Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aurélien

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AURÉLIEN (Lucius Domitius [a]), empereur de Rome au IIIe. siècle, a été l’un des plus grands guerriers de l’antiquité. On ne sait pas bien où il naquit (A), mais on demeure d’accord que son extraction était assez basse, et que sa mère, qui se mêlait de deviner, était prêtresse du Soleil [b]. Il était de belle taille, bel homme, très-robuste, et d’un génie extrêmement vif [c]. Il aimait le travail, le vin, et la bonne chère [d], mais non pas les femmes [e] ; il observait exactement la discipline, et il la faisait observer avec la dernière sévérité (B). On vit en lui une chose très-admirable, c’est qu’il demeura pauvre au milieu d’un très-grand nombre de belles charges qui lui furent conférées (C). Il avait une si forte passion de dégaîner, que les soldats lui donnèrent le surnom d’Épée-à-la-main, pour le distinguer d’un capitaine qui s’appelait comme lui (D). Il faisait un tel carnage dans les combats, qu’il tua quarante-huit Sarmates en un seul jour, et qu’on se servait du nombre de mille pour compter les coups mortels qu’il avait donnés aux ennemis [f]. Cette pensée trouva place dans les chansons et les vaudevilles [g] : il eut en cela le même avantage que le premier roi des Juifs [h], et il le mérita beaucoup mieux : car on ne prétendait pas que Saül eût fait mourir de sa main les mille ennemis dont les chansons lui attribuaient la tuerie ; mais c’était ainsi que la chose était entendue à l’égard d’Aurélien. Il fut adopté par Ulpius Critinus, l’un des plus grands hommes de ce temps-là [i]. L’empereur Valérien, qui ménagea cette affaire [j], le fit lieutenant du même Critinus [k], général des frontières de l’Illyrie et de Thrace [l], et le désigna consul l’an 258. Ces récompenses, et quelques autres, furent accompagnées des agrémens les plus sensibles, vu les éloges et témoignages d’estime qui servirent de préface aux déclarations de l’empereur (E). On ne trouve pas qu’Aurélien fasse figure sous l’empire de Gallien ; mais sous l’empire de Claude, il a les premiers emplois, et il commande les armées avec tant de gloire, qu’après la mort de cet empereur toutes les légions conspirent à le mettre sur le trône [m]. Cela se fit l’an 270. Il vint peu après à Rome ; et dès qu’il y eut affermi son autorité, il marcha vers la Pannonie, où les Goths avaient fait une irruption [n]. Il leur donna bataille, et les obligea de repasser le Danube, et de demander la paix. Après cela, dès qu’il eut appris que les Marcomans, les Juthonges [o], et quelques autres nations, avaient résolu de porter la guerre en Italie, il marcha contre eux, et les vainquit vers le Danube dans un grand combat. Il en tua encore beaucoup, lorsqu’ils voulurent repasser cette rivière, et il empêcha les autres de s’en retourner en leur pays, et les enferma dans les terres des Romains. Le défaut de vivres, et cent autres incommodités qui les obligèrent à lui demander la paix, ne leur inspirèrent pas une soumission qui lui pût être agréable. Leurs députés parlèrent assez fièrement, et il les renvoya avec beaucoup de hauteur ; car comme il s’imaginait qu’il avait coupé la retraite à cette armée, il ne croyait pas qu’elle lui pût échapper. Il se trompa : les ennemis se dégagèrent ; et, ayant pris le devant, ils entrèrent en Italie, et firent de grands ravages autour de Milan. Il ne put les suivre avec assez de promptitude, car son armée était plus pesante que la leur. Ils le battirent par surprise aux environs de Plaisance [p], et s’ils eussent entendu l’art militaire aussi bien que lui, ils eussent été capables de ruiner l’empire après une telle défaite ; mais comme ils n’en surent pas profiter, et qu’ils ne marchèrent point serrés, il les défit en plusieurs rencontres, et les réduisit à rien [q]. Ce fut pendant cette guerre, que l’on consulta dans Rome les livres de la sibylle : il faudra que j’en rapporte quelques circonstances, qui feront connaître la religion d’Aurélien, et l’irréligion de ses flatteurs (F). Il poursuivit apparemment les ennemis jusqu’en Allemagne, et il fut obligé de s’y arrêter quelque temps, pour repousser les Vandales, qui avaient passé le Danube. Il les vainquit, et les obligea à lui demander la paix, et il fut bien aise de la leur donner [r]. Il retourna à Rome plein de colère, à cause des séditions qui s’y étaient élevées, et il les punit avec une extrême cruauté [s]. C’était son vice dominant ; et ce fut à cause de cela, que plusieurs ne voulurent point le mettre entre les bons princes, et qu’au dire de Dioclétien, il était plus propre à commander une armée, qu’à être empereur (G). Il faut néanmoins prendre garde que son naturel sanguinaire ne l’empêcha point de se faire aimer du peuple : sa libéralité, et le soin qu’il prit de maintenir l’abondance et de châtier les malversations, firent oublier sa cruauté (H). Il entreprit l’expédition du Levant, contre Zénobie [t], dès qu’il eut puni les séditieux, et rétabli l’ordre dans Rome [u]. Il termina cette guerre par la prise de cette brave princesse ; il la termina, dis-je, assez promptement, quoiqu’il trouvât en son chemin plusieurs ennemis à combattre, et plusieurs villes à réduire. Nous avons vu ailleurs [v] ce qui l’empêcha de ruiner celle de Tyane. Il s’exposa tellement, lorsqu’il assiégeait Zénobie dans la ville de Palmyre, qu’il fut blessé d’un coup de flèche [w]. Il battit les Perses, qui étaient venus au secours des assiégés, et l’on ne saurait exprimer la réputation qu’il s’acquit par la conquête de tous les états de Zénobie [x]. Comme il s’en revenait en Occident, il apprit que les Palmyréniens s’étaient soulevés. Cette nouvelle le fit retourner en Syrie, et il arriva à Antioche avant qu’on sût qu’il venait [y]. Il châtia Palmyre avec une cruauté énorme, car il y fit tout passer au fil de l’épée [z]. Il était encore à Cares dans la Mésopotamie lorsqu’il apprit le soulèvement des Égyptiens. Il marcha contre eux avec son bonheur et sa diligence ordinaires : il défit leur chef, il le prit, il le fit mourir, et soumit ainsi l’Égypte en très-peu de temps [aa]. L’envie de réunir à l’empire les Gaules, l’Espagne et la Bretagne, qui obéissaient à Tétricus, le fit revenir en Occident. Il gagna une bataille auprès de Châlons-sur-Marne, et ce fut la décision de l’affaire, d’autant plus que Tétricus se livra à lui pendant le combat [ab]. Il revint à Rome, et y triompha de Zénobie et de Tétricus avec une pompe extraordinaire [ac]. Il repassa en Gaule ; et ayant su que les Barbares étaient entrés dans le pays des Vindéliciens [ad], il courut tout aussitôt de ce côté-là, et remédia au mal. Il passa de là dans l’Illyrie ; et ne jugeant pas qu’il pût conserver la Dace, dont Trajan avait fait une province au delà du Danube, et qui avait été perdue sous Gallien, il en retira les troupes et les habitans, et il donna à ceux-ci une partie de la Mésie et de la Dardanie, qu’il convertit en une nouvelle province [ae]. Il avait en Thrace une belle armée, qu’il voulait conduire contre les Perses après l’hiver, lorsqu’il fut tué par l’un de ses généraux [af]. Ce fut au mois de janvier 275. Nous ne connaissons qu’en gros les grandes actions de sa vie ; mais si nous les savions en détail par des descriptions exactes, et telles qu’on les donne aujourd’hui des conquêtes et des batailles, nous le pourrions assez admirer, et nous trouverions bien raisonnable la plainte de Junius Tibérianus (I) car enfin Aurélien était un homme qui transportait la guerre d’Orient en Occident, avec la même facilité qu’on la transporte aujourd’hui d’Alsace en Flandre. On le regretta beaucoup, et l’on érigea en son honneur les monumens les plus magnifiques. On le déifia (K), on lui fit bâtir un temple. Remarquons qu’il n’y eut point de divinité, pour qui il témoignât plus de zèle que pour le Soleil (L). Il ne laissa qu’une fille unique, dont le petit-fils vivait encore au temps de Dioclétien [ag]. C’était un sénateur vénérable par sa vertu, et qui avait été proconsul de Cilicie. Comptons pour un mensonge ce que dit Abulpharage, qu’Aurélien, en faisant la paix avec Sapor, roi de Perse, lui donna sa fille en mariage [ah]. On prétend aussi qu’il lui envoya des médecins grecs, qui enseignèrent aux Perses la médecine d’Hippocrate [ai]. Notez que les médecins étaient des gens qu’il n’employait pas dans ses maladies : il ne se servait guère d’autre remède que de l’abstinence [aj]. Au reste, ce fut un bonheur pour les chrétiens, qu’un prince si sanguinaire ne s’appliquât pas à les détruire. J’avoue qu’on met sous son règne l’une des persécutions de l’Église ; mais il y a des historiens qui n’en font aucune mention, et ceux qui en parlent conviennent qu’elle fut courte [ak]. Ne finissons point, sans observer une distinction que fait Vopiscus, et que peu de gens savent faire (M) : Telle fut la fin d’Aurélien, dit-il [al], prince plus nécessaire que bon. Ce que l’Angeloni raconte de quelques pièces de marbre qui furent trouvées sous le pontificat d’Urbain VIII, lorsqu’on aplanit l’endroit où Aurélien avait fait bâtir un temple sur le mont Quirinal [am], est fort propre à donner une grande idée de la magnificence de cet édifice.

  1. L’empereur Claude, en lui écrivant, ne le nomme que Aurelianus. Vopiscus, in Aurel., cap. XVII.
  2. Vopisc., in Aurelian., cap. XIV.
  3. Ibidem, cap. IV et VI.
  4. Ibidem, cap. IV.
  5. Ibidem, cap. VI.
  6. Vopisc., in Aureliano, cap. VI.
  7. Id. ibid. et cap. VII.
  8. Voyez le Ier. livre de Samuel, chap. XVIII, vs. 7.
  9. Vopisc., in Aurelian., cap. XIV.
  10. Id. ibid., cap. XV.
  11. Ibidem, capite X.
  12. Ibidem, cap. XIII.
  13. Ibidem, cap. XVII.
  14. Zozim, libr. I, pag. 654, 655.
  15. Ils étaient les plus voisins de la Rhétie et de l’Italie.
  16. Vopiscus, in Aureliano, cap. XXI.
  17. Tiré de M. de Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. III, pag. 1030 et suiv. Il cite Dexippe principalement. Voyez aussi ses notes.
  18. Voyez Tillemont, le même.
  19. Voyez la remarque (H).
  20. En 272.
  21. Vopisc., cap. XXII.
  22. Dans la remarque (E) de l’article Apollonius de Tyane.
  23. Vopiscus, in Aureliano, cap. XXVI.
  24. Voyez dans Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. III, pag. 1055, la liste des peuples qui lui envoyèrent des présens. Voyez aussi ci-dessous la citation (61).
  25. Tillemont, Hist. des Emper., tom. III, pag. 1056.
  26. Voyez la remarque (L).
  27. Vopisc., in Aurelian., cap. XXXII.
  28. Voyez Tillemont, Hist. des Emper., tom. III, pag. 1058, 1059.
  29. Voyez-en la description dans Vopiscus, chap. XXXIII, et suivans.
  30. C’est en partie le pays qu’on nomme aujourd’hui Bavière et Suabe.
  31. Qui fut aussi nommée la Dace, ou la Nouvelle-Dace. Voyez les preuves de tout ceci dans Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. III, pag. 1067.
  32. Vopiscus, in Aureliano, cap. XXXV.
  33. Vopisc., in Aur., cap. XLII, pag. 528.
  34. Tillem., Hist. des Empereurs, tom. III, pag. 1182.
  35. Abulpharage, cité par Tillemont, là même.
  36. Vopisc., in Aurelian., cap. L.
  37. Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. III, pag. 1085 et suiv.
  38. Hic finis Aureliano fuit, principi magis necessario quàm bono. Vopisc., in Aurel., cap. XXXVII.
  39. Francesco Angeloni, Historia Augusta, da Giulio Cesare infino à Costantino il Magno. illustrata con la verità delle antiche medaglie, pag. 332.

(A) On ne sait pas bien où il naquit. ] Vopiscus, ayant rapporté trois opinions [1], ajoute qu’il arrive ordinairement que la patrie de ceux qui sont nés dans un chétif lieu est inconnue. Il en donne cette raison, c’est qu’ils mentent sur ce sujet, afin de se rendre recommandables à la postérité par l’éclat du lieu natal. Evenit quidem ut de eorum virorum genitali solo nesciatur, qui humiliori loco nati, plerique solum genitale confingunt, ut dent posteritati de locorum splendore fulgorem [2]. Je crois qu’il y a une autre chose qui contribue encore plus à cela, je veux dire la multitude des lieux qui se veulent faire honneur d’avoir produit les hommes illustres. On se prévaut de l’incertitude du fait, on espère de ne pouvoir pas être solidement réfuté, on avance donc sans preuve et par vanité qu’ils sont nés en tel et tel lieu. De là vinrent les disputes sur la patrie d’Homère [3]. J’accorde à Vopiscus que l’importance est, non pas de savoir d’où sont les grands Princes, mais de savoir comment ils ont gouverné : Nec tamen magnorum principum virtutibus summa sciendi est, ubi quisque sit genitus, sed qualis in republ. fuerit. Néanmoins comme nous sommes naturellement fort curieux de savoir le temps et le lieu de la naissance des grands hommes, je crois qu’un historien est obligé à faire toutes les recherches possibles pour contenter là-dessus tous ses lecteurs, et que l’on a droit de se plaindre de la négligence d’une infinité d’écrivains qui n’ont pas pris cette peine.

(B) Il faisait observer la discipline avec la dernière sévérité. ] Ajoutons à cela qu’il eut le bonheur de voir que cette sévérité ne cabra point les soldats, et qu’elle ne fit que leur donner une crainte qui les empêcha de sortir de leur devoir. Ce fut sans doute un bonheur, car les généraux ont quelquefois autant de sujet de craindre les suites d’une trop grande sévérité, que celles d’une trop grande mollesse. Celui-ci se trouva très-bien de punir rigoureusement et sans rémission. Militibus ità timori fuit, ut sub eo posteaquàm semel cum ingenti severitate castrensia peccata correxit, nemo peccaverit. Solus deniquè omnium militem qui adulterium cum hospitis uxore commiserat, ita punivit, ut duarum arborum capita inflecteret, et ad pedes militis deligaret, eademque subitò dimitteret, ut scissus ille utrinque penderet. Quæ res ingentem timorem omnibus fecit [4]. Vous voyez dans ces paroles latines que, pour punir un soldat qui avait commis adultère avec la femme de son hôte, il se servit du même supplice qui fut employé par Alexandre pour punir le traître Bessus, qui avait ôté la vie au roi Darius. On ne peut rien voir de plus beau que les ordres d’Aurélien touchant ce que les soldats devaient faire et ne pas faire. Saint Jean-Baptiste ne leur eût pas défendu plus de choses, s’il eût voulu descendre dans le détail [5]. Aurélien ne leur voulait pas permettre de toucher à aucun fruit, ni de se faire donner du sel, du bois, ou de l’huile ni de s’écarter des règles de la chasteté. Ne dirait-on pas qu’il avait dessein d’introduire dans les armées la discipline monacale ? Hujus epistola militaris est ad vicarium suum data hujus modi : Si vis tribunus esse, imò si vis vivere, manus militum contine. Nemo pullum alienum rapiat, ovem nemo contingat ; uvam nullus auferat ; segetem nemo deterat ; oleum, sal, lignum, nemo exigat : annonâ suâ contentus sit. De prædâ hostis, non de lacrymis provincialium, habeat ; arma tersa sint, ferramenta samiata... alter alteri quasi servus obsequatur : à medicis gratis curentur ; aruspicibus nihil dent ; in hospitiis castè agant ; qui litem fecerit, vapulet [6]. Il était si rigide, que l’empereur Valérien, qui avait pour lui une estime singulière, n’osa mettre son fils sous sa direction ; car il craignit que ce jeune prince, qui aimait à folâtrer, n’éprouvât trop fortement l’austérité d’un tel maître. C’est pourquoi il lui choisit un gouverneur moins exact. Voici ce qu’il répondit au consul Antonin Gallus, qui n’approuvait pas que cette charge n’eût pas été conférée à Aurélien : Culpas me familiaribus litteris quòd Posthumio filium meum Gallienum magis quàm Aureliano commiserim : quùm utique et severiori et puer credendus fuerit et exercitus : nec tu id diutiùs judicabis, si benè scieris quantæ sit Aurelianus severitatis. Nimius est, multus est, gravis est, et ad nostra jam non facit tempora. Testor autem omnes deos, me etiam timuisse ne quid etiam erga filium meum severiùs, si quid ille fecisset, ut est naturâ pronus ad ludicra, sæviùs cogitaret. Hæc epistola indicat quantæ fuerit severitatis, ut illum Valerianus etiam timuisse se dicat [7]. N’oublions pas la sévérité d’Aurélien à l’égard des domestiques. Il faisait fouetter en sa présence ceux qui s’étaient écartés de leur devoir, et il mit entre les mains de la justice plusieurs de ses propres valets, afin de les faire châtier de leurs fautes. Il fit mourir sa servante, qui avait commis adultère avec son valet. Servos et ministros peccantes coram se cædi jubebat, ut plerique dicunt, causâ tenendæ severitatis ; ut alii, studio crudelitatis. Ancillam suam quæ adulterium cum servo suo fecerat, capite punivit. Mulios servos è familiâ propriâ qui peccaverant, legibus audiendos judiciis publicis dedit [8]. Que Valérien dit avec raison qu’un tel homme était trop sévère pour le siècle où il vivait ! Ad nostra jam non facit tempora [9]. Il n’était propre que pour la secte des montanistes. Les chrétiens des siècles suivans l’auraient trouvé excessif, et combien trouverait-on aujourd’hui de casuistes qui diraient de sa morale ce qu’ils disent de celle des pères, qu’elle était trop forte, et que ce remède trop amer et trop corrosif ne convient pas à nos malades ! Où sont les gens de guerre, où sont même les bourgeois, qui s’avisent de châtier les galanteries de leurs valets et de leurs servantes ? On congédie ceux et celles dont les fautes de cette nature sautent aux yeux : voilà tout le châtiment. Quelquefois même on a la bonté de les marier ensemble. Notez que l’histoire ne fait mention que d’une servante d’Aurélien châtiée pour son impudicité. C’est un signe que de telles fautes furent très-rares dans son domestique : et c’est un sujet d’étonnement, quand on songe à ce qui se passe tous les jours, et qu’on sait qu’un général, qu’un empereur, avait nécessairement plusieurs esclaves de l’un et de l’autre sexe.

(C) Il demeura pauvre au milieu d’un très-grand nombre de charges qui lui furent conférées [10]. ] L’empereur son maître rendit témoignage à cette vertu, quand il chargea le public de la dépense que le consulat qu’il promettait à Aurélien exigerait. Consulatum cum eodem Ulpio Crinito in annum sequentem à die undecimo calend. juniarum, in locum Gallieni et Valeriani, sperare te convenit sumptu publico. Levanda est enim paupertas eorum hominum qui diù reipublicæ viventes pauperes sunt, et nullorum magis [11]. L’historien, qui me fournit ces paroles, produit la lettre que l’empereur écrivit au préfet de Rome, pour lui marquer ce qu’il souhaitait que l’on donnât au nouveau consul. Aureliano cui consulatum detulimus ob paupertatem, quâ ille magnus est cæteris major, dabis ad editionem Circensium aureos antonianos trecentos, etc. [12]. Quelques-uns ont dit que la pauvreté d’Aurélien obligea Valérien à donner ordre qu’Ulpius Crinitus l’adoptât : Mermini me in quodam libro græco legisse..... Mandatum esse Crinito à Valeriano ut Aurelianus adopteretur, idcircò præcipuè quòd pauper esset [13]. Notez qu’étant empereur il ne sortit point des règles de la médiocrité, en faisant du bien à ses amis. Il en usa peut-être de la sorte par l’habitude qu’il s’était faite de renoncer à l’opulence, et par l’opinion qu’il eut que des richesses médiocres suffisaient à un grand homme. Peut-être aussi qu’il ne voulut point irriter le peuple par des profusions excessives ; car les sujets ne se plaisent pas à voir leur prince répandre sans poids ni mesure les trésors et les faveurs sur la tête de ses amis. Vopiscus nous dit que cet empereur voulut tenir un milieu qui ôtât les incommodités de la pauvreté, sans exposer à l’envie. Amicos suos honestè divitavit et modicè, ut miserias paupertatis effugerent, et divitiarum invidiam patrimonii moderatione vitarent [14]. On ajoute qu’il ne permit à personne de porter des habits de soie, qu’il paya d’exemple, et qu’il soumit sa propre femme à cette loi ; car lorsqu’elle lui en demanda pour le moins un, il lui fit réponse : A Dieu ne plaise que le fil coûte autant que l’or : c’est qu’en ce temps-là une livre de soie valait une livre d’or. Vestem holosericam neque ipse in vestiario suo habuit, neque alteri utendam dedit. Et quùm ab eo uxor sua peteret, ut unico pallio blatteo serico uteretur, ille respondit, Absit ut auro fila pensentur ; libra enim auri tunc libra serici fuit [15]. Voyez M. de Tillemont, qui a trouvé peu d’accord entre ce fait-là, et certaines choses rapportées par le même historien ou par d’autres, touchant le luxe de cet empereur [16]. Mais n’oublions pas qu’il n’habilla point ses domestiques avec plus de magnificence depuis son élévation sur le trône qu’auparavant [17] ; et qu’il accorda aux sénateurs d’avoir les mêmes livrées que lui [18].

(D) Les soldats lu donnèrent le surnom d’Épée-à-la-main, pour le distinguer d’un autre capitaine qui s’appelait comme lui. ] Que voilà une distinction capable de flatter l’orgueil d’un brave guerrier ! Rapportons les paroles de Vopiscus : Gladii exerendi cupidus. Nam quùm essent in exercitu duo Aureliani tribuni, hic, et alius qui cum Valeriano captus est, huic signum exercitus apposuerat manus a ferrum, ut si fortè quæreretur quis Aurelianus aliquid vel fecisset vel gessisset, suggereretur, Aurelianus manu ad ferrum, atque cognosceretur [19].

(E) On lui donna des éloges qui servirent de préface aux déclarations de l’empereur. ] Je m’en vais les rapporter, car ils contiennent les services importans qu’Aurélien avait rendus à l’empire : Valerianus Augustus Ceionio Albino, præfecto urbis. Vellemus quidem singulis quibusque devotissinus reipub. viris multo majora deferre compendia quàm eorum dignitas postulat, maximè ubi honorem vita commendat. Debet enim quid præter dignitatem pretium esse meritorum. Sed facit rigor publicus, ut accipere de provinciarum oblationibus ultra ordinis sui gradum nemo plus possit. Aurelianum fortissimum virum ad inspicienda et ordinanda castra omnia destinavimus : cui tantùm à nobis atque ab omni republicâ, communi totius exercitùs confessione, debetur, ut digna illi vix aliqua vel nimis magna sunt munera. Quid enim in illo non clarum ? quid non Corvinis et Scipionibus conferendum ? Ille liberator Illyrici, ille Galliarum restitutor, ille dux magni totius exempli. Et tamen nihil prætereà possum addere tanto viro ad muneris gratiam quam patitur sobria et benè gerenda respub. Quarè sinceritas tua, mi parens charissime, supra dicto viro efficiet, quandiù Romæ fuerit, panes militares mundos sedecim, etc. [20]. Voilà ce que Valérien écrivit au préfet de Rome, et voici ce qu’il écrivit à Aurélien. Ego de te tantùm, Deo favente, spero quantùm de Trajano, si viveret, posset sperare respub. Neque enim minor est [21], in cujus locum fidemque te legi. Consulatum cum eodem Ulpio Crinito in annum sequentem à die undecimo calend. juniarum, in locum Gallieni et Valeriani, sperare te convenit sumptu publico. Voici encore le discours que Valérien lui tint en présence de l’armée et de la cour. Gratias tibi agit, Aureliane, resp. quòd eam Gotthorum potestate liberâsti. Abundamus per te prædâ, abundamus gloriâ, et his omnibus quibus romana felicitas crescit. Cape igitur tibi pro rebus gestis tuis coronas murales quatuor, coronas vallares quinque, coronas navales duas, coronas civicas duas, hastas puras decem, vexilla bicolora quatuor, tunicas ducales russas quatuor, pallia proconsularia duo, togam prætextam, tunicam palmatam, togam pictam, subarmalem profundum, sellam eboratam. Nam te consulem hodiè designo, scripturus ad senatum ut tibi deputet scipionem, deputet etiam fasces. Hæc enim imperator non solet dare, sed à senatu, quandò fit consul, accipere [22].

Le premier de ces trois passages de Vopiscus contient une chose qui mérite quelque attention, et qui ne répond pas trop aux idées que l’on se fait des désordres de l’empire. On se figure que, depuis que les soldats se furent accoutumés à créer et à tuer les empereurs, il n’y avait qu’oppression et que tyrannie dans les provinces romaines. Cela n’était pas toujours vrai : nous voyons ici que Valérien ménage les frais publics à la décharge des provinces avec plus de précaution que l’on n’en observe aujourd’hui dans les royaumes chrétiens.

(F) Voici quelques circonstances qui feront connaître la religion d’Aurélien, et l’irréligion de ses flatteurs. ] La consternation fut grande à Rome, dès que l’on y eut appris que les Marcomans étaient entrés dans l’Italie, et qu’ils y faisaient de grands ravages [23]. Les séditions se mêlèrent à cette consternation : c’est pourquoi Ulpius Syllanus, chef du sénat, proposa de consulter les livres de la Sibylle ; mais il y eut des sénateurs qui s’y opposèrent par la raison que sous un prince aussi brave qu’Aurélien, il n’était pas nécessaire de s’informer de la volonté des dieux. Cette diversité d’opinions faisant différer la consultation des écrits de la Sibylle, il fallut qu’Aurélien s’en mêlât. Il écrivit donc aux sénateurs qu’il s’étonnait qu’ils balançassent sur une affaire de cette nature, tout comme si au lieu d’en délibérer dans le temple de tous les dieux ils en délibéraient dans une église des chrétiens. Miror vos, patres sancti, tamdiù de aperiendis Sibyllinis dubitâsse libris, perindè quasi in christianorum ecclesiâ, non in templo deorum omnium, tractaretis [24]. Il les pressa vivement, il les assura qu’il fournirait toutes les dépenses nécessaires, et qu’il avait expédié là-dessus ses ordres au trésorier de l’épargne ; « car, ajoutait-il, ce n’est pas une chose honteuse de vaincre avec l’assistance divine : c’est ainsi que nos ancêtres ont terminé et commencé plusieurs guerres. » Neque enim indecorum est diis juvantibus vincere : sic apud majores nostros multa finita sunt bella, sic cœpta [25]. Syllanus avait donc eu raison de dire aux flatteurs d’Aurélien que ce grand homme honorait les dieux, et mettait en eux sa confiance, et que jamais leur secours ne faisait honte aux braves gens. Meministis, P. C., me in hoc ordine sæpè dixisse jam tùm quùm primum nuntiatum est Marcomannos erupisse, consulenda Sibyllæ decreta, utendum Apollinis beneficiis, inserviendum deorum immortalium præceptis : recusâsse verò quosdam, et cum ingenti calumniâ recusâsse, quùm adulando dicerent tantam principis esse virtutem ut opus non sit deos consuli, proindè quasi et ipse vir magnus non deos colat, non de diis immortalibus speret, Quid plura ? audivimus litteras quibus rogavit opem deorum, quæ nunquàm cuiquam turpis est ut vir fortissimus adjuvetur [26]. Après la lettre d’Aurélien, il n’y eut plus de délai : le sénat fit consulter les livres de la Sibylle, ce qui amena un grand attirail de dévotion [27]. Notez en passant combien la maxime d’Ajax a paru bonne à certains esprits [28]. Nous avons ici des flatteurs qui s’imaginent qu’il ne faut recourir à l’assistance du ciel, que lorsque l’on se défie de la valeur et de la prudence des princes du monde. Rapportons encore deux preuves qu’Aurélien n’était pas de cet avis : Credo adjuturos rom. remp. deos qui nunquàm nostris conatibus defuerunt [29]. C’est ce qu’il écrivait dans les embarras où il se vit par la longue résistance de Zénobie. Il reconnut dans une autre lettre, que ses victoires étaient un présent des dieux. Undè apparet nullam mihi à diis immortalibus datam sine difficultate victoriam [30]. Il est vrai qu’il ajouta qu’ils les lui avaient toujours accordées avec mille difficultés. C’est le destin de toutes choses : ce n’est pas seulement la vertu qu’il faut acquérir à la sueur de son visage, c’est le propre de tous les autres biens, Sic Diis placitum.

Τῆς δ᾽ ἀρετῆς ἰδρῶτα Θεοὶ προπάροιθεν ἔθηκαν
Ἀθάνατοι, μακρὸς δὲ καὶ ὄρθιος οἶμος,
Καὶ τρηχὺς τὸ πρῶτον [31].

Ante virtutem verò sudorem dii posuerunt
Immortales ; longa verò atque ardua via est ad ipsam,
Primùmque aspera..............

Il n’y a point de dons gratuits en ce sens-là, et l’on doit même avouer que cette disposition céleste porte un caractère de bonté ; car nous sentons plus de joie de l’acquisition d’un bien qui nous a coûté beaucoup de fatigues.

(G) Sa cruauté a empêché plusieurs de le mettre entre les bons princes ; et, au dire de Dioclétien, il était plus propre à commander une armée qu’à être empereur. ] Vopiscus nous apprendra ces particularités. Et Aurelianum quidem, dit-il [32], multi neque inter bonos, neque inter malos principes ponunt, idcircò quòd ei clementia, imperatorum dos prima, defuerit. Verconius Herennianus præfectus prætorio Diocletiani, teste Asclepiodoto, sæpè dicebat, Diocletianum frequenter dixisse, quùm Maximiani asperitatem reprehenderet, Aurelianum magis ducem esse debuisse quàm principem. Nam ejus nimia ferocitas eidem displicebat. Ces paroles de Dioclétien sont d’un connaisseur, car il disait qu’il n’y a rien de plus difficile que de bien régner [33], et il savait parfaitement les raisons de cette difficulté. Vous les trouverez dans Vopiscus [34], auteur qui observe que, dans un grand nombre d’empereurs romains, on ne comptait que peu de bons princes [35] ; et qui loue ce qu’un bouffon avait dit, que tous les bons princes pouvaient être peints sur une bagne. Vides, quæso, quàm pauci sint principes boni, ut benè dictum sit à quodam mimico scurrâ Claudii, hujus temporibus, in uno annulo bonos principes posse perscribi atque depingi [36].

(H) Sa libéralité, et le soin qu’il prit de maintenir l’abondance, etc....., firent oublier sa cruauté. ] La manière dont il punit les séditions qui s’étaient faites à Rome pendant son absence, passa tellement les bornes d’une sévérité légitime et nécessaire, que cela ternit sa réputation, et le rendit très-odieux. Magnum illud, et quod jam fuerat, et quod non frustrà speratum est, infamiæ tristioris ictu contaminavit imperium. Timeri cœpit princeps optimus, non amari, quùm alii dicerent, perfodiendum talem principem, non optandum, alii bonum quidem medicum, sed malâ ratione curantem [37]. Cette haine ne dura point parmi le peuple : les distributions de pain et de chair de porc [38], et d’huile [39], et telles autres douceurs qu’il ressentit sous cette domination, le convertirent. Il était encore tout tel que du temps de Juvénal ; il ne formait des désirs que pour le pain et les spectacles : rien n’était plus gai que ce peuple, pourvu qu’il eût le ventre plein.

.....Jam pridem ex quo suffragia nulli
Vendimus, effugit curas. Nam qui dabat clim
Imperium, fasces, legiones, omnia, nunc se
Continet, atque duas tantùm res anxius optat,
Panem, et circenses [40]...........


C’est par-là que cet empereur se rendit aimable à la multitude. Lisez la lettre qu’il écrivit à un intendant des vivres. Aurelianus Augustus Flavio Arabiano præfecto annonæ. Inter cætera quibus diis faventibus Romanam rempub. juvimus, nihil mihi est magnificentius quàm quod additamento unciæ omne annonarum urbicarum genus juvi : quod ut esset perpetuum, navicularios Niliacos apud Ægyptum novos, et Romæ amnicos posui. Tiberinas extruxi ripas ; vadum alvei tumentis effodi, diis et perennitati vota constitui, almam Cererem consecravi. Nunc tuum est officium, Arabiane jucundissime, elaborare ne meæ dispositiones in irritum veniant. Neque enim populo rom. saturo quicquam potest esse lætius [41]. Il avait dessein d’établir des distributions de vin perpétuelles, et il avait pris des mesures pour cela [42]. On dit que le préfet de son prétoire le détourna de l’exécution, en lui disant que si l’on donnait du vin au peuple il ne resterait plus rien qu’à lui donner aussi des oies et des poulets. Si et vinum populo romano damus, superest ut et pullos et anseres demus [43]. Voilà des largesses bien capables de faire oublier l’effusion du sang de quelques personnes. Qu’Aurélien eût fait mourir le fils ou la fille de sa sœur, ou l’un et l’antre, pour des raisons assez frivoles [44], qu’il eût employé mal à propos la peine de mort [45], cela n’était point capable de lui faire perdre l’affection d’un peuple à qui il donnait les moyens de se nourrir commodément, et qu’il régalait de beaux habits [46]. Outre que sa sévérité faisait cesser plusieurs désordres odieux à la populace. Il exterminait les délateurs, les concussionnaires, les sangsues publiques, et telles autres engeances. Quicquid sane scelerum fuit, quicquid malæ conscientiæ vel artium funestarum, quicquid deniquè factionum, Aurelianus toto penitùs orbe purgavit....... [47]. Item quadruplatores ac delatores ingenti severitate persequutus est ; tabulas publicas ad privatorum securitatem exuri in foro Trajano semel jussit. Amnestia etiam sub eo delictorum publicorum decreta est de exemplo Atheniensium : cujus rei etiam Tullius in Philippicis meminit. Fures provinciales repetundarum ac peculatûs reos ultra militarem modum est persequutus, ut eos ingentibus suppliciis cruciatibusque puniret [48]. Il agrandit l’enceinte de Rome, il redonna à l’empire ses anciennes bornes [49]. Les peuples se laissent flatter doucement par cet éclat de grandeur. Il travailla à la réforme, il borna le nombre des eunuques, parce qu’ils étaient montés à un trop grand prix [50]. Il fit défense d’avoir des concubines qui fussent de condition libre [51]. C’était enfin un agrément au peuple romain de voir que cet empereur se faisait craindre au sénat. Cette compagnie s’en faisait peut-être un peu trop accroire, et, quoi qu’il en soit, je m’imagine qu’on trouvait bon que les sénateurs observassent leur conduite sous un tel maître, comme des écoliers sous la férule d’un pédagogue. Populus autem romanus eum amavit, senatus et timuit [52]. Senatus mortem ejus graviter tulit, graviùs tamen populus romanus, qui vulgò dicebat Aurelianum pædagogum esse senatorum [53].

(I) Si nous savions le détail de ses grandes actions, nous trouverions bien raisonnable la plainte de Junius Tiberianus. ] Quoi ! disait-il, un Thersite, un Sinon, et les autres monstres de l’antiquité nous sont connus, et seront connus de nos descendans, et l’on ne connaîtra pas Aurélien, prince très-illustre, empereur très-sévère, qui a restitué tout le monde au nom romain ? Fasse le ciel que cette folie n’arrive pas ! Là-dessus, il engagea Flavius Vopiscus à travailler à l’histoire de cet empereur, et lui promit tous les mémoires que la bibliothéque de Trajan pourrait fournir. Rapportons les propres paroles de cet historien : Quæsivit a me (Junius Tiberianus) quis vitam Aureliani in litteras retulisset, Cui ego quùm respondissem, neminem à me Latinorum, Græcorum aliquos lectitatos, dolorem gemitûs sui vir sanctus per hæc verba profudit : Ergo Thersitem, Sinonem, cæteraque illa prodigia vetustatis et nos benè scimus, et posteri frequentabunt : divum Aurelianun, clarissimum principem, severissimum imperatorem, per quem totus Romano nomini orbis est restitutus, posteri nescient ? Deus avertat hanc amentiam ! Et tamen, si benè novi, ephemeridas illius viri scriptas habemus, etiam bella charactere historico digesta, quæ velim accipias, et per ordinem scribas, additis quæ ad vitam pertinent. Quæ omnia ex libris linteis, in quibus ipse quotidiana sua scribi præceperat, pro tuâ sedulitate condisces. Curabo autem ut tibi ex Ulpiâ bibliothecâ et libri lintei proferantur. Tu velim Aurelianum ità ut est, quatenùs potes, in litteras mittas [54]. Notez que Vopiscus parle ainsi environ trente ans après la mort d’Aurélien ; notez, dis-je, cela comme une preuve, ou de l’ignorance, ou de la négligence des Latins de ce temps-là. Aucun d’eux n’avait encore rien publié des grandes actions de ce prince, le restaurateur de l’empire, l’Orbis restitutor, comme il est nommé dans une médaille. Il ne s’attendait pas à cette disgrâce lorsqu’il prenait soin de faire écrire de jour en jour la suite de ses exploits [55].

(K) On le regretta beaucoup, on le déifia. ] Ceux-là mêmes qui le firent mourir lui érigèrent un magnifique tombeau, et lui consacrèrent un temple [56] ; car ils découvrirent qu’on les avait engagés par une horrible imposture à conspirer contre lui. Voyons quelle fut cette imposture. Il avait fait des menaces à Mnesthée son secrétaire. Celui-ci se croyant perdu, car il savait bien que les menaces de ce prince étaient suivies de l’effet [57], résolut de le prévenir, et fit accroire à plusieurs personnes qu’Aurélien les voulait faire tuer. Il leur montra une liste où il s’était mis lui-même, et les exhorta à sauver leur vie. C’étaient toutes personnes, ou qui avaient encouru l’indignation d’Aurélien, ou qui avaient lieu de croire, par l’importance de leurs services, qu’ils étaient fort bien dans son esprit, et qui au fond n’avaient rien à craindre [58]. Tous ces gens-là firent un complot contre sa vie, et le mirent en exécution. Mais ayant connu ensuite la fraude du secrétaire, ils furent des plus ardens à honorer Aurélien. Mnesthée fut exposé aux bêtes, et l’on voulut que la mémoire de ce supplice fût conservée sur le tombeau de cet empereur [59]. Les soldats ne voulurent point conférer l’empire à aucun de ceux qui avaient eu part à sa mort, et demandèrent au sénat un nouveau prince, et la déification d’Aurélien [60]. Le sénat ne voulut point se charger du soin de créer un empereur ; mais quant aux honneurs divins que l’armée demandait pour Aurélien, ils furent décernés sans aucun délai. Tacite [61], qui opina le premier dans le sénat, fit un beau discours qu’on sera bien aise de trouver ici, puisqu’il contient un juste abrégé des actions les plus éclatantes d’Aurélien, et quelques pensées assez curieuses. Rectè atque ordine consuluissent dii immortales, P. C., si boni ferro inviolabiles extitissent, ut longiorem ducerent vitam : neque contra eos aliqua esset potestas iis qui neces infadas tristissimâ mente concipiunt. Viveret enim princeps noster Aurelianus, quo neque utilior fuit quisquam. Respirare certè post infelicitatem Valeriani, post Gallieni mala, imperante Claudio cœperat nostra respublica : at eadem reddita fuerat Aureliano toto penitùs orbe vincente. Ille nobis Gallias dedit ; ille Italiam liberavit ; ille Vindelicis jugum barbaricæ servitutis amovit. Illo vivente Illyricum restitutum est, redditæ romanis legibus Thraciæ. Ille (proh pudor !) Orientem fœmineo pressum jugo in nostra jura restituit ; ille Persas insultantes adhuc Valeriani nece, fudit, fugavit, oppressit. Illum Saraceni, Blemyes, Axomitæ, Bactriani, Seres, Hiberi, Albani, Armenii, populi etiam Indorum, veluti præsentem penè venerati sunt deum. Illius donis quæ à Barbaris gentibus meruit, refertum est Capitolium : quindecim millia librarum auri ex ejus liberalitate unum tenet templum, omnia in urbe fana ejus micant donis. Quare, P. C., vel deos ipsos jure convenio, qui talem principem interire passi sunt, nisi fortè secum eum esse maluerunt. Decerno igitur divinos honores : id quod vos omnes existimo esse facturos. Nam de imperatore deligendo ad eundem exercitum censeo esse referendum. Etenim in tali genere sententiæ nisi fiat quod dicitur, et electi periculum erit, et eligentis invidia. Probata est sententia Taciti [62]. Le même Tacite ayant été élu empereur quelques mois après [63], commença son règne par ordonner que l’on érigeât quatre statues à Aurélien, une d’or dans le Capitole, et trois d’argent en d’autres lieux, et que chacun fût pourvu du portrait de ce grand prince. Les trois statues d’argent furent dédiées, mais non pas celle du Capitole. In eâdem oratione Aureliano statuam auream ponendam in Capitolio decrevit : item statuam argenteam in Curiâ, item in templo Solis, item in foro divi Trajani. Sed aurea non est posita : dedicatæ autem sunt solæ argenteæ. In eâdem oratione cavit, ut si quis argento publicè privatimque æs miscuisset, si quis auro argentum, si quis æri plumbum, capital esset cum bonorum proscriptione….… Addidit, ut Aurelianum omnes pictum haberent [64].

(L) Il n’y eut point de divinité pour qui il témoignât plus de zèle que pour le Soleil. ] Il me semble que sa première éducation fut la cause de ce culte ; car apparemment sa mère, qui était prêtresse du Soleil, lui inspira dès l’enfance une dévotion particulière pour cette divinité [65]. Quoi qu’il en soit, nous trouvons que lorsqu’il remercia Valérien, qui l’avait désigné consul, il se servit de ces termes : Dii faciant et deus certus Sol, ut et senatus de me sic judicet [66]. Un savant homme [67] prétend qu’il parla ainsi dans une lettre [68], comme si les autres dieux : étaient douteux, hors le Soleil seul. Dans la bataille qu’il gagna proche d’Émesse sur les troupes de Zénobie, on prétend qu’il fut secouru par une divinité qui encouragea les soldats, et qui fit que l’infanterie soutint la cavalerie prête à s’enfuir [69]. Dès qu’il fut entré victorieux dans Émesse, il alla au temple du Soleil : Statim ad templum Heliogabali tetendit, quasi communi officio vota soluturus, et y trouva la même figure de divinité qui lui avait été favorable dans le combat. C’est pourquoi il fonda des temples dans ce lieu-là [70], et puis il fit construire à Rome un temple au Soleil [71]. Il fit rebâtir aussi dans Palmyre le temple du même dieu. Voici les ordres qu’il expédia à cet effet : il est bon que je les rapporte, puisqu’ils nous feront connaître tout ensemble la cruauté de ce prince, et sa dévotion pour le Soleil. Aurelianus Augustus Ceionio Basso. Non opportet ulteriùs progredi militum gladios. Jam satis Palmyrenorum Cæsum atque concisum est. Mulieribus non pepercimus, infantes occidimus, senes jugulavimus, rusticos interermimus : cui terras, cui urbem deinceps relinquemus ? Parcendum est iis qui remanserunt. Credimus enim tam paucos tam multorum suppliciis esse correctos. Templum sanè Solis, quod apud Palmyram aquilifer legionis tertiæ cùm vexilliferis et draconario et cornicinibus atque liticinibus diripuerunt, ad eam formam volo quæ fuit, reddi. Habes trecentas auri libras à Zenobiæ capsulis, habes argenti mille octingenta pondo. De Palmyrenorum bonis habes gemmas regias. Ex his omnibus fac cohonestari templum : mihi et diis immortalibus gratissimum feceris. Ego ad senatum scribam, petens ut mittat pontificem qui dedicet templum [72].

(M) Vopiscus fait à son sujet une distinction..... que peu de gens savent faire. ] Les défauts d’Aurélien furent utiles : l’état en avait besoin ; mais au sentiment de Vopiscus, il ne s’ensuit pas de là que ç’ait été un bon empereur. Voilà le langage d’un homme qui ne confond pas les choses. Une infinité de gens ignorent cette distinction. Ils regardent simplement et absolument comme un bon règne, comme un règne juste, la domination qui a prévenu, qui a fait cesser quelque grand mal ; et s’ils se figurent une fois qu’un règne est injuste, ils le regardent simplement et absolument comme mauvais, sans avoir égard aux avantages nécessaires que le public en retire.

  1. Ortus, ut plures loquuntur, Sirmii, familiâ obscuriore ; ut nonnulli, Daciâ Ripensi. Ego autem legisse memini auctorem, qui eum Mæsi genitum predicaret. Vopiscus, in Aurel., cap. III.
  2. Idem, ibidem.
  3. Voyez la remarque (A) de l’article Rotterdam.
  4. Vopisc., in Aureliano, cap. VII, pag. 434.
  5. Voyez l’Évangile de saint Luc, chap. III, vs. 14.
  6. Vopisc., in Aureliano, cap. VII, pag. 434.
  7. Vopisc., in Aur., c. VIII, p. 439, 440.
  8. Idem, ibidem, cap. XLIX, pag. 585.
  9. Idem, ibidem, cap. VIII, pag. 439.
  10. Voyez-en le dénombrement dans Vopiscus, chap. X.
  11. Vopiscus, in Aureliano, ibidem, cap. XI, pag. 445.
  12. Idem, cap. XII.
  13. Idem, cap. XV.
  14. Idem, cap. XIV, pag. 539.
  15. Idem, ibidem, pag. 540.
  16. Tillemont, Histoire des Empereurs, tom. III, pag. 1074, 1075.
  17. Vopiscus, in Aurel., cap. L.
  18. Idem, ibid., cap. XLIX.
  19. Idem, ibid., cap. VI, pag. 426.
  20. Idem, ibid., cap. IX, pag. 440.
  21. Casaubon veut qu’on lise es, c’est-à-dire, que Valérien croyait qu’Aurélien égalait Crinitus. Ce sens paraît le bon.
  22. Vopiscus, cap. XIII, pag. 449, 450.
  23. Vopiscus, cap. XVIII.
  24. Idem, ibid., cap. XX, pag. 463.
  25. Vopisc., cap. XX, pag. 464.
  26. Vopiscus, cap. XIX, pag. 459, 460.
  27. Idem, cap. XX.
  28. Voyez la remarque (E) de l’article d’Ajax fils de Télamon.
  29. Vopiscus, cap. XVI.
  30. Idem, cap. XXVIII.
  31. Hesiodi Opera et Dies, vs. 289.
  32. Vopiscus, cap. XLIV, pag. 532, 533.
  33. Idem, ibidem, cap. XLIII.
  34. Ibidem.
  35. Idem, cap. XLII.
  36. Idem, ibid., pag. 529.
  37. Idem, cap. XXI, pag. 467.
  38. Idem, cap. XXXV.
  39. Idem, cap. XLVIII.
  40. Juvenal., Sat. X, vs. 77.
  41. Vopiscus, cap. XLVII, pag. 576, 577.
  42. Idem, cap. XLVIII.
  43. Idem, cap. XLVIII, pag. 578.
  44. Idem, cap. XXXVI et XXXIX.
  45. Voyez les Césars de Julien et les Notes de M. Spanheim là-dessus, pag. 107.
  46. Vopiscus, cap. XLVIII.
  47. Idem, cap. XXXVII.
  48. Idem, cap. XXXIX, pag. 522, 523.
  49. Idem, cap. XXXIX.
  50. Idem, cap. XLIX.
  51. Idem, ibidem.
  52. Vopiscus, cap. ult.
  53. Idem, cap. XXXVII.
  54. Idem, cap. I, pag. 436.
  55. Cela paraît par les paroles de Vopiscus que je viens de rapporter.
  56. Vopiscus, cap. XXXVII.
  57. Qui sciret Aurelianum neque frustrà minari solere, neque, si minaretur, ignoscere. Vopiscus, cap. XXXVI.
  58. Mixtis is quibus Aurelianus verè irascebatur cum iis de quibus nihil asperum cogitabat. Vopiscus, cap. XXXVI.
  59. Idem, cap. XXXVII.
  60. Idem, cap. XLI.
  61. Il fut élu empereur quelques mois après.
  62. Vopisc., cap. XLI, pag. 526, 527.
  63. Ce fut par le sénat, car l’armée à qui de sénat laissa l’élection d’un nouveau prince renvoya toujours ce soin au sénat qui enfin s’en chargea.
  64. Vopisc., in Tacito, cap. IX, pag. 608.
  65. Idem, in Aureliano, cap. IV.
  66. Idem, ibidem, cap. XIV.
  67. Spanheim, Notes sur les Césars de Julien, pag. 109.
  68. Vopiscus lui fait tenir de vive voix ce langage.
  69. Vopisc., cap. XXV.
  70. Illic templa fundavit donariis ingentibus positis. Vopisc., cap. XXX.
  71. Idem, ibid., et cap. XXXV.
  72. Idem, cap. XXXI, pag. 489.

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