Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Métellus 1

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MÉTELLUS CELER (Quintus), consul, l’an de Rome 693, avait exercé la préture année du consulat de Cicéron [a], et rendu de bons services à la république en s’opposant aux troupes de Catilina, qui voulaient passer dans la Gaule Cisalpine [b]. Après sa préture, il obtint le gouvernement de cette province. C’était un homme de mérite, mais qui fut très-malheureux à se choisir une femme ; car il épousa une sœur de Clodius (A), laquelle le déshonora par ses impudicités, et puis l’empoisonna. Elle était sa cousine germaine [c]. C’est elle qui, sous le nom de Lesbia, a été tant diffamée par Catulle [d]. Cicéron perdit un très-bon ami par la mort de ce Métellus, l’an 694 (B). Je remarquerai une méprise de Turnébe (C). Notre Métellus était du collége des Augures [e].

  1. En 690.
  2. Sallust. in Bell. Catil. pag. m. 81, 176.
  3. Cicero pro Cœlio, pag. 518, edit. Abrami.
  4. Voyez la remarque (A), citation (3).
  5. Cicer. in Vatinium, pag. 306, edit. Abrami.

(A) Il épousa une sœur de Clodius. ] C’est la Clodia que Cicéron a si bien décrite dans son plaidoyer pour Célius, jeune provincial, et beau garçon, qui se voyait accusé de plusieurs crimes, et entre autres d’avoir voulu donner du poison à Clodia, afin de n’être pas obligé à rendre les sommes d’argent qu’il lui avait empruntées. Cicéron fut son avocat, et plaida pour lui avec tant de force, qu’il le fit absoudre. Clodia n’avait entrepris cette affaire que pour se venger d’un affront sensible : c’est que Célius, après s’être diverti avec elle tant et si long-temps qu’il avait voulu, s’en était enfin dégoûté, et l’avait quittée pour porter ailleurs ses offrandes. Plutarque [1] raconte qu’on la surnommait Quadrantaria, à cause qu’un jour l’un de ceux qui avaient couché avec elle ne la paya qu’en fort mauvaise monnaie. Il mit dans sa bourse, non pas des pièces d’argent, mais de petites pièces de cuivre [2], telles que les doubles de France à peu près. Apulée [3] nous apprend qu’elle est la maîtresse que Catulle a tant chantée sous le nom de Lesbia : elle méritait donc pour plusieurs raisons le titre dont parle Plutarque ; car la Lesbia de Catulle fut enfin une coureuse de carrefour, et qui attendait sa proie au coin des rues. Elle était au premier occupant, et prenait sans doute ce qu’on lui voulait donner. C’était du vin à un sou le pot ; elle faisait de sa marchandise pour un liard, Scortum diobolare, aut triobolare. Ne méritait-elle donc pas le surnom quadrantaria ? Voyez en note les vers de Catulle, adressés apparemment au client de Cicéron [4]. Elle avait acheté un jardin au bord du Tibre, afin de se procurer la commodité de voir les nageurs, et de mieux choisir la bête qu’elle voulait faire donner dans ses toiles. Habes hortos ad Tiberim : ac diligenter eo loco parâsti quò omnis juventus natandi caussâ venit, hinc licet conditiones quotidiè legas [5]. De toutes les sœurs de Clodius, celle-ci était la plus soupçonnée d’inceste avec lui [6]. Étant encore fort jeune, il faisait le peureux, afin qu’on le laissât dormir avec cette sœur. Propter nescio quam, credo, timiditatem, et nocturnos quosdam inanes metus, tecum semper pusio cum majore sorore cubitavit [7]. Il y a une épigramme dans Catulle [8] qui fait foi qu’il avait aimé Clodia, et que même il s’était brouillé avec elle avant la mort de son mari.

Lesbia mi, præsente viro, mala plurima dicit,
Hæc illi fatuo maxima lætitia est.
Mule [9], nihil sentis. Si nostri oblita taceret,
Sana esset, quod nunc gannit et obloquitur.
Non solùm meminit, sed quæ multò acrior est res
Irata est : hoc est uritur et loquitur.

(B) Cicéron perdit un très-bon ami par la mort de ce Métellus, l’an 694. ] Je rapporterai ses paroles, afin que d’un côté l’on puisse connaître le mérite de ce Métellus, et son amitié pour Cicéron ; et que l’on voye de l’autre, la différence qu’il y a souvent entre un homme et un mari. Métellus à l’égard de Cicéron est un illustre Romain : c’est parce que Cicéron ne le considère qu’en tant qu’homme. Ce même Métellus à l’égard de Catulle est un sot, un fat, un mulet [10] : c’est parce que Catulle ne le considère que comme mari. Catulle était convaincu que la femme de Métellus ne valait rien ; il connaissait assez tous les effets de l’amour, pour être persuadé que puisqu’elle disait tant de mal de lui, Catulle, c’était un signe qu’elle sentait encore les brûlures de sa passion. Quelle estime pouvait-il donc avoir pour Métellus, qui donnait dans un si méchant panneau, et qui se laissait empanacher, et puis duper par sa femme ? Voyons les paroles de Cicéron [11] : Proh ! Dii immortales, cur interdùm in hominum sceleribus maximis aut connivetis, aut præsentis fraudis pœnas in diem reservatis ? Vidi enim, vidi, et illum hausi dolorem vel acerbissimum in vitâ, quùm Q. Metellus abstraheretur è sinu, gremioque patriæ : quùmque ille vir, qui se natum huic imperio putavit, tertio die postquàm in curiâ, in rostris, in republicâ floruisset, integerrimâ ætate, optimo habitu, maximis viribus eriperetur indignissimè bonis omnibus, atque universæ civitati. Quo quidem tempore ille moriens, quùm jani cæteris ex partibus oppressa mens esset extremum sensum ad memoriam reipublicæ reservabat : quùm me intuens flentem significabat interruptis, atque morientibus vocibus : quanta impenderet procella urbi, quanta tempestas civitati : quùm parietem sæpè feriens eum, qui cum Q. Catullo fuerat ei communis, crebrò Catullum, sæpè me, sæpissimè rempublicam nominabat : ut non se tùm emori, quàm spoliari suo præsidio quùm patriam, tùm etiam me doleret. Quem quidem virum si nulla vis repentini sceleris sustulisset, quonam modo ille furenti fratri suo patrueli consulari restitisset, qui consulem incipientem furere atque conantem, suâ se manu interfecturum, audiente senatu dixerit ? Ex hâc igitur domo progressa ista mulier de veneni celeritate dicere audebit ; nonne ipsam domum metuet, ne quam vocem eliciat ? non parietes conscios, non noctem illam funestam ac luctuosam perhorrescet ? Cicéron a remarqué en un autre lieu, que Clodia vivait mal avec son mari [12].

(C) Je remarquerai une méprise de Turnèbe. ] Il a cru que Catulle a parlé de notre Métellus Céler dans l’épigramme LXVIII.

Ita Cecilio placeam, cui credita nunc sum.


Le poëte fait parler ainsi la porte d’une femme débauchée : mais cette femme n’est point Lesbia ou Clodia ; car la femme dont il est question dans cette épigramme avait épousé un homme impuissant, dont le père fut si officieux qu’il consomma le mariage que son fils avait contracté. On ne sait pas bien s’il le fit parce qu’il aimait sa belle-fille, ou parce qu’il était persuadé que son fils n’aurait pas assez de forces. Consultez ces vers de Catulle :

Primùm igitur virgo quod fertur tradita nobis,
Falsum est : nonque illam vir prior attigerat,
Languidior tenerâ cui pendens sicula beta,
Nunquàm se mediam sustulit ad tunicam,
Sed pater ipsius nati violâsse cubile
Dicitur, et miseram conscelerâsse domum :

Sive quòd impia mens Cæco flagrabat amore,
Seu quòd iners sterili semine natus erat :
Et quærendum aliundè foret nervosius illud,
Quòd posset zonam solvere virgineam.
Egregium narras mirâ pictate parentem,
Qui ipse sui gnati minxerit in gremium [13].


Scaliger réfute Turnèbe par deux raisons : la 1re. est que la scène de cette aventure est à Vérone, et non pas à Rome ; la 2e. est que personne n’a jamais dit que Clodia ait commis inceste avec son père. Cicéron n’eût pas oublié de lui en faire reproche, si elle eût été en mauvaise réputation de ce côté-là [14]. Ces deux raisons de Scaliger sont fort bonnes ; mais il n’a pas bien pris garde que ce fut avec le père de son mari, et non pas avec son propre père, que la fille dont parle Catulle se défit de son pucelage.

  1. Plutarch., in Ciceron, Vitâ, pag. 875.
  2. Qu’on nommait à Rome quadrantes.
  3. In Apologiâ, pag. m. 279. J’ai cité ses paroles dans la remarque (D) de l’article précédent.
  4. Cœli, Lesbia nostra, Lesbia illa,
    Illa Lesbia quam Catullus unam
    Plusquam se atque suos amavit omnes ;
    Nunc in quadriviis et angiportis
    Glubit magnanimos Remi Nepotes.
    Catull., epigr. LIX.

  5. Cicero, pro Cœlio, pag. 445, edit. Abrami. Conférez avec ceci ce qu’on a dit dans l’article de Louis VII, tom. IX, pag. 391, citat. (5).
  6. Plutarch., in Ciceron. Vitâ, pag. 875.
  7. Cicero, pro Cœlio, pag. 445.
  8. C’est la LXXXIVe.
  9. Ce n’est pas un nom propre, comme plusieurs l’ont cru. Voyez Muret. sur cette épigr.
  10. Voyez l’épigramme LXXXIV, dans la remarque précédente.
  11. Cicero, pro Cœlio, pag. 514.
  12. Ea est seditiosa : ea cum viro bellum gerit, neque solùm cum Metello, sed etiam cum Fabio. Idem, epist. I ad Attic., l. I, p. m. 75.
  13. Catull., epigramm. LXVIII.
  14. Alienum à vero prorsùs scribit Adr. Turnebus, Gallorum doctissimus, hunc esse Cæcilium. cui Clodia nupserit. Hoc enim non Romæ, sed Veronæ manifesto actum scribit Catullus. Deindè nihil tale de Clodiâ narratur, ut consuetudinem stupri nefandam cum patre suo habuerit. Hoc enim non tacuisset capitalis hostis ejus fratris Clodii Cicero. Scalig., Not. in Catull., epigr. LXVIII.

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