Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Doneau

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DONEAU (Hugues), en latin Donellus, l’un des plus savans jurisconsultes du XVIe. siècle, naquit à Châlons-sur-Saône [a], l’an 1527. Son régent, homme rude et grand fouetteur, l’avait tellement rebuté, qu’il n’y avait ni menaces, ni promesses qui pussent le faire retourner au collége (A). Mais enfin ayant eu peur qu’on ne le donnât pour valet à un porcher, il promit de bien étudier à l’avenir. Il apprit la jurisprudence à Toulouse, sous les professeurs Jean Corras et Arnoul du Ferrier [b], qui avaient jusqu’à quatre mille auditeurs. Il fut reçu à Bourges docteur en droit l’an 1551 ; et il professa cette science au même lieu avec Duaren, Hotman, et Cujas (B). Il la professa ensuite à Orléans. Il pensa périr dans le massacre de l’an 1572 [c], à cause qu’il était de la religion ; et il n’aurait pas échappé à la violence des massacreurs, si quelques-uns de ses disciples, Allemands de nation, ne l’eussent sauvé en l’habillant à l’allemande, comme s’il eût été de leurs domestiques. Il avait embrassé la réforme dès sa première jeunesse, à l’instigation de sa sœur. Il s’arrêta à Genève pendant quelque temps ; et puis il passa au Palatinat, où il enseigna le droit civil dans l’académie d’Heidelberg. On l’appela à Leyde, l’an 1575, pour le même emploi : il l’accepta et le remplit dignement. Mais parce qu’il fut assez imprudent pour s’engager plus qu’il ne fallait dans la faction de Leicester (C), il se vit contraint de sortir de la Hollande, l’an 1588. Il s’en retourna en Allemagne, et fut professeur en droit à Altorf, tout le reste de sa vie. Il mourut le 4 de mai 1591. Il avait la mémoire si heureuse qu’il savait par cœur tout le corps du droit [d]. Vous trouverez le titre de quelques-uns de ses ouvrages dans Moréri. Les autres sont de même nature. Il avait tâché toute sa vie d’obscurcir la réputation de Cujas en le critiquant [e]. M. de Thou a fait quelques fautes (D).

  1. Et non pas dans un Bourg près d’Autun, comme l’assure Moréri, trompé par ces paroles de Meursius, in Heduis natus, qu’il n’a pas entendues.
  2. Voyez la remarque (B).
  3. Remarquez que, selon M. de Thou, liv. LII, pag. 1082, 1083, il enseignait alors à Bourges.
  4. Tiré du Théâtre de Paul Fréhérus, pag. 924, où l’on cite, Vitæ Professorum Leydensium, et le Programme funèbre de Hugo Donellus.
  5. Voyez la remarque (D).

(A) Son régent..... l’avait tellement rebuté, qu’on ne pouvait le faire retourner au collége. ] On sera peut-être bien aise de voir les paroles latines de l’auteur qui m’apprend ce fait. Cùm puer ob præceptoris plagosi sævitiam à ludo litterario planè alienaretur, ut nullis minis aut blanditiis ad eum reduci posset, fortè accidit, ut pater ejus pertranseuntem istàc pastorem suarium cerneret, quo ad se vocato, coram filio, rogare institit, ecquid famulo opus haberet ? esse sibi domi filium, quem ei mancipare cuperet, aversum à litteris et immorigerum. Eâ voce puer adeò conterribus est, ut rem seriò agi existimans, et flens parentis genibus advolutus eum obtestaretur, ne se filium suum in eas sordes projiceret, velle se litteris deinceps operam studiosè dare [1].

(B) Il professa le droit à Bourges, avec Duaren, Hotman et Cujas. ] L’auteur que j’ai cité [2] lui donne encore un autre collègue, savoir Éguinard Baron ; mais comme je sais qu’Éguinard Baron mourut l’an 1550, je n’ai pas voulu dire qu’il fut professeur en droit en même temps que Doneau, qui, selon le propre récit de mon auteur [3], n’enseigna le droit à Bourges qu’après y avoir reçu le doctorat en cette science, l’an 1551. Ce fut Duaren qui lui conféra ce grade le 17 de juillet. Le discours qu’il fit en cette occasion, à la louange de Doneau, est imprimé parmi ses œuvres. Le père Jacob [4], qui avait lu l’oraison funèbre de Doneau faite par Scipion Gentilis, a mieux distingué que Paul Fréher ce qu’il fallait distinguer. Il s’est contenté de dire que Doneau fut fort assidu aux leçons d’Éguinard Baron, et à celles de Francois Duaren, et qu’il s’insinua dans leurs bonnes grâces, et que Duaren surtout lui témoigna une affection singulière. J’ai corrigé une autre faute de Paul Fréher, il nomme Arnoldum Ferronum l’un des professeurs de Toulouse, dont notre Doneau fut disciple : il fallait le nommer Arnoldum Ferrerium, comme a fait le père Jacob. Prenez ceci pour un exemple de la négligence dont j’ai parlé ci-dessus [5].

(C) Il fut assez imprudent pour s’engager... dans la faction de Leicester. ] Leicester avait amené 6000 Anglais en Hollande, sur la fin de l’an 1585 ; et au lieu de maintenir la liberté de cette nouvelle république, il tâcha de s’y ériger en souverain : et comme il n’ignorait pas que le peuple soutenu par les prédicateurs s’attachait aux intérêts du gouverneur, contre les magistrats, il fomenta adroitement ces dispositions du peuple, et y réussit d’autant plus facilement, que la faction opposée s’attirait la haine des ecclésiastiques, en s’opposant à l’autorité des consistoires. M. Huber [6], qui m’apprend cela, ajoute que ceux qui étaient du parti des consistoires soutenaient que la souveraineté n’appartenait point aux magistrats, mais au peuple ; thèse que les états de Hollande firent condamner le 16 d’octobre 1587. Toutes ces menées de Leicester remplirent de partialités la nouvelle république, et l’on découvrit même des complots par où il tâchait de s’assurer des plus grandes villes, et de Leyde nommément. Voilà les affaires où notre Donellus se trouva mêlé, et pour lesquels il fut banni [7]. Eam conjunctionem (plebis et concionatorum cum gubernatore) Leicestrius imprimis curæ habuit, obtrectando optimatibus, et concionatores plebesque specie religionis sibi conciliando. Quâ in re multùm ei profuit, quod optimates disciplinæ ecclesiasticæ ferè adversabantur, et consistoria sibi adversa reputantes, quantùm poterant, cohibere gaudebant. Quorum patroni vicissim plebi inculcabant, jus supremum non esse penes proceres, sed penes populum, cui isti rationem reddere cogerentur. Contra quam sententiam ordines Hollandiæ decretum sive disputationem publicam ediderunt d. 16 octobre 1587 [8]. Bien des gens ajouteront plus de foi à ceci sur la parole de M. Huber, que sur celle de Grotius ; c’est pourquoi je ne cite pas ce que ce dernier a dit, au livre V de son Histoire du Pays-Bas. C’est ainsi qu’il le faut citer, et non pas au Ve. livre de ses Annales [9]. Doneau ne fut pas le seul professeur qui cabala contre l’autorité des États en faveur de l’Angleterre. Lambert Daneau, ministre français réfugié en Hollande, et professeur en théologie à Leyde, s’engagea dans cette cabale [10]. C’était, si l’on en veut croire M. de Thou, la faction des prédicateurs et celle de la populace, et leur but était de soumettre la république à la domination des Anglais [11].

(D) M. de Thou a fait quelques fautes. ] Selon son narré, il faudrait croire que Doneau en sortant de France s’en alla à Leyde. Qui cùm primùm Avarici Biturigum [12] diù docuisset, post tumultum Parisiensem solum patrium vertere coactus Lugduni Batavorum aliquanto tempore hæsit [13]. Or cela est faux : il fut depuis sa fuite professeur à Heidelberg, avant que de l’être dans la Hollande. Outre cela M. de Thou s’est trompé à l’âge de ce professeur : il lui donne autant de vie qu’à Cujas, c’est-à-dire soixante-huit ans [14] ; et néanmoins l’épitaphe de Doneau [15] témoigne qu’il mourut la soixante-quatrième année de sa vie. pridiè eid. maias, ce sont les paroles de M. de Thou [16], fatis concessit, eodem quo Cujacius ætatis anno, eo minore famâ, quòd illius famæ voce et scriptis obstrepere tota vita pro ludo habuerit. Voyez la XXIVe. lettre de Vossius, à la page 73. Je m’étonne que M. de Thou ait ignoré que le Zacharie Furnestérus dont il parle, est notre Doneau : c’est lui qui, sous ce faux nom, réfuta l’Apologie du massacre de Paris, envoyé à la diète de Pologne en 1572, par l’évêque de Valence. Contra eam defensionem biennio post contraria defensio edita est admodum virulenta à Gallo quodam in Germaniâ profugo, Zachariæ Furnesteri nomine, quæ cùm Monlucii nomen et pudorem admodum sugillaret, anno post Lugduni publicatur adversùs illum Furnesteri libellum pro Joanne Monlucio episcopo et Comite Valentino Diensi præscriptio elegantissimè scripta à Jacobo Cujacio J. C. hujus ætatis principe, nomine tamen suppresso [17] : M. Deckher [18] a bien su que Donellus était l’auteur de l’écrit du prétendu Furnestérus ; mais il s’est trompé en deux choses : 1o. en ce qu’il a dit que la réponse de Furnestérus fut publiée l’an mil cinq cent soixante et douze ; 2o. en ce qu’il dit qu’elle réfuta l’Apologie que Michel Seureus [* 1], chevalier de Malte, avait faite dans la diète générale de Pologne [19].

  1. (*) Michel de Sévre, chevalier de Malte et commandeur de l’ordre. Le journal du règne de Henri III, et les Mémoires de la reine Marguerite, parlent de lui sous le nom de chevalier de Sévre. Rem. crit.
  1. Freherus, in Theatro, pag. 924.
  2. Paul Fréher.
  3. Paul Fréher.
  4. Ludovicus Jacob, de claris Scriptor. Cabilonensibus, pag. 42.
  5. Dans la remarque (B) de l’article Démétrius, citat. (19), pag. 455.
  6. Professeur en droit à Franeker. Il mourut le 8 de novembre 1694.
  7. Insidiæ quoque civitatibus Hollandiæ occupandis, nominatim Dordraco Leydæque factæ sunt, ubi proditores quidem capite, et Hugo Donellus Juris Antecessor exilio mulctati sunt. Ulricus Huber., in Historiâ civil., tom. II, pag. 413.
  8. Idem, ibid., pag. 412, 413.
  9. M. Teissier, Additions aux Éloges, tom. II, pag. 424, cite le Ve. livre des Annales.
  10. Thuan., lib. LXXXVIII, pag. 147.
  11. Là même, p. 146 et seq.
  12. C’est-à-dire, à Bourges, et non pas à Bourdeaux comme on l’a dit dans la traduction de M. de Thou, dans Teissier, Éloges, tom. II, pag. 160.
  13. Thuan., lib. C, pag. 405.
  14. Idem, lib. XCIX, pag. 378.
  15. Apud Meursium, Athen. Bat., pag. 132.
  16. Lib. C, pag. 403.
  17. Thuan., Histor., lib. LIII, pag. 1092, col. 1.
  18. Deckherus, de Scriptis Adespotis, pag. 263.
  19. Sub eâdem Catharinâ infamis lanienæ Parisiensis defensor Michaël Sevreus, eques Hierosolymitanus, coram ordinibus regni Poloniæ fuit. Ibid.

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