Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Artaban 1

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ARTABAN, fils d’Hystaspe (A), et frère de Darius Ier. du nom, roi de Perse, nous est représenté par Hérodote comme un homme sage, qui déconseillait toujours ces expéditions d’éclat qui furent si funestes à la monarchie des Perses [a]. Il ne fut point d’avis que Darius allât attaquer les Scythes [b] ; encore moins que Xerxès s’engageât à faire la guerre aux Grecs. Hérodote nous a conservé les raisons solides sur lesquelles il appuyait son avis (B), et le jugement qu’il porta sur la prodigieuse armée de mer et de terre avec laquelle Xerxès se préparait à passer d’Asie en Europe [c]. Les difficultés qu’Artaban lui représenta furent cause qu’on aima mieux le renvoyer dans la Perse, pour y commander en l’absence du roi, que de lui faire continuer le voyage [d]. L’événement montra combien ses conseils avaient été judicieux et fidèles. Il ne persévéra pas toujours dans cette fidélité, car il conspira contre Xerxès, et le tua [e] ; et puis il engagea Artaxerxès, fils de Xerxès, à se défaire de son frère Darius : il l’y engagea, dis-je, en lui faisant accroire que Darius était le meurtrier de Xerxès. Mais Artaxerxès connut la vérité peu après, et tua Artaban dans le temps que celui-ci ôtait sa cuirasse [f]. Diodore de Sicile parle autrement que Justin de la manière dont Artaban fut châtié de son crime [g]. On verra dans la remarque (B) de quelle manière ce prince savait raisonner sur les songes, et sur la durée de notre vie.

  1. Herodot., lib. IV, cap. LXXXIII.
  2. Id., ibid.
  3. Ibidem, cap. XLIX, et seq.
  4. Idem, lib. VII, cap. LII, LIII.
  5. Diodor., lib. XI ; Justin, lib. III, cap. I.
  6. Justin, lib. III, cap. I.
  7. Diodor. Siculus, lib. XI.

(A) Fils d’Hystaspe. ] Je ne sais point où M. Moréri avait lu qu’Artaban était natif d’Hircanie. Les deux auteurs qu’il a cités [1] ne disent rien de semblable. Ctésias donne pour père à Artaban, un favori de Cambyses, qu’il nomme Artasyras, qui d’abord favorisa l’usurpation du mage, et ensuite le dessein que sept grands seigneurs formèrent de chasser le mage [2].

(B) Hérodote nous a conservé les raisons solides sur lesquelles il appuyait son avis [3]. ] On dirait qu’Hérodote avait pris à tâche de faire honneur, et à la prudence, et à l’esprit d’Artaban : il ne donne jamais plus d’essor à son imagination, que lorsqu’il fait raisonner ce prince. Xerxès, après s’être bien fâché, et après l’avoir outragé, s’était rendu à ses raisons, et ne voulut plus penser au voyage ; mais deux songes consécutifs le poussaient à continuer l’expédition [4]. Il s’en va trouver Artaban, et lui dit ses songes : Je veux savoir, ajoute-t-il, si vous en aurez de semblables. Prenez mes habits, asseyez-vous sur mon trône, couchez dans mon lit. Artaban répond qu’il n’est pas digne de tant d’honneur, et raisonne fort sensément sur les songes. Il dit que s’il y a quelque chose de divin dans ceux de Xerxès, sa majesté a eu raison d’espérer qu’il en ferait de semblables : « car, que serait-ce, si un dieu qui aurait à cœur une guerre, et qui viendrait de nuit la commander à un monarque résolu de vivre en paix, ne venait point ordonner la même chose au premier ministre d’état, lorsqu’on veut connaître à cette preuve si ce dieu souhaite la guerre ? Mais, poursuit-il, ne croyez pas qu’il soit nécessaire pour cela que je prenne vos habits, et que je couche dans votre lit. Ce je ne sais quoi, qui vous est apparu en songe, n’est pas assez bête pour conclure que je suis vous, de ce qu’il me verra revêtu de vos habits ; et, s’il ne daigne s’adresser à moi, vos habits non plus que les miens ne l’obligeront pas à changer de sentiment à mon égard. » Xerxès voulut absolument être obéi : Artaban songea en conformité avec son maître, et ne s’opposa plus à la guerre ; mais il en devint le promoteur, quoiqu’il lui restât une assez grande défiance du succès [5]. Si ces choses étaient vraies, n’en faudrait-il pas conclure qu’elles venaient de l’esprit menteur et meurtrier dès le commencement ; car on menaçait Xerxès d’un honteux abaissement, s’il désistait de l’entreprise [6] ? Une autre fois, Artaban raisonna d’une manière très-peu commune sur la brièveté de notre vie, chose qui avait fait pleurer Xerxès à la vue de ses troupes innombrables [7]. Nous ne vivons que trop, dit-il : notre vie, toute courte qu’elle est, a plus d’étendue qu’il n’en faut pour nous faire bien enrager, et pour nous faire souvent souhaiter la mort comme un doux refuge contre les misères qui nous accablent. Que si néanmoins la vie a été assaisonnée d’un goût agréable, c’est une preuve que Dieu porte envie au genre humain [* 1]. Où sont les philosophes grecs qui n’eussent dû dire de cette manière de penser ce que dit Pyrrhus, quand il eut été reconnaître l’armée romaine : L’ordre de bataille de ces barbares, dit-il, et leur façon de camper, n’ont rien de barbare [8]. C’est aux chrétiens à rectifier cela. Notez qu’Hérodote connaissait très-bien les vanités et les misères du genre humain : mais il affectait un peu trop d’en chercher la cause dans la jalousie ou dans la malignité des dieux. Plutarque lui en a fait un procès [9].

  1. * L’abbé Bellenger dans le tome XI des Jugemens sur quelques ouvrages nouveaux reproche à Bayle d’avoir suivi la version latine de Valla qui ne répond point au texte grec, et donne son opinion sur le sens de ce passage. Joly, dans ses Additions, examine la critique de Bellenger. Larcher dans sa traduction d’Hérodote a ainsi rendu cette phrase : « En assaisonnant notre vie de quelques plaisirs, le dieu fait bien voir sa jalousie. » Larcher ajoute en note : « On s’était trompé dans ce passage, et M. Bellenger aussi. Valla avait mal traduit Dulce gustans sæculum. Portus ou Henri Etienne avaient très-bien corrigé Dulci gustu vuam aspergens. M. Bellenger a eu tort de reprendre cette version qu’il attribue mal à propos à Valla. La traduction de Valla est absurde ; car la divinité ne fait point paraître de jalousie parce qu’elle est heureuse, mais parce qu’elle garde le bonheur pour elle-même et qu’elle n’en communique qu’une légère portion aux hommes, dont elle assaisonne les maux qu’ils éprouvent pendant leur vie. »
  1. Diodore de Sicile, liv. XI, et Justin, liv. II. Il fallait citer Justin, liv. III, chap. I.
  2. In Persic., cap. XIII, XIV, XX.
  3. Herodot., lib. III, cap. X.
  4. Idem, lib. VII, cap. XV, et seq.
  5. Herodot., lib. VII, cap. XLVII.
  6. Idem, ibid., cap. XIV.
  7. Idem, ibid., cap. XLVI. Voyez la remarque (L) de l’article Périclès, à la fin.
  8. Plutarch., in Pyrrho, pag. 393.
  9. Voyez la remarque (K) de l’article Périclès, vers la fin.

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