Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Callistrate

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CALLISTRATE, orateur athénien, s’acquit une grande réputation et beaucoup d’autorité dans sa patrie. Il fut cause que Démosthène, qui n’était encore qu’un petit écolier, se consacra entièrement à l’étude de l’éloquence ; car ayant plaidé avec un succès extraordinaire une cause d’apparat qui concernait la ville d’Orope, il excita un ardent désir dans l’âme de cet enfant de se pousser par la profession d’orateur. Démosthène admirant la force de l’éloquence, et la gloire qu’elle procurait à Callistrate, ne songea plus qu’à se signaler par la même route[a]. Quelques-uns disent qu’il était déjà disciple de Platon, et qu’il quitta la philosophie pour s’attacher à la rhétorique (A). Callistrate fut exilé ; ce qui était le sort ordinaire de ceux qui avaient le plus de part au gouvernement de la république des Athéniens. Il dit dans cette disgrâce une chose qui est bien digne d’être louée, et qui a servi d’occasion à Sénèque pour débiter de bonnes maximes (B). Il reprocha un jour aux Thébains le parricide d’Œdipus, et aux Argiens celui d’Orestes ; mais Épaminondas lui répondit gravement et subtilement, nous les avons chassés de nos villes, et vous les avez reçus dans la vôtre[b]. Melanopus, l’antagoniste de Callistrate dans la direction des affaires de la république, se laissait toujours gagner à lui par argent, et puis montait en chaire et disait au peuple : Il est vrai que Callistratus qui soutient l’opinion contraire est mon ennemi, mais toutefois je lui cède pour ce coup, il faut que le bien public l’emporte[c].

  1. Tiré de Plutarque, in Vitâ Demosthenis, pag. 847, 848.
  2. Plutarch., de gerendâ Republicâ, pag. 810.
  3. Idem, in Vitâ Demosth., pag. 851, 852. Je me sers de la version d’Amyot.

(A) Quelques-uns disent que, lorsque Démosthène s’attacha à Callistrate, … il quitta la philosophie pour s’attacher à la rhétorique.] Hermippus le contait ainsi, et il disait même que le hasard avait été cause que Démosthène entendit ce beau discours de Callistrate : car, en allant à l’Académie où Platon faisait ses leçons, il aperçut un concours extrême de peuple et en demanda le sujet ; et, ayant su qu’on allait entendre un grand orateur, il eut envie de voir si l’éloquence de cet homme était digne d’un si grand empressement. H fut si charmé de la harangue, que dès lors il s’attacha à Callistrate, et renonça à l’Académie et à Platon[1]. Ita motus et demulctus et captus est, ut Callistratum jam indè sectari cœperit, Academiam cum Platone reliquerit[2]. Henri Étienne a corrigé quelques paroles dans le chapitre où Aulu-Gelle raconte cela. Il a cru même que le Callistrato rhetore, qui est au titre de ce chapitre, est une faute, puisque Callistrate, qualifié orateur et démagogue dans le chapitre, n’a point dû être appelé rhétoricien dans le sommaire[3]. Je crois pourtant qu’Aulu-Gelle le considérait comme un homme qui enseignait la rhétorique, et qui l’enseigna effectivement à Démosthène ; mais je crois aussi qu’il se trompe. Cependant je ne voudrais rien changer dans le sommaire, puisqu’il doit répondre au contenu du chapitre.

(B) Il dit … une chose … qui a servi d’occasion à Sénèque pour débiter de bonnes maximes.] On va voir en latin, et puis en français selon la version de Chalvet, les paroles de ce philosophe. Callistratum aiunt, ita certè Hecaton auctor est, cùm in exilium iret, in quod multos simul cum illo seditiosa civitas et intemperanter libera expulerat, optante quodam, ut Atheniensibus necessitas restituendi exsules esset, abominatum talem reditum. Rutilius noster animosiùs : cum quidam illum consolaretur, et diceret instare arma civilia ; brevi futurum, ut omnes exsules reverterentur : Quid tibi, inquit, mali feci, ut mihi pejorem reditum, quàm exitum optares ? Malo, ut patria exilio meo erubescat, quàm reditu mœreat. Non est istud exilium, cujus neminem non magis, quàm damnatum, pudet. Quemadmodùm illi servaverunt bonorum civium officium, qui reddi sibi penates suos noluerunt clade communi, quia satius erat duos iniquo malo affici, quàm omnes publico : ita non servat grati hominis affectum, qui benè de se merentem difficultatibus vult opprimi, quas ipse submoveat : qui etiamsi benè cogitat, malè precatur. Ne in patrocinium quidem, nedum in gloriam est, incendium exstinxisse quod feceris[4]. C’est-à-dire, « On dit que Callistratus (c’est Hécaton qui en est l’auteur), s’en allant en exil avec plusieurs autres bannis, que la cité d’Athènes (pleine lors de séditions, usant outrageusement de sa liberté avait chassés dehors, et souhaitant quelqu’un d’entre eux, que les Athéniens se vissent bientôt réduits à telle nécessité qu’ils fussent contraints de rappeler les bannis, eut grande horreur de ce souhait. Notre Rutilius parla encore plus vertueusement, et en homme de plus grand cœur. Car, comme quelqu’un en le consolant l’assurait qu’on reviendrait bientôt aux guerres civiles, et qu’avant peu de jours les bannis retourneraient dans Rome : Quel déplaisir t’ai-je fait, quelle occasion t’ai-je donnée (dit-il de me souhaiter un plus mauvais retour que n’a été ma sortie ? J’aime beaucoup mieux que ma patrie rougisse de honte de m’avoir injustement banni, que si elle pleurait par l’occasion de mon retour. Ce n’est point un exil, quand il ne se trouve aucun qui n’ait plus de honte, que le condamné même. Tout ainsi donc que Callistratus et Rutilius ont fait comme bons vitoyens, de n’avoir souhaité de rentrer en leurs maisons, et dans leur ville, par l’ouverture d’une calamité publique ; parce qu’il valait mieux que deux personnes privées fussent injustement punies d’une peine particulière, que tout un peuple ruiné d’une guerre civile : pareillement celui qui n’a pas le cœur et l’affection d’un homme reconnaissant, qui souhaite voir en extrême nécessité une personne qui autrefois lui a fait des biens, afin qu’il le puisse après racheter de cette calamité. Car, jaçoit que sa pensée soit bonne, toutefois ses vœux et ses souhaits sont méchans. C’est un pauvre secours, et une bien petite gloire, d’avoir éteint un feu que tu avais expressément allumé[5]. Sénèque avait déjà exprimé fort noblement par d’autres exemples cette dernière pensée ; cela, afin de prouver que l’on est ingrat si l’on souhaite que son bienfaiteur ait besoin de notre assistance[6]. Quis pium dicet Æneam, si patriam capi voluerit, ut captivitate patrem eripiat ? Quis Siculos juvenes, ut bona liberis exempla monstrarent, si optaverunt, ut Ætna immensâ ignium vi supra solitum ardens et incensa prœcipitet, datura ipsis occasionem exhibendœ pietatis, ex medio parentibus incendio raptis ? Nihil debet Scipioni Roma, Si punicum bellum ut finiret, aluit : nihil Decüs, quòd morte patriam servaverunt, Si priùs optaverant, ut devotioni fortissimæ locum ultima rerum necessitas faceret. Gravissima infamia est medici, opus quœere. Multi quos auxerant morbos, et incitaverant, ut majore gloriâ sanarent : non potuerunt discutere, aut cum magnâ miserorum vexatione vicerunt[7]. C’est à dire, « qui pourrait croire qu’Énée eût aucun sentiment de piété dans son âme, s’il souhaitait que la ville fût prise, pour avoir l’honneur de sauver son père d’entre les mains des ennemis ? Ou les jeunes hommes siciliens, si, pour servir d’un exemple de vertu à la postérité, ils avaient souhaité que le mont Gibel jetât à l’impourvu une abondance de flammes plus grande que de coutume, qui leur donnât occasion de faire connaître leur amour et leur piété, en sauvant leurs pères, et les portant sur leurs épaules au milieu de cet embrasement ? Rome ne serait redevable d’aucune chose à Scipion, s’il avait désiré que la guerre de Carthage durât longuement, afin que ce fût lui seul, qui eût l’honneur de l’avoir mise à fin. Rome ne devrait rien aux Déciens, d’avoir sauvé leur patrie par leur mort, s’ils avaient auparavant désiré que l’extrême danger, où Rome se vit réduite, leur donnât occasion de vouer courageusement leur vie aux dieux, pour le bien de tout le peuple romain. C’est une grande honte à un médecin, de souhaiter d’avoir besogne. Plusieurs, qui avaient fait croître et empirer les maladies, afin qu’ils eussent plus d’honneur de les guérir, n’ont pu après en venir à bout, ou s’ils l’ont fait, c’a été après avoir misérablement tourmenté les malades[8]. »

On trouve dans Démosthène un Callistrate qui était en exil à Méthone dans la Macédoine, et que les Athéniens avaient condamné deux fois à la mort, et qui avait une fille mariée à Timomachus, habitant de l’île de Thase[9]. C’est apparemment le même que celui dont il s’agit dans cet article : Juste Lipse n’en doute point[10].

  1. Tiré d’Aulu-Gell., liv. III, chap. XIII.
  2. Aulus Gellius, lib. III, cap. XIII.
  3. Henr. Stephan. Specim Emendat, in Aul. Gell., pag. m. 193, 194.
  4. Seneca, de Beneficiis, lib. VI, cap. XXXVII, pag. m. 134.
  5. Sénèque, des Bienfaits, folio 67 verso de la version de Chalvet, imprimée à Paris, en 1637, in-folio.
  6. Qui optat amico aliquam necessitatem, quam adjutorio fideque discutiat : quod est ingrati, se illi prœfert, et tanti œstimat illum miserum esse ut ipse gratus sit, ob hoc ipsum ingratus. Seneca, de Beneficiis, lib. VI, cap. XXXIV, pag. 132.
  7. Idem, ibid., cap. XXXVI, pag. 134.
  8. Sénèque, des Bienfaits, de la version de Chalvet, folio 67. Ceci peut confirmer les objections des manichéens, dont je parle dans la remarque (E) de l’article d’Origène, num. IV, et dans la remarque (E) de l’article Pauliciens.
  9. Voyez Démosthène, Orat. advers. Polyclem, pag. m. 712.
  10. Lipsius, in Senecam de Beneficiis, lib. VI, cap. XXXVII.

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