Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Attila

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ATTILA, roi des Huns, surnommé le Fléau de Dieu, vivait au Ve. siècle. On peut le compter parmi les plus grands conquérans, puisqu’il n’y eut guère de provinces dans l’Europe qui ne sentissent le poids de ses armes victorieuses. Il n’accorda la paix à l’empereur Théodose, qu’en le rendant son tributaire (A). La bataille qu’il perdit dans la Champagne [a], l’an 451, ne l’affaiblit pas tellement, qu’il ne se vît bientôt en état d’aller ravager l’Italie ; et si les prières du pape Léon ne l’eussent pas arrêté, il eut pris infailliblement la ville de Rome. Il ne faut pas croire ce que l’on raconte de l’apparition d’un vieillard tenant une épée nue à côté de saint Léon, et menaçant Attila. Ce roi des Huns était de petite taille [b], mais cela n’empêchait pas qu’il ne jetât la terreur dans l’âme des plus intrépides, tant il avait la démarche fière, et le regard foudroyant. Il savait fort bien joindre la ruse à la force (B). La superstition était l’une de ses ruses (C). Il était dissimulé, fin et subtil, sage dans le conseil, et hardi dans l’exécution, cruel à ses ennemis, mais assez doux à ceux qui se mettaient en posture de supplians. On dit même qu’il se piquait de garder inviolablement la foi à ceux qu’il avait une fois reçus en sa protection [c]. Il ne souffrait point les flatteurs outrés [d]. Le sentiment le plus ordinaire sur le genre de sa mort est que la nuit de ses noces un saignement de nez l’étouffa (D). Nous dirons ailleurs [e] de quelle manière il fut recherché par la sœur de Valentinien III. Sa Vie fut composée au XVe. siècle par un Italien réfugié en Pologne, nommé Callimachus Experiens. D’autres l’ont écrite depuis (E).

On a débité qu’il eut l’ambition d’établir sa langue, et de l’élever sur les ruines de la romaine (F).

  1. In Campis Catalaunicis.
  2. Maimb., Hist. de l’Arianisme, tom. III, pag. 5 ; ex Jornande, cap. XXV, et Paulo Diacono, in Miscellan., lib. XV.
  3. Maimbourg, Histoire de l’Arianisme. Voyez la remarque (E).
  4. Voyez l’article Marulle de Calabre.
  5. Dans l’article d’Honoria.

(A) Il n’accorda la paix à Théodose, qu’en le rendant son tributaire. ] Selon la maxime des fanfarons, qu’il faut donner aux choses un nom honorable, on n’appela point tribut, mais pension, ce qu’on s’obligeait de payer tous les ans à Attila. Voici les paroles d’un moderne : Il contraignit l’empereur Théodose le jeune de lui demander honteusement la paix, et il ne put même l’obtenir qu’à force d’argent, en lui payant sur-le-champ six mille livres d’or [* 1], et s’obligeant à lui en payer mille [* 2] tous les ans : de sorte que l’empire d’Orient, quelque recours qu’il eût au spécieux titre de pension, pour sauver son honneur, devint tributaire des Huns[1]. Ce même auteur conte qu’Attila, ayant vu dans le palais de Milan, un tableau qui représentait un empereur sur son trône, ayant à ses pieds des Scythes enchaînés, le fit ôter de là, et en mettre un autre en sa place, où il se fit peindre assis sur un trône environné d’empereurs chargés d’or et d’argent, qu’ils venaient répandre à ses pieds en une posture fort humiliée ; voulant faire entendre par-là, que comme il avait obligé Théodose sept ou huit ans auparavant à lui payer tribut, il contraindrait l’empereur Valentinien d’en faire autant pour sauver sa vie et les misérables restes de son empire[2].

(B) Il savait fort bien joindre la ruse à la force. ] C’est ce qu’on voit par le manège dont il se servit dans l’expédition des Gaules. Il chercha à désunir les Romains commandés par Aëtius, et les Visigoths dont Théodoric était roi. Pour cet effet, il fit dire à l’empereur Valentinien qu’il ne songeait point à faire aucun acte d’hostilité sur les sujets de l’empire ; qu’il ne voulait que châtier les Francs et les Visigoths, dont les premiers avaient eu l’audace de mettre le pied sur les terres de l’empire, et les derniers étaient les esclaves de lui Valentinien. Il fit dire en même temps à Théodoric, qu’il avait fait croire au roi des Vandales qu’il venait dans les Gaules contre les Visigoths, mais que ce n’était qu’un prétexte pour tromper l’empereur, que son véritable dessein était de partager l’empire entre les Huns et les Visigoths, et qu’il se jetterait sur l’Italie, si Théodoric voulait attaquer les Gaules[3]. Valentinien et Théodoric découvrirent aisément ce piége, et repoussèrent de concert ce conquérant artificieux. Homo subtilis, antequàm bella gereret, arte pugnabat, cæterà epistolas blandimentis oppleverat, studens fidem adhibere mendacio[4].

(C) La superstition était l’une de ses ruses. ] Il avait trouvé le moyen de remplir les esprits de ses soldats d’une créance superstitieuse, qu’il avait dans lui quelque chose de divin, à quoi son bonheur était attaché ; car, soit qu’il le crût, ou plutôt qu’il feignît d’en être persuadé, il leur fit accroire qu’il avait trouvé le coutelas de Mars, qu’on adorait parmi ces peuples, et que les destinées promettaient l’empire de tout le monde à celui qui aurait cette épée fatale[5]. » C’est un des plus puissans stratagèmes dont un général d’armée se puisse servir, que de manier et de remuer ses soldats par les ressorts d’une mystérieuse superstition, qui les remplisse de confiance ou de crainte, selon les besoins : de confiance quand il faut se battre, de crainte quand l’envie de se mutiner commence à naître. Il est bon qu’un soldat se persuade que son général a un esprit familier qui le tire de tout mauvais pas[6]. Attila était lui-même superstitieux : Religioni persuasionibusque de diis à suâ gente susceptis, usque ad superstitionem addictus[7] : car un peu avant la bataille de Châlons, « il consulta ses devins, qui lui dirent qu’à la vérité toutes leurs observations ne promettaient rien d’avantageux aux Huns, mais qu’elles leur avaient fait connaître que le chef des ennemis serait tué dans la bataille. Ce fut assez pour décevoir Attila : il s’imagina que la mort d’Aëtius était certaine, et que, pourvu que cet homme ne lui fît plus d’obstacle, la conquête de l’empire lui serait aisée. Il n’appréhenda point de perdre ses soldats, et se persuada qu’il lui en resterait toujours assez, pourvu qu’il vécût après ce grand capitaine[8]. » Il fut trompé, car Aëtius ne fut pas même blessé dans cette bataille.

(D) La nuit de ses noces un saignement de nez l’étouffa. ] On conte qu’après que les prières du pape Léon l’eurent engagé à épargner le reste de l’Italie, il s’en retourna dans la Pannonie, chargé de butin ; et qu’encore qu’il eût un grand nombre de concubines, il ne laissa pas d’en prendre une toute nouvelle, qui était fille du roi des Bactriens. Elle était parfaitement belle, et il en devint si amoureux, qu’il voulut lui faire l’honneur de l’épouser dans les formes, pour lui donner le premier rang parmi ses femmes. Il célébra ses noces avec beaucoup de solennité ; mais il but tant, et puis il s’échauffa avec tant d’excès dans les caresses de sa nouvelle épouse, que s’étant enfin endormi, il lui prit un saignement de nez qui l’étouffa. Ildico puella ei fuit præ cæteris gratissima, Bactrianorum regis filia, mirâ pulchritudine et incomparabili venustate, cujus amore succensus eam primariæ uxoris loco habere constituit. Comparatis pro regis dignitate nuptiis per omnem intemperantiæ licentiam in conjugali convivio sibi indulsit, Baccho ac Venere corpus ità eâ nocte confecit, ut inter dormiendum supino corpore, profluvio sanguinis è naribus continuo suffocatus interierit[9]. Il n’y aurait rien que de vraisemblable dans ce conte, si l’on n’ajoutait pas qu’Attila était alors à l’âge de cent vingt-quatre ans. On a de la peine à croire qu’à cet âge un homme soit en état de faire de grands excès avec le sexe. Un historien frison n’a pas laissé d’alléguer ce fait comme une preuve favorable aux historiens de sa nation, qui donnent une très-longue vie à leurs anciens rois. Il ne l’emprunte point de Bonfinius, mais de Michel Rithius. His adde testimonium Michaelis Rithii, qui libro de regibus Hungariæ primo scribit, Attilam Italicâ prædâ opimisque spoliis onustum in Pannoniam se recepisse, uxoremque superduxisse regis Bactrianorum nomine Milzoth, etsi plures alias haberet in matrimonio, eumque cùm nuptiales epalas apparatissimè celebrâsset, liberiùs solito crapulatum in cubiculum se recepisse, erumpenteque è naribus sanguine in os dormientis extinctum esse, anno ætatis suæ 124, regni sui 44. Si tantam ætatem in hoc libidinoso tauro Seytico credimus, cur non et eamdem Frisiis accidere potuisse censeamus[10] ? Au reste, il y en a qui ont dit qu’Attila ne mourut point de cette façon ; mais que sa nouvelle épouse, qui ne l’aimait pas, le voyant ivre et assoupi comme un autre Holopherne, le tua d’un coup de couteau[11].

(E) Divers auteurs ont écrit sa vie. ] Nicolas Olahus, archevêque de Strigonie, a fait une Vie d’Attila, beaucoup plus ample que celle que Callimachus Experiens avait faite. Il la composa pendant qu’il était conseiller de Marie d’Autriche, reine de Hongrie, gouvernante du Pays-Bas. Vous y voyez la harangue que fit Attila à son armée avant la bataille de Châlons. Toutes sortes de lieux communs entrent dans cette harangue, comme on le peut voir par les notes marginales. Sambucus a inséré cet ouvrage d’Olahus, et celui de Callimachus Experiens, dans son édition de Bonficius. Le sieur Otrokocsi[12], qui a publié un livre sur l’origine des Hongrois, a parlé fort amplement d’Attila, et il s’est principalement servi de la relation de Priscus, qui avait accompagné les ambassadeurs que Théodose envoya à ce roi des Huns, l’an 448. Il tire de cette relation plusieurs remarques, pour faire voir qu’Attila était un fort honnête homme : il n’oublie point les reproches que ce prince fit faire à l’empereur Théodose, sur ce que l’eunuque Chrysaphus avait voulu engager Edecon, député d’Attila à la cour de Théodose, à tuer son maître. Ce député fit semblant de s’y engager, et se fit promettre une grosse somme d’argent, et puis il découvrit le tout à Attila. L’argent fut porté, la trame fut avérée : le roi des Huns s’en plaignit à Théodose en grand homme, et un air qui rend probable ce qu’on dit de sa débonnaireté pour ceux qui se soumettaient, et de la fidélité de sa parole. Supplicibus propè ad mollitiem facilis, et qui in fidem semel receptos, in perniciem usque suam tueretur [13].

(F) On a débité qu’il eut l’ambition d’établir sa langue, et de l’élever sur les ruines de la romaine. ] J’ai lu ce fait dans un ouvrage d’Alcyonius. On y fait dire ces paroles à Jean de Médicis, qui a été le pape Léon X. In bibliothecâ nostrâ asservatur liber incerti auctoris græcè scriptus de rebus à Gotis in Italiâ gestis. In eo memini me legere Attilam regem, post partam victoriam tam studiosum fuisse Goticæ linguæ propagandæ, ut edicto sanxerit ne quis linguâ latinâ loqueretur, magistrosque insuper è suâ provinciâ accivisse, qui Italos goticam linguam edocerent[14]. Vous verrez dans l’article de l’empereur Claude[15] quelques recueils concernant le zèle de plusieurs princes pour la langue de leur pays.

  1. (*) Six cent soixante dix-huit mille écus.
  2. (*) Cent douze mille cinq cents écus.
  1. Maimb., Hist. de l’Arian., tom. III, pag. 4 ; ex Paulo Diacono in Miscellan. lib. XV.
  2. Maimb., Histoire de saint Léon, liv. III, pag. 220 : il cite Suidas,
  3. Cordemoi, Hist. de France, tom. I, pag. 116, ex Jornande. Voyez aussi Maimbourg, Hist. de l’Arianisme, tom. III, pag. 9.
  4. Jornandes, de Rebus Goth.
  5. Maimbourg, Histoire de l’Arianisme, tom. III, pag. 6.
  6. Voyez les remarques (A) et (B) de l’article Aristandre, et l’article Agrippa, remarque (P), num. I, à la fin.
  7. Gallimachus Experiens, in Attilâ.
  8. Cordemoi, pag. 120, ex Jornande.
  9. Bonfinius, Hist. Hungar., decad. I, lib. VII, pag. 75.
  10. Bernard. Furmerius, Annal, Phrisicor., lib. III, cap. IX, pag. 243.
  11. Maimbourg, Histoire de l’Arianisme, tom. III, pag. 35, à l’an 453, ex Cassiodoro.
  12. C’est un ministre protestant fugitif de Hongrie, son pays. Son livre intitulé Origines, Hungaricæ, a été imprime à Franeker, in-8o., l’an 1693.
  13. Callimachus Experiens.
  14. Petrus Alcyonius, in Medico legato posteriore, folio h iij verso.
  15. Remarque (A).

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