Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Manichéens

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MANICHÉENS[* 1], hérétiques dont l’infâme secte fondée par un certain Manès (A), commença au troisième siècle, et s’établit en plusieurs provinces, et subsista fort long-temps. Elle enseignait néanmoins les choses du monde qui devaient donner le plus d’horreur. Son faible ne consistait pas, comme il le semble d’abord, dans le dogme des deux principes, l’un bon et l’autre méchante ; mais dans les explications particulières qu’elle en donnait, et dans les conséquences pratiques qu’elle en tirait (B). Il faut avouer que ce faux dogme, beaucoup plus ancien que Manès (C), et insoutenable dès que l’on admet l’Écriture Sainte, ou en tout ou en partie, serait assez difficile à réfuter, soutenu par des philosophes païens aguerris à la dispute (D). Ce fut un bonheur que saint Augustin, qui savait si bien toutes les adresses de la controverse, abandonna le manichéisme ; car il eût été capable d’en écarter les erreurs les plus grossières, et de fabriquer du reste un système qui, entre ses mains, eût embarrassé les orthodoxes. Le pape Léon Ier. témoigna beaucoup de vigueur contre les manichéens ; et comme son zèle fut soutenu par les lois impériales (E), cette secte reçut alors un très-rude coup. Elle se rendit formidable dans l’Arménie au IXe. siècle, comme je le dis ailleurs[a], et parut en France dans le siècle des Albigeois[b] : c’est ce qu’on ne peut nier ; mais il n’est pas vrai que les Albigeois aient été manichéens [c]. Ceux-ci, entre autres erreurs, enseignaient que l’âme des plantes était raisonnable ; et ils condamnaient l’agriculture comme un exercice meurtrier ; mais ils la permettaient à leurs auditeurs en faveur de leurs élus (F).

Comme dans cet article, dans celui des Marcionites et des Pauliciens, et dans quelques autres, il y a certaines choses qui ont choqué beaucoup de personnes, et qui leur ont paru capables de faire croire que j’avais voulu favoriser le manichéisme, et inspirer des doutes aux lecteurs chrétiens, J’avertis ici que l’on trouvera à la fin de cet ouvrage un éclaircissement qui montrera que ceci ne peut donner nulle atteinte aux fondemens de la foi chrétienne[* 2].

  1. * Leclerc, trouvant trop longue la discussion de cent endroits de cet article, renvoie à l’Examen du Pyrrhonisme ancien et moderne, par M. de Crousaz. Joly en fait autant et renvoie aussi à l’Histoire du Manichéisme. par Beausobre et au Bayle en petit (du père Lefèvre). C’est Beausobre surtout que Chaufepié a mis à contribution dans le long article qu’il a donné aux Manichéens. et où il reproche à Bayle de n’avoir pas fait la fonction d’historien critique.
  2. * Voyez tome XV, les Éclaircissemens, etc., section II. Mais Joly ne trouve pas que le remède appliqué par Bayle puisse guérir le mal qui se trouve en cet article.
  1. Dans l’article Pauliciens, tom. XI, remarques (B) et (D).
  2. Voyez M. de Meaux, Histoire des Variations, liv. XI.
  3. Voyez M. Basnage. Hist. de la Religion des églises réformées, Ire. partie, chap. IV et suiv.

(A) Secte fondée par un certain Manés. ] Il était Perse de nation, et de fort basse naissance, mais bien fait et de bon esprit ; ce qui fut cause qu’une veuve qui l’avait acheté le prit en affection, l’adopta pour son fils, et prit soin de le faire instruire par les mages dans la discipline et la philosophie des Perses, où il profita si bien, qu’étant d’ailleurs naturellement éloquent, et s’expliquant aisément et de bonne grâce ; il acquit la réputation de subtil et savant philosophe[1]. Il étudia principalement les livres d’un certain Arabe, nomme Scythien, et il en tira la plupart de ses méchans dogmes. Térébinthus, héritier des biens et de l’argent, et des impiétés de Scythien, avait attiré sur lui une grande persécution, pour avoir voulu dogmatiser dans la Perse, et s’était réfugié chez cette veuve. Il périt d’une manière bien tragique : ses livres et son argent demeurèrent à la veuve ; et ce fut par ce moyen que Manès trouva chez elle les écrits de Scythien. Comme, selon sa coutume, il fut monté de nuit au plus haut de ce logis[2] pour invoquer sur la plateforme à découvert les démons de l’air, ce que les manichéens ont fait depuis dans leurs exécrables cérémonies, il fut frappé soudainement d’un coup du ciel, qui le précipita du haut en bas sur le pavé, où il eut la tête écrasée et le cou rompu[3]. Saint-Épiphane raconte que Scythien avait eu le même sort, c’est-à-dire, qu’il était tombé du haut du logis[4]. D’autres disent que le diable transporta Térébinthe dans un désert, et l’y étrangla, et que Scythien fut écrasé sous les ruines de sa maison, à Jérusalem. Scythianus autem domùs suæ ruinâ oppressus miserè periit. Discipulum autem et successorem doctrinæ suæ habuit quendam nomine Buddam, cognomine Terebinthum, qui et ipse à Satanâ in solitudinem abreptus strangulatus est[5]. Ils disent aussi que Manès épousa la veuve qui l’avait affranchi [6] ; et par-là ils trouvent de quoi continuer le parallèle qu’ils forment entre lui et Mahomet. Ils ajoutent qu’on le fit écorcher tout vif, à cause des enchantemens ou des sortiléges, dont il s’était servi pour faire mourir le fils de son roi. Postquàm suis incantationibus regis Persarum ilium necâsset, vivus ab eo excoriatus est[7]. Mais il y a bien plus d’apparence qu’il fit tout ce qu’il lui fut possible pour le guérir. Ce qu’il y a de plus sûr est qu’il se fit fort de lui redonner la santé, et qu’il ne tint point sa promesse. « Le bruit s’étant répandu partout de ce grand pouvoir qu’il disait avoir de faire des miracles, il fut appelé par le roi Saporès pour guérir son fils fort malade. D’abord ce hardi trompeur chassa tous les médecins qui avaient entrepris la guérison de ce petit prince, et promit au roi de le remettre bientôt en pleine santé, sans autre remède que celui de ses oraisons[8]. Mais l’enfant étant mort entre ses bras, le roi, furieusement irrité contre lui, le fit mettre en prison, d’où s’étant échappé, il s’enfuit en Mésopotamie. Il y fut deux fois convaincu en deux disputes solennelles par le saint et savant évêque Archélaüs[* 1], qui eut bien de la peine à le sauver de la fureur du peuple, qui voulait le mettre en pièces. Cela néanmoins ne lui servit guère ; car peu de temps après il fut repris par des cavaliers qu’on avait envoyés partout après lui, et mené à Saporès qui le fit écorcher tout vif, puis fit jeter son corps aux chiens pour en être dévoré, et pendre sa peau remplie de paille devant une des portes de la ville[9]. »

(B) Les explications..... qu’elle en donnait, et les conséquences pratiques qu’elle en tirait. ] Selon les manichéens [10], les deux principes s’étaient battus, et dans ce conflit il s’était fait un mélange du bien et du mal. Depuis ce temps-là le bon principe travaillait à dégager ce qui lui appartenait : il répandait sa vertu dans les élémens pour y faire ce triage. Les élus y travaillaient aussi ; car tout ce qu’il y avait d’impur dans les viandes qu’ils mangeaient, se séparait des particules du bon principe, et alors ces particules dégagées et purifiées étaient transportées au royaume de Dieu leur première patrie, sur deux vaisseaux destinés à cet emploi. Ces deux vaisseaux sont le soleil et la lune. Ipsam verò boni à malo purgationem ac liberationem non solùm per totum mundum, et de omnibus ejus elementis virtutem Dei facere dicunt ; verùm etiam electos suos per alimenta quæ sumunt, et eis quippè alimentis, sicuti universo mundo, Dei substantiam perhibent esse commixtum, quam purgari putant in electis suis eo genere vitæ, quo vivunt electi manichæorum, velut sanctius et excellentius auditoribus suis[11]... Quicquid verò undique purgatur luminis per quasdam naves (quas esse lunam et solem volunt) regno Dei tanquàm propriis sedibus reddi[12]. Ces hérétiques « s’imaginaient que pour sauver les âmes Dieu avait fait une grande machine composée de douze vaisseaux, qui élevaient insensiblement les âmes en haut, et ensuite se déchargeaient dans la lune, laquelle, après avoir purifié ces âmes par ses rayons, les faisait passer dans le soleil et dans la gloire, expliquant par-là les différentes phases de la lune : elle était dans son plein quand les vaisseaux y avaient apporté quantité d’âmes, et elle était en décours à proportion qu’elle s’en déchargeait dans la gloire[13].  » Il y avait dans ces vaisseaux, disaient-ils, certaines vertus qui prenaient la forme d’homme, afin de donner de l’amour aux femmes de l’autre parti ; car pendant l’émotion de la convoitise, la lumière qui est engagée dans les membres s’enfuit, et on la reçoit dans les vaisseaux de transport, qui la remettent en sa place naturelle. Esse autem in eis navibus sanctas virtutes, quæ se in masculos transfigurant, ut illiciant fœminas gentis adversæ, et per hanc illecebram commota eorum concupiscentia fugiat de illis lumen, quod membris suis permixtum tenebant, et purgandum susceperant ab angelis lucis, purgatumque illis navibus imponatur ad regna propria reportandum[14]. Pendant que certaines vertus prenaient la figure d’homme, d’autres prenaient celle de femme, afin de donner de l’amour aux hommes, et de faire en sorte réciproquement que ce feu de lasciveté séparât les substances de lumière, d’avec les substances ténébreuses. Certè illi libri manichæi sunt omnibus sinè dubitatione communes, in quibus libris illa portenta ad illiciendos, et per concupiscentiam dissolvendos utriusque sexûs principes tenebrarum, ut liberata fugiat ab eis, quæ captivata tenebatur in eis divina substantia, de masculorum in fœminas, et fœminarum in masculos transfiguratione conscripta sunt[15]. Si vous joignez à cela qu’ils se figuraient que les parties de lumière étaient beaucoup plus entrelacées avec les parties ténébreuses, dans les personnes qui travaillent à la génération, que dans les autres[16], vous comprendrez l’alliance monstrueuse qu’ils formaient entre ces deux dogmes ; l’un qu’il ne fallait point se marier, ni procréer des enfans ; l’autre qu’on pouvait lâcher la bride aux transports de la nature, pourvu que l’on empêchât la conception. Et si utuntur conjugibus, conceptum tamen generationemque devitant, ne divina substantia quæ in eos per alimenta ingreditur vinculis carneis ligetur in prole[17]. Il semble qu’ils aient cru que Saclas, l’un des princes des ténèbres, plus grand dévoreur d’enfans que Saturne, ne trouva point de meilleur moyen de tenir dans une étroite prison les particules divines qu’il avait mangées, que celui de la génération, et que pour cet effet il s’approcha de sa femme, et lui fit deux enfans qui furent Adam et Ève. Adam et Evam ex parentibus principibus fumi asserunt natos, cùm pater eorum nomine Saclas sociorum suorum fœtus omnium devorâsset, et quicquid indè commixtum divinæ substantiæ ceperat, cum uxore concumbens in carne prolis, tanquàm tenacissimo vinculo, colligâsset[18]. Or parce qu’ils regardaient leurs élus comme de très-bons purificateurs, je veux dire comme de personnes qui filtraient admirablement les parties de la substance divine embarrassées et emprisonnées dans les alimens[19], ils leur donnaient à manger les principes de la génération, et l’on prétend qu’ils les mêlaient avec les signes de l’Eucharistie ; chose si abominable, que M. de Meaux a raison de dire, qu’on n’ose même y penser, loin qu’on puisse l’écrire[20]. Voici les paroles de saint Augustin : Quâ occasione vel potiùs execrabilis superstitionis quâdam necessitate coguntur electi eorum velut Eucharistiam conspersam cum semine humano sumere, ut etiam indè, sicut de aliis cibis quos accipiunt, substantia illa divina purgetur [21]..... Ac per hoc sequitur eos, ut sic eam et de semine humano, quemadmodùm de aliis seminibus, quæ in alimentis sumunt, debeant manducando purgare. Undè etiam Catharistæ appellantur, quasi purgatores, tantâ eam purgantes diligentiâ, ut se nec ab hâc tam horrendâ cibi turpitudine abstineant[22]. Ils ne demeuraient pas d’accord qu’ils commissent cette abomination ; mais on prétend qu’ils en furent convaincus [23]. Rapportons ces paroles d’un moderne : « Comme ils croyaient que l’esprit venait du bon principe, et que la chair et le corps étaient du méchant, ils enseignaient qu’on le devait haïr, lui faire honte, et le déshonorer en toutes les manières qu’on pourrait ; et sur cet infâme prétexte il n’y a sortes d’exécrables impudicités dont ils ne se souillassent dans leurs assemblées[24]. » saint Augustin ne leur attribue pas ce raisonnement ; je ne dis pas néanmoins que M. Maimbourg se trompe ; car on rapporte en plusieurs manières la doctrine et la conduite des manichéens : ce qui vient sans doute ou de ce qu’ils ont varié d’un siècle à l’autre, ou de ce que tous leurs docteurs contemporains ne s’expliquaient pas de la même sorte, ou enfin de ce que tous leurs adversaires ne les entendaient pas bien. On a trouvé bon d’exterminer tous les livres des manichéens : cela peut avoir eu ses utilités ; mais il en résulte un petit inconvénient : c’est que nous ne pouvons pas être assurés de leur doctrine, comme nous le serions en consultant les ouvrages de leurs plus savans auteurs. Par les fragmens de leur système que l’on rencontre dans les pères, il paraît évidemment que cette secte n’était point heureuse en hypothèses, quand il s’agissait du détail. Leur première supposition était fausse ; mais elle empirait entre leurs mains par le peu d’adresse et d’esprit philosophique, qu’ils employaient à l’expliquer et à l’appliquer.

(C) Ce faux dogme ; beaucoup plus ancien que Manès.... ] Nous avons vu qu’il le trouva dans les livres que Térébinthus avait hérités de son maître Scythien. Il n’est pas vrai, comme le suppose saint Épiphane, que ce Scythien ait vécu du temps des apôtres [25] : il fallait seulement dire qu’il aurait pu être l’aïeul de Manès ; mais il est très-vrai que le dogme des deux principes était connu dans le monde long-temps avant la prédication des apôtres. Scythien en fut redevable à Pythagore, si nous en croyons saint Épiphane[26]. Quelques-uns [27] disent que Térébinthus l’emprunta d’Empédocle. Les gnostiques, les cerdoniens, les marcionites, et plusieurs autres sectaires qui firent entrer cette mauvaise doctrine dans le christianisme, avant que Manès fit parler de lui, n’en furent pas les inventeurs : ils la trouvèrent dans les livres des philosophes païens. Plutarque va nous apprendre l’antiquité et l’universalité de ce système, non pas comme un simple historien, mais comme un fidèle sectateur. Il est impossible, dit-il[28], qu’il y ait une seule cause bonne ou mauvaise qui soit principe de toutes choses ensemble, pource que Dieu n’est point cause d’aucun mal, et la concordance de ce monde est composée de contraires ; comme une lyre du haut et bas, ce disoit Heraclitus : et ainsi que dit Euripide,

Jamais le bien n’est du mal separé,
L’un avec l’autre est tousjours temperé,
Afin que tout au monde en aille mieux.


Parquoi ceste opinion fort ancienne, descendue des théologiens et législateurs du temps passé jusques aux poëtes et aux philosophes, sans qu’on sache toutefois qui en est le premier auteur, encore qu’elle soit si avant imprimée en la foi et persuasion des hommes, qu’il n’y a moyen de l’en effacer ni arracher ; tant elle est frequentée, non pas en familiers devis seulement, ni en bruits communs, mais en sacrifices et divines ceremonies du service des dieux, tant des nations barbares, que des Grecs en plusieurs lieux, que ni ce monde n’est point flotant à l’avanture sans estre regi par providence et raison, ni aussi n’y a-il une seule raison qui le tiene et qui le regisse avec je ne sai quels timons, ne sai quels mors d’obeïssance, ains y en a plusieurs meslez de bien et de mal : et pour plus clairement dire, il n’y a rien ici bas que nature porte et produise, qui soit de soi pur et simple : ne n’y a point un seul dispensier de deux tonneaux qui nous distribue les affaires comme un tavernier fait ses vins, en les meslant et brouillant les uns avec les autres : ains ceste vie est conduite de deux principes, et de deux puissances adversaires l’une à l’autre, l’une qui nous dirige et conduit a costé droit, et par la droite voye, et l’autre qui au contraire nous en destourne et nous rebute : ainsi est ceste vie meslée, et ce monde, sinon le total, à tout le moins ce bas et terrestre au dessous de la lune, inegal et variable, sujet à toutes les mutations qu’il est possible ; car il n’y a rien qui puisse estre sans cause precedente, et ce qui est bon de soi ne donneroit jamais cause de mal, il est force que la nature ait un principe et une cause dont procede le mal aussi bien que le bien.

C’est l’avis et l’opinion de la plus part et des plus sages anciens : car les uns estiment qu’il y ait deux dieux de mestier contraire, l’un auteur de tous biens, et l’autre de tous maux : des autres appellent l’un Dieu qui produit les biens, et l’autre demon ; comme fait Zoroastres le magicien, qu’on dit avoir esté cinq cens ans[29] devant le temps de la guerre de Troye. Cestui donc appelloit le bon dieu Oromazes, et l’autre Arimanius : et davantage il disoit que l’un ressembloit à la lumière, plus qu’à autre chose quelconque sensible, et l’autre aux tenebres et à l’ignorance, et qu’il y en avoit un entre les deux qui s’appelloit Mithrès : c’est pourquoi les Perses appellent encore celui qui intercede et qui moyenne, Mithrés : et enseigna de sacrifier à l’un pour lui demander toutes choses bonnes, et l’en remercier ; et à l’autre, pour divertir et destourner les sinistres et mauvaises... [30]. Les Chaldéens disent qu’entre les dieux des planetes qu’ils appellent, il y en a deux qui font bien, et deux qui font mal, et trois qui sont communs et moyens ; et quant aux propos des Grecs touchant cela, il n’y a personne qui les ignore : qu’il y a deux portions du monde, l’une bonne qui est de Jupiter Olympien, c’est-à-dire celeste : l’autre mauvaise qui est de Pluton infernal : et feignent davantage, que la déesse Armonie, c’est-à-dire accord, est née de Mars et de Venus, dont l’un est cruel, hargneux et querelleux, l’autre est douce et generative. Prenez garde que les philosophes mesmes conviennent à cela, car Heraclitus tout ouvertement appelle la guerre, pere ; roy ; maistre et seigneur de tout le monde, et dit qu’Homere quand il prioit,

Puisse perir au ciel et en la terre,
Et entre dieux, et entre hommes, la guerre,


ne se donnoit pas de garde qu’il maudissoit la generation et production de toutes choses qui sont venues en estre par combat et contrarieté de passions, et que le soleil n’outrepasseroit pas les bornes qui lui sont prefixes, autrement que les Furies ministres et aides de la justice le rencontreroient. Et Empedocles chante, que le principe du bien s’appelle Amour et Amitié, et souvent Armonie : et la cause du mal,

Combat sanglant et noise pestilente.


Quant aux Pythagoriciens, ils designent et specifient cela par plusieurs noms, en appellant le bon principe, un, fini, reposant, droit, non pair, quarré, dextre, lumineux : et le mauvais, deux, infini, mouvant, courbe, pair, plus long que large, inegal, gauche, tenebreux. Aristote appelle l’un forme, l’autre privation : et Platon, comme umbrageant et couvrant son dire, appelle en plusieurs passages l’un de ces principes contraires, le mesme, et l’autre l’autre : mais ses livres de ses loix qu’il escrivit estant desja vieil, il ne les appelle plus de noms ambigus ou couverts, ni par notes significatives, ains en propres termes il dit que ce monde ne se manie point par une ame seule, ains par plusieurs à l’aventure, à tout le moins, non pas moins que deux, desquelles l’une est bienfaisante, l’autre contraire à celle-là, et produisant des effets contraires : et en laisse encore entre deux une troisième cause, qui n’est point sans ame, ni sans raison, ni immobile de soi-mesme, comme aucuns estiment, ains adjacente et adherante à toutes ces deux autres. Plutarque, dans un autre livre[31], dit formellement, que la nature de Dieu ne lui permet que de bien faire, et non pas de se fâcher contre quelqu’un, ou de lui nuire. Il faut donc que cet auteur ait été persuadé que les afflictions qui tourmentent si souvent les hommes ont une autre cause que Dieu, et par conséquent qu’il y avait deux principes, l’un qui ne fait que du bien, l’autre qui ne fait que du mal. J’ajoute que les philosophes perses, bien plus anciens que ceux d’Égypte, ont enseigné constamment cette doctrine[32].

Plutarque lui donne trop d’étendue, puisqu’il prétend qu’elle paraissait dans les actes publics de la religion, parmi les barbares et parmi les Grecs[33] : car il est bien vrai que les païens ont reconnu et honoré des dieux malfaisans ; mais ils enseignaient aussi, et par leurs livres et par leurs pratiques, que le même Dieu en nombre qui répandait quelquefois ses biens sur un peuple, l’affligeait quelque temps après pour se venger de quelque offense. Pour peu qu’on lise les auteurs grecs, on connaît cela manifestement. Disons la même chose de Rome. Lisez Tite Live, Cicéron, et les autres écrivains latins, vous comprendrez clairement que le même Jupiter, à qui l’on offrait des sacrifices pour une victoire gagnée, était honoré en d’autres rencontres afin qu’il cessât d’affliger le peuple romain : et quoiqu’il y eût un Véjovis beaucoup plus porté à faire du mal, qu’à faire du bien, on ne laissait pas de croire que le Dijovis, ou le Diespiter, c’est-à-dire le bon Jupiter, lançait la foudre. Aulu-Gelle s’exprime de telle sorte, qu’il distingue nettement Jupiter d’avec Véjovis[34]. Cùm Jovem igitur et Dijovem à juvando nominâssent : eum quoque contrà deum, qui non juvandi potestatem sed vim nocendi haberet (nam deos quosdam ut prodessent celebrabant, quosdam ne obessent placabant) Vejovem appellaverunt demtâ atque detractâ juvandi facultate....... Simulachrum dei Vejovis, quod est in æde, de quâ supra dixi, sagittas tenet, quæ sunt videlicet paratæ ad nocendum : quapropter eum deum plerique Apollinem esse dixerunt..... Virgilium quoque aiunt, multæ antiquitatis hominem sinè ostentationis odio peritum, numina læva in Georgicis quoque deprecari, significantem quandam vim esse hujuscemodi deorum in lædendo magis quàm in juvando potentem. Versus Virgilii hi sunt :

In tenui labor, at tenuis non gloria, si quem

Numina læva sinunt, auditque vocatus Apollo[35].


Plutarque se trompe aussi, lorsqu’il veut que les philosophes et les poëtes se soient accordés dans la doctrine des deux principes. Ne se souvenait-il pas d’Homère le prince des poëtes, leur modèle, leur source commune ; d’Homère, dis-je, qui n’a préposé qu’un dieu aux deux tonneaux du bien et du mal ?

Δοιοὶ γάρ τε πίθοι κατακείαται ἐν Διὸς οὔδει,
Δώρων, οἷα δίδωσι, κακῶν, ἕτερος δὲ ἑάων.
ᾯ μέν καμμείξας δῴῃ Ζεὺς τερπικέραυνος,
Ἄλλοτε μέν τε κακῷ ὅγε κύρεται, ἀλλοτε δ᾽ ἐσθλῷ.
ᾯ δέ κε τῶν λυγρῶν δώη, λωϐητὸν ἔθηκε.
καί ἑ κακὴ βούϐρωςις ἐπὶ χθόνα δῖαν ἐλαύνει·
Φοιτᾷ δ᾽ οὐτε θεοῖσι τετιμένος, οὔτε βροτοῖσιν.

Duo quippe dolia jacent in Jovis limine
Donorum quæ dat, alterum malorum, alterum vero bonorum.
Cui quidem miscens dederit Jupiter fulmine gaudens,
Interdùm quidem in malum ille incidit, interdùm et in bonun :
Cui verò ex malis dederit, injuriis omnibus obnoxium facit :
Et illum exitialis dolor acerbissimus super terram almam exercet :
Vagaturque nec diis honoratus neque mortalibus[36].


M. Costar censura avec raison ces paroles de M. de Girac : Il semble que sous avez voulu imiter le Jupiter d’Homère, et que, puisant dans des tonneaux, vous versez comme lui avec les deux mains cette diversité de matière, au hasard et sans choix. Voici la censure : la comparaison de Jupiter me fait de l’honneur, mais elle n’en fait guère à celui qui l’allègue si mal à propos. Homère[* 2], qui est l’inventeur de cette fiction, et Platon qui la rapporte[* 3] dans sa République, n’expriment point que Jupiter, ayant puisé dans ses tonneaux les biens et les maux de la vie ; les répandit inconsidérément sur les misérables mortels. Ils disent seulement que tantôt il les versait tout purs, et tantôt il en faisait un mélange ; d’où venait qu’entre les hommes les uns étaient toujours malheureux, et que la destinée des autres n’était qu’un flux réciproque de bonheur et d’adversité [37]. » Mais M. Costar a oublié une chose qui méritait d’être observée : il n’a point dit que des trois choses qui se pouvaient faire auprès de ces deux tonneaux, Jupiter n’en fait que deux. On pouvait ou ne verser que du bon tonneau, ou ne verser que du mauvais, ou prendre de l’un et de l’autre. Homère s’est bien gardé de parler de ces trois fonctions : il savait trop bien que la première n’a point de lieu : et je crois même qu’il aurait bien fait de supprimer la seconde ; car où est l’homme si malheureux dont le sort ne soit mêlé d’aucun bien ? Platon a rejeté cette pensée d’Homère, par la raison qu’il est de l’essence de Dieu de ne faire que du bien ; d’où il conclut que Dieu n’est la cause que d’une partie des événemens humains. Οὐδ᾽ ἄρα ὁ θεὸς, ἐπειδὴ ἀγαθὸς, πάντων ἂν ἐίη
αἴτιος, ὡς οἱ πολλοὶ λέγουσιν· ἀλλ᾽ ὀλίγων μὲν τοῖς ἀνθρώποις αἴτιος, πολλῶν δὲ ἀναίτιος· πολὺ γὰρ ἐλάττω τἀγαθὰ τῶν κακῶν ἡμῖν· καὶ τῶν μὲν ἀγαθῶν οὐδένα ἄλλον ἀιτιατέον, των δὲ κακῶν ἄλλ’ ἀττα δεῖ ζητεῖν τὰ ἀίτια, ἀλλ’ οὐ τὸν θεόν. Non igitur Deus, quùm bonus sit, omnium causa est, ut multi dicunt, sed paucorum quidem hominibus in causâ est, multorum verò extrà causam. Multò enim pauciora nobis sunt bona quàm mala. Et bonorum quidem solus Deus causa est dicendus. Malorum autem quamlibet aliam præter Deum causam quærere decet[38]. Il dit que les poëtes qui nous donnent cette fiction des deux tonneaux parlent follement de Dieu, et commettent un grand péché. Οὐκ ἀρα, ἀποδετέον οὔτε Ὁμήρου,
Οὐκ ἄρα, ἦν δ' ἐγώ, ἀποδεκτέον οὔτε Ὁμήρου οὔτ᾽ ἄλλου ποιητοῦ ταύτην τὴν ἁμαρτίαν περὶ τοὺς θεοὺς ἀνοήτως ἁμαρτάνοντος, καὶ λέγοντος ὡς δοιοὶ πίθοι. Neque Homeri igitur, neque alterius poëtæ admittendum est peccatum, stultè de Diis dicentis, in Jovis limine duo jacere dolia[39]. On donnera ailleurs[40] un plus grand détail concernant l’hypothèse platonique touchant la source du mal et du bien.

L’apologie de Costar étant assez rare dans les pays étrangers, je ne me fais pas un scrupule d’en citer ce long passage :[41] : « Peut-être que M. de Girac en a cru le roman de la Rose, qui veut que la Fortune soit la Tavernière, qui distribue à pot et à pinte les diverses liqueurs de ces deux tonneaux, selon son caprice et sa fantaisie :

« Jupiter en toute saison
« A sur l’issuë de sa maison,
« Ce dit Homer, deux pleins tonneaux,
« S’il n’est vieulx homs ne garçonneaux,
« Ni n’est dame ni damoiselle,
« Soit vieille, jeune, laide ou belle,
« Qui vie en ce monde reçoive,
« Qui de ces deux tonneaux ne boive.
« C’est une taverne plenière,
« Dort Fortune est la tavernière,
« Et en trait en pots et en coupes
« Pour faire à tout le monde soupes.
« Tous elle en abreuve à ses mains,
« Mais aux uns plus, aux autres moins.
« N’est nul qui chacun jour ne pinte
« De ces tonneaux, ou quarte ou pinte,
« Ou muy, ou septier, ou chopine,
« S’il, comme il plaist à la mechine,
« Ou plene paulme, ou quelque goute,
« Que la Fortune au bec luy boute :
« Et bien et mal à chacun verse,
« Si comme elle est douce et perverse.


Au reste, l’ancienne hérésie des deux principes règne encore dans quelques pays de l’Orient[42] ; et l’on croit qu’elle a été fort commune parmi les anciens barbares de l’Europe. Apud Slavos nondùm quidem Christi fide imbutos, simile dogma receptum fuisse, Helmoldus [* 4] auctor est, qui malum illorum Deum Zeevuboch vocatum scribit. Paria et de aliis Germanorum populis Vossius [* 5] conjicit. Atque hodienum, provinciæ Fetu in Africâ incolas persuasum sibi habere, esse aliquod numen, cui omnia mala, aliud cui bona accepta ferenda. Joh. Guil. Mullerus [* 6], Danicæ in Africâ ecclesiæ quondàm Pastor, testatur[43]. Les Gurdes, nation dans l’Asie, servent deux principes, l’un comme l’auteur du bien, l’autre comme la cause du mal ; mais avec cette différence, qu’ils sont infiniment plus exacts dans le culte du dernier, que dans celui du premier[44].

(D) ... Serait assez difficile à réfuter, soutenu par des philosophes païens aguerris à la dispute. ] Par les raisons à priori ils auraient été bientôt mis en fuite : les raisons à posteriori étaient leur fort ; c’était là qu’ils se pouvaient battre longtemps, et qu’il était difficile de les forcer. On m’entendra mieux par l’exposition que l’on va lire[* 7]. Les idées les plus sûres et les plus claires de l’ordre nous apprennent qu’un être qui existe par lui-même, qui est nécessaire, qui est éternel, doit être unique, infini, tout-puissant, et doué de toutes sortes de perfections. Ainsi, en consultant ces idées, on ne trouve rien de plus absurde que l’hypothèse des deux principes éternels, et indépendans l’un de l’autre, dont l’un n’ait aucune bonté et puisse arrêter les desseins de l’autre. Voilà ce que j’appelle raisons à priori. Elles nous conduisent nécessairement à rejeter cette hypothèse, et à n’admettre qu’un principe de toutes choses. Sil ne fallait que cela pour la bonté d’un système, le procès serait vidé à la confusion de Zoroastre, et de tous ses sectateurs ; mais il n’y a point de système qui, pour être bon, n’ait besoin de ces deux choses, l’une que les idées en soient distinctes, l’autre qu’il puisse donner raison des expériences. Il faut donc voir si les phénomènes de la nature se peuvent commodément expliquer par thèse d’un seul principe. Quand les Manichéens nous allèguent que, puisqu’on voit dans le monde plusieurs choses qui sont contraires les unes aux autres, le froid et le chaud, le blanc et le noir, la lumière et les ténèbres, il y a nécessairement deux premiers principes[45] ; ils font pitié. L’opposition qui se trouve entre ces êtres, fortifiée tant qu’on voudra par ce qu’on appelle variations, désordres, irrégularités de la nature, ne saurait faire la moitié d’une objection contre l’unité, la simplicité, et l’immutabilité de Dieu. On donne raison de toutes ces choses, ou par les diverses facultés que Dieu a données aux corps, ou par les lois du mouvement qu’il a établies, ou par le concours des causes occasionelles intelligentes, sur lesquelles il lui a plu de se régler. Cela ne demande pas les quintessences que les rabbins ont imaginées, et qui ont fourni à un évêque d’Italie un argument ad homine, en faveur de l’Incarnation. Di questa unione parla diffusamente l’autore, portando gli esempi e le similitudini, con cui la spiegano i rabbini (alcune delle quale sono le medesime che adoprano i nostri teologi per esplicar l’Incarnazione) e con le stesse loro dottrine prova evidentemente ch’ ella non sia altro che un insefiratione, cioe due nature, sefireità, e divinità insieme in un supposto [46]. Ils disent que Dieu s’est uni avec dix intelligences très-pures nommées Sefira, et qu’il opère avec elles de telle sorte, qu’il faut leur attribuer toutes les variations, et toutes les imperfections des effets. Attribuendosi a Dio ne’ sacri libri atti frà se contrarii ed imperfetti, per salvare l’immutabilità e sua somma perfettione, hanno posta una Gerarchia di dieci intelligenze purissime, per mezo delle quali, come instrumenti della sua potenza, egli opera tutte le cose, ma in modo che à loro sole s’attribuisce ogni varietà, imperfettione, e mutatione[47]. Sans se mettre en tant de frais, on peut sauver la simplicité et l’immutabilité des voies de Dieu : le seul établissement des causes occasionelles y suffit, pourvu que l’on n’ait à expliquer que les phénomènes corporels, et que l’on ne touche point à l’homme. Les cieux et tout le reste de l’univers prêchent la gloire, la puissance, l’unité de Dieu : l’homme seul, ce chef-d’œuvre de son créateur entre les choses visibles ; l’homme seul, dis-je, fournit de trés-grandes objections contre l’unité de Dieu. Voici comment.

L’homme est méchant et malheureux : chacun le connaît par ce qui se passe au dedans de lui, et par le commerce qu’il est obligé d’avoir avec son prochain. Il suffit de vivre cinq ou six ans[48] ; pour être parfaitement convaincu de ces deux articles : ceux qui vivent beaucoup, et qui sont fort engagés dans les affaires, connaissent cela encore plus clairement. Les voyages font des leçons perpétuelles là-dessus ; ils font voir partout les monumens du malheur et de la méchanceté de l’homme ; partout des prisons et des hôpitaux ; partout des gibets et des mendians. Vous voyez ici les débris d’une ville florissante ; ailleurs vous n’en pouvez pas même trouver les ruines[49].

Jam seges est ubi Troja fuit, resecandaque falce
Luxuriat Phrygio sanguine pinguis humus[50].


Lisez ces belles paroles tirées d’une lettre qui fut écrite à Cicéron : Ex Asiâ rediens, cùm ab Æginâ Megaram versùs navigarem, cœpi regiones circumcircà prospicere. Post me erat Ægina, antè Megara, dextrâ Pirœus, sinistrâ Corinthus : quæ oppida quodam tempore florentissima fuerunt, nunc prostrata et diruta antè oculos jacent[51]. Les gens d’étude, sans sortir de leur cabinet, sont ceux qui acquièrent le plus de lumières sur ces deux articles, parce qu’en lisant l’histoire ils font passer en revue tous les siècles, et tous les pays du monde. L’histoire n’est à proprement parler qu’un recueil des crimes et des infortunes du genre humain ; mais remarquons que ces deux maux, l’un moral et l’autre physique, n’occupent pas toute l’histoire ni toute l’expérience des particuliers : on trouve partout et du bien moral et du bien physique ; quelques exemples de vertu, quelques exemples de bonheur ; et c’est ce qui fait la difficulté. Car s’il n’y avait que des méchans et des malheureux, il ne faudrait pas recourir à l’hypothèse des deux principes : c’est le mélange du bonheur et de la vertu avec la misère et avec le vice, qui demande cette hypothèse ; c’est là que se trouve le fort de la secte de Zoroastre. Voyez le raisonnement de Platon et de Plutarque dans les passages que j’ai cités ci-dessus.

Afin que l’on voie combien il serait difficile de réfuter ce faux système, et qu’on en conclue qu’il faut recourir aux lumières de la révélation pour la ruiner, feignons ici une dispute entre Mélissus et Zoroastre : ils étaient tous deux païens, et grands philosophes. Mélissus, qui ne reconnaissait qu’un principe[52], dirait d’abord, que son système s’accorde admirablement avec les idées de l’ordre : l’être nécessaire n’est point borné ; il est donc infini et tout-puissant ; il est donc unique ; et ce serait une chose monstrueuse et contradictoire, s’il n’avait pas de la bonté, et s’il avait le plus grand de tous les vices, savoir une malice essentielle. Je vous avoue, répondrait Zoroastre, que vos idées sont bien suivies, et je veux bien vous avouer qu’à cet égard vos hypothèses surpassent les miennes : je renonce à une objection dont je me pourrais prévaloir, qui serait de dire que l’infini devant comprendre tout ce qu’il y a de réalités, et la malice[53] n’étant pas moins un être réel que la bonté, l’univers demande qu’il y ait des êtres méchans et des êtres bons ; et que, comme la souveraine bonté et la souveraine malice, ne peuvent pas subsister dans un seul sujet, il a fallu nécessairement qu’il y eût dans la nature des choses un être essentiellement bon, et un autre être essentiellement mauvais ; je renonce, dis-je, à cette objection [54], je vous donne l’avantage d’être plus conforme que moi aux notions de l’ordre : mais expliquez-moi un peu par votre hypothèse, d’où vient que l’homme est méchant, et si sujet à la douleur et au chagrin. Je vous défie de trouver dans vos principes la raison de ce phénomène, comme je la trouve dans les miens ; je regagne donc l’avantage : vous me surpassez dans la beauté des idées, et dans les raisons à priori ; et je vous surpasse dans l’explication des phénomènes, et dans les raisons à posterori. Et puisque le principal caractère du bon système est d’être capable de donner raison des expériences, et que la seule incapacité de les expliquer est une preuve qu’une hypothèse n’est point bonne, quelque belle qu’elle paraisse d’ailleurs, demeurez d’accord que je frappe au but en admettant deux principes, et que vous n’y frappez pas, vous qui n’en admettez qu’un.

Nous voici sans doute au nœud de toute l’affaire : c’est ici la grande occasion pour Mélissus, Hic Rhodus hic saltus. Res ad triarios rediit.

Nunc animis opus, Ænea, nunc pectore firmo.


Continuons de faire parler Zoroastre.

Si l’homme est l’ouvrage d’un seul principe souverainement bon, souverainement saint, souverainement puissant, peut-il être exposé aux maladies, au froid, au chaud, à la faim, à la soif, à la douleur, au chagrin ? Peut-il avoir tant de mauvaises inclinations ? Peut-il commettre tant de crimes ? La souveraine sainteté peut-elle produire une créature criminelle ? La souveraine bonté peut-elle produire une créature malheureuse ? La souveraine puissance jointe à une bonté infinie, ne comblera-t-elle pas de biens son ouvrage, et n’éloignera-t-elle point tout ce qui le pourrait offenser, ou chagriner ? Si Mélissus consulte les notions de ordre, il répondra que l’homme n’était point méchant lorsque Dieu le fit. Il dira que l’homme reçut de Dieu un état heureux ; mais que n’ayant point suivi les lumières de la conscience, qui, selon l’intention de son auteur, le devaient conduire par le chemin de la vertu, il est devenu méchant, et qu’il a mérité que Dieu souverainement juste, autant que souverainement bon, lui fit sentir les effets de sa colère. Ce n’est donc point Dieu qui est la cause du mal moral ; mais il est la cause du mal physique, c’est-à-dire de la punition du mal moral : punition qui, bien loin d’être incompatible avec le principe souverainement bon, émane nécessairement de l’un de ses attributs, je veux dire de sa justice, qui ne lui est pas moins essentielle que sa bonté. Cette réponse, la plus raisonnable que Mélissus puisse faire, est au fond belle et solide ; mais elle peut être combattue par des raisons qui ont quelque chose de plus spécieux, et de plus éblouissant : car Zoroastre ne manquerait pas de représenter, que si l’homme était l’ouvrage d’un principe infiniment bon et saint, il aurait été créé non-seulement sans aucun mal actuel, mais aussi sans aucune inclination au mal ; puisque cette inclination est un défaut qui ne peut pas avoir pour cause un tel principe. Il reste donc que l’on dise que l’homme sortant des mains de son créateur avait seulement la force de se déterminer de lui-même au mal, et, que s’y étant déterminé, il est seul la cause du crime qu’il a commis, et du mal moral qui s’est introduit dans l’univers. Mais, 1o. nous n’avons aucune idée distincte qui puisse nous faire comprendre qu’un être qui n’existe point par lui-même, agisse pourtant par lui-même. Zoroastre dira donc que le libre arbitre donné à l’homme n’est point capable de se donner une détermination actuelle, puisqu’il existe incessamment et totalement par l’action de Dieu. 2o. Il fera cette question : Dieu a-t-il prévu que l’homme se servirait mal de son franc arbitre ? Si l’on répond qu’oui, il répliquera qu’il ne paraît point possible qu’aucune chose prévoie ce qui dépend uniquement d’une cause indéterminée. Mais je veux bien vous accorder, dira-t-il, que Dieu a prévu le péché de sa créature, et j’en conclus qu’il l’eût empêchée de pécher ; car les idées de l’ordre ne souffrent pas qu’une cause infiniment bonne et sainte, qui peut empêcher l’introduction du mal moral, ne l’empêche pas, lors surtout qu’en la permettant, elle se verra obligée d’accabler de peines son propre ouvrage. Si Dieu n’a point prévu la chute de l’homme, il a du moins jugé qu’elle était possible : puis donc qu’au cas qu’elle arrivait il se voyait obligé de renoncer à sa bonté paternelle, pour rendre ses enfans trés-misérables en exerçant sur eux la qualité d’un juge sévère, il aurait déterminé l’homme au bien moral, comme il l’a déterminé au bien physique : il n’aurait laissé dans l’âme de l’homme aucune force pour se porter au péché, non plus qu’il n’y en a laissé aucune pour se porter au malheur, en tant que malheur. Voilà à quoi nous conduisent les idées claires et distinctes de l’ordre, quand nous suivons pied à pied ce que doit faire un principe infiniment bon. Car si une bonté, aussi bornée que celle des pères, exige nécessairement qu’ils préviennent autant qu’il leur est possible le mauvais usage que leurs enfans pourraient faire des biens qu’ils leur donnent, à plus forte raison une bonté infinie et toute-puissante préviendrait-elle les mauvais effets de ses présens. Au lieu de donner le franc arbitre, elle déterminera au bien ses créatures ; ou si elle leur donne le franc arbitre, elle veillera toujours efficacement pour empêcher qu’elles ne pèchent. Je crois bien que Mélissus ne demeurerait point court ; mais tout ce qu’il pourrait répondre serait combattu tout aussitôt par des raisons aussi plausibles que les siennes, et ainsi la dispute ne serait jamais terminée[55].

S’il recourait à la voie de la rétorsion, il embarrasserait beaucoup Zoroastre ; mais en lui accordant une fois ses deux principes, il lui laisserait un chemin fort large pour arriver au dénoûment de l’origine du mal. Zoroastre remonterait au temps du chaos : c’est un état à l’égard de ses deux principes fort semblable à celui que Thomas Hobbes appelle l’état de nature, et qu’il suppose avoir précédé l’établissement des sociétés. Dans cet état de nature, l’homme était un loup à l’homme, tout était au premier occupant : personne n’était maître de rien qu’en cas qu’il fût le plus fort. Pour sortir de cet abîme, chacun convint de quitter ses droits sur tout, afin qu’on lui cédât la propriété de quelque chose : on fit des transactions ; la guerre cessa. Les deux principes, las du chaos, où chacun confondait et bouleversait ce que l’autre voulait faire, convinrent de s’accorder : chacun céda quelque chose ; chacun eut part à la production de l’homme, et aux lois de l’union de l’âme[56]. Le bon principe obtint celles qui procurent à l’homme mille plaisirs, et consentit à celles qui exposent l’homme à mille douleurs ; et s’il consentit que le bien moral fût infiniment plus petit dans le genre humain que le mal moral, il se dédommagea sur quelque autre espèce de créatures, où le vice serait d’autant moindre que la vertu. Si plusieurs hommes dans cette vie ont plus de misères que de bonheur, on récompense cela sous un autre état : ce qu’ils n’ont pas sous la forme humaine, ils le retrouvent sous une autre forme[57]. Au moyen de cet accord, le chaos se débrouilla ; le chaos, dis-je, principe passif, qui était le champ de bataille des deux principes actifs. Les poëtes ont représenté ce débrouillement sous l’image d’une querelle terminée [58]. Voilà ce que Zoroastre pourrait alléguer, se glorifiant de ne pas attribuer au bon principe d’avoir produit de son plein gré un ouvrage qui devait être si méchant et si misérable ; mais seulement après avoir éprouvé qu’il ne pouvait faire mieux, ni s’opposer mieux aux desseins horribles du mauvais principe. Pour rendre son hypothèse moins choquante, il pouvait nier qu’il y ait eu une longue guerre entre ces deux principes, et chasser tous ces combats, et ces prisonniers dont les Manichéens ont parlé. Tout se peut réduire à la connaissance certaine que les deux principes auraient eue, que l’un ne pourrait jamais obtenir de l’autre que telles et telles conditions. L’accord aurait pu se faire éternellement sur ce pied-là.

On pourrait objecter à ce philosophe mille grandes difficultés ; mais comme il trouverait des réponses, et qu’après tout il demanderait qu’on lui fournit donc une meilleure hypothèse, et qu’il prétendrait avoir réfuté solidement celle de Mélissus, on ne le ramènerait jamais au point de la vérité. La raison humaine est trop faible pour cela ; c’est un principe de destruction, et non pas d’édification : elle n’est propre qu’à former des doutes, et à se tourner à droite et à gauche pour éterniser une dispute ; et je ne crois pas me tromper, si je dis de la révélation naturelle, c’est-à-dire des lumières de la raison, ce que les théologiens disent de l’économie mosaïque. Ils disent qu’elle n’était propre qu’à faire connaître à l’homme son impuissance, et la nécessité d’un rédempteur et d’une loi miséricordieuse. Elle était un pédagogue (ce sont leurs termes) pour nous amener à Jésus-Christ. Disons à peu près le même de la raison : elle n’est propre qu’à faire connaître à l’homme ses ténèbres et son impuissance, et la nécessité d’une autre révélation. C’est celle de l’Écriture. C’est là que nous trouvons de quoi réfuter invinciblement l’hypothèse des deux principes, et toutes les objections de Zoroastre. Nous y trouvons l’unité de Dieu, et ses perfections infinies ; la chute du premier homme, et ce qui s’ensuit. Qu’on nous vienne dire avec un grand appareil de raisonnemens, qu’il n’est pas possible que le mal moral s’introduise dans le monde par l’ouvrage d’un prince bon et saint, nous répondrons que cela s’est pourtant fait, et par conséquent que cela est très-possible. Il n’y a rien de plus insensé que de raisonner contre des faits : l’axiome, ab actu ad potentiam valet consequentia, est aussi clair que cette proposition, deux et deux font quatre[59]. Les manichéens s’aperçurent de ce que je viens de remarquer : c’est pour cela qu’ils rejetèrent le Vieux Testament ; mais ce qu’ils retinrent de l’Écriture fournissait d’assez fortes armes aux orthodoxes : ainsi on n’eut pas beaucoup de peine à confondre ces hérétiques qui, d’ailleurs, s’embarrassaient puérilement lorsqu’ils descendaient dans le détail[60]. Or, puisque c’est l’Écriture qui nous fournit les meilleures solutions, je n’ai pas eu tort de dire qu’un philosophe païen serait malaisé à vaincre sur cette matière. C’est le texte de cette remarque,

Quelque longue qu’elle soit, je ne la finirait pas sans avertir mon lecteur qu’il me reste encore trois observations à faire, que je renvoie à un autre article[61]. Je dirai dans la 1re, si les pères ont toujours bien raisonné contre les Manichéens, et s’ils ont pu les pousser à bout ; et dans la 2e., que, selon les dogmes du paganisme, les objections de Zoroastre n’avaient pas beaucoup de force ; et dans la 3e., en quel sens on pourrait dire que les chrétiens ne rejettent pas le système des deux principes. Ils ont plus de peine que les païens à éclaircir ces difficultés par la voie de la raison, parce qu’ils ont entre eux des disputes sur la liberté, dans lesquelles l’agresseur semble être le plus fort[62] ; et parce aussi que le petit nombre des prédestinés, et l’éternité de l’enfer, fournissent des objections que Mélissus n’aurait pas fort redoutées.

(E) Le zèle du pape Léon fut soutenu par les lois impériales. ] Il y avait déjà des manichéens à Rome, lorsque saint Augustin y arriva l’an 383 ; car il logea chez un manichéen, et conversait le plus souvent avec ceux de cette secte... Mais après que Carthage fut prise et désolée par Genséric, rot des Vandales, l’an 439, la plupart des manichéens d’Afrique se refugièrent, aussi-bien que les catholiques, en Italie, et principalement à Rome[63]. Le pape Léon obligea le peuple à faire une exacte recherche de ces hérétiques, et indiqua à quelles marques on les pourrait reconnaître [64]. « Pour donner encore à tout le monde plus d’horreur d’une secte si détestable, il tint une assemblée, où, avec les évêques voisins de Rome, il fit entrer les principaux du clergé, du sénat, de la noblesse de Rome, et du peuple[* 8]. Là il produisit les plus considérables d’entre les manichéens, et un de leurs évêques, qui firent une confession publique de leurs abominables impudicités, que je n’ose exposer, de peur de blesser les oreilles, ou plutôt les yeux chastes de mon lecteur ; et que ceux mêmes qui les avaient commises dans leurs assemblées secrètes, par l’ordre de ce faux évêque, déclarèrent devant tout le monde, faisant connaître en même temps quels étaient leurs évêques et leurs prêtres, les endroits les plus retirés où ils s’assemblaient, leurs profanes mystères, et leurs sacriléges cérémonies, ce qui fut mis authentiquement par écrit. Et saint Léon en rendit compte au peuple peu après, dans un sermon qu’il fit pour le jeûne des Quatre-Temps du mois de décembre, où il déclara[* 9], qu’on était obligé en conscience de déférer ceux qu’on saurait être engagés dans une si infâme et pernicieuse hérésie ; que tous devaient s’unir, et agir avec un même zèle et une égale vigilance contre ces ennemis communs ; et que ceux qui croyaient qu’il ne fallait pas les découvrir seraient coupables d’un silence très-criminel devant le tribunal de Jésus-Christ, quoiqu’ils n’aient jamais eu aucune part à leurs erreurs. Enfin il apporta tant de soin dans la recherche qu’il fit des manichéens, et le peuple l’y seconda si bien, qu’aucun d’eux ne leur put échapper, de sorte qu’il eut le bonheur de délivrer entièrement Rome de cette peste. Car plusieurs de ces hérétiques, fortement touchés de ses puissantes exhortations, se convertirent sérieusement à Dieu ; et après avoir fait publiquement abjuration de leur hérésie dans l’église[* 10], et signé le formulaire qu’en leur présenta, contenant la condamnation de Manès, de sa doctrine et de ses livres, ils se soumirent à la pénitence qui leur fut imposée. Ceux qui demeurèrent obstinés dans l’erreur, et refusèrent de souscrire à cette condamnation, furent condamnés par les juges au bannissement, selon les lois et les ordonnances des empereurs. Or parce que les plus méchans, et les plus dangereux d’entre les sectateurs de cette exécrable hérésie, craignant la punition de leurs crimes, avaient pris la fuite, il en avertit les évêques d’Italie et des autres provinces, par une lettre circulaire, dans laquelle, après leur avoir exposé tout ce qui s’était fait à Rome en cette cause des manichéens, il les exhorte à poursuivre ces fugitifs, et à donner tous les ordres nécessaires pour empêcher qu’ils ne puissent trouver aucune retraite dans leurs diocèses, protestant qu’ils seront inexcusables devant Dieu[* 11], s’il arrive jamais qu’aucun de leurs sujets se laisse séduire à ces imposteurs, faute d’avoir pris tout le soin qu’ils doivent avoir de les découvrir, de leur donner la chasse, et de faire en sorte qu’ils ne puissent répandre parmi leurs peuples le venin de leur détestable doctrine. Et ce qui acheva d’exterminer cette hérésie fut que l’empereur Valentinien III, ayant su ce que le saint pape avait découvert des crimes des manichéens, fit publier un édit[* 12], par lequel il confirme et renouvelle toutes les ordonnances de ses prédécesseurs contre eux, les déclare infâmes, incapables de toutes charges, et de porter les armes, de tester et de contracter, et de faire aucun acte valable dans la société civile ; défend à tous les sujets de l’empire d’en céler et d’en retirer aucun, et veut qu’on les dénonce, pour être punis aussitôt qu’ils seront connus. Ainsi cette hérésie, qui de l’Afrique était passée dans l’Italie, en fut bientôt bannie par le zèle efficace de saint Léon[65]. » Le père Thomassin n’oublie pas cet exemple de l’usage des lois pénales contre l’hérésie. Saint Léon, pape, dit-il[66], dans sa première décrétale, dit que plusieurs manichéens venaient de se convertir à Rome : mais que quelques-uns d’entre eux s’étaient si avant engagés dans ces détestables erreurs, que quelques remèdes qu’on eût employés, on n’avait pu les en retirer : qu’on avait ensuite usé de la rigueur des lois ; et que, selon les constitutions des princes chrétiens, les juges publiés les avaient condamnés à un exil perpétuel, de peur que leur contagieux commerce n’infectât le reste du troupeau. Je mets en note les paroles qu’il a citées de saint Léon[67]. Un peu après il cite le code de Justinien, pour nous apprendre que la loi onzième du titre V du Ier. livre, condamne les manichéens à perdre la tête, quelque part qu’on les trouve dans l’empire romain : Manichæo in loco romano de prehenso caput amputare [68]. La loi suivante, continue-t-il [69], est de l’empereur Justin, et elle distingue aussi les manichéens, non-seulement des hérétiques, mais aussi des Grecs, c’est-à-dire des païens, des juifs et des samaritains. Les manichéens sont punis de mort ; tous les autres ne sont condamnés, non plus que les hérétiques, qu’à ne pouvoir obtenir aucune magistrature, ni aucune dignité, ni faire la fonction de juges, ou de défenseurs, ou de pères des cités.

(F) Ils permettaient l’agriculture à leurs auditeurs en faveur de leurs élus. ] Les manichéens étaient divisés en deux ordres ; en celui des élus et en celui des auditeurs. Il n’était pas permis à ceux-là d’exercer l’agriculture, ni même de cueillir un fruit. On le permettait aux autres, et l’on assurait que les homicides qu’ils commettaient dans cet exercice leur étaient pardonnés, par l’intercession des particules de Dieu qui se dégageaient de la prison, lorsque les élus les mangeaient. Ainsi la rémission de ces meurtres était fondée sur ce qu’ils fournissaient des alimens aux élus, et qu’ils procuraient la liberté aux particules de la substance divine enchaînées dans les plantes. Saint Augustin raconte fort bien ces chimères, et s’en moque comme il faut. Cæteras animas et in pecora redire putant, et in omnia quæ radicibus fixa sunt, atque aluntur in terrâ. Herbas enim atque arbores sic putant vivere, ut vitam, quæ illis inest, et sentire credant, et dolere, cùm læduntur, nec aliquid indè sinè cruciatu eorum quenquam posse vellere, aut carpere. Propter quod agrum spinis purgare nefas habent. Undè agriculturam, que omnium artium est innocentissima, tanquàm plurium homicidiorum ream dementes accusant ; suisque auditoribus ideò hæc arbitrantur ignosci, quia præbent indè alimenta electis suis, ut divina illa substantia in eorum ventre purgata impetret eis veniam, quorum traditur oblatione purgandâ. Itaque ipsi electi nec in agris operantes, nec poma carpentes, nec saltem folia ulla vellentes, expectant hæc afferri usibus suis ab auditoribus suis, viventes de tot ac tantis secundùm suam vanitatem homicidiis alienis [70].

  1. (*) Hieron., de Script. eccles. in Archelao.
  2. (*) II, n.
  3. (*) Dial. 2.
  4. (*) Helmold. Chronic. Sclav., cap. 53.
  5. (*) Voss., de Orig. Idololatr., lib. 1, cap. 8, pag. 280.
  6. (*) Guil. Muller. Beschreibung der Africanischen Landschafft, Fetu, pag. 43, 44.
  7. * C’est surtout contre cette remarque (D) que Chaufepié s’étend.
  8. (*) Ep. 93, ad Turib. Ser. 5 de jejun. decim. mens.
  9. (*) Contrà communes hostes pro salute communi una communis debet esse vigilantia ; .. et qui tales non prodendos putant, in judicio Christi imvenientur rei de silentio, etiamsi non contaminentur assensu. Ser. 5, de jejun. decim, mens.
  10. (*) Ut damnarent Manichæum cum prædicationibus et disciplinis suis publicâ in ecclesiâ professione, et manus suæ subscriptione compulimus. S. Leo, ep. 2. ad episc. per Italiam : et epist. 93, ad Turib. Asturic.
  11. (*) Antè tribunal Domiui de reatu negligentiæ se non poterit excusare quicunque plebem suam contra sacrilegæ perversionis auctores noluerit custodire. Epist. 2, ad episc. per Italiam.
  12. (*) Nov. Valent. 3, de Manich.
  1. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 11.
  2. C’est-à-dire du logis de la veuve.
  3. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 11.
  4. Epiph. adv. Hæres., pag. 620.
  5. Lamb. Danæus, Notis in librum Augustini de Hæresibus, folio 118 verso.
  6. Idem, ibid., fol. 120.
  7. Idem, ibidem.
  8. Saint Épiphane, adv. Hæreses, pag. 621, dit pourtant qu’il employa des remèdes. Τινὰ ἐίδη ϕαρμακευτικῆς προενέγκας. Cùm medicamenta quædam adhibuisset.
  9. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 13, 14.
  10. Augustin., de Hæresib., cap. XLVI.
  11. Augustin., de Hares., cap. XLVI, folio 115, in editione Lamberti Danæi.
  12. Ibidem, folio 115 verso.
  13. Basnage, Histoire de la Religion des Églises réformées, tom. I, pag. 125, 126.
  14. Augustin., de Hæresibus, cap. XLVI.
  15. Idem, ibidem, folio 116.
  16. In cæteris autem hominibus, etiam in ipsis auditoribus suis, hanc partem bonæ divinæque substantiæ, quæ mixta et colligata in escis et potibus detinetur, maximèque in eis qui generant filios, arctiùs et inquinatiùs colligari putant Ibid., folio 115.
  17. Augustin., ibidem, folio 117.
  18. Idem, ibidem.
  19. Voyez la dernière remarque.
  20. Histoire des Variations, liv. XI, num. 25, pag. m. 129.
  21. August, de Hæresibus, cap. XLVI, folio 115 verso.
  22. Ibidem, folio 116 verso.
  23. Idem, ibidem., folio 116.
  24. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 17, 18.
  25. Saint Épiphane, adversus Hæreses, pag. 620, suppose que Scythien alla à Jérusalem pour conférer avec les apôtres. Il y serait donc allé avant que Titus prît la ville : ainsi son disciple n’aurait pu vivre en même temps que Manès, au IIIe. siècle.
  26. Ibidem, pag. 619.
  27. Suidas, in Μάνης.
  28. Plutarque, au Traité d’Isis et d’Osiris, pag. m. 1043. Je me sers de la version d’Amyot. Ce passage, dans l’édition grecque et Latine de Francfort, 1620, est à la page 369 et suivantes.
  29. Il fallait dire cinq mille. Voyez la remarque (E) de l’article Zoroastre, tom. XIV, au commencement.
  30. Plutarque, au Traité d’Isis et d’Osiris, pag. 1046.
  31. Non posse suaviter vivi juxtà Epicurum, pag. 1102.
  32. Diog Laërtius, in Proœmio, num. 8 ; Agathias, Histor., lib. II.
  33. Remarquez qu’on ne censure Plutarque, qu’en ce qu’il suppose que, par des actes publics de religion, les Grecs témoignaient qu’il y avait des dieux, le bon Jupiter, par exemple, qui ne pouvaient faire que du bien.
  34. Aul. Gellius, lib. V, cap. XII.
  35. Voyez, touchant ces deux espèces de dieux, un passage d’Arnobe, cité dans la remarque (G) de l’article Pauliciens, tom. XI.
  36. Homer., Iliad, lib. ultimo, vs. 527.
  37. Costar, Apologie, pag. 225.
  38. Plato, de Republicâ, lib. II, pag. m. 605, D.
  39. Idem, ibidem.
  40. Dans la remarque (L) de l’article Pauliciens, tom. XI.
  41. Costar, Apologie, pag. 226, 225.
  42. Voyez les paroles du père Thomassin, dans la remarque (D) de l’article Pauliciens, tom. XI.
  43. Tobias Pfannerus, Systema Theol. Genthis, pag. 258.
  44. Venerano come i Manichei due principii, uno del bene, e l’altro del male : con questa differenza che poco pensando al primo, come quello che credono non poter loro far alcun malo, attendono solo al culto del secondo. Giornale de’ Letterati, du 31 mars 1673, pag. 33, dans l’extrait del Viaggio all’ Indie Orientali del. P. F. Vicenzo Maria di Santa Caterina da Siena, procuratore generale de’ Carmelitani Scalzi.
  45. Voyez saint Épiphane, quand il parle de Scythianus, pag. 619, advers. Hæres.
  46. Joseph Ciantes, évêque de Marsique, in Discursu de sanctissimâ incarnatione clarissinis Hebræorum doctrinis ab corundem argumentorum oppositionibus defensa, Dans le Journal d’Italie, du 27 d’aout 1668, pag. 102.
  47. Le Journal d’Italie, là même, pag. 101.
  48. À cet âge-là on a fait et on a souffert des tours de malice : on a eu du chagrin et de la douleur ; on a boudé plusieurs fois, etc.
  49. Voyez l’entretien XXX de Balzac.
  50. Ovidius, epist. Penel., ad Ulyss., vs. 53.
  51. Sulpicius ad Ciceron., epist. V, lib. IV, Cicer. ad Famil.
  52. Voyez Diogène Laërce, lib. IX, num. 24, et ibi Menagium.
  53. C’est-à-dire, l’action malicieuse. Je fais cette note afin qu’on ne vienne pas m’alléguer que le mal n’est qu’une privation.
  54. J’ai lu dans le Journal d’Italie, du 31 d’août 1674, pag. 101, que Piccinardi, dans le IIIe. livre de sa Dogmatica philosophia peripatetica Christiana, réfute la thèse An alius Deus sit possibilis, soutenue par le père Pierre Conti, contre le Columéra.
  55. Tout ceci et plus amplement discuté dans les remarques de l’article Pauliciens, tom. XI.
  56. Appliquez ici ce que Junon dit à Vénus, dans Virgile, Eneid., lib. IV, vs. 98.

    Sed quis erit modus, aut quo nunc certamine tanto ?
    Quin potius pacem æternam pactosque hymenæos
    Exercemus ? ................
    Communem hunc ergò populum, paribusque regamus
    Auspiciis ................

  57. Notez que tous ceux, ou la plupart de ceux qui ont admis deux principes, ont tenu la métempsycose.
  58. Hanc Deus et molior Litem natura diremit.
    Ovidius, Metam., lib. I, vs. 21.

  59. Voyez, tom. XI, dans l’article Pauliciens, la remarque (E), vers le commencement du premier alinéa.
  60. Voyez la remarque (B).
  61. À celui des Pauliciens, tom. XI, remarques (E), (G) et (H).
  62. Voyez la remarque (F) de l’article Marcionites, dans ce volume.
  63. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 14.
  64. Là même, pag. 18.
  65. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 20, à l’année 443.
  66. Thomassin, de l’Unité de l’Église, tom. I, pag. 339.
  67. Aliquanti verò, qui ita se demerserunt ut nullum his auxiliantis posset remedium subvenire, subditi legibus, secundùm christianorum principum constituta, ne sanctum gregem suâ contagione polluerent, per publicos judices perpetuo sunt exilio relegati.
  68. Thomassin, de l’Unité de l’Église, p. 377.
  69. Là même, pag. 378.
  70. August., de Hæres., cap. XLVI, folio m. 116 verso.

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