Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Micrælius

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MICRÆLIUS (Jean), professeur en théologie à Stettin, naquit à Cuslin en Poméranie, le 3 de septembre 1597. Il commença ses études dans le collége de sa patrie, et dès l’an 1614, il les continua à Stettin, sous Daniel Cramer qui y enseignait la théologie [a], et sous Joachim Prætorius, etc. Il y soutint une dispute de Deo uno et trino, l’an 1616, qui le fit fort estimer. Il alla l’année suivante à l’académie de Konigsberg, et y soutint une dispute de Veritate transcendentali. Il reçut en 1621, dans l’académie de Gryphswald, le grade de maître en philosophie, après avoir soutenu une thèse de Meteoris : quelque temps après, il alla à Leipsic, pour y achever ses études, et il fut établi professeur en éloquence au collége royal de Stettin, l’an 1624, et recteur de l’école du sénat, l’an 1627, et recteur du collége royal, et professeur en théologie, l’an 1649, ayant reçu le doctorat en théologie dans l’académie de Gryphswald la même année 1649 (A). Il avait obtenu par ses sollicitations, dès l’an 1642, qu’il y aurait des professeurs en jurisprudence, en médecine et en mathématique, dans le collége royal, et que l’on y entretiendrait un certain nombre d’écoliers aux frais du public. Il fit un voyage en Suède, l’an 1653, et il eut l’honneur de faire la révérence à la reine Christine, qui lui donna des marques très-obligeantes de sa libéralité. Il mourut le 3 décembre 1658. Il avait été marié trois fois [b](B). Je marquerai le titre de ses principaux ouvrages (C), et je ferai quelques notes (D) sur les additions de son histoire politique.

  1. Il fut ensuite surintendant des églises de Poméranie.
  2. Tiré de sa Vie, composée par Daniel Hartnac. Elle est au devant de son Syntagma Historiæ ecclesiasticæ, et au devant de son Syntagma Historiæ politicæ. J’ai tiré aussi quelque chose de Witte, Memor. theolog., pag. 1282, et seq.

(A) Il se fit recevoir docteur en théologie.... l’an 1649. ] On voulut qu’il demandât ce grade, parce que dans une célèbre dispute qu’il avait eue avec Jean Bergius [1], celui-ci s’était vanté fièrement d’être un ancien docteur en théologie, à quoi Micrælius n’avait pu répondre si ce n’est qu’il avait reçu le grade de maître en philosophie avant Bergius. La reine Christine fit tous les frais de la promotion de Micrælius au doctorat en théologie [2]. La dispute dont je parle concernait les différens qui règnent entre les luthériens et les calvinistes.

(B) Il fut marié trois fois. ] Il épousa sa première femme l’an 1627. Elle était fille de Joachim Prætorius, archidiacre et professeur à Stettin. Il la perdit au bout d’un an avec l’enfant qu’il en avait eu. Il se remaria en 1630, avec une fille de David surintendant de la Poméranie orientale, et il en eut neuf enfans, dont il ne restait que deux [3] en vie quand il mourut. Il prit une troisième femme, l’an 1642, de laquelle il eut six enfans qui lui survécurent. Elle était fille de Michel Hecken, surintendant de Primislaw [4]. Toutes ces marques de la féconde bénédiction que Dieu répandit sur lui ayant été détaillées dans son programme funèbre, je n’ai pas cru qu’il fût à propos de les passer sous silence.

(C) Je marquerai le titre de ses principaux ouvrages. ] Son Ethnophronius contrà Gentiles de Principiis religionis Christianæ fut imprimé à Stettin en 1647, 1651, et 1674, in-4°. Il en donna une continuation l’an 1652, in-4°., contrà judaicas depravationes. Son Lexicon Philosophicum fut imprimé dans la même ville en 1653, et en 1661, in-4°. Heterodoxia Calviniana de Prædestinatione ; à Stettin 1651, in-4°., et 1665, in-12. Syntagma historiarum ecclesiæ, à la même ville en 1630, 1644, 1660, in-8°. Elle a été depuis imprimé in-4°, avec la continuation de M. Hartnac. Je me sers de la cinquième édition, qui est de Leipsic 1699, en deux volumes. Monstrosæ opinionis Isaacii Peyrerii scriptoris Galli de Prœadamitis abominanda Fæditas à Stettin 1656, in 4°. Syntagma historiarum politicarum, à Stettin, l’an 1627 et 1633, in-8°, et l’an 1654, in-4°. J’en parlerai dans la remarque qui suit. Ceux qui voudront voir le titre des autres ouvrages de Micrælius, tant latins qu’allemands, n’auront qu’à lire le sieur Witte [5].

(D) Je ferai quelques notes sur les additions de son Histoire politique. ] La dernière édition est de Leipsic 1702, en deux volumes in-4°. En voici le titre tout entier : Johannis Micrælii Pomerani Historia Politica, quâ imperiorum, regnorum, electoratuum, ducatuum, rerumque publicarum omnium origines, incrementa, fata, bello paceque gesta ad annum a Christo nato 1648 describuntur, cum continuatione Danielis Hartnaccii Pomerani, qui ad exitum usquè superioris seculi eandem eâdem methodo juxtà annorum seriem pertexuit, et totum opus autoribus in margine, undè isthæc desumta, adductis, tabulis chronologicis et genealogicis indicibusque planè novis et locupletissimis exornavit. Je suis sûr que M. Hartnac ne trouvera point mauvais que j’indique certaines choses qui me semblent défectueuses dans ses additions, et qu’ainsi je fasse en sorte, autant qu’il me sera possible, que ceux qui feront réimprimer les Histoires Générales nous donnent de bons Appendix. C’est leur coutume d’y faire joindre ce qui s’est passé depuis l’édition précédente jusques à la leur [6] : or quand on trouve une continuation toute faite, celle par exemple de M. Hartnac, on la copie plus volontiers que l’on ne se donne la peine d’en dresser une autre ; mais au moins s’efforce-t-on de rectifier ce que l’on copie, si l’on a quelques avertissemens sur les défauts.

Je dis donc en premier lieu, que M. Hartnac ne distingue pas assez les personnes, leurs noms propres, leurs qualités, etc. Il nous parle d’un condé, Condæus, qui prit Gernshac en Allemagne, l’an 1691, et la forteresse d’Herberstein [7]. On ne connaît point de général qui eut nom Condé, cette année-là, dans les armées de France. Il dit que le prince Eugène François est fils d’un frère du duc de Savoie [8] : il se trompe, ce duc n’a point de frère, et la parenté de ces deux princes ne vient que de ce qu’ils descendent de Charles Emmanuel, duc de Savoie, bisaïeul du prince Eugène. Il donne au maréchal de Lorge la qualité de marquis [9] : c’est celle de comte qu’il eût fallu lui donner.

En second lieu, je remarque qu’il ne caractérise pas assez les événemens : il en oublie quelquefois les circonstances les plus essentielles, ou du moins celles dont les lecteurs doivent être instruits pour bien juger de l’état des choses. Je n’en donnerai qu’un exemple : il attribue au prince Eugène d’avoir fait lever le siége de Suze au marquis de Catinat, au mois de juillet 1693 ; d’avoir bombardé Pignerol au mois de septembre, et fait sauter par des mines le fort de Sainte-Brigitte ; d’avoir donné une bataille le mois d’octobre dans laquelle chaque parti perdit bien des gens sans que la victoire se déclarât ; et enfin d’avoir chassé l’ennemi au delà des Alpes. Marchionem de Catinat Eugenius dux ab urbis Susæ obsidione julio mense fortiter repulit : septembri Pignarolum injectis ignibus globisque majoribus vastavit, fortalitium Brigittæ actis cuniculiis evertit ; octobri denique ambiguo marte et plurimis utrinque cæsis pugnavit, hostem denique difficillimo montes nivesque gradu finibus excedere coëgit [10]. Ce sont les paroles de M. Hartnac : elles sont censurables par bien des endroits ; car, 1°. le prince Eugène ne commandait point toutes les troupes, il ne commandait que celles de l’empereur ; le duc de Savoie commandant en chef et en personne toute l’armée : c’était donc à lui qu’il fallait attribuer tous les exploits, puisqu’on n’entrait pas dans le détail, et qu’on marquait simplement les succès les plus notables de la campagne. 2°. Il n’est pas vrai qu’on ait jamais fait lever le siége de Suze à M. de Catinat. Il prit cette ville au mois de novembre 1690, et il la garda jusques à ce qu’elle fut rendue par la paix, en 1696. On pourrait croire que par méprise, M. Hartnac a dit Suze au lieu de Coni. J’y consens ; mais, 3o. je remarque que le siége de Coni fut levé en 1691, et non pas en 1693. Je remarque, 4o., que M. de Catinat n’y était point en personne ; 5o. que le prince Eugène ne força point les lignes des assiégeans ; il ne les attaqua pas même. M. de Dulonde, qui commandait les assiégeans, se retira d’ouïe, et sans aucune nécessité à ce que crurent les Français : aussi fut-il arrêté, et disgrâcié[11]. Ainsi les phrases de l’historien, ab obsidione..…. fortiter, repulit Marchionem de Catinat, sont trompeuses, puisqu’elles portent à croire que M. de Catinat en personne leva le siége après avoir été bien battu. Un historien exact choisit toujours ses paroles avec tant de soin, qu’il ne donne pas à deviner à ses lecteurs si les assiégeans se retirèrent d’eux-mêmes, ou s’ils attendirent qu’on les attaquât. 6o. Il ne fallait point supprimer la circonstance que le fort de Sainte-Brigitte fut assiégé dans les formes, et que les Français s’y défendirent plusieurs jours, et se retirèrent ensuite dans Pignerol. 7o. Il ne fallait point se borner au bombardement, ni dire que les bombes désolèrent cette place, vastavit. La bonne foi exigeait qu’on insinuât que les alliés l’assiégèrent, et qu’ils ne purent la prendre, et que leur bombardement n’y fit pas grand mal[12]. 8o. La bonne foi ne saurait permettre que la bataille de la Marsaglia soit comptée parmi celles dont le succès est ambigu. Les écrivains Anti-Français reconnaissent, bon gré mal gré qu’ils en aient, que le maréchal de Catinat gagna celle-là[13]. M. Hartnac fait le même aveu dans d’autres endroits de son livre, et cela en reconnaissant la levée du siége de Pignerol[14]. 9o. Il est faux que M. de Catinat ait été forcé par les alliés à retourner au delà des Alpes : c’est donc une expression fort impropre que finibus excedere coegit. Ils ne purent l’empêcher de séjourner dans le Piémont, et d’y consommer les fourrages autant de temps qu’il jugea à propos ; et il n’en sortit que par les ordres du roi son maître[15].

Il est aisé de voir après tout cela, que j’aurais pu dire, non-seulement que M. Hartnac omet quelques circonstances essentielles, mais aussi qu’il en substitue de fausses qui changent l’espèce du fait. Il a commis cette faute bien sensiblement lorsqu’il a parlé de la prise de Valenciennes ; car non content de n’avoir point dit que cette place fut emportée d’assaut le 8e. jour du siége, il a dit que les Français s’en rendirent maîtres par trahison[16]. Si je voulais marquer toutes les méprises semblables à celle qui suit, j’aurais à faire un long catalogue. Il assure que Jean Barth, ayant battu la flotte des Hollandais, l’an 1694, trouva une grande quantité de blé dans les vaisseaux qu’il leur prit[17]. Voilà une circonstance fausse substituée à la suppression d’une véritable. Il fallait dire que Jean Barth servait d’escorte à plusieurs navires chargés de blé, et qu’ayant battu les vaisseaux de guerre des Hollandais, il sauva le blé qu’il menait en France[18].

Je dis en troisième lieu, qu’il n’observe pas toujours l’ordre du temps : il transpose quelquefois, il anticipe, il confond les dates. En voici quelques exemples. Il assure que Louis XIV ayant pris Grave au mois de juillet 1672, assiégea et subjugua Maestricht, ravagea le pays de Trèves, s’y empara des villes, et se rendit maître de la principauté d’Orange, et de la comté de Bourgogne ; mais que la ville de Groningue se défendit vigoureusement contre l’évêque de Munster[19]. Chacun voit que c’est confondre les temps. Maestricht ne fut subjugué qu’en 1673, et la Franche-Comté ne fut conquise qu’en 1674. Or la prise de Grave et la résistance de Groningue appartiennent à l’an 1672. Notre auteur ajoute que la France reçut un très-grand échec par la perte de Philisbourg, et par celle du maréchal de Turenne, et que néanmoins après cela elle mit en cendres Haguenau, et bien d’autres villes, et prit Condé et Bouchain. Notez que M. de Turenne fut tué l’an 1675, et Philisbourg tomba au pouvoir des Allemands au mois de septembre 1676, et que Condé et Bonchain furent subjugués au printemps de 1676, et qu’Haguenau était une ville que les Français faisaient servir de rempart [20]. Ils n’avaient garde de la brûler. Rapportons encore deux exemples. Il dit qu’en 1689, le duc de Noailles prit Campredon en Catalogne [21], et que M. de Bouflers, ayant presque ruiné Kocheim, emporta enfin Mayence [22]. Tout le monde sait que Mayence, sans avoir été aucunement attaquée, reçut garnison française au mois d’octobre 1688, et que Kocheim fut emporté par le marquis de Bouflers le 26 d’août 1689, et que les Français perdirent Mayence après un long siége, le 8 de septembre 1689 [23]. Le dernier exemple contient une faute de géographie. M. Hartnac raconte qu’au mois de septembre 1688, les Français, sous la conduite de M. le Dauphin, étant entrés dans les états de son A. Électorale Palatine par le Fort-Louis, bâti sur une île du Rhin, prirent Neustad et Keisersluthern, et puis Spire et Worms [24]. Chacun voit que la prise de ces places a dû précéder le passage du Rhin, et qu’en tout cas ce n’est point par le Fort-Louis que l’on doit passer pour se saisir de Neustad.

Il est sûr qu’afin de ranger les choses selon leurs dates, il ne suffit pas d’être muni de bonnes Tables Chronologiques, il faut même consulter un très-bon journal ; et c’est en cela que les gazettes peuvent être utiles. On rendrait un grand service aux compilateurs de l’histoire, si l’on publiait des fastes tels que ceux de du Londel [25].

  1. Premier prédicateur aulique de l’électeur de Brandebourg.
  2. Ex Dan. Hartnaccio, in Vitâ Micrælii.
  3. Une fille qui était mariée, et un fils qui étudiait en théologie.
  4. Tiré de son Programme funèbre, apud Witte, Memor. Theolog., pag. 1286, 1287.
  5. Witte, ibidem, pag. 1289 et seq.
  6. Conférez ce que je dis dans la Dissertation sur les Libelles diffamatoires, num. VIII, et remarque (A), au commencement, tom. XV.
  7. Hartnaccius, tom. I, pag. 565.
  8. Ibidem, pag. 566.
  9. Ibidem, tom. II, pag. 134.
  10. Hartnaccius, tom. I, pag. 568, 569.
  11. Voyez la Vie du prince Eugène, imprimée à la Haye, 1702, pag. 109 et suiv.
  12. Voyez la Vie du Prince Eugène, p. 180 et suiv.
  13. Voyez la même Vie, pag. 300.
  14. Sabaudi anno 1692 (il fallait dire 1693) à Pignaroli obsessione rejecti, iterumque fœderati illorum propè Marsigliam gravi clade mulctati sunt. Harinacc., Syntagma Hist. Polit., tom. II, pag. 54. Voyez aussi pag. 134.
  15. Voyez la Vie du prince Eugène, pag. 205, 206.
  16. Valentinianam proditione ceperunt. Ibid., pag. 137.
  17. Per Johannem Barthium quoque Batavorum naves, numero licet superiores profligat (Rex Galliæ) eque captis magnam frumenti copiam aufert. Ibidem, pag. 134.
  18. Voyez les Fastes du père du Londel, sous le 29 de juin 1694.
  19. Hartnaccius, tom. II, pag. 130, 131.
  20. Montécuculli l’avait assiégée, l’an 1675.
  21. Hartnaccius, tom. II, pag. 133.
  22. Kecheimium graviter affligit, Moguntiam denique expugnat. Ibidem.
  23. Voyez M. Hartnac lui-même, au tom. I, pag. 561, 562.
  24. Tom. I, pag. 561.
  25. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, février 1699, pag. 223.

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