parole du psalmiste, et renovabis faciem terræ.

(R) Il s’est battu vigoureusement contre le père Simon, soit touchant l’inspiration des auteurs sacrés, et les versions de L’Écriture.... ] On a vu ci-dessus, dans l’article du père Adam [72], deux propositions des jésuites censurées par les facultées de théologie de Louvain et de Douai. Ce sont des propositions qui paraissent limiter ou modifier l’inspiration de l’Écriture. M. Simon a pris là-dessus parti contre les censeurs [73], et a été réfuté par M. Arnauld, depuis la page 113 jusqu’à la page 236 de la VIe. partie des Difficultés proposées à M. Steyaert. Il s’est défendu dans ses Nouvelles Observations sur le texte et sur les versions du Nouveau Testament [74], depuis la page 33 jusqu’à la 91. On peut apprendre bien des choses en comparant exactement les raisons de l’un avec les raisons de l’autre. Chacun sait que M. Arnauld est celui de tous les écrivains catholiques qui a soutenu le plus doctement et le plus solidement l’utilité des versions de l’Écriture. Ce qu’il a dit à l’égard du droit sur cette matière, est admirable : ce qu’il en a dit à l’égard du fait, c’est-à-dire, pour montrer que, selon l’esprit de l’Église, les laïques n’ont jamais été exclus de la lecture de la parole de Dieu en langue vulgaire, est beau et curieux ; mais, si vous lisez attentivement les réponses de M. Simon [75], vous ne saurez que penser touchant l’esprit de l’Église quant à cela. Les sentimens des docteurs, les jugemens des académies, les mandemens des prélats, les actes publics, en un mot, allégués de part et d’autre, forment une si étrange variété, et surtout lorsqu’on examine les motifs et les principes étalés par ceux qui blâment, et par ceux qui louent la lecture des versions, qu’il résulte de tout cela, que, selon l’esprit de l’Église, il doit être défendu et permis au peuple de lire l’Écriture Sainte. Il n’y a guère de faits qu’on puisse réduire plus aisément au pyrrhonisme historique, que cette demande-ci : L’Église a-t-elle désapprouvé, ou approuvé, quel Écriture fût lue par les laïques en langue vulgaire ? Quelle pitié qu’on ne puisse rien établir de ferme sur une telle question, ni à l’égard de la négative, ni à l’égard de l’affirmative ! Un corps, qui se vante de l’infaillibilité, ne devrait-il pas être plus uniforme dans ses procédures ? M. Arnauld, avec les torrens de son éloquence et de son savoir, entraînerait une infinité de lecteurs à dire que l’on a calomnié l’église romane, quand on lui a reproché mille et mille fois qu’elle interdit aux laïques la lecture de la parole de Dieu ; il les entraînerait, dis-je, à croire cela, si M. Simon n’opposait des digues à ces torrens. Voilà comment, dans les mêmes communions, un docteur défait le travail de l’autre : l’ennemi commun en profite, et a lieu de s’écrier,

Sæpè, premente Deo, fert Deus alter opem.

(S) .... soit en faveur des attestations des Grecs. ] J’ai dit ci-dessus [76], que les protestans les ont méprisées, comme des choses que l’on avait facilement obtenues de cette nation vénale. [ Emendicatis undique per legatos regios, consules, missionarios, Græculorum hâc de re testimoniis, à quibus nihil non pretio extorqueas [77]. « M. Arnauld produisit plusieurs attestations de prêtres grecs, pour montrer qu’ils étaient là-dessus dans les hypothèses des catholiques romains ; mais il est vrai aussi qu’on en obtint la plupart à force d’argent. M. Wheler assure, dans ses Voyages de Grèce, qu’il a parlé à plusieurs papas que M. de Nointel, neveu de M. Arnauld, a tâché de corrompre de cette manière [78]. » Voilà deux témoins du fait que j’ai avancé. Notez que M. de Nointel n’est pas neveu de M. Arnauld. On le dit là apparemment pour avoir lu dans la réponse de M. Claude [79] que M. de Pompone, neveu de M. Arnauld, et ambassadeur alors en Suède, lui avait procuré des matériaux ] [80]. Quoi qu’il en soit, M. Simon a soutenu qu’il y a même des catholiques qui ne s’en rapportent pas tout-à-fait à ce grand nombre d’attestations [81] ; et il rapporte les fondemens de leurs doutes. M. Arnauld examine tout cela avec une extrême ferveur, et donne un précis de ce qu’il avait répondu à M. Spanheim dans l’Apologie pour les catholiques [82].

(T) Je ne sais si le public verra jamais ce que M. Arnauld écrivit..... en faveur de M. Despréaux [* 5]. ] La critique de la Xe. Satire de M. Despréaux [83] étant tombée [* 6] entre les mains de M. Arnauld, lui fit naître la pensée d’écrire une dissertation en forme de lettre, où il prit la défense de la satire avec cette vigueur d’esprit et de style qui ne l’a jamais quitté : le parti des anciens en fut glorieux, et cela a valu à M. Arnauld ces beaux vers de M. Despréaux, où il préfère à tous ses avantages, même à celui d’être historien du roi, l’apologie que ce docteur a faite de sa satire... Les jansénistes rigides, ou les rigoristes ne furent pas contens de cette dernière pièce de M. Arnauld. Un docteur blanchi dans des disputes graves et sérieuses parler, à plus de quatre-vingts ans, de vers, de femmes, de romans, quel désordre ! Le parti en frémit, et se disait à l’oreille que leur chef baissait. La poésie, à les entendre, était un art frivole, qui n’avait pas dû un moment arrêter un si grand génie. Cela vint aux oreilles de M. Despréaux, et là-dessus il entreprit son poëme sur l’amour de Dieu, pour montrer que la poésie peut embrasser les sujets les plus sublimes. Ces particularités m’ont été communiquées par un homme de beaucoup d’esprit et d’érudition [84], fort connu de M. Despréaux. Mettons ici un passage de la Xe. Épître (vs.115 et suiv. ) de ce grand poëte, où il s’adresse à ses vers.

Mais des heureux regards de mon astre étonnant
Marquez bien cet effet encor plus surprenant,
Qui dans mon souvenir aura toujours sa place :
Que de tant d’écrivains de l’école d’Ignace
Étant, comme je suis, ami si déclaré,
Ce docteur toutefois si craint, si révéré,
Qui contre eux de sa plume épuisa l’énergie,
Arnauld, le grand Arnauld, fit mon apologie [* 7].
Sur mon tombeau futur, mes vers, pour l’énoncer [85],
Courez en lettres d’or de ce pas vous placer.
Allez, jusqu’où l’Aurore en naissant voit l’Hydaspe,
Chercher, pour l’y graver, le plus précieux jaspe,
Surtout à mes rivaux sachez bien l’étaler.

(V) Si la lecture des mauvais livres produisait dans le cœur des jeunes gens les mêmes effets qu’en lui, il serait bon de la conseiller. ] Voici ce qu’il nous apprend lui-même. « Je me souviens d’avoir lu autrefois, étant fort jeune, dans les Muses ralliées (c’était le titre de ce livre, si je m’en souviens bien}, quelque chose de fort méchant sur ce sujet. C’est un poëte qui se glorifie d’avoir obtenu ce qu’il n’avait pu demander sans crime ; et la raison qu’il rend d’être venu à bout de son dessein est tout-à-fait abominable. C’est, dit-il, que cette personne avait l’esprit trop solide pour ne pas regarder comme d’invisibles chimères ces vieux contes d’honneur qui naissent au cerveau des maris et des mères. Je suis certain que ce qui est en italique était dans ces vers ; car j’en fus tellement choqué que cela m’est toujours depuis demeuré dans l’esprit. Ce poëte suppose donc qu’il n’y avait que la considération de l’honneur qui eût pu empêcher cette femme de le satisfaire ; mais qu’elle s’était mise au-dessus par la force de son esprit [86]. »

(X) Il a fait un Testament spirituel. ] J’en ai un exemplaire de l’édition de Liége, en 1696. On y a mis une préface où l’on désavoue l’édition qui avait déjà paru.

(Y) On a reconnu enfin à la cour de Rome ce qu’il valait. ] Le pape Clément X, ayant lu quelques ouvrages de M. Arnauld, les loua extrêmement, et déclara que l’auteur lui ferait beaucoup de plaisir si lui en envoyait un exemplaire, ou s’il le faisait donner à son nonce [87]. Le cardinal Altiéri, qui avait fait voir ces Lettres au pape, ne pouvait assez les louer, et finit vingt fois ses éloges par ce témoignage honorable : « M. Arnauld a rendu de très-grands services à l’Église : il serait à souhaiter que la mort ne lui enlevât jamais un si grand homme. » De ecclesiâ optimè meritus est Arnaldus : optandum esset ut talem ac tantum virum mors illi nunquàm ereptura esset [88]. L’estime et l’affection d’Innocent XI pour ce docteur ont été connues du public. Voyez la lettre qu’il lui fit écrire par le cardinal Cibo, le 2 de janvier 1677 : elle est à la fin de la lettre que M. Arnauld écrivit à M. l’évêque de Malaga, le 2 de décembre 1688. On a une lettre de M. Favoriti, secrétaire de ce pape, datée de Rome le 3 d’avril 1680, où l’on voit de grands éloges et de fortes marques de la douleur qu’avait ce pontife de la persécution qui était faite à M. Arnauld [89]. Il eut envie de l’élever à la pourpre, et il ne tint qu’au docteur que cela ne s’exécutât. De Arnaldo in purpuratorum procerum ordinem ad legendo aliquandò Sanctitatem suam cogitasse, etsi certum est et pluribus notum, nollem tamen hìc commemorare, nisi eminentissimus cardinalis, intimorum Romanæ Aulæ consiliorum testis locuples, id nuper Parisiis evulgâsset, asseruissetque per unum Arnaldum stetisse quominùs is eminentissimâ illâ dignitate ornaretur [90]. Alexandre VIII, qui avait eu, avant qu’il fût pape, beaucoup d’amitié et d’estime pour M. Arnauld, ne changea point de dispositions depuis qu’il fut élevé sur la chaire de saint Pierre. Il lui accorda quelques grâces, et il lui en aurait accordé bien d’autres, s’il eût vécu plus long-temps, ou si M. Arnauld lui en eût fourni les occasions [91].

Notez que l’évêque de Malaga fit brûler presque tous les exemplaires de la première édition de sa Querimonia Catholica, dès qu’il eut su que, sans son consentement, on y avait donné la qualité d’hérétique à M. Arnauld. Celui qui brûla de ses propres mains les exemplaires en a donné une attestation en forme [92].

(Z) On trouve qu’il s’écarta un peu de la voie étroite, dans l’affaire qui donna lieu à un factum de M. Des-Lyons. ] Une nièce de M. Des-Lyons, docteur de Sorbonne, et doyen de Senlis, fut assez adroite pour engager M. Arnauld à des démarches qui ne lui font point d’honneur. Elle plaidait contre son père ; il la protégea dans ce procès autant qu’il put. Cela n’est point d’un casuiste rigide. Outre cela, c’était une fille si bizarre dans ses dévotions, et si mal tournée, que M. Arnauld fut mal servi de la faculté qu’on nomme discernement des esprits, lorsqu’il se laissa tromper par cette hypocrite. M. Jurieu, qui avait ouï parler du factum de M. Des-Lyons, souhaita passionnément d’en avoir un exemplaire, et le fit demander plusieurs fois à une personne qui aurait pu le lui fournir. Il employa principalement l’intercession du libraire qui imprimait à la Haye, l’an 1685, sa Justification de la Morale des Réformés [93]. C’était fort bien s’adresser, car si quelqu’un pouvait obtenir cela, c’était sans doute ce libraire ; mais le possesseur du factum ne voulut jamais s’en dessaisir en faveur d’un écrivain qu’il connaissait disposé à tirer de là une nouvelle matière d’insultes et d’invectives. Il savait de quelle manière cet auteur empoisonnait toutes choses quand il s’agissait de déchirer M. Arnauld. Or, prenez garde, je vous prie, à ce petit tour de souplesse. M. Jurieu, ayant manque ce coup-là, voulut persuader au public qu’il ne s’était point soucié de cet avantage, et qu’il avait été assez modéré pour y renoncer volontairement : Et même, ce sont ses paroles [94], pour faire voir au public que nous ne recherchons pas avec grand soin ce qui serait capable de rendre M. Arnauld odieux, nous laissons à part tout ce que le factum de M. Des-Lyons nous aurait pu fournir contre lui. Il y a bien des mensonges de préface qui passent pour des péchés véniels, non-seulement dans les barreaux de la république des lettres, mais aussi dans les barreaux de l’église : celui-ci doit être exclus de ce privilége dans l’un et dans l’autre de ces tribunaux. Les jésuites n’ont pas laissé tomber le factum de M. Des-Lyons : ils en ont pesé malignement les circonstances, et ils en ont tiré le sujet de beaucoup de réflexions et de railleries. Voyez un ouvrage qu’on croit être du père le Tellier, et qui parut l’an 1688. En voici le titre : Lettre apologétique pour M. Arnauld, écrite à un abbé de ses amis, sur trois des derniers livres qui ont été faits contre ce docteur : 1o. l’Esprit de M. Arnauld. 2o. Observations sur la nouvelle Défense de la Version française du Nouveau-Testament, imprimé à Mons. 3o. Réponse de M. Des-Lyons, docteur de Sorbonne, doyen et théologal de Senlis, aux lettres de M. Arnauld.

(AA) Les vers de M. Santeuil sur de cœur de M. Arnauld excitèrent une guerre fort violente. ] Les dames de Port-Royal des Champs reçurent le cœur de M. Arnauld avec les transports qu’on se peut imaginer, et le placèrent dans le lieu le plus honorable qu’il leur fut possible. Le cœur étant placé, il fut question d’une épitaphe. On crut ne pouvoir mieux s’adresser pour cela qu’à M. Santeuil..…. Comme l’affaire était délicate, les religieuses crurent devoir prendre M. Santeuil à leur avantage. Pour cela, elles l’invitèrent à venir passer quelques jours à Port-Royal, avec un de ses confrères, qui en était supérieur [95], et, durant le séjour qu’il y fit, il composa les vers suivans :

Ad sanctas rediit sedes ejectus et exul :
Hoste triumphato, tot tempestatibus actus,
Hoc portu in placido, hâc sacrâ tellure quiescit
Arnaldus, veri defensor, et arbiter æqui.
Illius ossa memor sibi vindicet extera tellus ;
Huc cœlestis amor rapidis cor transtulit alis,
Cor numquàm avulsum, nec amatis sedibus absens [96].


M. de la Fémas en fit cette traduction française :

Enfin, après un long voyage,
Arnauld revient en ces saints lieux »
Il est au Port, malgré les envieux,
Qui croyaient qu’il ferai naufrage.
Ce martyr de la vérité
Fut banni, fut persécuté,
Et mourut en terre étrangère,
Heureuse de son corps d’être dépositaire !
Mais son cœur toujours ferme, et toujours innocent,
Fut porté par l’amour, à qui tout est possible,
Dans cette retraite paisible,
D’où jamais il ne fut absent [97].

Dés que ces deux pièces, imprimées ensemble, eurent été répandues dans le monde, les jésuites firent faire des reproches à M. Santeuil sur son procédé... Il fit la sourde oreille, se flattant que tous les murmures qui s’élevaient alors se dissiperaient d’eux-mêmes insensiblement [98]. Mais lorsqu’il vit fondre sur lui une pièce envoyée de province [99]...... il prit les voies de satisfaction. « Il en fut frappé comme d’un coup de foudre, et accourut aussitôt au collège des jésuites, demandant miséricorde, avec les termes du monde les plus humbles et les plus touchans ; conjurant tous ceux qu’il rencontrait de ne le point perdre ; qu’il avait toujours été ami de la société ; et que l’épitaphe en question n’était point de lui, mais qu’elle avait été supposée par ses ennemis pour le brouiller avec les jésuites. On lui dit qu’on souhaitait que ce qu’il avançait fût vrai, mais que ce désaveu simple ne suffisait pas, et qu’il fallait détromper le public par un désaveu authentique qu’on lui demandait pour gage de sa sincérité. Il promit tout ce qu’on voulut ; mais l’embarras fut d’effectuer sa promesse [100]. » Le panégyrique imposant et flatteur qu’il fit de leur compagnie ne servit de rien [101]. Ils s’aperçurent « du tour de souplesse dont il s’était servi pour esquiver la difficulté : ils le traitèrent d’homme double et de mauvaise foi ; il se vit, en moins de rien, inondé d’épigrammes qui venaient fondre sur lui de tous côtés, et où les jeunes jésuites du collége, qu’il appelle dans un endroit Pubes jesuitica sagittaria, avaient bonne part. Les jansénistes, de leur côté, n’étaient pas moins choqués de sa lâcheté, que les jésuites l’étaient de sa duplicité, et ils lui en donnèrent des marques par une pièce en vers burlesques, qu’ils firent contre lui, et qui commence par

» Santeuil, ce renommé poëte.


» Ainsi il se trouva bien loin de son compte, et il vit qu’en voulant ménager tout le monde, il n’avait contenté personne. » Tout bien pesé, il résolut de sacrifier les jansénistes aux jésuites : il fit à ceux-ci par lettre une humble confession de sa faute ; mais cela ne les contenta point : ils voulurent une rétractation [102]. Il se vit pressé là-dessus tous les jours par épigrammes sur épigrammes qu’il recevait continuellement, et qui ne lui donnaient point de repos [103]. Il écrivit une lettre au père la Chaise, où il interpréta le mieux qu’il put quelques termes de l’épitaphe. La réponse qu’il reçut de ce jésuite augmenta ses inquiétudes [104] ; il fallut songer à une seconde apologie. L’endroit le plus délicat, et sur quoi roulait toute la difficulté, était celui où il disait de M. Arnauld,

Ictus illo fulmine (Vaticano)
Trabeate doctor, jam mihi non ampliùs
Arnalde saperes.


C’est-à-dire,

Si vous aviez été frappé de la foudre du Vatican, je vous renoncerais absolument.

Or, c’était ne rien dire. Les jésuites voulaient qu’il mît sapies, au lieu de saperes. (Car tout ceci se passait sur l’épreuve, avant que les copies fussent tirées.) De mettre sapies, c’eût été déclarer M. Arnauld excommunié et condamné. Un de ses amis, à qui il en parla, lui donna une ouverture pour trouver un milieu entre saperes et sapies : c’était de mettre sapias, qui pouvait se prendre également dans les deux sens divers des deux autres mots : mais il sentait bien qu’il ne pouvait abandonner le saperes sans choquer les jansénistes. Enfin, après longues délibérations, il prit le parti de servir chacun à peu près selon son goût. Il fit donc tirer deux sortes de copies : les unes, où il y avait sapias, pour les jésuites, en leur disant de vive voix qu’il le prenait dans le sens du sapies ; et les autres, où il laissait le saperes, pour faire sa cour aux jansénistes [105]. À cela, il joignit l’interprétation de quelques autres endroits de l’épitaphe. Il ne contenta ni les jésuites, ni les jansénistes. Ces derniers firent courir contre lui une pièce fort piquante [106] : les autres ne le poussèrent pas moins fortement. Le père Commire s’en mêla. Il était demeuré sans combattre, comme le corps de réserve ; « mais il parut enfin dans le champ de bataille ; et, pour terminer une dispute qui ne finissait point, et empêcher M. Santeuil de dire tant de fois le pour et le contre, il vint tomber sur lui, et lui passa dans la bouche un bâillon qui l’a toujours fort incommodé depuis. Je parle du Linguarium, que tous les savans attribuent à ce grand poëte [107]. » Un poëte de l’université, et nullement ami des jésuites, se mit sur les rangs, et fit une pièce intitulée Santolius pendens, c’est à-dire, Santeuil au gibet. C’est une des meilleures qui aient paru durant cette longue guerre poétique. Il a paru, je pense, trois relations de ce différent. Je n’ai point vu la première : celle que j’ai citée est la seconde : la troisième est de l’an 1697, et postérieure à la mort de M. Santeuil : elle contient les lettres qui furent écrites à ce poëte par divers Jésuites, et n’est point conforme à la seconde, quant à certaines circonstances.

Il est certain que cette querelle fit beaucoup de bruit, et c’est pourquoi l’auteur de la relation se crut obligé d’employer ce préambule [108]. « C’est le destin de ceux qui ont causé de grands troubles durant leur vie, d’en causer encore après leur mort. Celle d’Alexandre n’éteignit pas la guerre dans l’Asie : elle la ralluma au contraire avec plus de fureur, par l’ambition de ses lieutemans, qui se disputèrent long-temps la couronne. Il est arrivé quelque chose de pareil à M. Arnauld, s’il est permis de comparer un docteur à un conquérant. Sa mort, qui semblait devoir terminer tous les troubles qu’il avait causés durant sa vie, en a au contraire suscité de nouveaux. Chacun sait la manière indigne dont les jansénistes se sont déchaînés contre un saint abbé [109], pour s’être expliqué trop clairement dans cette occasion, en disant, au sujet du grand chef de parti qui venait de tomber dans la personne de M. Arnauld, Heureux qui n’en a point d’autre que celui de Jésus-Christ. Voilà ce que produisit la première nouvelle de la mort de M. Arnauld. Mais son cœur ayant été depuis rapporté en France, il ne put y rentrer sans y répandre encore des semences de division, par le démêlé qu’il fit naître entre M. Santeuil et les jésuites. » Plusieurs personnes se souviendront ici d’une plainte de Balzac contre l’épitaphe du père Goulu [110] ; mais si d’un côté les jésuites ont pu dire que le tombeau même de M. Arnauld leur faisait insulte, les jansénistes ont pu crier d’autre côté, que même dans le tombeau on ne laissait pas en repos ce théologien :

Et ce n’est pas assez de payer en la vie,
Il faut payer encore au delà du trépas [111].

(BB) M Perrault fut obligé à supprimer le feuillet qu’il destinait à M. Arnauld dans.... ses Hommes illustres de la nation française. ] Voici ce qu’on trouve dans une lettre qui fut rendue publique l’an 1697. « M. Perrault, de l’académie, a donné au public les Éloges des Hommes illustres de ce règne. M. Arnauld et M. Pascal y tenaient leur place à juste titre. Baptiste et Molière y sont dans leur rang, comme des illustres dans leur genre. Le livre était imprimé avec privilége, les portraits gravés. Il devait paraître il y a quatre mois ; mais les pères jésuites ont tant remué auprès des puissances, qu’ils ont fait donner ordre à l’auteur et au libraire de retrancher M. Arnauld et M. Pascal, et de supprimer leurs éloges... M. Arnauld a été un des plus grands hommes de ce siècle. Il a rendu service à l’Église, en combattant le calvinisme, et en défendant la foi de l’Eucharistie. Il a vécu et il est mort dans la communion de l’Église, et dans une parfaite obéissance au saint siége, qui aurait assurèrent récompensé son grand mérite, si la profonde humilité de ce savant personnage ne lui eût fait refuser plus d’une fois une des plus éminentes dignités de l’Église. Molière a vécu comme un impie, et il est mort comme un réprouvé dans l’excommunication. Cependant M. Arnauld est effacé du nombre des hommes illustres, et Molière y est conservé [112]. » On a fait ces réflexions-là par toute la France et dans les pays étrangers ; et l’on n’a pas oublié ce qu’a dit Tacite sur ce que l’image de Cassius, ni celle de Brutus ne parurent point aux funérailles de Junia : Præfulgebant Cassius atque Brutus eo ipso quòd effigies eorum non visebantur [113]. On a fait l’application de cette pensée à MM. Arnauld et Pascal ; les vers qui ont été faits là-dessus ont couru toute la terre, car ils ont été insérés dans les Nouvelles historiques et politiques qui se publient à la Haye tous les mois. Ajoutons que beaucoup de gens se figurent que les jésuites n’ont eu guère de prudence dans cette affaire, puisque le meilleur moyen d’attirer les yeux et l’attention du public sur ces deux illustres, était de faire que M. Perrault fût obligé de supprimer leur éloge et leur portrait. Cet acte ne pouvait servir qu’à rehausser le mérite que l’on voulait effacer : il menait tout droit au passage de Tacite ; et ce ne pouvait être qu’une vive source d’exclamations et de jugemens en faveur des deux personnes supprimées, et contre les instrumens de la suppression. Mais tout le monde n’est point demeuré d’accord de cette imprudence prétendue. Plusieurs connaisseurs en cette espèce d’affaires ont soutenu que la faction ennemie de M. Arnauld n’a rien fait qui ne ressente la plus fine et la plus sûre politique. Pensez-vous, disent-ils, que Tibère n’ait pas prévu les réflexions que l’on ferait sur ce que les effigies de Cassius et de Brutus ne seraient point vues parmi tant d’autres dans une pompe funèbre ? Il connaissait bien le relief de cette absence ; mais il trouva un plus grand inconvénient à laisser paraître ces deux assassins de Jules César parmi les images de leurs familles : c’eût été en quelque façon réhabiliter leur mémoire, et il était de son intérêt de ne faire aucune démarche qui tendît le moins du monde à cela. Les jésuites ont sans doute très-bien prévu aussi le relief de la suppression que M. Perrault ferait ; mais, tout bien compté, ils ont cru, en habiles gens, que ce serait un désavantage beaucoup plus petit, que de donner lieu à l’autre faction de se prévaloir de ce que M. Arnauld et M. Pascal seraient placés avec privilége sur le Théâtre des Hommes illustres. En les faisant disparaître, on se munit d’un nouvel acte qui peut servir dans le procès ; on les détient sous la flétrissure ; on empêche que personne ne puisse alléguer comme un signe de réhabilitation le privilége obtenu par M. Perrault : et, ce qui est bien considérable, on empêche que le public ne s’imagine qu’on n’a plus le même crédit qu’auparavant. Il n’est pas aisé de croire que le public se figurera que si les portraits et les éloges de ces deux messieurs ont une pleine liberté de se faire voir dans un ouvrage autorisé, c’est parce que les jésuites n’ont eu nulle envie d’y former aucun obstacle : il est plus naturel de croire qu’on prétendra qu’ils ne l’ont pu empêcher. Or c’est un jugement terrible ; les suites en peuvent être de conséquence : il faut donc le prévenir ; car les influences de la réputation sont d’une efficace extrême, soit pour avancer, soit pour reculer les événemens. Qui ne sait qu’en matière de commerce un marchand qui passe pour riche, et qui ne l’est pas, fait mieux ses affaires qu’un marchand qui serait riche, et qui passerait un pauvre ? Les autres conditions de la vie humaine sont semblables à celle-là, quant à ce point. Si c’est une imprudence de s’engager à certaines choses, c’est une imprudence encore plus grande de les abandonner après s’y être engagé. Il y va de l’honneur et de la gloire, et c’est tout dire. Ce principe n’est pas moins actif dans les guerres de robe longue, que dans les guerres proprement ainsi nommées [114]. Enfin, il est connu de tout le monde que, dans les procès de grande importance, l’une des parties se pourvoit contre toutes les démarches qui peuvent favoriser l’autre. La politique veut donc que l’on n’acquiesce point par son silence aux procédures des jansénistes. Il faut se précautionner, et contre les épitaphes, et contre les auteurs d’éloge, et multiplier les papiers du sac, afin de mieux soutenir le grand procès, et de mieux entretenir le problème ou la Question curieuse si M. Arnauld est hérétique ? Question étrange, et sur laquelle les catholiques romains prennent tous les jours, les uns l’affirmative, les autres la négative impunément. Ce qui montre qu’il y a dans le genre humain une source d’anarchie que l’on ne saurait boucher. Elle trouve principalement des conduits dans les corps ecclésiastiques ; car puisque l’église romaine n’a point le secret de fixer la liberté de dire le oui et le non à l’égard des mêmes choses, qu’elle autre église le pourra faire ? Les autres églises n’ont point comme celle-là des tribunaux que l’on reconnaisse infaillibles. Elles ne se gouvernent pas avec des airs d’autorité et de grand éclat comme celle-là. On doit donc moins s’étonner que des ministres protestans s’entr’accusent d’hérésie dans des livres imprimés, que de voir un grand docteur de Sorbonne déchiré comme un hérétique par la faction des molinistes, pendant que trois papes l’honorent de leur amitié, de leur estime et de leurs louanges, et que les plus illustres prélats mettent des approbations solennelles à la tête de ses ouvrages. Il y a près de soixante ans que ce procès dure [115], et l’on est encore aussi libre que jamais, ou pour nier, ou pour affirmer. Les divisions des ministres ne durent pas tant. On les accorde pour l’ordinaire après le troisième ou le quatrième libelle, et on leur assure la réputation d’orthodoxie que les uns voulaient enlever aux autres. Mais cela même ne laisse pas de ressentir un peu l’anarchie et cet état de nature où l’attaquant n’a presque autre chose à craindre que la résistance de l’attaqué, et non pas les châtimens d’un juge commun. Les corps politiques ne sont pas sujets à un tel désordre, on n’y laisse pas la liberté à un chacun d’appeler les autres ou fripons ou gens de bien ; voleurs, traîtres, homicides, prostituées ou personnes de bonne vie [116]. On y fixe un peu mieux l’état et la qualité des réputations.

Au reste, la suppression ordonnée à M. Perrault n’a point empêché que les exemplaires de son livre, qui ont paru en Hollande, ne continssent les éloges de MM. Arnauld et Pascal. On a seulement vu quelque petit dérangement au chiffre des pages. L’édition de Hollande a remis les choses en ordre [* 8].

(CC) M. Arnauld mérita l’estime de M. Descartes. ] Il est l’auteur des quatrièmes Objections contre les Méditations de ce philosophe, et tout le monde à jugé que ce sont les plus solides qui aient été proposées contre cet ouvrage. M. Descartes en fit ce jugement : voyez son histoire composée par M. Baillet [117]. Il faut noter que M. Arnauld avait enseigné dans Paris la même philosophie que celle de M. Descartes avant que celui-ci eût encore publié les premiers essais de la sienne [118]. On l’appelle donc cartésien [* 9] aussi abusivement que janséniste. Lisez ce qui suit. Il avait puisé dans leur source ses sentimens sur la grâce ; c’est-à-dire, dans saint Augustin, avant que le livre de M. d’Ypres eût paru. Il les avait soutenus publiquement, en la présence des évêques, quatre ou cinq ans avant que le livre de ce prélat eût été publié [119]. Il les avait embrassés sans savoir seulement que Jansénius travaillât sur la grâce... À peine savait-il qu’il y eût un M. Jansénius au monde [120].

(DD) Il ne disait rien qui fût au-dessus des conversations communes. ] Il faut entendre ceci avec quelque restriction ; car autrement on ne pourrait point le concilier avec ce qu’on trouve dans le récit de sa vie. On y trouve des heures de conversation après le repas, dans lesquelles il y avait beaucoup à apprendre avec lui, parce qu’étant homme à réflexions, il en faisait toujours de forts solides, soit sur les événemens humains, sur la conduite de la vie, sur les règles de la morale, ou même sur les choses de science, et sur les affaires publiques. Souvent les conversations étaient employées à lire des livres nouveaux, et il en jugeait toujours si bien que le jugement qu’il en portait, mais rarement d’un air décisif, était de lui-même décisif et sans appel. Sa mémoire, à l’occasion des choses qui se lisaient ou que l’on disait, lui fournissait toujours quelque chose de ce que les auteurs avaient de plus beau sur le sujet ; et on était souvent surpris de lui voir réciter un grand nombre de vers, soit latins ou français, qu’il n’avait lus que dans sa jeunesse, ou que depuis beaucoup d’années. Il possédait fort bien les poëtes latins, et il en appliquait les plus beaux endroits avec beaucoup de justesse, et avec une grande présence d’esprit, selon les occasions qui naissaient dans la conversation [121]. Disons donc que ses entretiens n’étaient simples et vulgaires que lorsqu’il était avec des gens qui n’avaient pas avec lui une liaison d’habitude, et qui ne l’engageaient point par leurs questions à étaler ce qu’il savait.

(EE) On prétend qu’il est devenu l’apôtre du jansénisme en Hollande. ] Il parut en 1698 un petit livre [122] où l’on assure [123] que M. Arnauld, après avoir erré quelque temps dans les Pays-Bas catholiques, vint enfin se réfugier en Hollande. M. de Niederkassel, évêque de Castorie, et vicaire apostolique dans les Provinces-Unies, le reçut comme un homme de Dieu, et le logea dans son beguinage de Delft, où M. Arnauld demeura quelques années sans être connu que de ceux qui étaient dans sa confidence. Là, il gouvernait absolument l’esprit du prélat, et celui-ci n’avait rien plus à cœur que de lui adresser tous les jeunes théologiens en qui il trouvait de l’esprit, afin qu’il les formât. Les plus assidus auprès de lui étaient M. de Codde, aujourd’hui archevêque de Sebaste, et successeur de M. de Castorie dans le vicariat apostolique ; M. van Huyssen…. C’est donc proprement dans le beguinage de Delft qu’est né le jansénisme de Hollande, vers l’an 1689.

  1. * Joly dit que Bayle est fort embarrassé par plusieurs ouvrages attribués par les uns à M. Arnauld, et que d’autres nient être sortis de sa plume. Il y avait certes de quoi l’être. Au reste, Joly renvoie au Dictionnaire de Moréri, dans les dernières éditions duquel on trouve un fort bon catalogue des ouvrages de ce docteur.
  2. * Croirait-on que Leclerc et Joly reprochent à Bayle d’attribuer à Arnauld la Perpétuité de la Foi, dont il ne composa, disent-ils, que l’épître dédicatoire ?
  3. (*) Réfut. du livre du père Annat, etc., pag. 5.
  4. * Le père Daniel.
  5. (*) [M. Despréaux l’inséra dans l’édition de ses Œuvres de 1702. Cette pièce a paru depuis dans toutes les éditions qui ont suivi celle de 1702. Add. de l’édition d’Amsterdam].
  6. * Leclerc trouve impropre cette expression, puisque c’était Perrault lui-même qui avait envoyé sa Critique à Arnauld.
  7. (*) M. Arnauld a fait une Dissertation où il me justifie contre mes censeurs, et c’est son dernier ouvrage. [Cette note de Boileau lui-même n’est pas exacte, puisque la Lettre à Perrault est du mois de mai 1694, et que, depuis encore, Arnauld a composé ses quatre lettres à Malebranche.]
  8. * Il y a dans cette remarque, dit Leclerc, beaucoup de choses qui ne sont nullement exactes, mais je ne m’y arrêterai pas.
  9. * C’est d’après les autorités qu’il cite, que Bayle prend ses conclusions, mais Leclerc prouve qu’Arnauld ne commença d’enseigner son cours de philosophie qu’en 1639, et le Discours sur la Méthode de Descartes était imprimé depuis deux ans, après avoir couru quelque temps en manuscrit.
  1. Voyez dans le texte de cet article, citation (h), quel livre c’est.
  2. Pag. 12.
  3. Voyez la remarque (D) de l’article d’Antoine Arnauld l’avocat.
  4. Nouvelles Lettres sur le Calvinisme de Mainib., pag. 125.
  5. C’est dans la Ve. Lettre de la Critique générale, pag. 98. Quand je me figure ce grand homme réduit à la dure nécessité de se cacher, je songe au fameux Annibal, et aux dernières paroles que les injustes persécutions des Romains lui arrachèrent : Liberemus diuturnâ curâ populum Romanum, quandò mortem senis expectare longum senseat. Tite-Live, lib. XXXIX.
  6. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 46.
  7. Præfat. Causæ Arnaldinæ, pag. xviij.
  8. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 47.
  9. ............. Sed illos
    Defendit numerus, junctæque umbone phalanges.
    Juvenal., Sat. II, vs. 45.

  10. Notez qu’en France, ceux qui président à une dispute ne prennent la parole que lors que leur écolier est à bout. En d’autres pays, ils parlent presque toujours, et à peine lui donnent-ils le loisir de répéter l’argument.
  11. Præfat. Causæ Arnaldinæ, pag. xix.
  12. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 50.
  13. Là même, pag. 51, 52.
  14. Là même, pag. 33.
  15. Question curieuse, pag. 58 et 59.
  16. Là même, pag. 69, 70.
  17. Ce terme fera rire bien des gens, qui ne croient pas que les tribunaux civils puissent être comparés aux ecclésiastiques, que comme le bon au moins bon.
  18. Il est à la page 71 de la Question curieuse. Voyez dans les Nouvelles de la République des Lettres, mois de juin 1686, art. III, ce que M. de Launoi jugeait de cette censure sorbonique.
  19. Virgil., Æneid., lib. I, vs. 568.
  20. Il est rapporté dans la page 228 de la Question curieuse.
  21. Question curieuse, pag. 198.
  22. Là même, pag. 200.
  23. Dans l’Apologie pour les Catholiques imprimée en 1682.
  24. Intitulé, Préservatif contre le changement de religion.
  25. Les Espagnols ont ce proverbe, No ay generacion, do no aya puta ò ladron.
  26. Virgil., Æneïd., lib. II, vs. 195.
  27. Hùc delecta virùm sortiti corpora furtìm
    Includunt cæco lateri, penitùsque cavernas
    Ingentes, uterumque armato milite complent.
    Virgil., Æneid., lib. II, vs. 18.

  28. C’est une chartreuse à 16 ou 17 lieues de Paris.
  29. Le IVe. factum pour les parens de Jansénius, pag. 11 et 12, montre que c’est lui qu’on a désigné dans la Relation juridique.
  30. Dans sa Lettre à un duc et pair, en 1655. Voyez aussi la Ire. partie du IVe. factum des parens de Jansénius.
  31. Le père Meynier dans le livre intitulé, Le Port-Royal et Genève d’intelligence contre le S. Sacrement de l’Autel, imprimé à Poitiers, en 1656.
  32. Le père Hazart, dans sa Réponse au factum pour les parens de Jansénius. Voyez l’Hist. des Ouvrages des Savans, février 1688, et la IIe. partie du IVe. factum des parens de Jansénius, pag. 2.
  33. C’est apparemment la feue duchesse de Longueville.
  34. IVe. factum des parens de Jansénius, pag. 2.
  35. Tirées du tom. III de la Morale pratique, chap. XI, pag. 257.
  36. Question curieuse, pag. 4.
  37. Voyez les Mémoires du sieur de Pontis.
  38. Troisième plainte de M. Arnauld, pag. 8.
  39. Dans la Critique générale du Calvinisme de Maimbourg, pag. 584 de la seconde édition.
  40. Le père Maimbourg s’est fort joué sur la même équivoque d’Arnauld de Bresse, dans sa Décadence de l’Empire : et le père Théophile Raynauld a fait un livre intitulé : Arnaldus de Brixiâ redivivus, in Arnaldo de Lutetiâ.
  41. On le traite ainsi à cause qu’il était fils naturel de Philippe IV, roi d’Espagne.
  42. Religion des jésuites, pag. 59.
  43. À la fin du IIIe. tome de la Morale pratique, pag. 773.
  44. Il s’appelle l’abbé de Ville. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, juillet 1686, article VIII.
  45. Il ne faut pas s’arrêter au titre, qui porte à Cologne, chez Abraham du Bois.
  46. Quest. curieuse, pag. 212.
  47. Esprit de M. Arnauld, tom. I, pag. 38.
  48. Critique générale du (Calvinisme de Maimbourg, Lettre V.
  49. Esprit de M. Arnauld, tom. I, pag. 34, 36, 44.
  50. Seconde addit. à l’Apologie pour les Catholiques, pag. 14.
  51. C’est de lui-même que M. Arnauld parle.
  52. Voyez la Réfutation de ce conte dans la Dissertation de M. Arnauld, sur le prétendu Bonheur des plaisirs des sens, imprimé en 1687.
  53. Tome III de la Morale pratique, pag. 237, 238.
  54. Præfatio Causæ Arnaldinæ, pag. vij.
  55. Ibidem, pag xix.
  56. Voyez ci-dessous la remarque (S).
  57. A. B. R. D. L. D. P. C’est-à-dire, Abel Rotolp de la Devèze, pasteur. Il était ci-devant ministre à Castres, et à présent il l’est à la Haye.
  58. C’est-à-dire, selon la date anticipée du libraire ; car je crois que le livre parut en 1665.
  59. Acta Eruditor. Lipsiens., an. 1687, pag. 659.
  60. Idem, ibidem ; mais, en 1683, pag. 442, ils l’affirment.
  61. Hist. des Ouvrages des Savans, août 1689, pag. 541, septembre 1689, pag. 34.
  62. Papebroch. Elucid, Hist. Actor., in controversiâ Carmelitanâ, pag. 135.
  63. Imprimée à Cologne, chez Vand Buning, à la Palme, en 1698 : elle contient 50 pages in-12.
  64. Pag. 85 et suivantes.
  65. Voyez les Difficultés proposées à M. Steyaert, part. VI, pag. 59, et suivantes.
  66. Ci-dessus, citation (53).
  67. Il est à la page 237 du IIIe. tome de la Morale pratique. Voyez aussi la page 361.
  68. Dissertation sur le prétendu bonheur des plaisirs des sens, pag. 12.
  69. Morale pratique, tom. III, pag. 266, 267.
  70. Première plainte, pag. 9.
  71. Imperialis rapporte que Francois Piccolomini, mort à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, ne s’était jamais servi de lunettes. Le Valesiana, pag. 3, nous apprend qu’Hadrien de Valois, à plus de quatre-vingts ans, écrivait et lisait les caractères les plus menus, sans secours de lunettes.
  72. Un peu avant la citation (9), t. Ier., p. 213.
  73. Voyez les chap. XXIII et XXIV de son Histoire critique du Nouveau Testament.
  74. Imprimées à Paris, l’an 1695, in-4°.
  75. Dans les Nouvelles Observations sur le texte et les versions du Nouveau Testament, depuis la page 465 jusqu’à la page 584.
  76. Dans la remarque (O), num. I, immédiatement après la citation (56).
  77. Spanhem. Strictur. in Expositionem Episcopi Condom.
  78. Bibliothéque Universelle, tom. XI, pag. 445.
  79. Claude, Réponse à la Perpétuité défendue, liv. IV, chap. III, pag. 597.
  80. Notez que ce qui est ici entre deux crochets était en marge de la remarque (M), citation (a), dans la première édition. C’est dans celle-ci, remarque (O), citation (56).
  81. dans son Histoire Critique de la Créance du Levant.
  82. Difficult. proposées à M. Steyaert, part. VI, pag. 275 et suivantes.
  83. C’est la Satire contre les Femmes.
  84. M. Marais, avocat au parlement de Paris.
  85. C’est ainsi qu’il y a dans l’édition dont je me sers, qui a été faite dans quelque ville des Provinces-Unies.
  86. Arnauld, cinquième Dénonciation du Péché Philosophique, pag. 57, 58.
  87. Prefat. Causæ Arnaldinæ, pag. lix.
  88. Ibidem, pag. lx.
  89. Ibidem.
  90. Ibidem, pag. lx.
  91. Ibidem, pag. lxj, lxij.
  92. Ibid., pag. lxiv.
  93. Il est plein de vie : on peut s’informer de lui si je dis la vérité. J’écris ceci le 2 d’avril 1699.
  94. Jurieu, préface de la Justification de la Morale des Réformés, édition de la Haye, en 1685.
  95. Histoire des Troubles causés par M. Arnauld après sa mort ; ou le Démêlé de M. Santeuil avec les jésuites, pag. 5, édit. de 1696.
  96. Là même, pag. 40.
  97. Là même, pag. 41.
  98. Là même, pag. 7.
  99. Intitulée Santobius vindicatus.
  100. Histoire des troubles causés par M. Arnauld après sa mort, pag. 9.
  101. Là même, pag. 10.
  102. Là même, pag. 11.
  103. Là même, pag. 14.
  104. Là même, pag. 17.
  105. Histoire des troubles causés par M. Arnauld après sa mort, pag. 20.
  106. Intitulée Santolius pœnitens. Voyez l’Histoire des troubles, etc., pag. 20.
  107. Là même, pag. 33.
  108. Là même, pag. 3 et 4.
  109. C’est-à-dire l’abbé de la Trappe.
  110. Voyez la remarque (M), de l’article du père Goulu, général des feuillans.
  111. Ce sont deux vers de l’opéra qui fut joué l’an 1674 : il s’intitulait, ce me semble, le Triomphe d’Alceste.
  112. Lettres d’une dame de qualité à une autre dame savante, pag. 24, 25.
  113. Tacit., Annal., lib. III, in fin.
  114. Marcellus multa magnis ducibus sicut non aggredienda, ita semel aggressis non dimittenda esse dicendo, qua magna famæ momenta in utramque parlem fierent, tenuit ne incœpto abiretur. Titus Livius, lib. IV, decad. III.
  115. On écrit ceci en 1699.
  116. On entend ceci par rapport aux accusations publiques.
  117. Baillet, Vie de Descartes, tom. II, pag. 124 et suivantes. Voyez aussi Perrault, Hommes illustres, pag. 57, 58.
  118. Là même, pag. 544. Voyez aussi pag. 128.
  119. Hist. abrégée de M. Arnauld, pag. 35.
  120. Là même, pag. 31.
  121. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 287, 288.
  122. Intitulé Mémoire touchant le Progrès du Jansénisme en Hollande.
  123. Pag. 8 et 9.

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