Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Auréolus

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AURÉOLUS (Pierre), moine cordelier, et puis archevêque d’Aix, a été l’un des plus subtils et des plus fameux théologiens de son temps. Il a fleuri vers la fin du XIIIe. siècle, et au commencement du XIVe. était né à Verberie-sur-Oise, et s’appelait Oriol [a] ; mais, comme il n’est connu que sous le nom latinisé qu’il se donna, c’est ici que je le place, sans imiter M. Moréri, qui nous renvoie d’Auréole à d’Oriol. On lui pardonnerait plus aisément ce renvoi, si l’on trouvait dans son article d’Oriol, tout ce qu’on avait raison d’attendre d’un historien qui cite la Vie de cet illustre archevêque d’Aix [b] ; mais c’est ce qu’on n’y trouve pas. Je ne puis point remédier à ce défaut, car je ne crois point que dans toute l’étendue des Provinces-Unies il y ait personne qui me pût prêter l’ouvrage où a été mise cette Vie d’Auréolus [* 1]. Ce que je puis dire se réduit à ceci : Auréolus fut professeur en théologie dans l’université de Paris [c]. On lui affecta le titre de doctor facundus [d]. Il était provincial d’Aquitaine lorsqu’on le créa archevêque d’Aix [e], et il ne vécut guère depuis qu’il eut été élevé à cette grande dignité (A). On a dit qu’il fut promu au cardinalat [* 2]. C’était un esprit subtil, mais trop avide de se distinguer par des opinions nouvelles (B). On prétend qu’il a soutenu l’impossibilité de la création (C). Les dominicains eurent en lui un adversaire redoutable, et le firent réfuter avec beaucoup de vigueur par l’une de leurs meilleures plumes (D). Je dirai quelque chose touchant ses écrits (E). Vous trouverez dans la remarque (A) le temps de sa mort.

  1. * En effet, cette Vie d’Auréolus n’existe pas, dit Leclerc.
  2. * Ceux qui l’ont dit se sont trompés, dit Leclerc : c’est ce que prouve Wading.
  1. Labbe, Dissert. de Scriptor. ecclesiast., tom. II, pag. 183.
  2. Mise, dit-il, à la tête des Commentaires d’Oriol sur le Maître des Sentences, imprimés à Rome l’an 1595.
  3. Labbe, de Scriptor. ecclesiast., tom. II, pag. 183.
  4. Idem, ibidem.
  5. Bellarm., de Scriptor. ecclesiast., pag. 365.

(A) Il ne vécut guère depuis qu’il eut été élevé à la dignité d’archevêque d’Aix. ] On lui donna l’archevêché d’Aix l’an 1321, et il se trouve que Jacques de Concos de Cabrairez, dominicain, fut installé à la même prélature le 10 de juillet 1322 [1]. Il faut donc que le 27 d’avril, jour de la mort d’Auréolus [2], appartienne pour le plus tard à l’an 1322. Voyez la négligence de ce temps-là : on se contentait à l’égard d’un archevêque de marquer le jour qu’il mourut ; on ne se souciait pas de la date de l’année.

(B) Il était trop avide de se distinguer par des opinions nouvelles. ] C’est un caractère d’esprit fort dangereux, c’est un écueil bien à craindre : l’on n’a presque jamais vu que ceux qui ont assez de génie et de savoir pour combattre fortement la commune traditive aient assez de jugement pour s’arrêter à propos, et pour discerner ce qui ne vaut pas la peine de la réforme. Vous allez voir un passage où l’on juge sainement de cette sorte d’esprits ; on y range nommément notre Auréolus : Ex hâc classe, insignia ingenia duo, Durandus et Aureolus, minùs benè audiunt, quòd ingeniis quibus valebant plurimùm, indulserint in plerisque, et novas cudere, ac comminisci opiniones, communem tramitem sine causâ deserendo non dubitârint. Estque haud dubiè argumentum judicii minùs exquisiti, nec satis maturi, vel emuncti, ferri facilè, et absque urgenti ratione, extra viam : ità ut quamvis res de quâ agitur, ad scholæ tricas merè pertineat, nec indè dispendium ullum doctrinæ fidei, vel sanis, ac puris moribus sit timendum, tamen consultissimum sit, quandò manifesta ratio non urgel, ab anteriorum placitis non discedere [3]. Il faut néanmoins avouer que ces esprits novateurs [4] et un peu brouillons sont quelquefois nécessaires ; car, sans eux, pourrait-on faire des progrès considérables ? Ne s’endormirait-on pas dans la prétention que tout est déjà trouvé, et qu’il faut acquiescer aux opinions de nos pères, comme à leur terre et à leur soleil ? Les disputes et les confusions excitées par des esprits ambitieux, hardis, téméraires, ne sont jamais un mal tout pur : elles seront un grand mal tant qu’il vous plaira, mais il en résulte des utilités par rapport aux sciences et à la culture de l’esprit. Il n’est pas jusqu’aux guerres civiles dont on n’ait pu quelquefois assurer cela. Un fort honnête homme l’a fait à l’égard de celles qui désolèrent la France au XVIe. siècle. Il prétend qu’elles raffinèrent le génie, ou le langage, à quelques personnes ; qu’elles épurèrent le jugement à quelques autres ; et qu’elles servirent de bain aux uns pour les nettoyer, et d’étrille aux autres, pour faire sauter leur crasse. Voici ses paroles ; il me semble qu’il a pensé, qu’il s’est exprimé assez bien, pour être digne que je les étale ici : Ut sæpè res adversæ inexpectatis bonis locum faciunt, ità in hâc publicâ, et omnium maximâ calamitate res auctor dari potest, quibusdam ingenium evasisse limatius, acumen perspicacius, judicium resecatius, os mundius, scripta purgatiora, prorsùs ut agnoscere liceat, ærumnarum procellas, quibus æstuavimus, his esse balneas quæ sordes eluerunt, aliis strigilem quæ squammam detersit, quibusdam uredinem, quæ absumpsit quicquid luxurians et inutile. Deniquè si quis verè æstimet, nunc demùm intelligimus, eam, quæ reipublicæ tempestas fuit, privatim et pauculis esse cotem quâ acuitur et faculam quâ accenditur quicquid in singulis est optimum [5]. En vérité, le public se passerait bien de telles lessives, ou étrilles, ou limes, ou queux, comme on voudra les appeler. Il vaut mieux demeurer malade que de guérir par un remède d’une cherté si terrible. Quoi qu’il en soit, nous avons ici un docteur qui se piqua de m’être de l’avis de personne dans son Commentaire sur le Maître des Sentences ; mais, d’autre côté, il fut seul de son avis ; chacun se piqua de le combattre : on l’a comparé à Ismaël. Quem (Petrum Aureolum) Antoninus ait [* 1] ità scripsisse in librum Sententiarum, ut quia manus ejus contra omnes qui jam scripserant, etiam manus omnium contrà eum fuerint [6].

(C) On prétend qu’il a soutenu l’impossibilité de la création. [* 2] ] Les lumières que j’ai là-dessus sont très-petites, car je puis seulement vous assurer que Théophile Raynaud, après avoir rejeté comme très-faibles les raisons d’Averroës, ajoute que les argumens où Auréolus a mal employé son esprit pour montrer que la création est impossible, se réduisent à la même chose. Eodem recidunt argumenta quibus Aureolus apud Capreolum in 2. d. 1. q. 2. in argumentis contra quartam, parùm feliciter ingenium exercuit, ut probaret creationem esse impossibilem [7]. Remarquez bien qu’il n’a point lu Auréolus, et qu’il n’en connaît la doctrine qu’autant qu’elle a été rapportée par son adversaire Capréolus. Cela m’impose une nouvelle nécessité de ne marcher ici qu’à tâtons ; mais cependant je ne crois pas me tromper dans la conjecture que je vais faire. Je suppose qu’Auréolus n’a point nié simplement et absolument que la création fût possible, car c’eût été avancer une opinion très-opposée à la foi romaine. Il a seulement soutenu que pour telles et telles raisons, il trouverait impossible qu’un être fût fait de rien, si la foi ne lui apprenait que l’on doit prendre dans un sens de création proprement dite les paroles dont l’Écriture se sert touchant la première formation du monde. S’étant une fois couvert de ce bouclier, il a pu impunément se servir de toutes les forces de son génie pour prouver l’impossibilité de la création : il ne risquait qu’une dispute philosophique, où il ne craignait pas que les chicanes et les détours du métier l’abandonnassent. Je suis sûr que ceux qui auront dans leur cabinet un exemplaire de Capréolus, en lisant ceci, seront curieux de le consulter, afin de s’instruire si ce grand antagoniste d’Auréolus expose fidèlement tout l’état de la question. Il y a bien des gens qui, dans une telle conjoncture, se contenteraient de représenter qu’ils réfutent un docteur qui a soutenu que la création est impossible, et d’exagérer les pernicieuses conséquences de ce dogme, sans avertir que ce docteur met en sûreté les intérêts de l’orthodoxie, et soumet à l’autorité de la tradition les argumens les plus subtils que la lumière lui présente. Je sais qu’Auréolus, dans un autre cas, s’est gouverné de la manière que je suppose qu’il a suivie à l’égard de la création, et cela me rend plus probable ma conjecture. Il a dit qu’il n’y avait que l’autorité des saints, qui lui fît croire que la transsubstantiation est un véritable changement de tout le pain en tout le corps de Notre Seigneur. J’ai lu cela dans un ouvrage de M. Allix. Petrus Aureolus, romanæ ecclesiæ cardinalis, hoc profitetur : propter solas auctoritates sanctorum teneo, quòd transsubstantiatio est verus transitus et conversio totius panis in totum corpus Domini. in 4. dist. 11, q. 1. a. 2. [8].

(D) Les dominicains le firent réfuter...[* 3] par l’une de leurs meilleures plumes. ] Ce fut par le même Capréolus dont je viens de faire mention. Consultez son commentaire sur le Maître des Sentences. Il y poursuit vivement, il y secoue de toute sa force le commentaire d’Auréolus sur le même Maître. Quæ (commentaria Aureoli) in suis in easdem sententius commentariis sæpiùs excussit exagitavitque Joannes Capreolus [9]. Il insinue que les fausses interprétations qu’Auréolus avait employées, et qui lui avaient servi de principe pour tirer des conséquences odieuses, n’avaient pas toujours leur unique fondement sur les ténèbres de l’esprit, mais que la passion du cœur y avait eu part. Je ne sais cela que par le père Baron, qui s’est exprimé ainsi : Memini me Capreolum nescio quo ex quæstionibus in primum sentent. loco legere, soluto quodam argumento Aureoli quo ad grande aliquod impium et absurdum ex falsâ interpretatione nostræ sententiæ rem deduxerat, hæc modestè adjunxisse Capreolum, ex nostrâ responsione patet hanc objectionem Aureoli profectam esse ex perverso intellectu quidquid sit de affectu [10]. Notez que Constantius Sarnanus, religieux franciscain et cardinal, composa un livre où il prétendit concilier les opinions d’Auréolus avec celles de Capréolus [11]. Il tâcha de faire voir le même accord entre les dogmes de Thomas d’Aquin et ceux de Scot [12]. C’est ainsi que l’on a tâché de faire voir une bonne intelligence entre Platon et Aristote. C’est se jouer des lecteurs, ou tourner réellement en ridicule, sans avoir dessein de le faire, ceux qu’on tâche de reconcilier. Une telle paix est honteuse aux partis, et l’on aurait à craindre de cruels reproches, quand on fait l’office de médiateur, si les chefs de la querelle revenaient au monde. Quoi, diraient-ils, vous prétendez qu’il n’y a ici qu’une dispute de mots, et que nous convenons des mêmes dogmes sans nous en apercevoir, tant la passion nous préoccupe, et nous empêche de savoir ce que nous disons ? C’est une satire dans toutes les formes : nous ne voulons point de paix à des conditions si flétrissantes. Retirez-vous avec vos projets de réunion : nous aimons mieux que la guerre continue, que de la voir terminée à la honte de notre esprit et de notre science. Notez qu’il y a des occasions où les controverses les plus échauffées ne sont qu’un malentendu ; mais je ne crois pas qu’il faille juger ainsi du thomisme et du scotisme, ni par conséquent de la différence qu’il y a entre le scotiste Auréolus, et le thomiste Capréolus.

(E) Je dirai quelque chose touchant ses écrits. ] L’exactitude de ceux qui en ont parlé est si petite, qu’ils n’ont observé nulle distinction, ni entre les écrits qui nous restent et les écrits qui se sont perdus, ni entre les ouvrages qui ont été imprimés et les ouvrages qui ne l’ont jamais été. Le père Labbe [13], qui se plaint de cette négligence, trop ordinaire aux bibliographes, promettait de la réparer amplement ; mais il est mort sans donner le gros volume dont la dissertation que je cite n’était que l’avant-coureur [14]. Il marque que Breviarium Bibliorum d’Auréolus, sive epitome universæ Sacræ Scripturæ juxta litteralem sensum, fut imprimé à Venise l’an 1571, et à Paris l’an 1585 [15], par les soins d’Étienne Nouellet, docteur en théologie de la faculté de Paris, et que les Commentaires sur les quatre livres des Sentences furent imprimés à Rome, in-folio, l’an 1595, et dédiés au pape Clément VIII, par le cardinal Constantius Sarnanus [16]. Il rejette ce que le père Maracci débite dans sa Bibliotheca mariana, que le traité d’Auréolus de Conceptione immaculatâ B. Virginis fut imprimé à Toulouse l’an 1314 : il dit que peut-être cet écrit fut composé cette année-là, ou imprimé l’an 1514.

Faisons de petites notes sur tout cela. 1°. Le catalogue de la bibliothéque d’Oxford fait mention de l’Epitome totius S. Scripturæ, imprimé à Strasbourg l’an 1514. Gesner l’ignorait aussi : l’Epitome de Gesner, publié l’an 1583, ne marque aucun livre d’Auréolus qui eût été imprimé ; et notez que l’on y distingue très-faussement de Petrus de Verberiâ, dictus Aureoli, notre Pierre Auréolus. 2°. Il n’est pas vrai que les Commentaires sur les quatre livres des Sentences aient été imprimés à Rome l’an 1595. Bellarmin assure qu’il n’a vu que le Commentaire sur le premier de ces quatre livres, et que ce Commentaire fut imprimé à Rome l’an 1596[17]. Le catalogue de la bibliothèque d’Oxford, et celui de la bibliothèque de M. l’archevêque de Rheims, marquent à cette année-là l’édition du Commentaire d’Auréolus sur le premier livre des Sentences, et ils marquent à l’année 1605 l’édition du Commentaire sur les trois livres suivans avec les Quodlibeta. Tout cela fait deux volumes in-folio, imprimés à Rome ; le premier en 1596, au Vatican ; le dernier chez Zannetti, l’an 1605[* 4]. Je m’étonne que Bellarmin n’ait eu nulle connaissance de l’impression de ce dernier tome. Cela est un peu plus étrange que de voir dans M. Moréri que nous avons diverses éditions des Commentaires d’Auréolus sur le Maître des Sentences, mais que celle de Rome 1595 est la plus correcte. Comment eût-il pu montrer ces diverses éditions ? Aurait-il daté celle de Rome comme il l’a datée, s’il avait su ce que j’ai dit ci-dessus ? 3°. Je dirai que le père Labbé a trop épargné le père Maracci, qui a cru que l’on imprimait des livres l’an 1314. N’est-il pas connu de tout le monde que l’imprimerie n’a été en usage dans l’Europe que vers le milieu du XVe. siècle ? À quoi songe donc le jésuite Oldoïni, quand il se vante d’avoir vu le traité d’Auréolus de Conceptione Virginis Mariæ, imprimé à Toulouse l’an 1314 ?[* 5] De Conceptione Virginis Mariæ librum qui habetur M. S. Tolosæ in collegio Fuxensi, et excusum vidimus Tolosæ, anno 1314[18].

  1. (*) Ant., tit. XXIV, cap. VIII, parag. 2.
  2. * Capreolus, son adversaire, lui impute uniquement, dit Leclerc, d’avoir dit au sujet de la création : Conclusiones quæ innituntur rationi naturali non valent.
  3. * Cette commission est purement imaginaire comme celle d’Almain, dit Leclerc. Voyez tom. Ier., page 458, colonne I.
  4. * Le Ier. tome est sur le Ier. livre des Sentences : il est, dit Leclerc, divisé en deux parties ; le second volume contient le Commentaire sur les II et IIIe. livres des Sentences, en 542 pages ; sur le IVe., en 326 pages, ni enfin, Quodlibeta sex decem, en 155 pages.
  5. * Leclerc pense avec raison que 1314 n’est qu’une faute d’impression au lieu de 1514.
  1. Labbe, Dissert. de Scriptor. ecclesiast., tom. II, pag. 184.
  2. Idem, ibidem.
  3. Theoph. Raynaudas, Erotem. de malis ac bonis lib. num. 430, pag. 250.
  4. Je n’entends nullement parler de ceux qui travaillent à des réformations nécessaires. [Leclerc dit que Bayle désigne ici Luther, Calvin, etc.]
  5. Carolus Paschalius, de Optimo Genere Elocutionis, pag. 124.
  6. Spondanus, ad ann. 1337, num. X, pag. 460.
  7. Theoph. Raynaud., in Theolog. Naturali, dist. VIII, num. 334, pag. 1039.
  8. Petrus Allix, Præf. historica de Dogmate Transsubstantiationis, pag. 66.
  9. Labbe, de Script. ecclesiast., tom. II, pag. 184.
  10. Vincent Baron. Apologet., lib. I, sect. II, pag. 240.
  11. Oldoini, Athen. roman., pag. 176.
  12. Idem, ibidem.
  13. Labbe, de Script. ecclesiast., tom. II, pag. 184.
  14. La préface de sa Dissertation de Scriptorib. ecclesiast.
  15. Oldoini, dans son Athenæum romanum, pag. 532, met l’an 1581.
  16. Oldoïni dit la même chose, pag. 533 de son Athenæum romanum.
  17. Bellarm., de Scriptor. ecclesiast., pag. 365.
  18. Oldoini, Athen. romanum, pag. 533.

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