Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Manto

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MANTO, fille de Tirésias, et grande devineresse comme son père. On l’estimait à un tel point, que lorsque ceux d’Argos pillèrent la ville de Thèbes, ils ne crurent pas pouvoir s’acquitter du vœu qu’ils avaient fait à Apollon, de lui consacrer ce qu’il y aurait de plus excellent dans leur butin, s’ils ne lui offraient cette fille. Elle fut donc envoyée au temple de Delphes. Mais cela ne l’engagea point à faire aucun vœu de continence, ou si elle y fut engagée, elle observa fort mal son vœu ; car nous lisons qu’Alcméon, qui avait été le généralissime de l’armée qui prit Thèbes, fit deux enfans à notre Manto, un fils qui eut nom Amphilochus, et une fille qui fut fort belle, et qui s’appela Tisiphone. Ce furent les fruits d’une galanterie qui eut quelque chose d’assez singulier, puisqu’elle arriva durant la fureur qui avait saisi Alcméon, après qu’il eut fait mourir sa mère. Voilà ce qu’Apollodore[a] nous fournit concernant Manto. D’autres disent [b] qu’à la vérité elle fut amenée à Delphes avec les autres prisonniers thébains, mais que l’oracle leur ayant ordonné d’aller planter une colonie, ils s’en allèrent à Claros (A), où Rhacius en avait établi une ; et que Rhacius ayant su de Manto qui étaient ceux avec qui elle avait fait ce voyage, et pourquoi ils l’avaient fait, la prit à femme, et en eut un fils nommé Mopsus [c]. Diodore de Sicile [d], au lieu de cela, nous conte que la fille de Tirésias se nommait Daphné ; qu’elle fut envoyée à Delphes comme une offrande, et un ex-voto des Argiens ; qu’elle perfectionna les lumières prophétiques qu’elle avait déjà acquises ; qu’elle écrivit grand nombre d’oracles : qu’on prétend qu’Homère lui a dérobé beaucoup de vers pour en orner ses poésies ; et qu’on la nomme Sibylle, parce qu’elle était souvent saisie de l’esprit divin, et qu’elle rendait plusieurs réponses [e]. Pausanias dit qu’on montrait encore de son temps à Thèbes, devant le vestibule d’un temple, la pierre sur laquelle Manto s’asseyait, et qu’on nommait la chaise de Manto [f]. Il parle du tombeau de Manto en un autre lieu [g] ; mais il s’agit là d’une autre personne qui était fille de Polyidus. Celle dont parle Virgile est la même que la fille de Tirésias (B) : et cela montre qu’on a bien fait courir cette pauvre prophétesse ; car Virgile [h] la transporte en Italie, non pas pour y garder sa virginité, mais pour y faire un enfant qui bâtit Mantoue.

  1. Biblioth., lib. III, pag. m. 196, 200.
  2. Pausan., lib. VII, pag. m. 207.
  3. Voyez ci-dessous, citation (2).
  4. Biblioth., lib. IX, cap. VI.
  5. Voyez un de ses oracles dans Ovide, Metam., lib. VI, au sujet du culte de Latone.
  6. Pausan., lib. IX, pag. 289.
  7. Lib. I, pag. 41.
  8. Æneid., lib. X, vs. 199.

(A) Ils s’en allèrent à Claros. ] Je ne saurais comprendre pourquoi Pausanias n’a point ajouté ce que dit Pomponius Méla[1], que Manto fuyant les vainqueurs de Thèbes bâtit le temple d’Apollon Clarien, et que son fils Mopsus[2] bâtit Colophon. Prenez garde à ces paroles de Méla : Fugiens victores Thebanorum Epigonos ; car je suis fort trompé si elles ne convainquent de mensonge Charles Étienne, Lloyd et Hofman, qui disent que Manto fuyait la tyrannie de Créon et de Thésée, lorsqu’elle alla fonder le temple de Claros. Moréri n’a eu rien à dire de Manto : cependant, s’il eût bien cherché, il aurait pu trouver bonne moisson.

(B) Celle dont parle Virgile est la même que la fille de Tirésias. ] C’est Servius[3] qui nous apprend qu’elle est fille de Tirésias ; car Virgile se contente de la traiter de devineresse, et de parler des ses amours pour le Tibre.

Ille etiam patriis agmen ciet Ocnus ab oris
Fatidicæ Mantûs et Tusci filius amnis,
Qui muros matrisque dedit tibi, Mantua, nomen[4].

Le même Servius ajoute que quelques-uns donnaient Hercule pour père à cette devineresse. Léandre Albert rapporte une infinité de traditions touchant cette fondatrice de Mantoue. Consultez-le, si vous voulez, dans sa Description de l’Italie[5].

  1. Lib. I, cap. XVII.
  2. Mopsus, selon Strabon, était fils d’Apollon et de Manto, et non pas, comme veut Pausanias, de Rhacius et de Manto. Voyez l’article Mopsus, dans ce volume.
  3. In Virgil, Æneid., lib. X, vs. 198.
  4. Virgil., lib. X, vs. 198.
  5. Pag. m. 602 et seq.

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