Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aventin

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AVENTIN (Jean), célèbre par ses Annales de Bavière, a fleuri au XVIe. siècle (A). Il était de basse naissance, fils d’un cabaretier d’Abensperg dans la Bavière (B). Il étudia premièrement à Ingolstad, et puis dans l’université de Paris, sous Jacques le Fèvre d’Étaples, et sous Josse Clictou. Étant retourné en Allemagne, l’an 1503, il s’arrêta quelque temps à Vienne, où il enseigna en chambre l’éloquence et la poésie. Il s’en alla en Pologne l’an 1507, et enseigna publiquement la grammaire grecque dans Cracovie. Il revint en Allemagne, et passa quelque temps à Ratisbonne, d’où il se transporta à Ingolstad l’an 1509, et y expliqua quelques livres de Cicéron. Comme il passait pour fort habile homme, on le fit venir à Munich l’an 1512, afin d’être précepteur du prince Louis et du prince Ernest [a]. Il voyagea avec le dernier de ces deux princes [b]. Après cela, il entreprit de composer les Annales de Bavière (C), et y fut encouragé par les espérances que les ducs de ce nom lui donnèrent de fournir aux frais. Il n’oublia rien pour répondre là-dessus à l’attente de ses maîtres : il consulta le mieux qu’il put les archives d’Allemagne, et il s’appliqua tout entier à cet ouvrage. Il n’a point perdu sa peine, car il s’est acquis par-là beaucoup de réputation. Il reçut en 1529 un affront qui lui causa un chagrin dont il fut rongé tout le reste de sa vie. On le tira par force du logis de sa sœur à Abensperg, et on le mit en prison. Personne n’a jamais su au vrai le sujet d’une telle violence, que l’on aurait poussée plus loin, si le duc de Bavière n’eût pris ce savant personnage sous sa protection. La mélancolie indomptable qui accompagnait Aventin depuis ce temps-là, bien loin de lui faire prendre la résolution de continuer à vivre dans le célibat, comme il y avait vécu jusqu’à l’âge de soixante-quatre ans, le poussa peut-être à songer au mariage. Cette nouvelle passion ne fut pas si forte qu’elle ne lui laissât la liberté de consulter la Sainte Écriture et ses amis sur ce qu’il avait à faire. Il ne trouvait que des conseils remplis de beaucoup d’incertitude (D) ; c’est pourquoi il fallut qu’il donnât lui-même la résolution de ce problème, et il conclut pour le mariage (E). Il ne fut plus question que de chercher un parti, et il eut l’imprudence de s’en rapporter à une vieille rusée qui le trompa vilainement (F) ; car elle lui amena une femme du pays de Suabe, qui avait trois grandes imperfections, une femme, dis-je, pauvre, laide, et chagrine, qui lui donna lieu de faire bien des expériences (G). Il loua une maison à Ratisbonne depuis ses noces, et puis il fut attiré à Ingolstad en 1533 pour y être précepteur du fils d’un conseiller du duc de Bavière [c]. Il y voulut transporter sa femme ; et pour cet effet, il fit un voyage à Ratisbonne, pendant les fêtes de Noël ; mais il y arriva atteint de la maladie dont il mourut le 9 de janvier 1534, âgé de soixante-huit ans. Il ne laissa qu’une fille, qui n’avait guère que deux mois [d]. Il fut enterré dans l’église de Saint-Hémeran, à Ratisbonne, où son épitaphe lui donne l’éloge de bon catholique [e]. Cependant, par les recherches que les jésuites ont faites, il s’est trouvé qu’il était un bon luthérien caché (H). C’est par-là que ceux de l’église romaine tâchent d’affaiblir le poids de son témoignage contre la conduite des papes, et contre la mauvaise vie des prêtres ; car les protestans ont mille fois allégué les annales d’Aventin, pour montrer les désordres de l’Église. La plupart des autres écrits de cet auteur n’ont pas été imprimés (I). M. Moréri a mal réussi dans cet article (K).

  1. Ils étaient fils d’Albert-le-Sage, duc de Bavière.
  2. Voyez l’Histoire de Bavière du sieur le Blanc, tom. III, pag. 414, 415.
  3. Leonardus ab Eck.
  4. Il avait eu un fils qui était mort.
  5. Tiré de sa Vie, composée par Jérôme Ziéglérus. Elle est à la tête de ses Annales.

(A) Il a fleuri au XVIe. siècle. ] Il naquit l’an 1466, et mourut l’an 1534 : d’où Vossius infère avec beaucoup de raison, que Génebrard s’est trompé, en faisant fleurir cet historien l’an 1366[1]. Le père Gaultier a suivi la faute de Génebrard. Dans l’Épitomé de la Bibliothéque de Gesner, on met faussement la mort d’Aventin à l’an 1529.

(B) Il était fils d’un cabaretier d’Abensperg, dans la Bavière. ] Jérôme Ziéglérus dit que cet homme se nommait Jean Thurmair, et que de là vint que Léonard d’Eckh donna dans une épigramme le nom de Thurniomarus [2] à Jean Aventin[3]. Il ajoute que l’annaliste de Bavière se nomma Aventinus, à cause que l’ancien nom d’Abensperg est Aventinium. L’Empereur Antonin, continue-t-il, la nomme Abusina dans son Itinéraire. M. Bullart n’a pas bien entendu ceci. La ville d’Abensperg, dit-il[4], est assez célèbre en l’histoire romaine, principalement par l’empereur Antonin, qui, dans son Itinéraire, la nomme Aventinium. Cet auteur serait bien embarrassé, si l’on exigeait de lui qu’il prouvât que cette ville est assez célèbre dans l’histoire romaine. Le docte Lambecius ne croyait pas qu’on trouvât qu’elle eût porté d’autre nom que celui d’Abusina, qui lui est donné dans l’Itinéraire d’Antonin ; et c’est pour cela qu’il blâme l’auteur des Annales de ne s’être pas nommé Abusinensis Patria ejus fuit Abusina, undè falsò, cùm se nominare debuisset Abusinensem, cognomine usus est Aventini[5]. Mais ce nom eût-il eu les agrémens de celui d’une des montagnes de Rome ?

(C) Il entreprit de composer les Annales de Bavière. ] Il eut pension pour cela. Il y mit la première main peu avant la mort de l’empereur Maximilien. L’ouvrage comprend sept livres, et s’étend jusqu’à l’année 1533 [* 1], Vossius remarque toutes ces choses. Annales Bojorum libris vii reliquit... Terminatur ejus historia anno ciↄ iↄ xxxiii. Extremis Maximiliani temporibus jam cœperat historiam suam scribere auspiciis et liberalitate fruens Guilielmi et Ludovici Bavariæ Ducum, qui patri suo Alberto successerant anno 1508[6]. Ces Annales ne virent le jour qu’en l’année 1554 [* 2]. Ce fut Jérôme Ziéglérus, professeur en poésie dans l’université d’Ingolstad, qui les publia ; mais, comme il l’avoue lui-même dans la préface, il en ôta les invectives qui regardaient les gens d’église, et plusieurs contes qui ne faisaient rien à l’histoire de Bavière. Multa sine dubio emendâsset (Aventinus), pleraque forsitan mutâsset etiam, si per fata licuisset...... Invectivas quasdam contra ecclesiasticas personas, item fabulosas narrationes nihil quidquam ad historiam facientes, non fraude sed judicio omisimus[7]. La précaution de Ziéglérus, et la bonne foi avec laquelle il confessa les mutilations, n’étaient point deux choses qui fussent nées l’une pour l’autre ; car cet aveu excita la curiosité des protestans, et les obligea à tâcher de déterrer ce qui avait été supprimé : et ils cherchèrent si bien un manuscrit de ces Annales non tronqué, qu’ils le trouvèrent. Il fut publié à Bâle, l’an 1580, pas les soins de Nicolas Cisnerus. Le titre de cette édition porte Joannis Aventini Annalium Bojorum libri vii, ex authenticis manuscriptis codicibus recogniti, restituti, aucti diligentiâ Nicolai Cisneri. Coeffeteau n’a pu s’empêcher de faire éclater son chagrin contre l’édition de Cisnerus. Voici comme il parle : Aventin n’est point auteur digne de foi en ces matières ecclésiastiques, n’ayant eu autre but en ses Annales, que de déshonorer le clergé ; et surtout il est récusable en l’histoire de Grégoire VII... L’incontinence de sa plume en ces matières avait été cause que Ziéglérus en sa première impression en avait retranché beaucoup de narrations mensongères, et beaucoup d’invectives contre des ecclésiastiques ; mais les protestans, qui détournent leurs oreilles de la vérité pour s’adonner aux fables, n’ont pu supporter cette correction, et nous ont publié ses Annales avec toutes ses ordures[8].

(D) Il ne trouva, sur son mariage, que des conseils remplis de beaucoup d’incertitude. ] Voici ce que M. Bullart récite à l’égard des réponses que les livres firent : « Socrate le laissait en peine, par ce discours qu’il a autrefois tenu à un jeune homme qui était dans la même irrésolution : Mariez-vous, ou ne vous mariez pas, vous ne pouvez manquer à vous repentir de l’un et de l’autre. Il n’eût pas eu besoin d’autre conseil s’il eût cru celui de Diogène, qui disait aux jeunes gens qu’il n’était pas encore temps qu’ils se mariassent, et aux vieillards, que le temps était passé. Euripide flattait son désir, en disant que la femme est une douce consolation au mari dans ses maladies et dans ses adversités ; mais il l’affligeait par plusieurs autres sentences qu’il prononce ailleurs contre ce sexe[9]. » C’est un pur roman, et une occasion mendiée de débiter un lieu commun ; car la Vie d’Aventin marque expressément qu’il n’examina, avec deux de ses amis, que des passages de l’Écriture. Sæpiùs multos locos ex sacris litteris suadentes et dissuadentes matrimonium protulit.

(E) Il conclut pour le mariage. ] Continuons d’entendre parler le même M. Bullart. « Aventin, lassé de chercher des avis permi les morts et les vivans, et espérant de rencontrer une femme selon ses souhaits, s’écria tout à coup : Je suis vieil, j’ai besoin d’une compagnie qui m’assiste et me serve dans la caducité de mon âge. » Voici ce que dit Ziéglérus : Senectutem suam omninò considerans, tandem prorumpens in hæc verba dixit : « Senex sum, mihi ministrari opus est. » Sa conclusion fut selon les règles de la logique. Conclusio sequitur debiliorem partem. D’un côté, ses livres et ses amis lui conseillaient de délibérer toute sa vie ; et, de l’autre, son infirmité lui conseillait de se marier. Par sa conclusion, il se mit du côté le plus infirme. Mais n’eut-il pas deux enfans en peu d’années, et cela, quoique la laideur et les criailleries de sa diablesse de femme ne fussent pas fort propres à l’échauffer ? Il avait donc tort de dire qu’il lui fallait une femme à cause de la caducité de sa vieillesse, il lui en fallait aussi une à cause des restes de jeunesse qu’il sentait encore.

(F) On le trompa vilainement. ] Son historien lui fait ici beaucoup de tort ; car voici comme il s’exprime : Duxit Suevam, morosam mulierem, illepidam, et omninò pauperem, deceptus ab anu quâdam, quæ ei illam ut famulam saltem adduxerat. La vieille ne lui amena point cette fille de Suabe sur le pied d’une femme qu’il dût épouser, mais comme une simple servante. En quoi donc est-ce qu’elle le trompa ? Il fallait que Zieglérus prît la peine de nous l’apprendre ; car en prenant droit sur ses expressions, on peut facilement disculper la vieille, et faire tomber toute la faute sur le bon vieillard. On croira qu’ayant résolu de se marier, et n’ayant perdu que trop de temps à s’y résoudre vu son âge, il prit la première fille qui lui tomba sous la main, et ce fut sa propre servante : et ainsi le voilà un sujet propre à grossir la liste des Colletets et de tant d’autres qui se sont mariés avec leurs servantes[10].

(G) Sa femme lui donna lieu de faire bien des expériences. ] « Ayant franchi le pas, et décidé toutes ses délibérations par son mariage, il n’eut plus rien à faire qu’à méditer sur le changement de sa vie, et à considérer s’il est moins fâcheux de nourrir une femme pauvre, que de souffrir de l’orgueil d’une riche ; de posséder celle que personne ne veut que d’en garder une belle. Comme la sienne était pour le moins aussi mauvaise que la Xantippe de Socrate, l’exemple de ce grand philosophe pouvait encore lui servir de consolation[11]. » Sans mentir, ce docte Allemand fut bien malheureux : il croyait entrer dans un bon port, et se mettre à couvert de mille incommodités, et il s’exposa à une tempête continuelle. Encore si sa femme eût été jolie et riche ; mais elle n’avait eu pour dot que sa laideur et son humeur querelleuse. Aventinus vir doctus, magni judicii integritatisque, sed fortunâ admodùm tenui, quam corrupit ulteriùs ductâ uxore rixosâ et malorum morum, ut cum duobus malis paupertate et uxore malâ ipsi fuerit conflictandum [12].

Nous lui ferions injustice peut-être, si nous supposions qu’il n’épousa point cette femme sans avoir profondément raisonné sur les inconvéniens. Elle ne pouvait pas le tromper sur l’article de la laideur, il avait des yeux. On ne la lui avait amenée que comme servante ; il n’avait donc point espéré qu’elle serait riche. Voilà donc deux défauts qu’il lui connaissait très-clairement, l’un qu’elle était laide, l’autre qu’elle était pauvre. Mais cette connaissance ne peut pas nous faire conclure qu’il agit imprudemment ; car elle pouvait lui promettre l’exemption de mille incommodités insupportables. Comme il avait beaucoup de lecture, il savait les axiomes des anciens sur la discorde de la beauté et de la pudicité[13], et sur l’orgueil qui accompagne les belles filles[14], et qui s’empare d’une épouse richement dotée[15]. On apprend ces axiomes au collége, et l’on trouve tous les jours mille occasions de les appliquer : de là vient qu’ils demeurent fortement imprimés dans la mémoire, et cela augmente la peur d’en éprouver la vérité, si l’on s’expose à courir cette fortune. Nous pouvons donc croire, avec beaucoup de vraisemblance, qu’Aventin considéra qu’en épousant une femme jeune et jolie, il exposerait son front à une disgrâce honteuse et tout-à-fait mal plaisante. Il savait sans doute que la beauté ne donne point l’exclusion à un désir très-sincère de se comporter chastement ; mais d’ailleurs, il s’imaginait qu’elle rend très-difficile l’exécution de ce désir. La cajolerie, presque inévitable dans ce cas-là, est d’une force merveilleuse pour vaincre les bonnes résolutions. Quand il considérait son âge, il ne pouvait que s’alarmer de plus en plus : sa soixante-quatrième année était un nouvel épouvantail, et il disait peut-être en lui-même : Si l’on fait ces choses au bois vert, que sera-ce du bois sec ? Un jeune mari n’est pas à couvert de cette infortune, comment l’éviterai-je, moi qui suis bien vieux ? Les maux réels, dans la condition d’un vieux mari qui a une jeune et belle femme, quelque vraisemblablement qu’ils se fassent craindre, sont pourtant moins difficiles à éviter que les maux imaginaires. Je veux dire qu’un tel mari a plus de sujet de craindre les chagrins de sa jalousie, que l’infidélité de sa femme. Il arrive plus souvent qu’on lui est fidèle sans qu’il en soit bien persuadé, qu’il n’arrive qu’on lui soit infidèle sans qu’il en ressente des inquiétudes. Il y a donc quelque apparence qu’Aventin se défia encore plus de soi-même que d’une épouse jolie, et qu’il raisonna comme ceci : Je veux qu’elle soit chaste effectivement ; mais suis-je bien assuré que je n’aurai pas la faiblesse d’entrer dans des défiances, en m’apercevant qu’elle plaît à mes voisins et à mes amis, et qu’ils tâchent de lui plaire[16] ? Que ma jalousie soit aussi mal fondée que l’on voudra, elle n’en sera pas un bourreau moins farouche et moins barbare. Le plus sûr est de ne s’y pas exposer, et de prendre à femme cette servante dont la laideur me tirera d’inquiétude ; car, casta est quam nemo rogavit : trouverait-elle des corrupteurs, quand même elle formerait de mauvais desseins ? et comme d’autre côté elle est pauvre, je n’aurai pas lieu de craindre qu’elle soit impérieuse : ce sera un esprit soumis, qui n’osera point parler haut et me contredire. Ne sais-je pas ce qu’ont dit les anciens poëtes [17] ? Si nous supposons qu’il prit la chose par ces endroits-là, nous le trouverons plus malheureux qu’imprudent ; car enfin, les raisons qui l’auraient déterminé à son choix sont spécieuses et éblouissantes : mais il faut aussi supposer que le troisième défaut ne lui était pas connu, et que sa servante avait eu l’adresse de cacher son humeur chagrine, grondeuse, bourrue, acariâtre. Elle n’eut garde de la découvrir : elle connut bientôt que son maître était résolu à sortir du célibat à quelque prix que ce fût, et sans doute il ne tarda pas long-temps à faire reluire quelques rayons qui la portèrent à croire qu’il ne chercherait pas hors de son logis la femme qu’il voulait prendre. Comme il ne faut point juger des choses par l’événement, gardons-nous bien de le blâmer d’imprudence sous prétexte que son mariage fut malheureux. Les plus sages y sont attrapés. Caton fut trompé par ses propres raisonnemens dans une semblable matière [18]. En un mot, pour dire qu’Aventin fut imprudent, il faudrait savoir deux choses : l’une, qu’il ne mit pas en balance les raisons qu’on a vues ci-dessus, et les raisons du parti contraire ; l’autre, que s’il eût épousé une femme jeune, riche et jolie, il n’eût pas eu autant de chagrins qu’il en sentit ayant épousé sa servante. Voilà deux sources de jugemens téméraires : on condamne les gens sans savoir ni les motifs secrets, bien pesés, bien examinés, qui les déterminent, ni ce qui leur serait arrivé s’ils eussent choisi d’une autre façon.

(H) Les jésuites ont découvert qu’il était un bon luthérien caché. ] Je dis caché ; car puisqu’il fut enterré dans une église catholique, avec les cérémonies ordinaires, et qu’on mit à son épitaphe Veræ religionis amator, il faut croire qu’il ne se déclara point publiquement pour les protestans, non pas même à l’article de la mort, dans ce moment décisif où il n’est plus question de dissimuler. Il est même vrai que le style de son histoire est tout catholique romain, si l’on excepte les endroits où il parle si librement contre la tyrannie des papes, et contre les mauvaises mœurs du clergé [19]. Il ne faut donc pas trouver étrange que M. du Plessis l’objecte à ceux de l’église romaine, comme un témoin qui a été de leur religion. M. du Plessis ne savait pas les anecdotes que le père Gretser avait publiées. Voici un passage de ce jésuite : Addit Plessœus invectivæ Aventinianæ hanc clausulam : hæc quidem licet professione romanus, plura fortè, si licuisset, dicturus. Professione romanus, hoc est catholicus non fuit Aventinus, sed hæreticus ; cujus criminis ut alia probamenta deessent, id tamen satis superque liqueret ex epistolâ Melanchthonis ad Aventinum quam ex ipso autographo recitavi lib. 2, contra Calvinianum Replicatorem cap. 19[20]. Coeffeteau n’a point su cette particularité ; néanmoins il a soutenu hautement qu’Aventin était hérétique : Quant à ce, dit-il[21], que du Plessis fait Aventin de profession romaine, nous ne l’accorderons jamais. Son langage le découvre, et on voit par toutes ses Annales comme la passion le transporte contre le saint siége. C’est pourquoi, pour le trancher court, tout ce qu’on nous objecte de lui ne vaut pas une feuille de chêne de réponse que l’imposteur Benno, sur les mémoires duquel il a écrit la Vie de ce pontife[22]. Aventin a été traité d’auteur luthérien dans l’Indice des livres défendus : Fromond, néanmoins, ne le croit pas hérétique, mais seulement semblable à Érasme, en fait de parler trop librement contre les défauts des moines : Liberrimæ enim linguæ (hæreticæ dicere non ausim, neque puto) et planè Erasmicæ in monachorum et ecclesiasticorum vitia fuit Aventinus [23]. Plus etiam nimio favens schismaticis, et parùm integrâ fide res rom. pontificum prodidisse perhibetur, ideòque meruit in classe auctorum cautè legendorum ab Indice expurgatorio recenseri. Les plus vastes mémoires ne savent pas tout ce qui est assez commun. J’en vais donner un exemple. Conringius avait oublié que ceux qui publièrent à Ingolstad les Annales d’Aventin en retranchèrent ce qui ne leur paraissait pas d’un bon catholique[24]. Libri ejus, dit-il[25], post mortem demùm ab ipsis pontificiis Engolstadii sunt editi, ut hinc appareat primos saltem editores non improbâsse quæ ibi reperiantur. Il avoue qu’Aventin entretenait commerce de lettres avec plusieurs protestans, et nommément avec Mélanchthon, et qu’il penchait de leur côté, ce qui n’empêcha pas qu’il ne mourût dans la communion romaine. Vixit superiori seculo quandò maxima illa sacrorum mutatio fieret, et multa pontificiæ religionis dogmata improbavit. Per litteras familiaritatem coluit cum protestantium nonnullis, et cum Philippo quoque Melanchthone : reperire tamen non potui reliquisse eum penitùs ecclesiam romanam utut in protestantes videatur propensior ; vixit enim et mortuus est in illâ ecclesiâ, sepultusque Reginoburgi in monasterio sancti Emerami ceremoniis pontificiæ ecclesiæ usitatis [26]. Je remarque qu’on peut comparer fort justement le sort d’Aventin avec celui de Fra-Paolo.

(I) La plupart des autres écrits de cet auteur n’ont pas été imprimés [* 3]. ] Vossius remarque qu’Aventin apprend à ses lecteurs, dans la page 236 de ses Annales (c’est la 344 dans l’édition de 1580), qu’il avait publié l’Histoire d’Oetingen, ville de Suabe, publicatæ à se Historiæ Utinensium meminit[27]. Gesner n’a point fait mention de cette histoire, il n’a parlé que d’une Grammaire publiée par Aventin, l’an 1519, et d’un livre touchant la manière de compter sur ses doigts, publié à Ratisbonne, l’an 1532, auquel l’auteur avait joint le sommaire d’un grand ouvrage, qui ne demandait que le secours d’un Mécène pour sortir de dessous la presse. Voici le titre du livre, imprimé en 1532 : Numerandi per digitos manusque (quinetiam loquendi) veterum consuetudinis Abacus, sive Explicatio ex Bedâ cum picturis et imaginibus, unà cum capitibus rerum quibus illustrabitur Germania ab Aventino, modo contingat benignus Mecænas. Gesner rapporte le précis de ce grand ouvrage d’Aventin. On connaît par-là que cet auteur avait formé un plan très-beau et très-vaste pour illustrer les antiquités d’Allemagne. La seule vue générale des matières qu’il embrassait est capable d’étonner. Voyez la lettre qu’il écrivit à Vadianus, l’an 1530 [28]. Il devait publier bientôt une Chronique semblable à celle d’Eusèbe, une Histoire ecclésiastique depuis le commencement du monde jusqu’à son temps, quelques anciens Grammairiens, un Dictionnaire grec et latin, des Notes sur Claudien[29], etc. On ne sait ce que ces ouvrages sont devenus. Pour comprendre qu’il ait pu suffire à tant d’écrits, il faut qu’on sache qu’il commençait à étudier dès la pointe du jour, et que souvent il se remettait à l’étude un peu après souper jusqu’à minuit[30]. Comme il a rompu la glace à ceux qui ont travaillé sur les antiquités de Bavière [31], il ne faut pas s’étonner qu’ils aient trouvé des fautes dans ses Annales[32]. Il en trouverait beaucoup plus dans les leurs, s’ils lui avaient fourni les avances qu’il leur a fournies. Lambecius l’a repris en beaucoup de choses[33].

(K) M. Moréri a mal réussi dans cet article. ] 1°. Que dans la première édition il ait parlé d’Aventin sous la lettre I, c’est une faute pardonnable, mais la rechute lui doit être reprochée. Il ne pouvait pas ignorer que tout le monde se plaignait qu’il eût placé les hommes illustres suivant le nom de baptême. Pourquoi n’a-t-on pas ôté ce sujet de plainte dans les éditions suivantes ? 2°. Aventin est né l’an 1466, et non pas l’an 1460. 3°. Ayant une fois fait cette faute, il ne fallait pas donner soixante-huit ans de vie à Aventin mourant l’année 1534. Il fallait mentir encore une fois, en le faisant vivre septante-quatre ans ; et, pour n’avoir pas ajouté ce second mensonge au premier, on a commis une très-lourde bévue : on a prétendu que depuis l’année 1460, jusqu’à l’année 1534, il n’y a que soixante-huit années. 4°. Il n’est pas vrai que Nicolas Gesner ait donné au public les Annales d’Aventin. Il fallait dire Nicolas Cisner [34]. 5°. Ce serait parler très-improprement que de dire que Nicolas Cisner a publié ces Annales avec des additions ; car, manifestement, cela voudrait dire qu’il y aurait ajouté certaines choses de son fonds et de son crû. Or, c’est ce qu’il n’a point fait. Son travail revient à ceci : il a publié ces Annales sur un manuscrit d’Aventin qui n’avait point été châtré ; de sorte que son édition est plus ample que celle de Ziéglérus, parce qu’elle contient tous les endroits que Ziéglérus avait supprimés. Les paroles de Vossius, qui ont fait broncher Moréri, n’auraient pas trompé un homme attentif ; elles insinuent assez clairement que Cisner ne fit autre chose que restituer à Aventin ce qu’on lui avait ôté : Annales Bojorum libris vii reliquit : quos ex authenticis codd. restituit et auxit Nicolaus Cisnerus[35]. Vossius a un peu tort de n’avoir pas touché quelque chose de l’édition mutilée : s’il en eût parlé, ce que je viens de citer eût été plus clair. 6°. Un prêtre, qui l’est autant que M. Moréri, soutient un étrange personnage, lorsqu’il qualifie considérables les additions de Nicolas Cisner ; car ces additions ne consistent qu’en invectives contre les papes et contre le clergé romain. 7°. Les autres pièces qu’Aventin laissa ne sont point celles dont les sentimens ne semblaient pas bien orthodoxes au cardinal Baronius. C’est contre les Annales de Bavière que ce cardinal s’est fort fâché. 8° : Il ne fallait point citer Baronius, T. IX anni A. C. 772[36] ; car cela signifie que Baronius a consacré pour le moins neuf tomes à la seule année 772.

  1. * Il finit à l’an 1460, dit Leclerc.
  2. * Joly dit que l’auteur en avait publié un Essai en allemand, dès 1522, à Nuremberg.
  3. * Joly dit qu’on trouve un catalogue exact des ouvrages d’Aventin dans la Bibliotheca mediæ et infimæ latinitatis, de Fabricius.
  1. Vossius, de Histor. Latinis, pag. 655.
  2. Il ne semble pas que l’un de ces noms vienne bien de l’autre. Il y a peut-être dans l’un ou dans l’autre quelque faute d’impression.
  3. Zieglerus, in Vitâ Joannis Aventini.
  4. Bullart, Académie des Sciences, tom. I, pag. 147.
  5. Lambec., Comment. Biblioth. Cæsar., lib. II, cap. VI, pag. 471, in not. margin., num. 2, apud Magirum, Éponymol., pag. 91.
  6. Vossius, de Histor. Latinis, pag. 655.
  7. Ziégler, in Præfatione. Cisner, dans sa Préface, montre qu’Aventin, s’il avait vécu, n’aurait point changé ce que Ziéglérus prétend qu’il aurait changé.
  8. Coeffeteau, Réponse au Mystère d’Iniquité du sieur du Plessis, pag. 673.
  9. Bullart, Académie des Sciences, pag. 148.
  10. Voyez le Ménagiana, pag. 252, et la remarque (E) de l’article Briseïs.
  11. Bullart, Académie des Sciences, pag. 248.
  12. Conringins, Dissertat. de Rebusp. apud Magirum, Eponymolog. Critic., pag. 90.
  13. ....Rara est adeò concordia formæ,
    Atque pudicitiæ...............
    Juvenal., Sat. X, vs. 297.
    ....Lis est cum formâ magnâ pudicitiæ.
    Ovidius, Epist. XVI, vs. 288.

  14. Fastus inest pulchris sequiturque superbia formam.
    Ovidius, Fast., lib. I, vs. 419.

  15. Ità istæ solent quæ viros subservire
    Sibi postulant dote fretæ feroces.

    Plaut, in Menæch., act. V, scen. II, vs. 16. Voyez les Electa Plautina de Philippe Pareüs, au mot Conjugium.

  16. Magno periculo custoditur quod multis placet. Publius Syrus.
  17. L’un d’eux a dit Sponsam sine dote non habere loquendi libertatem. Et voici ce qu’a dit Plaute, in Aulular., Act. III, scèn. V, vs. 60.

    Quæ indotata est ea in potestate est viri.
    Dotatæ mactant et malo et damno viros.

  18. Voyez la remarque (L) de l’article (Marc) Porcius.
  19. Voyez Rivet, dans sa Réponse à Coeffeteau pour du Plessis, tom. II, pag. 167.
  20. Gretser, in Examine Mysterii Plessæani, cap. XLV, pag. 354.
  21. Coeffeteau, Réponse au Mystère d’Iniquité, pag. 676.
  22. Savoir Grégoire VII.
  23. Libert., Fromondus, in lib. de Orbe Terræ immobil., pag. 24, 25.
  24. Voyez la remarque (C).
  25. Conringius, apud Magirum, Eponymolog. Critic., pag. 90.
  26. Idem, ibidem.
  27. Vossius, de Hist. latinis, pag. 655.
  28. C’est la XLIXe. de la centurie publiée par Goldast.
  29. Voyez Gesner, Biblioth., folio 386.
  30. Zieglerus, in ejus Vitâ.
  31. Conringius, apud Magirum Eponymolog. critic., pag. 90.
  32. Brunnerus, dans ses Annales de Bavière, le critique souvent. Voyez Zeiller, de Histor., pag. 13.
  33. Lambec., Commentar. Biblioth. Caæsar., lib. II, cap. I, II. Vide Magiri Eponymol., pag. 91.
  34. Dans l’édition de Hollande on a dit Nicolas Gesner.
  35. Vossius, de Hist. Latinis, pag. 655.
  36. Vossius, l’unique auteur que Moréri ait consulté touchant Aventin, le pouvait si bien préserver d’erreur ; car il cite ex T. IX. ad annum 772.

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