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Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Des-Barreaux

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DES-BARREAUX (Jacques de Vallée, seigneur), né à Paris l’an 1602, d’une famille très-noble (A), a été un des beaux esprits du XVIIe. siècle. Il fit ses études chez les jésuites avec beaucoup de progrès ; et parce qu’ils reconnurent que son esprit était capable des plus grandes choses, il tâchèrent de l’enrôler dans leur compagnie ; mais ni lui ni sa famille ne voulurent prêter l’oreille à cette proposition. Il ne les aimait point, et il se déchaînait quelquefois contre eux agréablement. Les liaisons qu’il eut avec Théophile (B) contribuèrent sans doute beaucoup à cela, comme aussi au libertinage qui l’a rendu si fameux. Il était encore assez jeune, lorsque son père le fit pourvoir d’une charge de conseiller au parlement de Paris. Son bel esprit y fut admiré, quoiqu’il n’ait jamais voulu y rapporter aucun procès (C). On verra dans les remarques ce qui l’obligea à se défaire de cette charge (D). Comme il aimait extrêmement ses plaisirs et sa liberté, il ne s’estima pas fort malheureux de quitter la robe. Il a fait quantité de vers latins et français, et de fort jolies chansons ; mais il n’a jamais rien publié : il ne songeait qu’à la bonne chère et aux divertissemens. Il était admirable dans les entretiens de table, connu et aimé des plus grands seigneurs et des plus honnêtes gens du royaume. Il n’y avait point de province où il n’eût des amis particuliers qu’il visitait fort souvent, et il se plaisait à changer de domicile selon les saisons de l’année (E). Quatre ou cinq ans avant sa mort il revint de tous ses égaremens : il paya ses dettes ; il abandonna à ses sœurs tout ce qui lui restait de biens [a], moyennant une pension viagère de quatre mille livres ; et se retira à Châlons-sur-Saône, le meilleur air, disait-il, et le plus pur qui fût en France. Il y loua une petite maison, où il était visité des honnêtes gens, et surtout de M. l’évêque, qui lui a rendu un bon témoignage. Il y mourut en bon chrétien l’an 1674. Il avait fait un sonnet dévot, deux ou trois ans avant sa mort, qui est connu de tout le monde (F), et qui est très-beau. Ni ses parens, ni ses amis, ne sauraient disconvenir de son grand libertinage (G) ; mais ils prétendent que la renommée a outré les choses (H), selon sa coutume, et que sur la fin de ses jours il acquiesça aux vérités de la religion ; et, quant au reste, ils soutiennent qu’il a toujours été selon le monde un honnête homme, un homme d’honneur ; qu’il avait un bon fond d’âme et de cœur ; qu’il était honnête, officieux, charitable, bon ami, généreux et libéral [b]. Il ne se maria jamais, et n’eut point de frère, mais seulement deux sœurs [c].

  1. Il avait eu plus de quatre cent mille francs au partage des biens paternels et maternels, et outre cela quelque succession collatérale.
  2. Ceci, et tout ce qui, dans les remarques, n’est point muni d’une citation publique, est tiré d’un mémoire qui vient de bon lieu, et dont je garde l’original.
  3. Voyez la remarque (A).

(A) Il était d’une famille très-noble. ] Il était fils de Jacques de Vallée, seigneur Des-Barreaux, qui est mort maître des requêtes et président au grand conseil, et petit-fils de Jacques de Vallée, chevalier, seigneur Des-Barreaux, de Châteauneuf et de Chenailles, contrôleur général des finances, homme si considéré sous le règne de Henri III, et au commencement du règne suivant, qu’il eut beaucoup de part dans les conseils, et que le roi tint souvent chez lui le conseil, et lui écrivit souvent de sa propre main pour des affaires importantes. M. Des-Barreaux, qui fait la matière de cet article, avait pour cousin issu de germain M. de l’Aubespine Châteauneuf, garde des sceaux ; et du côté de sa mère, il était cousin germain de la comtesse de Bouteville [1], et par conséquent oncle, à la mode de Bretagne, du maréchal de Luxembourg et de la duchesse de Mecklembourg. Marie de Vallée, sa sœur, aînée, n’a point laissé d’enfans de son mariage avec le président Viole. Élisabeth de Vallée, son autre sœur, fut mariée à M. du Boulai-Favier, maître des requêtes, qui a été intendant en Normandie. De ce mariage sortirent deux filles, dont l’une fut mariée à M. Talon [2], et l’autre au comte de Tilière et de Carouge.

(B) Il eut des liaisons avec Théophile. ] Il était fort beau garçon dans sa jeunesse, et l’on prétend que Théophile en fut amoureux, et quelquefois même jaloux. Ce poëte dit quelque part en parlant de lui : Valleus noster qui fuit olim meus. Il y a eu des gens qui ont voulu dire qu’il en avait abusé ; mais des personnes qui ont connu intimement M. Des-Barreaux assurent qu’il a eu toujours en horreur le péché contre nature, et que nec agens nec patiens voluit unquam inservire præposteræ libidini. Voyez la note [3].

(C) Son père le fit pourvoir d’une charge de conseiller au parlement… il n’a jamais voulu y rapporter aucun procès. ] Il disait que c’était une occupation sordide et indigne d’un homme d’esprit, de s’attacher à des papiers de chicane, et de les déchiffrer. Il se chargea une fois d’être rapporteur : le procès n’était pas de conséquence, et se voyant pressé par les parties, il les fit venir, et brûla le procès en leur présence, et paya de son argent ce qui était demandé [* 1].

(D)On verra, dans les remarques, ce qui l’obligea à se défaire de cette charge. ] Ce fut, dit-on, une amourette du cardinal de Richelieu pour la fameuse Marion de Lorme, coiffée de notre M. De-Barreaux. Je m’en vais vous alléguer mon auteur. « Le cardinal vit Marion de Lorme sans en être vu, et la trouva mille fois plus belle qu’il ne se l’était imaginé. Il voulut savoir si Cinq-Mars en était aimé, et il donna la commission à Bois-Robert de le découvrir. Cet abbé ne tarda guère de donner à son éminence l’éclaircissement qu’elle souhaitait ; et il lui apprit que, dans les complaisances que Marion de Lorme avait pour le favori du roi, la vanité y avait plus de part que l’amour, et que toute la tendresse de cette fille était pour Des-Barreaux, conseiller au parlement, jeune homme bien fait de sa personne, d’un esprit vif et d’une conversation enjouée, mais débauché et impie au dernier point. Le cardinal fit proposer à Des-Barreaux par Bois-Robert que s’il voulait lui céder sa maîtresse, et l’engager à répondre à sa bonne volonté, on aurait tant de reconnaissance pour ce sacrifice, qu’on ferait pour sa fortune tout ce qu’il pourrait désirer. Bois-Robert s’acquitta de sa commission avec beaucoup d’adresse ; mais Des-Barreaux ne répondit à cette ouverture qu’en plaisantant, et feignant toujours de croire le cardinal incapable d’une telle faiblesse. Ce ministre en fut si irrité qu’il persécuta Des-Parreaux tant qu’il vécut, et l’obligea à se défaire de sa charge et à sortir du royaume [4]. »

Celui qui nous a fourni des mémoires touchant M. Des-Barreaux nous avait promis la réfutation de ce passage des Galanteries des rois de France ; mais une longue maladie l’a empêché de nous envoyer cela.

(E) Il se plaisait à changer de domicile selon les saisons de l’année. ] Il allait chercher les bons fruits et les bons vins dans les climats où ils excellaient. Mais principalement il allait chercher le soleil sur les côtes de Provence pendant l’hiver. Il passait à Marseille les trois mois de la vilaine saison. La maison qu’il appelait sa favorite était dans le Languedoc : c’était celle du comte de Clermont de Lodève, où il disait que la bonne chère et la liberté étaient dans leur trône. Il avait en Anjou la maison du Lude, où était autrefois l’abord des plus beaux esprits et des plus honnêtes gens. Il alla voir quelquefois M. de Balzac [5] sur les bords de la Charente ; mais où il a le plus régenté, c’est à Chenailles sur la Loire, maison agréable, et autrefois de plaisir et de bonne chère. Elle appartenait à l’un de ses oncles, et puis à M. de Chenailles son cousin germain, conseiller au parlement de Paris [6]. Il faut que j’ajoute que les plaisirs de l’esprit étaient quelquefois le sujet de ses voyages, comme quand il vint exprès en Hollande pour y voir M. Descartes son ami, et pour profiter des instructions de ce grand génie [7].

(F) Il avait fait un sonnet dévot… qui est connu de tout le monde. ] Je ne laisserai pas de le mettre ici tout du long.

Grand Dieu, tes jugemens sont remplis d’équité ;
Toujours tu prends plaisir à nous être propice :
Mais j’ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne me pardonnera sans choquer ta justice.
Oui, mon Dieu, la grandeur de mon impiété
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice :
Ton intérêt s’oppose à ma félicité ;
Et ta clémence même attend que je périsse.
Contente ton désir, puisqu’il l’est glorieux ;
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux ;
Tonne, frappe, il est temps, rends-moi guerre pour guerre.
J’adore en périssant la raison qui t’aigrit ;
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerres
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ.


L’auteur de l’Art de parler trouve ce sonnet admirable [* 2]. Il l’a inséré dans son livre comme un exemple de la figure que les rhéteurs nomment épistrophe ou consentement [8]. On trouve ce sonnet dans une lettre de M. Boursault. Le titre de cette lettre marque qu’elle fut écrite à M. Des-Barreaux qui ne croyait en Dieu que lorsqu’il était malade. [9] L’auteur lui parle de la mort d’une malheureuse femme qui était l’opprobre de son sexe, et qui laissa des enfans qui étaient les héritiers de son infamie. Il prétend que par cette mort Dieu avait brisé les obstacles qui empêchaient Des-Barreaux de s’approcher de lui. Concluons de là que cette femme avait été la maîtresse de ce libertin. On ajoute qu’on ne doute point que des mauvais exemples qu’ils s’étaient mutuellement prêtes, elle n’eût retenu de lui celui de croire en Dieu dans la maladie. On lui représente ce que la miséricorde de Dieu avait fait souvent pour lui. Ne fut-ce pas cette miséricorde, lui dit-on [10], qui, pour vous retirer des égaremens où vous étiez, vous envoya la dernière maladie que vous eûtes : où, touché de la grandeur de vos péchés, vous fîtes ce sonnet qui vous a acquis autant de gloire qu’il vous causera un jour de confusion, d’avoir été assez habile pour si bien penser, et assez malheureux pour si mal vivre ?..... Laissons pour un moment le chrétien, et ne parlons que de l’honnête homme. Dites-moi, je vous prie, si un homme qui aurait dit à un autre ce que vous dites à Dieu, et qui lui manquerait aussi indignement de parole que vous lui en manquez, serait honnête homme ?..... Qu’allez-vous faire, avec la mort qui marche à deux pas de vous, aujourd’hui aux capucins, et demain aux minimes, qu’y chercher ce que vous devriez fuir, et, si je l’ose dire, insulter Dieu où les autres le vont adorer [11] ? On lui envoie la fable du Faucon malade : on lui soutient que s’il y a quelque chose au monde de plus extravagant que de ne pas croire en Dieu, c’est d’avoir la faiblesse de l’invoquer sans y croire : Et comme il n’est pas plus Dieu quand nous nous portons mal que quand nous nous portions bien, il n’y a ni plus ni moins de raison à le croire dans un temps que dans un autre [12]. On suppose que ce fut la réponse de la mère du faucon ; et l’on déclare qu’on ne sait qu’Esope capable d’inspirer une réponse aussi judicieuse que celle-là : enfin on exhorte très-vivement M. Des-Barreaux à ne point lasser la miséricorde de Dieu. Notez que la fable du Faucon, ou pour mieux dire, celle du Milan, paraît en ces termes dans la nouvelle édition de Phèdre :

Multos cùm menses ægrotâsset milvius,
Nec jam videret esse vitæ spem suæ,
Matrem rogabat, sancta circumiret loca,
Et pro salute vota faceret maxima.
Faciam, inquit, fili ; sed opem ne non impetrem
Vehementer vereor ; sed qui delubra omnia
Vastando, cuncta polluisti altaria
Sacrificiis nullis parcens, nunc quid vis rogem [13] ?


Je n’ai point trouvé cette fable parmi celles qui sont attribuées immédiatement à Ésope, dans l’édition de Nevelet, mais je l’ai trouvée parmi celles qu’un anonyme a mises en vers latins [14], et qu’il a données comme originaires d’Ésope. Je n’y ai vu aucune trace de la pensée que M. Boursault débite, et qu’il croit que le seul Ésope est capable d’inspirer. Cela soit dit en passant.

Il a raison de dire que ce serait la dernière extravagance d’adresser des prières à une divinité qu’on ne croirait point ; mais je ne sais si Des-Barreaux a jamais fait cette folie. Saint Paul semble supposer qu’une telle extravagance ne se trouve point parmi les hommes : Comment invoqueront-ils, dit-il [15], celui auquel ils n’ont point cru ? Il me paraît assez possible que ceux qui n’ont rien déterminé positivement, ni sur l’existence, ni sur la non-existence de Dieu, lui fassent des vœux et des prières à la vue d’un grand péril. Or c’est l’état de presque tous les incrédules. Ils doutent s’il y a un Dieu ; ils ne connaissent pas clairement son existence : mais aussi ils ne connaissent pas clairement qu’il n’existe point. M. l’évêque de Tournai commence par cette pensée ses réflexions sur la religion. Il est naturel que de telles gens aux approches de la mort prennent le parti le plus sûr, et que ad majorem cautelam, ils se recommandent à la grâce et à la miséricorde divine [16]. Ils espèrent quelque chose de leurs prières en cas qu’il y ait un être qui les entende et qui les puisse exaucer ; ils n’ont rien à craindre en cas qu’il n’y ait point un tel être. Mais si quelqu’un était parvenu à un tel degré de mécréance, qu’il se fût fermement persuadé le pur athéisme, et qu’il demeurât dans cette persuasion pendant qu’il serait malade dangereusement, je ne conçois pas qu’il soit possible qu’il invoquât Dieu au fond de son cœur. N’allons donc pas nous imaginer que Des-Barreaux tomba dans l’extravagance qu’on lui impute, d’invoquer Dieu sans croire qu’il y eût un Dieu. Disons plutôt que sa coutume de l’invoquer dans ses maladies est une marque, ou qu’au temps de sa santé il ne doutait point de l’existence de Dieu, c’est ce qu’on assure dans le mémoire qui m’a été communiqué ; ou que tout au plus il mettait cela en problème, mais en problème dont il embrassait l’affirmative quand il craignait de mourir. L’inclination à la volupté lui faisait reprendre son premier train, son premier langage lorsque sa santé était revenue. Cela ne prouve point qu’en effet il fût athée. Cela prouve seulement, ou qu’il rejetait presque tous les dogmes particuliers des religions positives, ou que, par un principe d’orgueil il craignait qu’on ne le raillât d’être déchu de la qualité d’esprit fort, s’il ne continuait pas à parler en libertin. Il est assez apparent que ceux qui affectent dans les compagnies de combattre les vérités les plus communes de la religion, en disent plus qu’ils n’en pensent. La vanité a plus de part à leurs disputes que la conscience. Ils s’imaginent que la singularité et la hardiesse des sentimens qu’ils soutiendront leur procurera la réputation de grands esprits. Les voilà tentés d’étaler contre leur propre persuasion les difficultés à quoi sont sujettes les doctrines de la providence et celles de l’Évangile. Ils se font donc peu à peu une habitude de tenir des discours impies ; et si la vie voluptueuse se joint à leur vanité, ils marchent encore plus vite dans ce chemin. Cette mauvaise habitude contractée d’un côté sous les auspices de l’orgueil, et de l’autre sous les auspices de la sensualité, émousse la pointe des impressions de l’éducation : je veux dire qu’elle assoupit le sentiment des vérités qu’ils ont apprises dans leur enfance touchant la divinité, le paradis et l’enfer ; mais ce n’est pas une foi éteinte ; ce n’est qu’un feu caché sous les cendres. Ils en ressentent l’activité dès qu’ils se consultent, et principalement à la vue de quelque péril. On les voit alors plus tremblans que les autres hommes [17]. Ils passent jusqu’à la superstition : le souvenir d’avoir témoigné plus de mépris qu’ils n’en sentaient pour les choses saintes, et d’avoir tâché de se soustraire intérieurement aussi à ce joug, redouble leur inquiétude. On n’a presque jamais vu qu’un homme grave, éloigné des voluptés et des vanités de la terre, se soit amusé à dogmatiser pour l’impiété dans les compagnies, encore qu’une longue suite de méditations profondes, mais mal conduites, l’ait précipité dans la rejection intérieure de toute la religion. Bien loin qu’un tel homme voulût ôter de l’esprit des jeunes gens les doctrines qui les peuvent préserver de la débauche, bien loin qu’il voulût inspirer ses opinions à ceux qui en pourraient abuser, ou à qui elles pourraient faire perdre les consolations que l’espérance d’une éternité heureuse leur fait sentir dans leurs misères, il les fortifierait là-dessus par un principe de charité et de générosité. Il garde ses sentimens, ou pour lui seul, ou pour des personnes qu’il suppose très-capables de n’en faire pas un mauvais usage. Voilà ce que font les athées de système, ceux que la débauche ni l’esprit hâbleur n’ont point gâtés [18]. Le malheur d’avoir été trop frappés d’un certain principe, et de l’avoir suivi avec trop de gradations de conséquences, les a menés à une certaine persuasion. La grâce de Dieu les en peut tirer à la vue de la mort, mais sans cela ils persistent dans leur indolence au milieu des maladies et des tempêtes, et s’ils se conforment aux cérémonies mortuaires de l’église, c’est pour épargner à leurs parens les suites fâcheuses de la rejection du rituel. Cela porte à croire que les libertins semblables à Des-Barreaux ne sont guère persuadés de ce qu’ils disent. Ils n’ont guère examiné. Ils ont appris quelques objections ; ils en étourdissent le monde ; ils parlent par un principe de fanfaronnerie et ils se démentent dans le péril [19]. M. de Balzac les a bien caractérisés, lorsqu’il s’est moqué d’un grammairien de Gascogne, qui faisait le rodomont contre la divinité, et qui tombait pour la moindre chose dans la superstition la plus timide. Les termes dont il s’est servi tant en vers qu’en prose sont si beaux, que je me sens obligé de les rapporter. Audisti in quotidianis Comœdiis Pyrgopolinicis partes bellè agere. Audisti usurpantem crebrò, sibique affingentem Virgilianum illud :

Felix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes et inexorabile fatum
Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari.


Ne vobis imponat verborum illa magnificentia : histrio et recitator Virgilianus est, non philosophus Virgidianus. Meticulosissimum omnium animal timet etiam non timenda. Neque ignem modò, sed suspicionem quoque ignis, et fumum è longinquo volantem, et sublustriorem umbram timet..…..….

Vilis grammaticus, gentis pars fœda togatæ,
Impuro tantùm ore ferox, ne credite verbis,
Corde pavet gelido, quamvis verba ardua jactet
Sæpiùs, et tragicas effundat in aëra voces.
Non furor huic constaus, non numina fortiter odit,
Intrepidusque polos audet ridere tonantes,
Ut quondam Capaneus Thebana ad mœnia pugnans,
Cùm non arma Jovis flammasque timeret Olympi.
Hic dubii imbellis ventura pericula casûs,
Et simulachra malorum, et larvas horret inanes,
Contemptor placidique Jovis cælique sereni.
Quas non ille aras, humili formidine tactâ
Mente petet, quos non superos in vota vocabit,
Si videat maris iratos insurgere fluctus,
Sentiat aut propriis ardere incendia venis,
Insolitove urgeri oppressam pondere pectus,
Æger, inops animi, atque instantis victima fati [20] ?

Observons par occasion que plusieurs personnes très-persuadées des vérités du christianisme, oublient après le péril les vœux qu’elles avaient faits. De là est venu le proverbe, Passato il pericolo, gabbato il santo. Combien y a-t-il de débauchés très-orthodoxes d’ailleurs, qui, dans la peur de faire naufrage, ou de mourir d’une maladie, promettent à Dieu que, s’ils en échappent, ils vivront très-sagement ? Ils en échappent, et vivent aussi mal qu’ils avaient fait. Ne dirait-on pas qu’ils font allusion à ces lois humaines qui dispensent de tenir leur parole ceux qui l’ont donnée, pressés par une force majeure, en prison, à un ennemi qui leur tenait le pistolet sur la gorge, saisis, en un mot, d’une crainte légitime, metu cadente inconstantem virum ?

(G) Ses amis ne sauraient disconvenir de son grand libertinage. ] Ils disent qu’il goûtait assez les vérités du christianisme, et qu’il eût bien voulu en être très-persuadé ; mais il prétendait qu’il n’y a rien de si difficile à un homme d’esprit que de croire. Il était né catholique, mais il n’avait aucune créance ni au culte ni aux dogmes de la religion romaine ; et il disait que si l’Évangile et l’Écriture sont la règle de ce que nous devons faire et de ce que nous devons croire, il n’y avait point de meilleure religion que la réformée.

(H)..... mais ils prétendent que la renommée a outré les choses. ] Plusieurs sans le connaître ont parlé de lui comme d’un impie et d’un athée ; mais la vérité est qu’hormis quelques saillies dans la chaleur de la dispute, où il poussait quelquefois son raisonnement trop loin, il n’a jamais fait paraître que ses sentimens allassent à nier l’existence de Dieu. Il y avait quelquefois de l’emportement trop fort dans ses petites chansons de débauche. Voilà ce que portent les mémoires que l’on m’a communiqués. J’ai lu dans la seconde édition du Ménagiana une chose à quoi je ne pense pas que l’on doive ajouter foi, car c’est un conte qui se dit partout, et qui est attribué à mille sortes de gens. Quoi qu’il en soit, voici le conte de M. Ménage. Un jour que M. Des-Barreaux et M. d’Elbène étaient encore énsemble, c’était en carême, ils voulurent manger de la viande, et ne trouvèrent que des œufs dont on leur fit une omelette. Dans le temps qu’ils la mangeaient, il survint un orage et un tonnerre si terrible qu’il semblait qu’il allât renverser la maison où ils étaient. M. Des-Barreaux, sans se troubler, prit le plat et le jeta par la fenêtre, disant : Voilà bien du bruit pour une omelette [21]. Je n’ajoute pas plus de foi à un autre conte que j’ai ouï dire. On prétend que Des-Barreaux, étant bien malade, fit venir les prêtres avec autant de diligence que s’il eût été vieux dévot. L’eau bénite, les chandelles bénites, les croix, les images et tout l’attirail de la dévotion romaine entouraient son lit. On lui demanda comment il se portait. Jugez, dit-il, du mauvais état de mon corps et de mon esprit par l’attirail qui n’environne. On a forgé apparemment ce petit conte sur le modèle de la réponse que fit Périclés, lorqu’il se laissa pendre au cou un remède de vieille femme [22]. Ce que je m’en vais rapporter est tiré des lettres de Guy Patin. « On me vient de dire que le débauché M. Des-Barreaux est mort ; belle âme devant Dieu, s’il y croyait ! Au mois il parlait bien comme un homme qui n’avait guère de foi pour les affaires de l’autre monde ; mais il a bien infecté de pauvres jeunes gens de son libertinage ; sa conversation était bien dangereuse et fort pestilente au public : on dit qu’il en avait quelque grain avant qu’aller en Italie ; mais à son retour il était achevé : un rieur disait que la trop fréquente conversation des moines l’avait gâté, non pas de ces anachorètes de la Thébaïde, ou de nos bonnes gens qui s’emploient à la dévotion et à l’étude, mais de ceux qui sont en si grand nombre dans les villes d’Italie, qui ne songent à rien moins qu’à Dieu. » Comme Patin écrivait cela le 28 de mai 1666 [23], on voit clairement qu’il se fondait sur un faux bruit touchant la mort de Des-Barreaux. Il n’en était pas encore désabusé le 18 de juin suivant, car voici ce qu’il écrivit dans une lettre datée de ce jour-là [24]. « On ne dit rien de M. Des-Barreaux, je ne sais où il est à présent. Il a vécu de la secte de Crémonin : point de soin de leur âme et guère de leur corps, si ce n’est trois pieds en terre. Il n’a pas laissé de corrompre les esprits de beaucoup de jeunes gens, qui se sont laissé infatuer à ce libertin. » Ce qu’il écrivit quatre ans après au sujet de Saint-Pavin montre qu’il avait connu la fausseté de sa nouvelle ; car il parle de Des-Barreaux comme d’un homme vivant, et qui faisait pénitence. Il est ici mort depuis peu de jours, dit-il [25], un grand serviteur de Dieu, nommé M. de Saint-Pavin, grand camarade de Des-Barreaux, qui est un autre fort illustre Israëlite, si credere fas est. Ce discours insinue assez clairement, ce me semble, que l’un et l’autre de ces deux fameux libertins voulurent passer pour convertis ; et ainsi l’événement eût été bientôt contraire aux prédictions de M. Despréaux, qui avait mis la conversion de Saint-Pavin au nombre des impossibilités morales.

Avant qu’un tel dessein n’entre dans la pensée,
On pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée,
Arnaud à Charenton devenir huguenot,
Saint-Sorlin janséniste, et Saint-Pavin Bigot [26].


Il ne faut poiut douter que Saint-Pavin ne fût encore dans la mauvaise route lorsque M. Despréaux parla de lui. D’où vient donc que le savant Hadrien Valois met la conversion de Saint-Pavin au jour de la mort de Théophile ? Il s’est trompé assurément. Voyez le Valésiana [27] ; vous y trouverez aussi quelque chose touchant notre Des-Barreaux : « J’ai vu, étant jeune, MM. Des-Barreaux et Bardouville grands camarades. Ils étaient des disciples de Théophile… Pour ce qui est de M. Des-Barreaux, après avoir bien fait parler de lui dans Paris, et voyant qu’il venait un peu sur l’âge, il se mit dans la dévotion. Quelque médisant qui croyait que ce ne fût pas un pur motif de piété qui l’eût porté à changer de vie, fit alors cette épigramme sur lui :

» Des-Barreaux, ce vieux débauché,
» Affecte une réforme austère :
» Il ne s’est pourtant retranché
» Que ce qu’il ne saurait plus faire [28].

  1. * Joly dit que M. Legouz, dans son supplément (resté manuscrit) du Ménagiana, rapporte que la somme se montait de 4 à 500 livres.
  2. * Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV (Catalogue des écrivains), dit : « Il est très-faux que ce sonnet soit de Des-Barreaux. Il était très-fâché qu’on le lui imputât. Il est de l’abbé de Lavau (depuis membre de l’académie française, pour avoir négocié le mariage d’une fille de Colbert avec le duc de Mortemart), qui était alors jeune et inconsidéré. J’en ai vu la preuve dans une lettre de l’abbé de Lavau à l’abbé Servien. » Si un témoignage aussi positif avait besoin d’être confirmé, j’ajouterais que Joly, sans nommer l’auteur du sonnet, rapporte que la Monnoie doutait fort que Des-Barreaux fût auteur du sonnet.
  1. Mère du maréchal de Luxembourg. Elle est morte, non pas au mois de janvier 1695, comme les gazettes le publièrent, mais au mois d’août 1696, âgée de quatre-vingt-douze ans, dans la 69e. année de sa viduité. Voyez les Lettres Historiques du mois de septembre 1696, pag. 327, 328.
  2. Avocat général, et puis président à mortier, au parlement de Paris.
  3. Le recueil des Lettres de Théophile, publié par Mayret, en contient deux de françaises, et plusieurs latines de Théophile à Des-Barreaux, et une latine de celui-ci à Théophile.
  4. Galanteries des rois de France, tom. II, pag. 180, édition de Hollande, 1695.
  5. Voyez la lettre que M. de Balzac lui écrivit le 12 octobre 1641, elle est la XXVIe. du IIe. livre de la IIe. partie des Lettres choisies. La cousine dont il lui parle, qui ne se voulait pas remarier, est sans doute la comtesse de Bouteville.
  6. Il s’est retiré à la Haye, pour la religion, en 1694.
  7. Baillet, Vie de Descartes, tom. II, pag. 176.
  8. Art de parler, liv. II, chap. III, pag. 100, édition de Hollande, 1679.
  9. Lettres nouvelles de M. Boursault, pag. 18, édition de Hollande, 1698.
  10. Là même, pag. 21.
  11. Lettres nouvelles de M. Boursault, pag. 22, édition de Hollande, 1698.
  12. Là même, pag. 24.
  13. Voyez le Phèdre imprimé à Amsterdam, 1698, à la page 325 du Commentaire de Gudius. Append. Fab. I, in edit. P. Burm.
  14. Elles sont dans la même édition de Nevelet.
  15. Épître de saint Paul aux Romains, ch. X, vers. 14.
  16. Voyez la remarque (E) de l’article de Bion Borysthénite, tom. III, pag. 448.
  17. Voyez ci-dessus pag. 95, le passage de Charron, dans la remarque (I) de son article.
  18. Voyez la remarque (C) de l’article Vayer, à la fin, tom. xiv.
  19. Voyez l’article de Bion, Borysthénite, remarque (E), et celui d’Hénault, tom. viii.
  20. Balz., Epistol Select., pag. m. 270.
  21. Ménagiana, pag. 240, 241 de la 2e. édition de Hollande.
  22. Ὁ γοῦν Θεόϕραςος ἐν τοῖς ἠθικοῖς διαπορήσας, εἰ πρὸς τὰς τύχας τρέπεται τὰ ἤθη, καὶ κινούμενα τοῖς τῶν σωμάτων πάθεσιν, ἐξίςαται τῆς ἀρετῆς, ἱςόρηκεν, ὅτι νοσῶν ὁ Περικλῆς ἐπισκοπουμένῳ τινὶ τῶν ϕίλων δείξειε περίαπτον ὑπὸ τῶν γυναικῶν τῷ τραχήλῳ περιηρτημένον, ὡς σϕόδρα κακῶς ἔχων, ὁπότε καὶ ταύτην ὑπομένοι τὴν ἀϐελτερίαν. Scriptum reliquit in Ethicis Theophrastus, ubi disputat an mutentur cum fortunâ mores, et corporis agitati affectibus deciscant à virtute, ægrum Periclem amico cuipiam, qui ipsum invisebat, amuletum ostendisse à mulieribus ex collo suo suspensum, quasi, quum eas etiam toleraret ineptias, graciter admodum ægrotaret. Plutarch. in Pericle, pag. 173, A.
  23. Cette Lettre est la CCCCVe. Voyez la page 203 du IIIe. tome.
  24. C’est la CCCCVIIe.
  25. Lettre DXIIe., datée de Paris, le 11 avril 1670. Voyez la page 510 du IIIe. tome.
  26. Despréaux, satire I, vs. 125.
  27. Pag. 32, édition de Hollande.
  28. Là même, pag. 31.

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