Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Métellus 2

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MÉTELLUS (Lucius), tribun du peuple, lorsque César se rendit maître de Rome, au commencement des guerres civiles, eut plus de courage que tous les autres magistrats. La ville de Rome parut si soumise aux volontés de César, dès les premiers jours (A), qu’on eût dit qu’elle était accoutumée depuis longtemps au joug de la servitude. Le seul Métellus eut la hardiesse de s’opposer à César, qui se voulait saisir du trésor que l’on gardait dans le temple de Saturne. César se moqua de l’opposition, et des lois qui lui furent alléguées (B), et s’en alla tout droit au lieu où ce trésor était en dépôt. Il le trouva fermé ; et comme on lui refusait les clefs, il donna ordre qu’on rompît les portes : et sur ce que Métellus renouvela ses oppositions, il le menaça de le tuer : Jeune homme, ajouta-t-il, tu n’ignores pas qu’il me serait plus facile de le faire que de le dire. Le tribun ne résista plus (C), et se retira tout doucement ; et César prit dans cette épargne tout ce qu’il voulut [a]. Il s’est bien gardé de conter comment la chose s’était passée : il la déguise de telle sorte dans son histoire de la guerre civile [b] (D), qu’on n’y trouve rien d’injuste ni de violent. C’est ainsi qu’en usent ceux qui composent eux-mêmes leur vie ; ils font évanouir les circonstances qui ne leur sont pas glorieuses.

  1. Plutarch. in Cæsare, pag. 725.
  2. Lib. I.

(A) La ville de Rome parut si soumise aux volontés de César dès les premiers jours. ] Il ne s’en faut pas étonner ; on le regardait comme un homme qui, à main armée s’étant emparé de Rome. On avait appréhendé qu’il ne mît tout au pillage.

....... Namque ignibus atris
Creditur, ut capte rapturus mœnia Romæ
Sparsurusque Deos : fut hæc mensura timoris.
Velle putant quodcùnque potest [1].


Le bonheur de Rome voulut qu’il mît des bornes à sa puissance, lorsque le sénat et le peuple n’en eussent point mis à leur soumission. Ce ne sera pas la dernière fois que, même dans des conjonctures où la mollesse est infiniment plus inexcusable qu’alors, on aura moins de honte de laisser prendre, que d’autres n’en auront de prendre, et qu’on devra son salut à la discrétion d’autrui.

Omnia Cæsar erat, privatæ Curia vocis
Testis adest. Sedere patres censere parati
Si regnum, si templa sibi, jugulumque senatus
Exiliumque petat. Meliùs quod plura jubere
Erubuit, quam Roma pati..... [2].

(B) César se moqua... des lois qui lui furent alléguées. ] Appien [3] nous conte qu’après les funestes guerres que les Romains eurent avec les Gaulois, on mit en réserve à Rome certaines sommes d’argent auxquelles il était défendu de toucher sous la peine d’une exécration publique, si ce n’est en cas de guerre contre les Gaulois. On allégua à César que leurs ancêtres avaient donné la malédiction de la patrie à quiconque toucherait à cet argent, hors le cas de cette nécessité. Il se moqua de cette malédiction, et dit qu’ayant subjugué les Gaules, il avait délivré Rome de l’engagement où elle pouvait s’être mise lorsqu’elle fonda cette épargne. Lucain a fait une réflexion ingénieuse à la vérité, mais un peu forcée, ce me semble. Il dit que les lois, les priviléges, la liberté, tiennent moins au cœur que l’argent, et que ce ne fut que pour l’amour de ce trésor que l’on essaya de résister à la force [4]. Il parle des oppositions de Métellus.

(C) Le tribun ne résista plus. ] Lucain suppose que Métellus cherchait la gloire d’être immolé à la violence du tyran ; mais que César ne le crut point digne de cet honneur, et qu’il lui dit :

..... Vanam spem mortis honestæ
Concipis : haud (inquit) jugulo se polluet isto
Nostra, Metelle, manus. Dignum te Cæsaris irâ
Nullus honor facit, te vindice tuta relicta est
Libertas ? non usquè adeò permiscuit imis
Longus summa dies, ut non, si voce Metelli
Serventur leges, malint à Cæsare tolli [5].


Ce poëte suppose une autre chose ; c’est que Métellus ne se retira qu’après les solides remontrances de Cotta. La liberté, disait Cotta, ruine la liberté, lorsque le pouvoir monarchique la talonne ; et si vous voulez ne la point perdre tout-à-fait, si vous souhaitez d’en retenir à tout le moins l’ombre, faites semblant de vouloir ce qu’on vous commande. Cette pensée est très-belle : Lucain l’exprime noblement.

..... Tum Cotta Metellum
Compulit audaci nimium desistere cœpto.
Libertas, inquit, populi quem regna coercent,
Libertate perit ; cujus servaveris umbram,
Si, quicquid jubeare, velis [6].

(D) César...... déguise de telle sorte cette action dans son Histoire de la Guerre civile. ] C’est plutôt une suppression totale qu’un déguisement ; car bien loin de convenir qu’il se servit de menaces contre Métellus, et qu’il enleva malgré lui l’argent de l’épargne, il déclare qu’il sortit de Rome pour ne s’embarrasser pas long-temps dans les chicanes que ses ennemis lui faisaient par le moyen de Métellus. N’est-ce pas insinuer qu’il fut si bénin et si débonnaire, qu’il aima mieux quitter la partie que de lutter contre ce tribun du peuple ? Subjicitur etiam L. Metellus, tribunus plebis, ab inimicis Cæsaris, qui hanc rem distrahat, reliquasque res quascunque agere instituerit, impediat. Cujus cognito consilio, Cæsar frustrà diebus aliquot consumptis, ne reliquum tempus omittat, infectis iis quæ agere destinaverat, ab Urbe proficiscitur [7]. S’il fait mention du trésor public, ce n’est pas pour dire qu’il y ait touché, c’est pour dire que le faux bruit de son arrivée effraya de telle sorte ses ennemis, que le consul Lentulus, qui était allé à l’épargne pour en tirer l’argent qui s’y trouverait, afin de l’envoyer à Pompée, partit de la main sans avoir rien exécuté. Selon toutes les éditions de César, la peur de ce consul fut si grande, qu’elle ne lui permit pas de refermer le trésor public [8] ; mais un critique d’assez bon goût [9] est d’avis qu’on rectifie ce passage par l’insertion de la particule non : et alors le sens de César sera que le consul prit la fuite avant que d’avoir ouvert l’épargne. Suivant les éditions, César dirait une chose fort éloignée de ce que tous les autres historiens assurent : ils remarquent, ou qu’il fit enfoncer les portes du trésor public, ou qu’il menaça de les faire rompre si on lui en refusait les clefs [10]. La leçon ordinaire fait évanouir cette violence, puisqu’elle suppose que le trésor fut laissé ouvert. Si l’on adopte la conjecture de Rubeins, on diminuera la mauvaise foi de la plume de César : mais il sera toujours coupable d’une insigne suppression de la vérité ; car il n’a point dit qu’il profita de la conjoncture, et qu’il entra dans l’épargne, que Lentulus n’avait point fermée, Vossius ne me semble pas bien fondé dans la raison qu’il allègue contre la correction de Rubeins : Sed profectò, dit-il, sequentia refellunt, nam quia mirum poterat videri, quòd relinqueret apertum. ærarium profugiens, eo subjungit : Cæsar enim adventare, etc. [11]. Cette raison est tirée des paroles dont César se sert pour montrer la cause de la frayeur de Lentulus, mais elle n’est pas bien forte ; car il est fort étonnant qu’à la veille d’une grande guerre, un consul qui est tout prêt de faire charger l’argent de l’épargne pour l’envoyer au général, prenne la fuite avant que de s’assurer de cet argent : de sorte que, si César s’était servi de la négative, comme Rubeins le suppose, il aurait été obligé de donner une raison de la peur de Lentulus, peur qui n’aurait pas donné le temps nécessaire à se bien munir d’argent. Ainsi Vossius n’est pas bien fondé à supposer que l’on donnerait une raison inutile, si le fait que César raconte était conforme à la critique de Rubeins. Il me semble aussi que la leçon ordinaire pousse les choses jusqu’à l’hyperbole. Quelle apparence qu’un consul romain ait été si consterné, qu’il n’ait point vu que le temps qu’il lui fallait pour la fermeture d’une porte n’était pas à ménager, je veux dire qu’il ne durerait pas assez pour empêcher qu’on ne pût prendre la fuite ?

  1. Lucan., Phars., lib. III, vs. 99.
  2. Là même, vs. 108.
  3. Lib. II Bell. Civil., pag. m. 241.
  4. Usque adeò solus ferrum, mortemque timere
    Auri nescit amor : pereunt discrimine nullo
    Amissæ leges : sed pars vilissima rerum
    Certamen movistis opes.......
    Lucan., Phars., lib. III, vs. 118.

  5. Ibidem, vs. 134.
  6. Ibidem, vs. 143.
  7. Cæsar., de Bello civ., lib. I, pag. m. 250.
  8. Quibus rebus Romam nunciatis tantus repentè terror invasit, ut cùm Lentulus consul ad aperiendum ærarium venisset ad pecuniam Pompeio ex senatusconsulto proferendam, protinùs aperto sanctiore ærario ex urbe profugeret, Cæsar enim adventare jamjamque, et adesse ejus equites falso nunciabantur. Ibidem, pag. 239.
  9. Philippe Rubeins, Elector., lib. I, cap. XXIV, apud Vossium, de Hist. lat., pag. 63, veut qu’on lise protinus non aperto.
  10. Voyez Lucain, Plutarque et Appien, ubi suprà, citat. (a), (3) et (4) ; Dion, lib. XLI, pag. 181 ; Ciceron, ad Attic., lib. X, epist. IV ; Florus, lib. II, cap. II, num. 21.
  11. De Hist. lat., pag. 63.

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