Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Audiguier

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AUDIGUIER (N. d’)[* 1], auteur de plusieurs livres (A), qu’on lisait beaucoup au temps de leur nouveauté, et qu’on ne lit plus aujourd’hui, florissait au commencement du règne de Louis XIII. Le sieur Sorel ayant dit que l’auteur de la Polixène [a] eût pu produire un jour de meilleures choses, s’il n’eust point esté aussi malheureux que d’Audiguier, ajoute qu’ils ont tous deux esté assassinés [* 2] par ceux qu’ils tenoient pour leurs amys [b]. « Je crois bien, dit-il ailleurs [c], que d’Audiguier avoit bon esprit ; mais c’estoit plustôt un soldat qu’un homme d’estude, comme il fait paroîstre dans toutes les épistres dédicatoires de ses livres, où il parle quasi toujours de son épée, ou de quelque chose qui en approche : et l’on raconte aussi que, pour monstrer qu’il n’escrivoit que par négligence, il disoit un jour, par une bravade de Gascon [d], qu’il tailloit sa plume avec son épée. Il y en a qui assurent que l’on lui repartoit, que c’estoit donc à cause de cela qu’il escrivoit si mal ; mais il ne faut pas estre si satirique. Il n’y a point de doute que cette façon de se vanter avoit beaucoup de grâce, et qu’elle mérite d’être mise au rang des apophthegmes françois. » D’Audiguier avait un neveu [* 3] qui a passé pour l’auteur de la traduction de la Stratonice, roman italien ; mais on croit que Malleville l’avait faite, et qu’étant un de ses meilleurs amis, il la lui donna [e]. Il y a eu un d’Audiguier [* 4], avocat au parlement de Paris, qui a publié quelques plaidoyers [f]. J’ignore s’il est le même que le neveu, qui était le bon ami de Malleville [* 5], mais je sais qu’il a vécu au XVIIe. siècle [g] ; et je crois que ce neveu est l’auteur que l’on appelait D’Audiguier le jeune, et qui publia, entre autres ouvrages, l’Éromène. Un passage, que je cite ci-dessous, me fait croire que l’on tua notre d’Audiguier l’an 1630 (B).

  1. * Son nom de baptême était Vital. Leclerc le dit né vers 1565. Ayant succédé à son père, magistrat royal, (peut-être à Toulouse), il fut le 26 février 1591 attaqué par onze hommes. Remis de ses blessures, il sortait pour la première fois le 8 avril suivant, lorsqu’il fut attaqué encore par les mêmes hommes qui étaient des ligueurs.
  2. * François de Molière, personnage négligé (on pourrait presque dire oublié) par tous les faiseurs de dictionnaires historiques, est auteur d’un roman intitulé : la Polixène. Il fut assassiné en 1623, (Voyez la Biographie universelle au mot Molière). Audiguier fut assassiné en la maison et en la présence d’une présidente. « On le fit, dit Colletet dans l’Histoire (manuscrite) des poëtes français, jouer au piquet ; on lui mécompta tant de fois son jeu qu’il ne put s’empêcher de dire à celui qui le fourbait : Vous comptez mal ; parole qui fut relevée d’un démenti ; en même temps plusieurs satellites sortis de derrière une tapisserie se jetèrent dessus lui, et quelques efforts qu’il fit de parer leurs coups avec un escabeau qui lui servit quelque temps de bouclier et de plastron, il fallut qu’il cédât à la force, et ce d’autant plus que ses ennemis se saisirent d’abord de son épée qui était sur un lit. Il fut percé de plusieurs coups, et rendit ainsi l’esprit sous l’effort de ces tigres de qui la rage ne se put assouvir que par son dernier soupir, ce qui advint au faubourg Saint-Germain vers l’an 1624. Si bien qu’il mourut âgé d’environ cinquante-cinq ans. » Voyez Examen critique et Complément des dictionnaires historiques les plus répandus (par M. A. A. Barbier), tom. Ier., p. 56.
  3. * Ce neveu s’appelait Pierre. M. Barbier, dans son Examen critique, etc., donne des détails curieux sur les traductions diverses des Aventures de Lazarille de Tormes. Audiguier neveu passe pour auteur d’une des traductions de cet ouvrage ; il l’est seulement d’une partie.
  4. * Il s’appelait Henri, sieur du Mazet, et était, dit Leclerc, avocat général de la reine mère, dès 1652.
  5. * Malleville (Claude) était l’ami d’Audiguier neveu. Pellisson prétend même que la traduction de Stratonice est de Malleville. C’est à l’ami de Malleville que l’on doit l’Éromène.
  1. C’est le titre d’un roman dont l’auteur s’appelait Molière.
  2. Sorel, Berger extravagant, remarques sur le XIIIe. livre, pag. 493, édition de Rouen, chez Osmont, en 1646, in-8°, deux volumes.
  3. Là même, pag. 486.
  4. Voyez le Socrate chrétien de Balzac, discours X, pag. 263.
  5. Pellisson, Histoire de l’Académie française, pag. 292.
  6. Marolles, Mémoires, pag. 41.
  7. Marolles, Dénombrement des auteurs, pag. 407.

(A) Il est auteur de plusieurs livres. ] Il publia à Paris, chez Pierre Billaine, en 1617, le Vrai et ancien Usage des Duels. C’est un livre de 532 pages in-8°., qui n’est pas indigne des bibliothéques. Il publia aussi quelques vers français : les Amours de Lysandre et de Calliste, celles d’Aristandre et de Cléonice, la Flavie, la Minerve [* 1], etc. Ce sont des romans, qui eurent beaucoup de cours[1]. Il traduisit en français les Nouvelles de Miguel de Cervantes [* 2]. Voici le jugement que Sorel a fait de cet auteur, dans un ouvrage qui a suivi de bien loin son Berger extravagant. « Je ne pense pas, dit-il[2], qu’on doive mépriser absolument le sieur d’Audiguier, auteur des Aventures de Lysandre et de Calliste. Quoiqu’il n’eût pas beaucoup d’étude, il écrivait en ce temps-là d’un style assez vigoureux et assez net, comme on voit dans plusieurs romans qu’il a composés, dans ses lettres, et dans quelques traductions. Au commencement, ayant fait un livre appelé la Philosophie soldade, il avait encore un peu de gasconisme ; mais il s’instruisit dans ses traductions des Nouvelles de Cervantes, et du livre de la Perfection chrétienne fait par Rodriguez [* 3] : de sorte qu’il pouvait passer pour un de nos bons traducteurs. Son dernier ouvrage, qui est les Amours d’Aristandre et de Cléonice, n’était pas des pires de son temps. »

(B) Un passage..... me fait croire que l’on tua notre d’Audiguier l’an 1630. ] Ce passage est pris d’une lettre de Balzac, datée du 20 d’août 1630 [* 4] D’Audiguier n’y est pas nommé, et l’on a mis des étoiles à la place de la personne que Balzac avait nommée ; mais je ne doute nullement que ce ne fût l’écrivain dont je donne ici l’article. Je crois que son caractère n’est pas mal représenté dans les paroles suivantes[3]. « Encore vaut-il mieux se réjouir innocemment à l’hôtel de Venise, que de se faire tuer aux Marais du Temple comme le pauvre ***, Je le plains certes en qualité de mort et de malheureux, et suis fâché qu’il n’ait eu loisir de songer au salut de son âme, et de demander pardon à Dieu. Mais de m’imaginer qu’une grande lumière de la France soit éteinte, et que nous ayons perdu un grand personnage, je le connaissais trop pour en avoir une si haute opinion. Il était véritablement homme de cœur, et avait certaines fougues d’esprit qui n’étaient pas mal plaisantes, pourvu qu’elles ne fussent pas imprimées. Mais il n’y avait point moyen de le souffrir parmi les auteurs modernes, et dans le recueil des vers de ce temps. Néanmoins il comptait pour rien son courage et toutes ses vertus militaires, et ne se piquait que de bien dire et de bien écrire. Il était d’ailleurs si persuadé de son mérite en ce genre-là, que pour l’avoir un jour voulu guérir de cette fâcheuse maladie, il ne m’a jamais bien aimé depuis, et il est mort, je m’assure, avec ce mal de cœur contre moi. »

  1. * Le Lysandre est de 1616, dit Leclerc, (M. Barbier, Examen et Critique des Dictionnaires, etc., dit. 1607), réimprimé en 1620 ; l’Aristandre de 1625 ; la Minerve de 1625.
  2. * Les Nouvelles de Cervantes ont été imprimées en 1613, dit Leclerc : M. Barbier dit 1618.
  3. * Imprimé en 1623, dit Leclerc.
  4. * Leclerc croit que d’Audiguier fut tué en 1626 ; Colletet, dans le passage rapporté en la note ci-dessus, a dit vers 1624.
  1. Notez que Sorel a critiqué les deux premiers, dans ses remarques sur le Berger extravagant, principalement dans le XIIIe. livre de ces remarques.
  2. Sorel, Bibl. franç., pag. 261.
  3. Balzac, Lettres, liv. VIII, lettre XLII, p. 387, 388, du tom. Ier. des Œuvres de Balzac, édition de Paris, chez Joly, en 1665, en deux volumes in-folio.

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