Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Dissertation sur les libelles diffamatoires

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DISSERTATION
SUR LES LIBELLES
DIFFAMATOIRES,

À l’occasion d’un passage de Tacite que j’ai rapporté dans l’article Cassius Sévérus [a], et qui nous apprend qu’Auguste fut le premier qui ordonna que l’on procédât par la loi de Majestate contre ces Libelles.

I. Nouveauté sous Auguste, à l’égard des Libelles.

Je voudrais savoir de quelles raisons l’empereur Auguste se servit pour envelopper les libelles diffamatoires sous les crimes de lèse-majesté ; car, comme Tacite le remarque, on ne comprenait avant cela sous cette espèce de crimes que les trahisons qui avaient affaibli les armées, que les séditions qui avaient affaibli le peuple, et enfin qu’une mauvaise administration des charges qui avait affaibli la majesté de la république : et l’on punissait bien les actions, mais non pas les paroles. Legem Majestatis reduxerat ; cui nomen apud veteres idem, sed alia in judicium veniebant : si quis proditione exercitum, aut plebem seditionibus, deniquè male gesta Rep. majestatem populi Romani minuisset. Facta arguebantur, dicta impunè erant. Primus Augustus cognitionem de famosis libellis specie legis ejus tractavit, commotus Cassii Severi libidine, quâ viros feminasque inlustres procacibus scriptis diffamaverat [b]. C’est pourquoi un autre historien remarque que ce fut une nouveauté que de voir une dame de la famille des Claudes accusée devant le peuple, comme criminelle de lèse-majesté, pour avoir dit en présence d’une foule prodigieuse qui empêchait son carrosse d’avancer : Plût à Dieu que mon frère revînt au monde, et qu’il perdît encore une flotte, afin qu’il y eût moins de gens à Rome[c]. Les interprètes remarquent là une double nouveauté, l’une à cause du sexe de l’accusée, l’autre parce qu’on qualifiait crime d’état un simple souhait. Je ne vois point qu’encore aujourd’hui ce soit une jurisprudence constamment établie et pratiquée, que les médisances de la personne du prince, même par écrit, soient des crimes de lèse-majesté ou d’état [d]. Ainsi Auguste fit là une chose d’autant plus singulière, qu’il l’établit principalement contre les satires, qui ne concernaient point sa personne. J’ai rapporté ci-dessus les paroles de Tacite, qui font voir que les libelles de Cassius Sévérus, contre des gens de qualité de l’un et de l’autre sexe, obligèrent cet empereur à faire ces nouveaux règlemens. Je ne vois point que ce Cassius soit accusé de s’en être pris à Auguste, et je trouve dans Suétone que cet empereur ne punissait ni les discours ni les écrits satiriques qui le regardaient. Nec quidquam ultrà aut statim aut posteà inquisivit. Tiberio quoque de eâdem re sedulò violentiùs apud se per epistolam conquerenti ita rescripsit, ætati tuæ, mi Tiberi, noli in hâc re indulgere, et nimiùm indignari quemquam esse qui de me malè loquatur : satis est si hoc habemus, nequis nobis malè facere possit : [e] ...... Etiam sparsos de se in curiâ famosos libellos, nec expavit, nec magnâ curâ redarguit, ac ne requisitis quidem autoribus, id modò censuit cognoscendum posthàc de iis qui libellos aut carmina ad infamiam cujuspiam sub alieno nomine ederent [f].

II. Trois historiens en parlent imparfaitement, Suétone surtout.

Mais qui ne sera surpris de ce qu’encore que trois différens auteurs nous aient parlé les uns après les autres de ces règlemens d’Auguste, nous n’en saurions voir les circonstances exactement éclaircies, et confirmées par le secours mutuel des trois témoignages ? Tacite nous dit simplement qu’on soumit à la loi de Majestate le crime d’avoir fait des libelles diffamatoires. Suétone, qui est venu après Tacite, ne parle point de cette loi de Majestate ; il dit seulement qu’Auguste ordonna qu’à l’avenir on procéderait contre ceux qui publieraient de tels libelles sous un autre nom. Dion, qui est venu après Suétone, ne parle point non plus de la loi de Majestate, et se contente de dire, 1°. qu’Auguste, deux ans avant que de mourir, ordonna que l’on informât contre les libelles diffamatoires, et que les édiles dans Rome, et les gouverneurs dans les autres lieux, fissent brûler tous les écrits de cette espèce qu’ils découvriraient ; 2°, qu’il châtia quelques-uns de ceux qui avaient composé de ces libelles. De ces trois historiens Suétone est celui qui a le moins débrouillé le fait, puisqu’il ne tient pas à lui que nous ne pensions que pourvu qu’un homme fît des libelles anonymes, ou sous son véritable nom [g], il pouvait impunément diffamer toute la cour et la ville. Pourquoi donc est-ce qu’on bannit Cassius Sévérus ? Pourquoi brûla-t-on les écrits de Labiénus ? Se pourra-t-on bien imaginer que ce fut parce que ces deux auteurs avaient publié leurs livres sous le nom d’autrui ? Quelles rêveries !

III. Vains efforts pour justifier Suétone.

Torrentius a voulu sauver honneur de Suétone, en substituant sans l’autorité d’aucun manuscrit ces mots, suo alienove nomine, à ceux-ci, sub alieno nomine. Mais je remarque que sa correction a été abandonnée avec le dernier mépris : jusque-là que le commentateur de Suétone in usum delphini a cru qu’elle ne faisait point une nouvelle signification, tant il l’avait peu examinée. D’autres veulent que par sub alieno nomine, etc., il faille entendre les satires où le nom des personnes qu’on déchirait ne paraissait pas. Mais je ne vois guère débiter cela que par forme de pis aller. Après tout, nonobstant ces expédiens, Suétone ne mettrait il pas à couvert de toutes peines les satires les plus diffamantes, pourvu qu’elles fussent anonymes, ou qu’on n’y fût pas déchiré sous un nom de guerre, mais sous son nom véritable ? Et ne serait-ce pas un assez honteux reproche à faire au conseil de l’empereur ? Enfin, il y en a qui soutiennent que, comme les lois des douze tables avaient suffisamment défendu que l’on ne fît point de satires sous son nom, Auguste ne se crut obligé qu’à attaquer celles qu’on publierait sous le nom d’autrui. Mais, 1°. nous ne voyons pas que les lois des douze tables s’adressent plus ou moins aux satires anonymes, qu’à celles où l’on aurait mis son vrai nom, ou un faux nom. 2°. Il aurait été fort inutile de ne défendre que celles où l’on se serait nommé : et quelle apparence que ces anciennes lois de Rome aient laissé un chemin si large à quiconque aurait voulu les éluder ? 3°. A-t-on de coutume, en faisant quelque addition à une loi, de ne pas renouveler et confirmer les anciens ordres ? 4°. Qui comprendra jamais que si l’ancien droit romain avait accordé l’impunité aux satires les plus punissables, c’est-à-dire à celles où l’on ne met point son nom, desquelles les coups sont et plus fréquens et plus hardis, Auguste, en suppléant ce qui eût manqué aux vieilles lois, eût oublié précisément le remède le plus nécessaire ; savoir la punition des libelles anonymes ? Il y a bien plus d’apparence que ce fut lui qui fit faire la loi ou le sénatus-consulte dont Ulpien nous a conservé les paroles : Si quis librum ad infamiam alicujus pertinentem scripsit, composuit, edidit, dolove malo fecit quo quid eorum fieret, etiamsi alterius nomine ediderit ; vel sine nomine ; uti de eâ re agere liceat ; et si condemnatus sit, qui id fecit, intestabilis ex lege esse jubetur [h].

J’avoue que les historiens modernes sont trop prolixes, et qu’il y en a qui composent plus de volumes sur leur siècle, que Tite-Live n’en a composé sur toute la durée de Rome conquérante, depuis sa fondation jusqu’à César ; mais les anciens, d’autre côté, sont trop courts, et il est plus à propos, pour notre instruction, qu’on mette trop de particularités dans une histoire, que si l’on en supprime trop.

IV. Si les Libelles ont été compris sous les crimes de lèse-majesté par la raison qu’ils sont une usurpation du droit souverain.

On s’imaginera peut-être qu’Auguste n’eut pas besoin de grands détours pour montrer que les faiseurs de libelles devaient être poursuivis sur le pied de criminels de lèse-majesté, puisqu’il est évident qu’un particulier qui diffame son prochain usurpe un des droits de la souveraineté, et qu’il n’appartient pas moins au souverain, exclusivement à tout autre, d’infliger la peine d’infamie, que d’infliger la peine de bannissement, de prison, de mort, etc. Mais ce serait raisonner très-faussement, et convertir tout d’un coup en crimes de lèse-majesté l’infraction de toutes les lois, l’adultère, le vol, la séduction d’une fille, etc. ; car on peut dire qu’un voleur ne méprise pas seulement les lois de son souverain, mais aussi qu’il s’empare d’un droit qui n’appartient qu’au souverain : il n’appartient qu’au souverain d’ôter aux particuliers, ou en tout ou en partie, ce qu’ils possèdent. Le droit d’infliger des amendes, des confiscations, etc., ne doit pas moins émaner de la puissance souveraine que celui de noter quelqu’un d’infamie ; et par conséquent un satirique qui diffame son prochain ne saurait être coupable de lèse-majesté, sans qu’il en faille conclure qu’un voleur, qu’un fornicateur l’est aussi. Et cela serait d’autant plus vrai à l’égard des fornicateurs, que s’ils débauchent une femme mariée, ils jouent à frauder les héritiers, par l’intrusion d’un cohéritier illégitime, et qu’en même temps ils attirent un grand déshonneur sur la tête du mari ; que s’ils débauchent une fille, ils lui infligent une flétrissure ignominieuse qui rejaillit sur sa famille, et ils causent à son père un dommage réel, et une perte pécuniaire semblable à celle qui consiste dans le déchet des marchandises. En effet, une fille déflorée est comme un vin éventé, qui ne vaut plus son prix : c’est une marchandise dont le propriétaire demeure toujours chargé, s’il n’aime mieux s’en défaire en y perdant beaucoup ; je veux dire, ou en la mésalliant, ou en lui constituant une dot exorbitante. Ce n’est donc point par-là que l’on peut justifier la nouvelle jurisprudence d’Auguste : le plus court est apparemment de confesser qu’elle n’était pas régulière. Je ne sais si en la tirant par les cheveux on ne la fit point sortir d’une maxime ou d’une définition qui se trouve dans Cicéron, et qui porte qu’on diminuait la majesté du peuple romain quand on ôtait quelque chose à la dignité, ou à la grandeur, ou à la puissance de ce peuple, ou à celle des gens auxquels il avait communiqué du pouvoir. Majestatem minuere est de dignitate, aut amplitudine, aut potestate populi, aut eorurn quibus populus potestatem dedit, aliquid derogare [i] Je crois seulement que par la loi de Majestate il faut entendre quelque chose de plus que n’a fait M. Auberi dans l’endroit que j’ai cité, où il dit qu’Auguste ne fit que renouveler l’action capitale que les lois des douze tables avaient établie contre les faiseurs de libelles diffamatoires. Disons en passant que M. Naudé a confondu ces douze tables avec un arrêt du sénat. Il a même fourni une preuve de sa faute ; car ce qu’il cite d’Arnobe prouve manifestement la justice de ma censure. Si nos seigneurs du parlement, dit-il [j], eussent eu le loisir de jeter les yeux sur tous ces livrets diffamatoires, je tiens pour assuré qu’ils auraient empêché la vente d’une bonne partie, quand ce n’aurait été que pour imiter la vertu de cet ancien sénat de Rome, duquel Arnobe disait, si j’ai bonne mémoire : Carmen malum conscribere, quo fama alterius coinquinetur, et vita, decemviralibus scitis evadere noluistis impunitum.

Tibère maintint cette innovation d’Auguste, à cause principalement de quelques plumes médisantes qui attaquaient sa personne, et qui touchaient aux plaies les plus délicates de son domestique. Mox Tiberius consultante Pompeio Macro prætore, an judicia Majestatis redderentur, exercendas leges esse respondit. Hunc quoque asperavêre carmina incertis auctoribus vulgata in sævitiam superbiamque ejus, et discordem cum matre animum [k]. Il mit ensuite cette loi à tous les jours [l] : le pauvre Crémutius Cordus eut beau soutenir [m] qu’il n’avait écrit rien de choquant, ni contre Tibère, ni contre l’impératrice, qui étaient ceux, disait-il, que la loi de Majestate comprenait ; cela ne fut point capable d’effacer son prétendu crime, d’avoir donné quelques louanges à Brutus et à Cassius. Verba mea, patres conscripti, arguuntur adeò factorum innocens sum. Sed neque hæc in principem aut principis parentem, quos lex Majestatis amplectitur [n]. Notez qu’il semble que Tacite ait oublié ce qu’il avait dit au chapitre LXXII du 1er. livre ; car de la manière qu’il fait parler Crémutius Cordus, on dirait que les seuls libelles contre l’empereur et contre l’impératrice étaient compris sous la loi de Majestate : or on ne voit aucune ombre de cette restriction dans le chapitre LXXII.

V. Néron fut assez patient pour les libelles.

Mais n’oublions pas de dire que cette loi de Majestate n’était pas toujours funeste. Néron, tout Néron qu’il était, non-seulement ne cassa pas l’ordonnance du sénat, qui ne condamnait qu’au bannissement et à la confiscation des biens le prêteur Antistius, convaincu d’avoir publié des satires contre l’empereur [o] ; mais il déclara à la compagnie qu’il lui permettait d’absoudre à pur et à plein Antistius. Se qui severitatem decernentium impediturus fuerit, moderationem non prohibere. Statuerent ut vellent, data etiam absolvendi licentiam [p]. Le sénat s’en tint à sa première résolution. Presque en même temps Fabritius Vejento, auteur de quantité de libelles contre les sénateurs, et contre le clergé de Rome [q], ayant été jugé par Néron même, ne fut que banni d’Italie. Ses livres furent condamnés au feu : on les rechercha depuis, et on les lut avec la dernière avidité, pendant qu’il y eut du péril à le faire ; mais dès qu’il fut permis de les avoir, on ne s’en soucia plus. Convictum Vejentonen Italiâ depulit, et libros exuri jussit, conquisitos lectitatosque donec cum periculo parabantur ; mox licentia habendi oblivionem attulit [r]. Suétone remarque comme un fait très-singulier, que Néron fut si peu mal endurant pour la médisance, qu’il ne témoigna à personne plus de débonnaireté qu’à ceux qui exerçaient sur lui leur génie satirique. On fit courir et l’on afficha des vers sanglans contre sa personne ; il ne s’en émut point, il n’en fit point rechercher les auteurs ; et quelques-uns d’eux ayant été déférés au sénat, il empêcha qu’ils ne fussent châtiés rigoureusement. Mirum et vel præcipuè notabile inter hæc fuit, nihil eum patientiùs quàm maledicta et convicia hominum tulisse, neque in ullos leniorem, quàm qui se dictis aut carminibus lacessissent, extitisse... Vel contemptu omnis infamiæ, vel ne fatendo dolorem irritaret ingenia [s]. Pour avoir été atteint de la raillerie mordante d’un cynique, en pleine rue, et pour avoir été joué sur le théâtre, il se contenta de bannir de l’Italie le philosophe et le comédien. Suétone ne sait s’il y avait là plus d’indolence que de politique ; car en témoignant son chagrin, Néron avait lieu de craindre qu’il n’encourageât les médisans ; et personne n’ignore la sentence que Tacite a débitée dans le chapitre XXXIV du IVe. livre des Annales, à l’occasion d’un doute semblable à celui de Suétone : une injure, dit-il, qu’on méprise tombe d’elle-même ; si l’on s’en fâche, on la fait valoir. Carmina Bibaculi et Catulli referta contumeliis Cæsarum leguntur : sed ipse divus Julius, ipse divus Augustus, et tulêre ista et reliquêre, haud facilè dixerim, moderatione magis an sapientiâ : namque spreta exolescunt : si irascâre, adgnita videntur.

VI. Il est très-important de réprimer la licence des libelles. Les anciens païens la réprimèrent.

Voilà qui est bien, s’il ne s’agit que de pardonner les médisances où le souverain est intéressé personnellement ; mais il ne faut pas qu’il laisse ses sujets exposés à cet orage. Domitien mériterait cent éloges, s’il n’avait puni que les auteurs qui avaient médit des premières personnes de Rome, en quoi il n’employa pas trop de rigueur [t]. Il semble donc que l’excessive sévérité d’Auguste contre les libelles diffamatoires, si on la détache de l’abus que ses successeurs en firent souvent, ne consistait que dans les termes, et dans le fastueux mot de Majestate ; et qu’ainsi sa conduite ne soit pas condamnable dans le fond ; car c’est une des licences qu’on doit le plus refréner dans un état, que celle de ces sortes de libelles. L’honneur, la gloire et la réputation des familles, ces biens mille fois plus précieux que l’or et l’argent, ne tiendraient qu’à un filet, si l’on ne réprimait l’audace et la noire malignité des écrivains satiriques. Ils commenceraient à la vérité par des personnes de mauvaise vie : mais après ce début ils se répandraient comme la peste, sans aucun discernement sur les lieux saints et sur les profanes, sur les maisons chastes et sur celles de prostitution. L’antiquité en aurait fait l’expérience totale, si l’on n’y eût enfin remédié par de bonnes lois, et en soumettant au bras séculier les satiriques, quand on vit que cela passait la raillerie, et quand ceux qui n’avaient pas été encore mordus de ces chiens enragés firent réflexion que leur tour viendrait aussi ; qu’il fallait donc concourir, pour y mettre ordre, avec ceux qui avaient déjà reçu le coup. C’est ainsi qu’en cas d’incendie les voisins ne travaillent pas moins que ceux dont la maison brûle, à éteindre l’embrasement [u]. Voici comment Horace raconte la chose :

Fescennina per hunc inventa licentia morem
Versibus alternis opprobria rustica fudit,
Libertasque recurrentes accepta per annos
Lusit amabiliter donec jam sævus apertam
In rabiem cœpit verti jocus, et per honestas
Ire minax impunè domos. Doluêre cruento
Dente lacessiti, fuit intactis quoque cura
Conditione super communi : quin etiam lex
Pœnaque lata, malo quæ nollet carmin quemquam
Describi. Vertêre modum formidine fustis
Ad benedicendum delectandumque redacti [v].

Cicéron avait aussi remarqué que l’ancienne comédie grecque abusa tellement de la permission qu’elle avait de censurer la mauvaise vie des particuliers, nommément et sans détour, qu’il n’y eut personne qui échappât à la médisance du théâtre, non pas même Périclès, qui avait si longtemps gouverné la république tant en paix qu’en guerre. On aurait pu souffrir, disait Cicéron, que les méchans citoyens eussent été exposés à ces insultes ; quoiqu’il soit plus à propos que de telles gens soient notés par le censeur, que par un poëte ; mais il est insupportable qu’un Périclès n’en soit pas exempt. Apud Græcos antiquiores fuit lege concessum, ut quod vellet comœdia nominatim vel de quo vellet diceret [w] ; itaque sicut in eisdem libris loquitur Africanus quem illa non attigit, vel potiùs quam non vexavit, cui pepercit ? Esto : populares homines improbos, in rep. seditiosos, Cleonem, Cleophontem, Hyperbolum læsit : patiamur, inquit, et si hujusmodi cives à censore meliùs est quàm à poëtâ notari : sed Periclem cùm jam suæ civitati maximâ autoritate plurimos annos domi et belli præfuisset, violari versibus et eos agi in scenâ, non plus decuit, quàm si Plautus, inquit, noster voluisses aut Nævius Publio et Cneo Scipioni, aut Cæcilius Marco Catoni maledicere [x]. De tous les trésors du monde il n’y en aurait point de plus exposé à la teigne et la rouillure, et aux mains ravissantes des larrons, que l’honneur et que la bonne renommée, si l’on ne réprimait pas l’audace des écrivains satiriques : car comme par je ne sais quelle fatalité bien funeste, l’esprit de médisance et de vengeance se trouve souvent conjoint avec les apparences d’une vie austère, l’impunité des libelles en ferait éclore un très-grand nombre, qui porteraient coup contre les plus honnêtes gens ; et pour peu que l’on irritât un faux dévot ou un fanatique bilieux, on se verrait déchiré cruellement par sa plume, et la crédulité populaire pour ces sortes d’écrivains leur fournirait un asile, à l’égard même des calomnies les plus extravagantes. Si ces gens-là ne renvoyaient pas à la fin les vertus, par où il faut commencer la vie dévote : les vertus, dis-je, qui font l’honnête homme, et s’ils profitent du meilleur avis que l’on leur puisse donner, qui est de ne se point mêler d’être dévots avant que d’être gens de bien [y], ils ne se distingueraient pas comme ils font par leurs discours satiriques et par leurs écrits diffamatoires.

VII. Ce qu’il faut réponde aux apologistes des libelles.

On voit par-là ce qu’il faut répondre à ceux qui disent que libelles font du bien à la société, en tant qu’ils empêchent plusieurs personnes de l’un et de l’autre sexe de sortir des bornes de la bienséance : c’est un frein, disent-ils, qui les retient : ôtez-leur la crainte d’être diffamés jusqu’au bout du monde, et dans tous les siècles à venir par quelque satire ingénieuse, il n’y aura point d’excès à quoi ils ne se précipitent. Chansons que tout cela. On ne voit pas que jusqu’ici il y ait jamais eu disette de ces libelles, et cependant le monde n’est point amendé et n’amende point. De plus, ce prétendu frein ne deviendrait-il pas inutile par l’abus qu’on ferait de ce remède, en diffamant sans quartier ni discernement toutes sortes de maisons ?

Sera-t-il donc permis aux uns de commettre des infamies, sans qu’il soit permis aux autres de les en punir par tous les cornets de la Renommée ? Je réponds que comme ce n’est pas aux particuliers à châtier ceux qui volent et ceux qui tuent, et qu’il en faut laisser le soin à ceux que l’autorité souveraine a préposés à la punition des malfaiteurs, il en faut user de même à l’égard de la peine d’infamie. C’est empiéter sur les droits du souverain, c’est mettre une main profane à l’encensoir, que de se mêler de ces sortes de punitions, quand on n’a point de caractère pour cela, communiqué par ceux qui gouvernent. Un coupable peut alors se servir légitimement de la question qu’on fit autrefois à Moïse : Qui t’a établi prince et juge sur nous [z] ? Ce que peuvent faire les particuliers contre ceux qui méritent l’infamie est justement ce qu’ils peuvent faire contre un voleur ou un assassin : ils peuvent le déférer aux juges, et témoigner contre lui ce qu’ils savent ; ils peuvent dénoncer pareillement les commerces criminels, et la vie infâme de tels et de telles ; mais il faut le faire avec toutes les qualités d’un accusateur en forme : il faut se nommer, faire élection de domicile, et surtout être en état de prouver devant les juges, si le cas y échet, tout ce qu’on avance. Or où sont les faiseurs de libelles qui en usent ainsi ? La première chose qu’ils observent c’est de cacher leur nom, leur profession et leur demeure. Ils ne sont pas fort consciencieux sur les preuves : les plus petits soupçons et les ouï-dire, les nouvelles d’auberge et de corps-de-garde leur servent de démonstration ; et dès là ils encourent de droit les peines des calomniateurs et des faux témoins : car pour mériter ces peines il n’est pas nécessaire que ce que l’on avance soit réellement faux, il suffit qu’on le soutienne sans le savoir, et sans en avoir des preuves.

VIII. Du droit de l’histoire, et par qui elle devrait être écrite. Grand abus en cela.

Je suis persuadé qu’il est et de la justice, et du bien public, que les mauvaises actions soient traduites au tribunal de la Renommée, pour y recevoir le châtiment qu’elles méritent, interest reipublicæ cognosci malos [aa] : mais tout le monde ne doit pas se mêler de cette fonction. Car si le mal qu’on souhaite de divulguer est de nature à être puni par les lois civiles, il en faut laisser faire les informations aux magistrats, ou tout au plus les aider d’un témoignage juridique, afin que le crime porte tout à la fois une double punition, celle du bruit public et celle des juges. Il faut se souvenir que ce n’est pas à un poëte ni à tel autre écrivain que nous devons rendre compte de notre conduite, mais aux magistrats. Ce dogme vient de bon lieu, comme il paraîtra par ce latin : Nostræ contrà duodecim Tabulæ cùm perpaucas res capite sanxissent his hanc quoque sanciendam putaverunt, si quis occentavisset, sive carmen condidisset, quod infamiam faceret flagitiumve alteri. Præclarè, judiciis enim ac magistratuum disceptationibus legitimis propositam vitam, non poëtarum ingeniis habere debemus, nec probrum audire, nisi eâ lege ut respondere liceat et judicio defendere [ab]. Que si le mal est d’une autre espèce, jouissant de l’impunité, ou à cause de la tolérance de la justice, ou à cause des personnes qui le font, alors non plus il n’appartient pas à un chacun de se mêler d’en écrire. Il faudrait laisser ce soin à l’histoire, et celui de composer l’histoire à des personnes choisies et autorisées par ceux qui gouvernent : par ce moyen les flétrissures que l’histoire infligerait au nom et à la mémoire des gens qui méritent l’infamie publique, procéderaient de leur véritable source, et seraient comme une émanation de ce droit du glaive, dont le bras des souverains est armé pour le châtiment des méchans. Il faudrait que comme l’Histoire Sainte n’a pas été l’ouvrage d’un particulier, mais de gens qui avaient reçu de Dieu une commission spéciale d’écrire [ac], de même l’histoire civile ne fût composée que par des gens commis à cela par le souverain de chaque état. Et alors la présomption serait que l’histoire ne diffamerait pas les gens sur de méchantes preuves ; au lieu que de la manière quel les choses vont, elle distribue les peines et les récompenses, le blâme et la louange, la condamnation et l’absolution, sur les premiers bruits de la renommée, sophistiqués et alambiqués par mille passions. Et ce qu’il y a d’étrange, c’est que le plus petit historien se munit du privilége qui ne doit appartenir qu’à quelques-uns : il prétend qu’on ne doit pas exiger de lui qu’il fournisse ses preuves et ses témoins. Quis unquàm ab historico juratores exegit [ad].

Je ne dis pas qu’il n’y ait des inconvéniens de l’autre côté ; mais y en ayant partout, il reste que l’on évite les plus grands, comme sont sans doute cette multitude d’écrivains qu’on voit aujourd’hui salir de leurs mains impures les faits historiques : les salir, dis-je, non-seulement pour le temps présent, mais pour les siècles à venir ; vu qu’il n’y aura que trop de continuateurs du Mellificium Pezelii, de Sethus Calvisius, des Commentaires de Sleidan, etc. [ae], trop de faiseurs d’abrégés in usum studiosæ juventutis ; trop d’écrivains, en un mot, qui ne puiseront point ailleurs, et qui perpétueront les mensonges que l’on divulgue journellement (A). Ce que l’on dit des premières impressions en général, qu’elles sont de longue durée,

Quo semel est imbuta recens servabit odorem
Testa diù [af],


est très-vrai en particulier de ces premières altérations qu’on fait souffrir aux événemens dès leur naissance, par des relations déguisées que l’on débite à la chaude, et que l’on répand partout le plus promptement qu’il est possible. C’est un péché originel dont on ne peut nier la propagation : trop d’exemples la prouvent ; et c’est là le grand désordre : car comme tous les peuples sont assez semblables à celui dont un cardinal légat disait, en lui donnant sa sainte bénédiction, puisqu’il veut être trompé, qu’il le soit ; et comme d’ailleurs on ne saurait révoquer en doute qu’une fausse nouvelle crue trois jours ne soit capable de faire beaucoup de bien à un état (B), au lieu qu’une nouvelle véritable crue autant de temps est capable de le perdre, il ne faut pas trouver étrange que les premières relations soient remplies de déguisement : la politique le veut, elle que quelqu’un a définie ars non tam regendi, quàm fallendi hominem (C). Mais il en faudrait revenir, et c’est ce qu’on ne fait jamais de bonne grâce ; et si quelques-uns le font, cela ne sert plus de rien : tant de plumes ayant déjà canonisé les premiers bruits, que pour le moins il se forme des partages de sentiment par toute la terre [ag].

Ce n’est pas assez que de comparer ces indignes écrivains à des harpies, qui salissent tout ce qu’elles touchent [ah] : on peut dire que ce sont des bourreaux qui tordent le cou, les bras et les jambes aux faits historiques, et même qui les leur coupent quelquefois, et leur en appliquent de postiches ; et cela presque au moment même qu’un événement est sorti du sein de ses causes, et que les exploits d’une bataille ne font que de naître,

Modò primos incipientes
Edere vagitus, et adhuc à matre rubentes [ai].

L’on a dit autrefois des Muses qu’elles se prostituaient même à des esclaves ; c’est ce qu’on peut dire principalement de celle qui préside à l’Histoire [aj] : c’est un véritable scortum triobolare, qui se tient sur les grands chemins, et qui se livre au premier venu pour un morceau de pain. Son marché avec libraires est bien au-dessous de celui des Baudoins et des du Ryer, avec qui c’était un prix fait, qu’ils traduiraient à trente sous ou à un écu la feuille, et qu’ils feraient des vers à quatre francs le cent quand ils étaient grands, et à quarante

sous quand ils étaient petits [ak].

Ah ! pudor extinctus, doctæque infamia turbæ
Sub titulo prostant, et queis genus ab Jove summo
Res hominum suprà evectæ et nullius egentes,
Asse merent vili, ac sancto se corpore fœdant.
Scilicet aut Menæ faciles parere superbo,
Aut nutu Polycleti, et parcâ laude beatæ
Usque adeò maculas ardent in fronte recentes
Hesternique Getæ vincla, et vestigia flagri [al].

Lucien, sans le savoir, a fait la peinture de notre siècle, lorsqu’il a parlé d’une guerre qui avait produit un si grand nombre d’historiens, qu’on aurait dit que ce métier était à la mode. Il compare cette mode à la maladie épidémique des Abdérites [am]. Nous avons vu, continue-t-il, la vérité du proverbe, que la guerre est la mère de toutes choses. Ἀφ᾽ οὗ δὴ, τὰ ἐν ποσὶ ταῦτα κεκίνηται, ὁ πόλεμος ὁ πρὸς τοὺς βαρϐάρους, καὶ τὸ ἐν Ἀρμενίᾳ τραῦμα, καὶ αἱ συνεχεῖς νῖκαι, οὐδεὶς ὅς τις οὐχ ἱςορίαν συγράφει· μᾶλλον δὲ Θουκυδίδαι, καὶ Ηρόδοτοι, καὶ Ξενοφῶντες ἡμῖν ἅπαντες· καὶ ὡς ἔοικεν, ἀληθὲς ἆρ᾽ ἠν ἐκεῖνο τό, Πόλεμος ἁπάντων πατήρ, ἔι γε καὶ σνγγραφέας τοσούτους ἀνέφυσεν, ὑπὸ μιᾷ τῇ πληγῇ. Ex quo res præsentes moveri cœperunt ; puta bellum istud contra barbaros et acceptum in Armeniâ vulnus, et continuæ illæ victoriæ, nemo non historiam conscribit. Imòverò Thucydides, Herodoti, et Xenophontes nobis facti sunt omnes. Et ut apparet, verum fuit illud, Bellum omnium pater est, quandoquidem historiarum scriptores tam multos unâ hâc plagâ procreavit [an]. Les anciens Romains avaient eu infiniment plus de respect pour la dignité de l’histoire ; car avant le temps de Pompée personne ne s’en était mêlé, qui ne fût recommandable par sa naissance et par son mérite ; et lorsque, le précepteur de ce grand homme eut entrepris de faire l’histoire du père de son disciple, et celle de son disciple, on trouva je ne sais quoi d’incommode dans cette nouveauté, comme Suétone nous l’insinue. Cependant ce novateur avait de l’esprit et du savoir, et il avait enseigné la rhétorique ; mais il n’était pas de condition, il avait été affranchi. Voilà le grief : Lucius Octacilius Pilitus servîsse dicitur, atque etiam ostiarius, veteri more, in catenâ fuisse : donec ob ingenium ac studium litterarum manumissus, accusanti patrono subscripsit. Deinde rhetoricam professus, Cnæum Pompeium Magnum docuit ; patris ejus res gestas, nec minùs ipsius, compluribus libris exposuit : primus omniurn libertinorum, ut Cornelius Nepos opinatur, scribere historiam orsus, non nisi ab honestissimo quoque scribi solitam [ao].

IX. L’abus dont on vient de parler favorise le pyrrhonisme historique.

Que deviendraient les ennemis du pyrrhonisme historique, si ce mal avait eu cours du temps de l’ancienne Grèce et de la vieille Rome ? Ils sont à féliciter de ce que l’imprimerie est une invention si moderne, et ils peuvent s’écrier avec raison, bono Hercule publico ista licentia post casum imperii Romani inventa est [ap]. Car si l’antiquité grecque, romaine, persane, carthaginoise, etc., en avait usé comme l’on en use aujourd’hui, ils auraient bien de la peine à nous prouver quelque chose, en se fortifiant même du secours des inscriptions et des médailles [aq], monumens que les modernes emploient impunément pour satisfaire leurs caprices, sans se fonder sur un fait réel.

X. Satires modernes sur quelques galanteries. On se plaint sans sujet de la Hollande.

Je n’irai pas plus loin sans dire que les Cassius Sévérus sont de tous les temps. On a vu de nos jours un homme de qualité, qui, non content de composer des relations peu avantageuses à quelques dames de la cour, a poussé, dit-on, sa pointe jusqu’à la maison royale, et jusques au chef (D) ; ce qui montre que l’on peut dire fort véritablement de la satire, ce que Malherbe a dit de la mort,

Que la garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend pas les rois.


Ce seigneur a été plus sage et plus heureux que le satirique de la cour d’Auguste. Celui-ci ne se corrigeant point dans son exil empira de telle sorte son état, qu’à peine avait-il enfin de quoi se couvrir aux parties de la honte [ar] ; mais celui dont je parle en fut quitte à bon marché, et s’appliqua à des choses bien plus dignes de son bel esprit et de sa charmante plume (E).

On aurait tort de lui imputer les mauvaises imitations desquelles il n’a été cause que par accident. Mais il faut avouer qu’on a bien justifié la maxime, que les mauvais exemples enchérissent sans poids ni mesure les uns sur les autres (F). Combien d’histoires n’a-t-on pas publié contre les principales personnes de la cour de France, de celle de Bruxelles, etc., avec les noms, les surnoms et les qualités de chacune ; avec les circonstances les plus secrètes, les discours les plus cachés, et cent choses de telle nature, qu’il est impossible qu’elles soient venues à la connaissance de l’écrivain ? C’est ici que Gabriel Naudé pourrait dire avec plus de fondement ce qu’il a dit des Anecdotes de Procope, de l’Histoire de Mathieu Paris, de la Chronique Scandaleuse de Louis XI, des Mémoires de la Ligue, etc. [as]. C’est ici qu’on a raison de se récrier,

Quod genus hoc hominum, quæve hunc tam barbara morem
Permittit patria [at] ?


Mais non pas d’adresser cette apostrophe à la république de Hollande, puisqu’il est très-faux qu’elle permette ces pirateries barbares sur l’honneur des maisons les plus illustres. Voici ce qu’elle répondit en 1665 à M. l’évêque de Munster, qui s’était plaint entre autres choses de quelques écrits : Quidquid verò seu de hoc seu de aliis negotiis in nostris terris typis divulgatum est, de iis aliud nihil dicemus nisi illud solùm non tantùm hic, verùm passim inaliis quoque regionibus ægrè admodùm frenari et inhiberi posse typographicas licentias quantumvis diligens fuerit cautela ; nosque ipsi contra istiusmodi abusus severa sæpè promulgaverimus edicta, eademque sævis et rigidis confirmaverimus executionibus. Ces paroles, contenues dans une lettre de leurs Hautes Puissances, datée du 29 de septembre 1665, et imprimée avec privilége, peuvent servir de réponse générale à toutes les plaintes de même nature (G).

XI. Aveu du comte de Bussy. Histoire anecdote d’Alexandre VI.

Il ne sera pas hors de propos d’insérer ici l’aveu public du comte de Bussy Rabutin.« Il y a cinq ans que ne sachant à quoi me divertir à la campagne où j’étais, je justifiai bien le proverbe que l’oisiveté est mère de tout vice ; car je me mis à écrire une histoire, ou plutôt un roman satirique, véritablement sans dessein d’en faire aucun mauvais usage, mais seulement pour m’occuper alors, et tout au plus pour le montrer à quelques-uns de mes amis, leur en donner du plaisir, et m’attirer de leur part quelque louange de bien écrire [au] ..... Comme les véritables événemens ne sont jamais assez extraordinaires pour divertir beaucoup, j’eus recours à l’invention, que je crus qui plairait davantage ; et sans avoir le moindre scrupule de l’offense que je faisais aux intéressés, parce que je ne faisais cela quasi que pour moi, j’écrivis mille choses que je n’avais jamais ouï dire. Je fis des gens heureux qui n’étaient pas seulement écoutés, et d’autres même qui n’avaient jamais songé de l’être : et, parce qu’il eût été ridicule de choisir deux femmes sans naissance et sans mérite pour les principales héroïnes de mon roman, j’en pris deux auxquelles nulles bonnes qualités ne manquaient, et qui même en avaient tant, que l’envie pouvait aider à rendre croyable tout le mal que j’en pouvais inventer [av]. » Vous avez là un portrait fidèle de la conduite des écrivains satiriques. Soit qu’ils écrivent par un motif de vengeance ou de jalousie, soit qu’ils le fassent pour mettre à profit leurs pensées et pour exercer leur plume, ils se proposent comme une fin principale le divertissement du lecteur, et les louanges de leur génie. Or comme ils craignent qu’en ne disant que la vérité ils ne divertiraient guère les lecteurs, et que leur ouvrage passerait pour une mauvaise pièce, ils assaisonnent de mille fables leurs récits, ils imaginent des aventures singulières, ils feignent des conversations, et ils appliquent à leurs personnages ce qu’ils ont lu de plus propre à paraître de haut goût. Examinez bien les satires les plus piquantes et les mieux écrites, vous trouverez l’esprit de l’auteur, son style et son caractère, dans toutes les lettres qu’il suppose que les amans s’écrivirent, et dans tous les entretiens qu’il leur fait avoir. N’est-ce pas une preuve qu’il fait un roman ? Si l’histoire de donna Olympia, et cent autres pièces de même nature étaient écrites avec la même simplicité et avec le même naïf que l’on remarque dans le Journal de Burchard [aw], elles seraient sans comparaison plus dignes de foi. Je ne dis pas qu’elles persuaderaient davantage, je me contente de dire qu’elles devraient mieux persuader ; car je sais d’ailleurs que le public proportionne sa persuasion à la vraisemblance que les écrivains ont ménagée, et au plaisir qu’ils ont causé par le sel piquant qu’ils ont répandu sur leurs ouvrages, et par le merveilleux des événemens. Cela est si vrai, que l’aveu public de M. de Rabutin n’a obligé que fort peu de gens à renoncer à l’opinion qu’ils avaient conçue, que ses récits étaient historiques au pied de la lettre. Remarquez bien les paroles où il nous apprend que son manuscrit fut falsifié par une dame à qui il l’avait prêté. « Elle ajouta ou retrancha dans cette histoire ce qu’il lui plut, pour m’attirer la haine de la plupart de ceux dont je parlais : et cela est si vrai, que les premières copies qui furent vues n’étaient pas falsifiées ; mais sitôt que les autres parurent, comme chacun court à la satire la plus forte, on trouva fades les véritables, et on les supprima comme fausses [ax]. »

Le Journal dont je viens de faire mention a été fait par un Allemand, maître des cérémonies à la cour du pape Alexandre VI. Sa nation et son emploi nous assurent, l’une qu’il narre les choses fidèlement, l’autre qu’il a pu savoir au vrai ce qu’il raconte. Ainsi l’on n’a point lieu de douter de ces infâmes spectacles dont le pape et sa fille repaissaient leurs yeux, je veux dire de ce repas que le duc de Valentinois donna à cinquante courtisanes, et de ce combat de quatre chevaux découplés sur deux cavales. Outre que, comme je l’ai déjà dit, le style simple et barbare de l’écrivain ne permet pas que l’on soupçonne qu’il a écrit pour divertir le lecteur, et pour s’attirer des louanges. Jugez-en par ce petit échantillon. Dominicâ ultimâ mensis octobris in sero fecerunt cœnam cum duce Valentinensi in camerâ suâ, in palatio apostolico, quinquaginta meretrices honestæ, cortegianæ nuncupatæ, quæ post cœnam choreârunt cum servitoribus et aliis ibidem existentibus, primò in vestibus suis, deindè nudæ. Post cœnam posita fuerunt candelabra communia mensæ cum candelis ardentibus et projectæ ante candelabra per terram castaneæ, quas meretrices ipsæ super manibus et pedibus nudæ candelabra pertranseuntes colligebant, papâ, duce, et Lucretiâ sorore suâ præsentibus et aspicientibus : tandem exposita dora ultimo, diploides de serico, paria caligarum, bireta et alia, pro illis qui plures dictas meretrices carnaliter agnoscerent, quæ fuerunt ibidem in aulâ publicè carnaliter tractatæ arbitrio præsentium, et dona distributa victoribus. Feriâ quintâ, undecimâ mensis novembris intravit urbern per portam viridarii quidam rusticus ducens duas equas lignus oneratas ; quæ cùm essent in plateolâ sancti Petri, accurrerunt stipendiarii papæ, incisisque pectoralibus et lignis projectis in terram cum bastis, duxerunt equas ad illam plateolam quæ est inter palatium juxta illius portam ; tum emissi fuerunt quatuor equi curserii liberi suis frænis et capistris ex palatio, qui accurrerunt ad equas, et inter se proptereà cum magno strepitu et clamore morsibus et calceis contendentes ascenderunt equas et coierunt cum eis, et eas graviter pistârunt et læserunt, papâ in fenestrâ cameræ supra portam palatii et dominâ Lucretiâ cum eo existente, cum magno risu et delectatione præmissâ videntibus [ay].

XII. Lois de Charles-Quint, etc., contre les libelles. Comment le pape Hadrien VI fut détourné de renverser la statue de Pasquin.

Si je m’étendais davantage sur le sujet de cette Dissertation, j’espèrerais qu’on excuserait ma prolixité, pourvu qu’on prît garde à l’abondance et à l’importance de la matière, et au soin que je continuerais de prendre de ne point copier les jurisconsultes qui ont fait tant de livres sur cette question (H). Il est aisé d’être long sur une chose qui fournit tant de remarques, et qui intéresse tellement le public que tous les législateurs se sont accordés à punir sévèrement les libelles diffamatoires. Nous avons vu que les Lois des douze Tables en condamnèrent les auteurs au dernier supplice ; et il n’est pas vrai qu’Auguste les ait cassées à cet égard [az] : on a vu ci-dessus tout le contraire. L’un des plus grands empereurs qui aient vécu depuis Auguste s’est fixé à la peine du talion [ba] ; car il a ordonné que les auteurs des libelles soient punis tout comme celui qu’ils diffament, et qui se trouve convaincu : il ne veut pas même qu’ils soient exempts de punition, lorsqu’ils ne disent que la vérité. Per hoc autem quod verum scripserit infamans nullam meretur excusationem, si quidem veritatem criminis per libellum famosum pandere non licet, et edens libellum famosum injuriarum tenetur ; nec admitti debet edens libellum famosum et injuriarum conventus ad probationem veritatis criminis. Johannes Thilemannus de Benignis, alias Goth., Obs. Practi. 86. Quod etiam confirmatur per constitutionem Caroli V criminal., artic. 110, in f. ubi hæc verba habentur : Et licet illata injuria prætensi facti vera esset, debet tamen diffamator talis injuriæ secundum jus et arbitrium judicis puniri [bb]. En France, le fameux édit de janvier les condamna eux et leurs fauteurs à être fustigés ; et, en cas de récidive, à être punis de mort. Ne quis infames libellos ad quemquam traducendum faciat, divendat, aut divendendos curet. Qui secùs faxit, primùm fustigium ; secundùm, capitalis pœna indicta esto [bc]. J’entends ici par fauteurs ceux qui procuraient la publication ou le débit d’un libelle. Cela fut renouvelé sous Henri III, l’an 1577. La loi des empereurs Valentinien et Valens est bien rigoureuse : car elle soumet à la peine capitale ceux qui, en rencontrant un libelle par cas fortuit, le faisaient connaître au lieu de le déchirer ou de le brûler. Si quis famosum libellum, sive domi sit sive in publico, vel quocunque loco etiam ignarus repererit, nec statim corruperit, aut igne comsumpserit, sed vim ejus manifestaverit, quasi auctor hujusmodi delicti sententiæ capitali subjiciatur. Voyez le Mascurat de Naudé, à la page 657. Mais tant d’amorces de prolixité n’empêcheront point que je ne m’arrête dès que j’aurai rapporté un fait que je me souviens d’avoir promis, et trois ou quatre autres considérations.

Le pape Hadrien VI entendit raison lorsqu’on lui représenta que le remède dont il se voulait servir contre la licence des pasquinades serait inutile. Employons ici les paroles de M. Fléchier : « Une infinité de libelles couraient alors par toute l’Espagne contre la cour de Flandre, et contre Ximénès lui-même. Les [* 1] Flamands, qui n’étaient pas accoutumés à ces sortes de satires piquantes et ingénieuses, en firent des plaintes, et le cardinal eut ordre d’en rechercher les auteurs et les imprimeurs, et de les châtier rigoureusement. Il fit faire, par forme, quelque visite chez les libraires ; mais si légèrement que personne n’en fut en peine. Il était d’avis de laisser aux inférieurs la liberté de venger leur douleur par des paroles ou par des écrits qui ne durent qu’autant qu’on s’en offense, et perdent leur agrément et leur malignité quand on les méprise. Alfonse Castille, gouverneur de Madrid, ayant surpris quelques-uns de ces ouvrages injurieux contre le cardinal Adrien, et contre Lachaux, ambassadeurs de Charles, il les leur fit voir, et ils en eurent un très-sensible déplaisir ; surtout Adrien en fut quelque temps inconsolable. On rapporte qu’étant depuis élevé à la chaire de saint Pierre, et ne pouvant souffrir les statues de Pasquin et de Marforio, que les esprits plaisans et malins ont choisis pour les confidens et pour les auteurs de leurs médisances, il avait ordonné qu’on les jetât dans le Tibre : ce qui aurait été exécuté si le duc de Sessa, ambassadeur d’Espagne, ne lui eût dit fort sagement : Que faites-vous, saint père ? encore vaut-il mieux pardonner à ces deux personnages muets que de faire parler toute la ville. Quand vous les jetterez dans l’eau, les grenouilles nous chanteront les railleries qu’ils nous faisaient lire en passant ; et ce que deux pierres ne diront plus, toutes les bouches vivantes le publieront. Le pape profite de cet avis, et fut dans la suite moins délicat sur ce sujet [bd]. » Afin qu’on voie un plus grand détail sur la sensibilité de ce pontife, je rapporte les paroles de Paul Jove, qui nous apprennent qu’il fallut que l’ambassadeur d’Espagne revînt à la charge. Gravissimè etiam tulerat se famosis carminibus apud Pasquilli statuam fuisse laceratum, sed id posteà civili animo tulit, cùm didicisset, eam maledicendi licentiam obscurorum hominum libertati atque nequitiæ dari, ut cùm insignes viros impunè carpserint, fortunam suam eâ vindictâ voluptate consolentur. Decreverat Hadrianus uti poëtis non obscurè subiratus, Pasquilli statuam, quæ erat in Parione, demoliri, atque eam in Tyberim præcipitare : sed Ludovicus Suessanus urbano salsoque ingenio id fieri debere pernegavit, subdens, Pasquillum vel in imo vado ranarum more, non esse taciturum. Ad id verò pontifex, Exuratur ergò, inquit, in calcem, ne ejus vestigii ulla omninò memoria supersit. Tum rursùs Suessanus, rectè, inquit, sed tam crudeliter concremato poëtæ clientes non deerunt, qui patroni cineres invidiosis carminibus prosequantur, et supplicii locum quotannis statuto solenni die concelebrent. Quibus verborum lusibus pontifex ab iracundiâ ad jocos hilaritatemque sensus omnes lenissimè revocavit [be].

XIII. Princes qui ont méprisé les médisances.

L’insensibilité du cardinal Ximénès pour les médisances s’est vue dans quelques princes. Voyez, dans Sénèque [bf], l’impunité qui fut accordée par Antigonus [bg] à des soldats qui l’avaient satirisé. Le même auteur met en avant [bh] la patience de Philippe de Macédoine et celle d’Auguste. Cet empereur témoigna une débonnaireté admirable envers un historien satirique [bi] dont il avait été maltraité, et en sa personne, et en celle de sa femme, et en celle de ses enfans. Rien n’était plus propre à irriter un puissant prince qui savait d’ailleurs que les bons mots de l’historien avaient été pris au bond, et qu’ils couraient par toute la ville. C’est la coutume. Le chevalier de Méré a dit sagement que la médisance est bien à craindre quand elle s’explique par de bons mots, parce qu’on se plaît à les redire, et qu’on relève toujours quelque chose de bien pensé [bj]. Mais Sénèque a dit encore avec un peu plus de raison, que les bons mots qui exposent leur auteur à quelque péril sont relevés plus soigneusement que tous les autres. Multa et divus Augustus digna memoriâ fecit, dixitque, ex quibus appareat illi iram non imperâsse. Timagenes historiarum scriptor, quædam in ipsum, quædam in uxorem ejus, et in totam domum dixerat, nec perdiderat dicta : magis enim circumfertur, et in ore hominum est, temeraria urbanitas [bk]. Quoi qu’il en soit, les médisances de cet historien ne lui attirèrent qu’une très-petite disgrâce. Joignez à cela ce que j’ai cité ci-dessus [bl]. Il n’y a rien de plus sensé que les raisons de Mécène, sur le mépris que cet empereur devait avoir pour les médisances [bm]. Il lui conseille de n’écouter point les délateurs des satiriques, et de n’user point de punition. Allez voir dans Dion les fondemens de ce conseil. Le même historien vous apprendra pourquoi César ne répondit point aux injures que Cicéron et quelques autres divulguèrent contre lui [bn]. Il crut que ces personnages cherchaient la gloire de s’égaler à celui dont ils médisaient, et qu’il valait mieux les priver de cet avantage en évitant de faire assaut de médisance avec eux. Son principe était contenu dans une harangue de Quintus Métellus Numidicus, si l’on en juge par ce discours d’Aulu-Gelle, que je ne voudrais pas néanmoins que l’on étendît jusqu’à Cicéron : Cum inquinatissimis hominibus non esse convicio decertandum, neque in maledictis adversùs impudentes et improbos velitandum, quia tantisper similis et compar eorum fias, dùm paria et consimilia dicas atque audias, non minùs ex oratione Q. Metelli Numidici sapientis viri cognosci potest, quàm ex libris et disciplinis philosophorum. Verba hæc sunt Metelli adversùs Cn. Manlium tribunum plebei, à quo apud populum in concione lacessitus jactatusque fuerat dictis petulantibus. Nunc quod ad illum attinet, Quirites, quoniam se ampliorem putat esse, si se mihi inimicum dictitaverit, quem ego mihi neque amicum repicio ; neque inimicum respicio, in eum ego non sum plura dicturus. Nam eum indignissimum arbitror, cui à viris bonis benedicatur : tum ne idoneum quidem, cui à probis maledicatur ; nam si in eo tempore hujuscemodi homunculum nomines, in quo pœnire non possis, majore honore quàm contumeliâ afficias [bo] Mais comme César n’était pas encore empereur, sa conduite en cette rencontre n’est pas d’un aussi grand poids pour cette partie de mon ouvrage, que la conduite de Tibère, rapportée par Tacite. Une dame fut accusée d’avoir mal parlé d’Auguste, et de l’impératrice Livie, et de Tibère ; on la poursuivait par la loi de Majestate. Tibère voulut qu’on usât de distinction : Je ne veux pas, dit-il, que l’on informe contre elle touchant ce qui me regarde ; mais si elle se trouve coupable à l’égard d’Auguste, qu’on la punisse. Il ne répondit rien le premier jour sur les intérêts de sa mère ; mais le lendemain il déclara qu’elle souhaitait qu’on ne fit un crime à personne des paroles satiriques qui la pourraient regarder. Adolescebat intereà lex Majestatis : et Apuleïam Variliam sororis Augusti neptem, quia probrosis sermonibus divum Augustum, ac Tiberium, et matrem ejus inlusisset, Cæsarique connexa adulterio teneretur, Majestatis delator arcessebat. De adulterio satis caveri lege Juliâ visum : majestatis crimen distingui Cæsar postulavit ; damnarique si qua de Augusto inreligiosè dixisset : in se jacta nolle ad cognitionem vocari. Interrogatus à consule, quid de his censeret, quæ de matre ejus locuta secùs argueretur, reticuit : dein proximo senatûs die, illius quoque nomine oravit, ne cui verba in eam quoque modo habita crimini forent : liberavitque Apuleïam lege Majestatis [bp]. Suétone vous apprendra des nouvelles plus précises de l’indolence de cet empereur [bq]. Je ne répéterai point ce que j’ai dit ci-dessus de la tolérance de Néron ; et pour celle de Vespasien, je vous renvoie à Suétone [br]. Mais sur ce chapitre que pourrait-on voir de plus beau que cet édit de l’empereur Théodose ? Si quis modestiæ nescius et pudoris ignarus improbo petulantique maledicto nomina nostra crediderit lacessenda, ac temulentiâ turbulentus obtrectator temporum nostrorum fuerit ; eum pœnæ nolumus subjugari, neque durum aliquid nec asperum volumus sustinere ; quoniam si id ex levitate processerit contemnendum est, si ex insaniâ miseratione dignum, si ab injuriâ remittendum : undè integris omnibus hoc ad nostram scientiam referatur, ut ex personis hominum dicta pensemus, et utrùm prætermitti an exquiri debeant censeamus. Datum VI Id. August. Constantinopoli, Theodosio anno III, et Abundantio Coss. Cette constitution se lit dans le Code, au titre : Si quis imperatori malè dixerit.

L’histoire moderne ne fournit pas moins d’exemples de cette patience. Vous en trouverez quelques-uns dans une lettre latine de M. de Balzac [bs], mais non pas celui de Louis XII, que j’ai rapporté en son lieu [bt], ni celui de Catherine de Médicis. Nous apprenons de Brantôme [bu] qu’elle lisoit jusques aux belles invectives qui se faisoient contre elle, dont elle se moquoit et s’en rioit sans s’alterer autrement, les appellant des bavards et des donneurs de billevesées. Ainsi usoit-elle de ce mot. Ayant su que les huguenots, aux seconds troubles, avaient avec eux une fort bonne et belle coulevrine qu’ils nommaient la reine mere, elle voulut savoir pourquoi. Il y eut quelqu’un après avoir esté fort pressé d’elle de le dire, qui lui respondit, C’est, madame, parce qu’elle avoit le calibre plus grand et plus gros que les autres. Elle n’en fit que rire la premiere [bv]. L’avertissement qu’elle donna à quelques soldats qui disaient d’elle les infamies les plus horribles se voit dans les lettres de Costar, avec de bel les brodures. « [bw] Catherine de Médicis, quoi qu’elle fût d’un pays où l’on dit que Dieu s’est réservé la vengeance pour soi, parce que c’est le morceau friand, trouva pourtant plus de friandise à pardonner qu’à punir, lorsqu’elle vit tout auprès de son carrosse quelques soldats qui disoient d’elle toutes les ordures imaginables, sans se contraindre pour sa présence, et sans vouloir seulement se donner la peine de baisser un petit peu leur voix ; car cette grande princesse ne fit autre chose que de mettre la tête à la portière, et de leur dire, après avoir arrêté ses yeux sur cette canaille : Compagnons, si vous n’allez plus loin médire de moi, je vous empêcherai de bien faire rotir l’oie [bx], et de la manger si à votre aise que vous le faites. Le cardinal de Lorraine voulait qu’ils fussent pendus pour servir d’exemple. Mais elle aima mieux montrer à la postérité qu’une personne qui était tout ensemble femme, reine et Italienne, pouvait néanmoins commander à sa colère, et résister à la tentation de la volupté qu’elle eût trouvée dans la vengeance. » Je me trompe fort si la source de ce conte n’est pas dans l’histoire de d’Aubigné ; mais afin qu’on voie comment Costar accommodait à sa poste les circonstances des faits, sans songer aux grands abus qui naissent de cette licence, il est à propos de mettre ici le narré original [by] : J’ai appris du sieur de Talsi [bz], c’est d’Aubigné qui parle, que le roi de Navarre et la reine-mère étant [ca] à la fenêtre, dans une chambre assez basse, écoutaient deux goujats qui, en faisant rôtir une oie dans une broche de bois, chantaient des vilenies contre la reine : l’un disait que le cardinal l’avait engrossée d’un petit gorret, l’autre disait d’un petit mulet ; et puis ils maugréaient de la chienne, tant elle leur faisait de maux. Le roi de Navarre prenait congé de la reine pour les aller faire pendre ; mais elle, après avoir dit par la fenêtre : Hé ! que vous a-t-elle fait ? elle est cause que vous rôtissez l’oie ; se tourne vers le roi de Navarre en riant, et lui dit : Mon cousin, il ne faut pas que nos colères descendent là, ce n’est pas notre gibier. Soit dit sur ce qu’elle avait rien de bas.

François Ier. est l’un des exemples que Balzac allègue. J’y trouve une chose à redire, c’est que ce monarque abandonna ses ministres et ses courtisans à la médisance du théâtre, en même temps qu’il souffrait qu’on n’épargnât pas ses défauts. C’était imiter une conduite dont l’ancienne Grèce et l’ancienne Rome ne se trouvèrent pas bien ; c’était introduire une mauvaise coutume : et si c’est un acte de magnanimité à un prince de mépriser les satires qui le touchent personnellement, et de n’en point punir les auteurs, c’est un oubli trop visible de son devoir, que de souffrir que ses sujets soient exposés aux insultes d’une plume satirique. Il peut relâcher de son droit ; mais l’honneur de ses sujets lui doit paraître inviolable. Notez que François Ier. ne souffrait pas que les comédiens nommassent les gens. Accepimus tacitè, libenterque etiam ferre solitum, se præcipuosque regni sui proceres, quorum ipse operâ consiliisque utebatur, in fabulis et comœdiis publicis rodi et configi maledictis ; tectè id quidem et involutè, sed tamen ut ab omnibus perspiceretur [cb].

XIV. Les Romains plus jaloux de leur honneur que de celui de leurs dieux.

Les Romains ne permirent pas aux poëtes comiques d’exercer leur médisance sur les magistrats ; mais ils leur laissèrent une entière liberté de se jouer de leurs dieux. C’est de quoi saint Augustin leur a fait de grands reproches. At Romani : dit-il [cc], sicut in illâ de [cd] republicâ disputatione gloriatur Scipio, probris et injuriis poëtarum subjectam vitam famamque habere noluerunt, capite etiam punire sancientes tale carmen condere si quis auderet. Quod erga se quidem satis honestè constituerunt, sed erga Deos suos superbè et irreligiosè. Quos cùm scirent non solùm patienter, sed etiam libenter poëtarum probris maledictisque lacerari, se potiùs quàm illos hujuscemodi injuriis indignos esse duxerunt, seque ab eis etiam lege munierunt, illorum autem ista etiam sacris solennitatibus miscuerunt. Itane tandem Scipio laudas, hanc poëtis romanis negatam esse licentiam ut cuiquam opprobrium infligerent Romanorum, cùm videas, eos nulli deorum pepercisse vestrorum ? Itane pluris tibi habenda est existimatio vestræ Curiæ, quàm Capitolii, imò Romæ unius quàm cœli totius : ut linguam maledicam in cives tuos exercere poëtæ etiam lege prohiberentur ; et in deos tuos securi, tanta convitia nullo senatore, nullo censore, nullo principe, nullo pontifice prohibente jacularentur ? Indignum videlicet fuit, ut Plautus aut Nævius Publio et Cneo Scipioni, aut Cæcilius M. Catoni malediceret : et dignum fuit, ut Terentius vester flagitio Jovis optimi maximi adolescentiun nequitiam concitaret. Cette pensée est plus vieille que saint Augustin, car Arnobe s’en était déjà servi [ce]. Un moderne n’en parle point dans une occasion où elle aurait pu lui être commode : c’est dans une lettre où il voulait attaquer la maison d’Autriche. Il entre en matière, non pas en citant Arnobe ou saint Augustin, mais en citant Tite Live [cf].« Les Espagnols, qui ont recherché les premiers la même alliance [cg] que leurs partisans blâment aujourd’hui, ne s’étaient guère mis en peine de conserver la vénération qui est due aux choses saintes, ni de maintenir les immunités et les franchises du sacerdoce. C’est peut-être que se croyant les légitimes successeurs des Romains, particulièrement au dessein qu’ils ont formé de la monarchie universelle, ils pensent avoir droit de dire avec eux : Pour ce qui regarde la religion, c’est plutôt l’intérêt des dieux que ce n’est le nôtre. Ils donneront ordre, si bon leur semble, à empêcher que les choses sacrées ne soient souillées par des mains impures. Ad [* 2] Deos id magis quàm ad se pertinere, ipsos visuros ne sacra sua polluantur. N’y a-t-il pas grande apparence que Charles-Quint agissait par ce principe lorsque, l’an 1552 il déposséda dans Augsbourg trois ministres luthériens, parce qu’ils médisaient de lui, et laissa tous les autres médire tout leur soûl de Dieu, de sa mère et de ses saints : comme monsieur le duc de Nevers lui reprocha dans un discours qu’il fit au pape Sixte V [ch], sur l’état présent des affaires ? Sans doute l’empereur Charles se souvenait de ce mot de Tibère, et ne s’en souvenait pas inutilement : Laissons aux immortels le soin de venger leurs injures. Deorum [* 3] injuriæ Diis curæ. »

XV. Le concile de Trente attribue au tribunal de l’église la punition des libelles.

N’oublions pas une chose qui déplut beaucoup aux jurisconsultes qui avaient à cœur les droits du bras séculier. Ils regardèrent comme un acte d’usurpation l’autorité qui fut donnée aux évêques par le concile de Trente. Écoutons là-dessus Guillaume Ranchin [ci]. « Ce concile, au préjudice de la juridiction séculière, attribue aux évêques [* 4] la punition des auteurs des libelles diffamatoires, des imprimeurs d’iceux, etc....... Nos lois civiles en attribuent la connaissance et juridiction aux juges et magistrats, et non aux ecclésiastiques. On en voudra excepter ceux qui concernent le fait de religion ; mais cette exception n’est pertinente. Et voici une raison qui sert à la réfuter. C’est que les lois du grand Constantin et celles de Constantius, qui répriment le licence de tels libelles, furent faites en une saison pareille à celle d’aujourd’hui, c’est-à-dire en laquelle plusieurs écrits étaient publiés en matière de religion, contre l’honneur des uns et des autres. Le docteur Balduin [* 5] l’a fort judicieusement remarqué. Il importe, dit-il, de se souvenir quels furent les temps de Constantin et Constantius, auxquels les contentions de religion, non dissemblables aux nostres, enflammoyent les affections des partis, qui par après faisoyent esclorre de funestes calomnies et des libelles diffamatoires, comme il est advenu à present. Il dit cela en l’explication de trois lois de l’empereur Constantin, et de deux de Constantius, faites sur ce sujet, que nous lisons aujourd’hui au Code théodosien. Ces mots des [* 6] empereurs Valentinian et Valens sont aussi remarquables, si quelqu’un a soin de sa devotion et du salut public, qu’il declare son nom, et die de sa propre bouche ce qu’il avoit voulu poursuivre par libelles diffamatoires. Cela se rapporte fort bien aux libelles, en fait de religion, et n’a jamais été dit en autre sens par ces empereurs. Or [* 7] toutes les constitutions susmentionnées, ensemble quelques autres du même Valentinian et Valens, d’Arcadius, Honorius et Théodose, imposent peine aux auteurs de tels libelles et à ceux qui les publient, et en commettent la connaissance et punition à leurs officiers et magistrats : en leur adressant même telles lois, afin de les observer en leurs jugemens. Une infinité d’ordonnances de nos rois parlent expressément des libelles diffamatoires et scandaleux, qui regardent le fait de la religion ; prescrivent la punition qui en doit être faite, la peine que doivent souffrir les auteurs, les imprimeurs, et ceux qui les publient ; baillent par exprès cette juridiction aux juges royaux ; comme celle du roi Henri II, du 11 de décembre 1547, faite à Fontainebleau ; et autre du même prince, faite à Châteaubriant en l’année 1551 : celle de Charles IX, faite à Mantes, le 10 de septembre 1563 ; celle des états de Moulins en l’article 77, et une infinité d’autres qui sont en cela excitatives de juridiction. Je me contenterai de réciter les mots d’une seule, à savoir de celle du roi Charles IX, faite à Mantes, le 10 septembre 1563, qui parle des libelles diffamatoires, placards, livres, et autres choses semblables en fait de religion ; et qui, en ce qui est de la juridiction, ordonne en cette sorte : Enjoignant à tous magistrats publics, commissaires de quartiers et autres de nos officiers qu’il appartiendra, y avoir l’œil et prendre garde : chargeant nos procureurs et avocats des lieux y faire aussi leur devoir, et s’employer, toutes autres affaires cessantes, à vérifier et faire punir les fautes qui s’y pourront trouver. Et par après leur est enjoint de garder ladite ordonnance de point en point, et procéder sommairement contre les infracteurs, par les peines y indictes. »

XVI. Plaintes contre les libelles, comme causes de sédition.

Comme il n’y a rien de si utile qui, à certains égards, ne cause du mal, il est arrivé que l’imprimerie, parmi cent commodités qu’elle a apportées, a donné lieu à un notable inconvénient ; c’est qu’elle a fourni aux satiriques et aux séditieux mille moyens de répandre promptement leur venin par toute la terre. Du Verdier Vau-Privas a inséré dans l’un de ses livres [cj] un poëme latin, intitulé Encomion Chalcographiæ, où après plusieurs éloges de l’imprimerie, on fait venir bien des plaintes contre la licence des libelles. Comme l’auteur de ce poëme est catholique romain, il faut prendre garde qu’il accommode son style à ses préjugés dans les vers que je rapporte.

Omnia dente petunt, fœdant spurcâque salivâ,
Digni qui Anticyræ præmia sana ferant.
A quibus et Nemesis turpissima facta reposcat,
Quo meritas pœnas improba turba luat.
Principis ac princeps lacerat caput, atque tacenda
Consilia in chartis vendere quisque solet.
De rebus magnis populi suffragia vana
Captant, quæ semper mens animosa fugit.
Quid non audebit furiosa licentia vulgi,
Talia si primi dant documenta duces ?
Quæ non his oritur funesta Tragœdia nugis ?
Accendit quas non hæc quoque flamma faces !
Rustica seditio belli cur cornua sumpsit ?
Chartæ pellaces hoc docuêre nefas.
Has quoque Gorgoneo perfudit sacra cruore
Progenies vulgi, quam nova secta tenet.
Quæque Numam simulat modo relligione prophana,
Et geminos fertur ferre sub aure polos.
Omnia confundit, vertit sursùmque, deorsùmque,
Ac gerras præter nil sua sylva crepat.
Hæc ausa est aquilæ : Romanæ vellere pennas,
Atque aras magni commaculare Dei.
Non adeò lædunt Bombardæ fulmina dira :
Nil præter clades sit licet illa tonent :

Nec tantùm nocuit cuiquam vis sæva cicutæ,
Quantùm famosi stigmata nigra libri.
His et mille modis essent hæc sapè notanda,
Ast iter immodicum nostra Thaleia fugit.

Érasme a déclamé fortement contre les abus de l’imprimerie, et a réfuté les excuses ridicules des imprimeurs, qui alléguaient qu’ils mourraient de faim s’ils ne publiaient des libelles. Dicet hic aliquis : Heus divinator, quid hæc ad typographos ? Quia nonnullam mali partem invehit horum impunita licentia. Implent mundum libellis, non jam dicam nugalibus, quales ego forsitan scribo, sed ineptis, indoctis, malediciis, famosis, rabiosis, impiis, ac seditiosis : et horum turba facit, ut frugiferis etiam libellis suus pereat fructus. Provolant quidam absque titulis, aut titulis (quod est sceleratius) fictis. Deprehensi respondent : Detur undè alam familiam, desinam tales libellos excudere. Aliquanto meliore fronte respondeat fur, impostor, aut leno : Da quî vivum et desinam his artibus uti, nisi fortè levius crimen est, clàm minuere rem alienam, quàm palàm eripere famam alienam : aut sine vi ad quæstum abuti tuo alienove corpore, quàm vitam alterius ac famam vitâ quoque chariorem impetere [ck]. Au reste, il semble que dans le poëme qui est à la fin d’un livre de du Verdier Vau-Privas, on fasse beaucoup plus d’honneur qu’ils n’en méritent aux écrivains satiriques, lorsqu’on les accuse d’être la cause des guerres et des séditions. Il est certain que fort souvent ils se proposent ce but, et qu’ils ont une extrême joie de s’imaginer que leurs libelles ont produit ce grand effet. Ils s’en flattent lors même qu’ils n’ont aucune raison de le faire, et ils sont ravis qu’on leur fasse de tels reproches. Peut-on établir quelque fait certain sur ce sujet ? Je ne pense pas qu’on puisse y poser aucune règle générale. Il y a des temps où les libelles diffamatoires ne remuent point les peuples, et où ceux qui les publient sont frustrés de leur attente. Mais dans d’autres temps ce sont de vrais boute-feux, et des cornets effectifs de sédition. D’ailleurs il faut regarder la différence des partis et des intérêts ; car selon cela les suites de ces libelles sont très-différentes, et même contraires les unes aux autres. Ils réunissent quelquefois ceux qu’on voulait diviser, et ils divisent ceux qu’on voulait réunir. Ce qu’il y a de certain, c’est que la langue et la plume d’un seul homme sont quelquefois plus utiles à une cause qu’une armée de quarante mille soldats. François Ier. avouait que l’évêque de Sion lui avait fait plus de mal par ses paroles, que toute la Suisse par ses armes. Maximè verò ei gloriosum fuit Francisci regis judicium, quum asseveraret, me audiente, aliquanto plus sibi sumptus atque periculi Sedunensis facundiæ indomitam vim, quàm tot legionum ejus gentis cuspides attulisse [cl]. Je n’allègue point l’aveu d’un roi d’Angleterre [cm] ; car ce serait donner le change, et mal appliquer une pensée au sujet présent. Il ne s’agit point ici des grandes choses qu’un roi peut faire sans sortir de son cabinet, et par la seule vertu de sa plume. Il ne s’agit point même en général de l’efficace de la plume dans une guerre. C’est une matière sur quoi il parut un petit livre l’an 1679 [cn].

XVII. S’il y a trop de rigueur à infliger la même peine aux distributeurs d’un libelle qu’aux auteurs. Remarques contre ceux qui approuvent les libelles.

J’ai appelé rigoureuse la loi de Valentinien et de Valens, qui soumet à la peine capitale ceux qui, rencontrant un libelle par cas fortuit, ne l’anéantissent pas, mais au contraire le font valoir. Cela veut-il dire que je blâme cette loi ? Nullement, car je ne saurais comprendre qu’une personne qui en pareil cas répand un libelle, ait moins d’envie de nuire que celui qui le compose : elle est donc digne de la même peine que l’auteur. Mais que dirons-nous du plaisir qu’on prend à la lecture d’un libelle diffamatoire ? N’est-il pas bien criminel devant Dieu ? Il faut distinguer. Ou ce plaisir n’est autre chose qu’un sentiment agréable qui nous saisit quand nous tombons sur quelque pensée ingénieuse et bien exprimée ; ou c’est une joie que nous fondons sur le déshonneur de la personne que l’on diffame. Je n’ai rien à dire sur le premier cas ; car peut-être trouverait-on ma morale trop éloignée du rigorisme, si j’assurais qu’on n’est point le maître de ces sentimens agréables, non plus que de ceux que nous avons lorsque du miel ou du sucre touchent notre langue. Mais au second cas tout le monde m’avouera que le plaisir est un grand péché. Le plaisir au premier cas ne dure guère, il prévient notre raison, notre réflexion, et il fait tout aussitôt place à la douleur de son prochain. S’il ne cesse pas promptement, c’est une marque que l’audace du satirique ne nous déplaît pas, et que nous sommes bien aises qu’il diffame son ennemi par toutes sortes de contes : et alors on encourt de droit les peines dont le faiseur du libelle s’est rendu digne. Un auteur moderne me tombe ici sous la main ; voici ses paroles : Saint Grégoire excommuniant les auteurs qui avaient déshonoré le diacre Castorius, n’excepte pas ceux qui lisaient cet ouvrage : Parce que si les médisances, disait-il, ont toujours fait les délices des oreilles, et le bonheur du peuple qui n’a point d’autres avantages sur les honnêtes gens, celui qui prend son plaisir à les lire, n’est-il pas aussi coupable que celui qui a mis sa gloire à les composer [co] ? C’est une maxime sûre que ceux qui approuvent une action la feraient agréablement s’ils la pouvaient faire, c’est-à-dire si quelque raison d’amour-propre ne les empêchait de s’y engager. Il n’y a point de différence, disait Cicéron [cp], entre conseiller un crime, et l’approuver quand il est fait. C’est la même chose de vouloir qu’une action se fasse, et de se réjouir qu’elle soit faite. Le droit romain a confirmé cette maxime ; il a soumis à la même peine les approbateurs du mal et les auteurs : Et si erat servus omni modo fugiturus, vel furtum facturus, hic verò laudator hujus propositi fuerit, tenetur. Non enim oportet laudando augeri malum [cq]. On peut donc dire que ceux qui se plaisent à la lecture des libelles diffamatoires, jusques à donner leur approbation et à ceux qui les composent, et à ceux qui les débitent, sont aussi coupables que s’ils les avaient composés ; car s’ils n’en composent pas de semblables, c’est ou parce qu’ils n’ont pas le don d’écrire, ou parce qu’ils ne veulent rien risquer. Voyez dans l’une des Provinciales [cr] la contagion mortelle de la médisance : on y cite saint Bernard, qui a soutenu que la calomnie tue, non-seulement ceux qui la publient, mais aussi ceux qui ne la rejettent pas. Les païens n’ont point ignoré cette morale ; ils ont dit que la médisance est criminelle, et lorsqu’on la débite, et lorsqu’on ajoute foi à celui qui la débite, Διαϐολὴ γὰρ ἐςὶ δεινότατον· ἐν τῇ δύο μέν εἰσι οἱ ἀδικέοντες, εἷς δὲ ὁ ἀδικεόμενος· ὁ μὲν γὰρ διαϐάλλων, ἀδικέει, οὐ τῶν παρεόντων κατηγορέων· ὁ δὲν ἀδικέει, ἀναπειθόμενος πρὶν ἢ ἀτρεκέως ἐκμάθοι· ὁ δὲ δὴ ἀπεὼν τοῦ λόγου τάδε ἐν αὐτοῖσι ἀδικέεται, διαϐληθείς τε ὑπὸ τοῦ ἑτέρου, καὶ νομισθεὶς πρὸς τοῦ ἑτέρου κακὸς εἶναι. Detractio namque importunissima res est : in quâ duo sunt qui injuriam faciunt, unus cui injuria fit. Qui enim detrahit injurius est, quòd non præsentem accusat ; item qui huic credit injurius est, quòd priùs credit quàm rem compertam habeat : et illi cui absenti detrahitur, ob id fit injuria quòd ab altero insimulatur ut malus, ab altero talis putatur [cs]. Voyez la question si M. Arnauld est hérétique [ct]. D’autre côté nous devons croire que la même lâcheté qui porte certaines personnes à tirer un coup de fusil à leur ennemi les porterait à le diffamer par une satire, si pour toutes armes elles n’avaient que leur plume. C’est comme parmi les bêtes, les unes ne frappent point de la corne, mais elles mordent [cu] ; c’est qu’elles n’ont point de cornes, et qu’elles savent user de leurs dents. Disons aussi qu’un satirique qui attente à l’honneur de ses ennemis par ses libelles, attenterait à leur vie par le fer ou par le poison, s’il en avait les mêmes commodités [cv]. Au reste, ce n’est pas toujours une bonne excuse que de dire, un tel libelle n’a pas été réfuté, il faut donc croire ce qu’il contient. Sénèque se moque de ce raisonnement [cw].

  1. (*) Alvar. Gomes de Reb. gest. Ximen., lib. VII.
  2. (*) Tite-Live, liv. 10.
  3. (*) Tac., Annal., lib. I.
  4. (*) Sess. 24, cap. I.
  5. (*) Franciscus Balduinus, in commentar. ad leges de famos. Libell., pag. 13.
  6. (*) L. 7, C. Theod., de famos. Libell. I. unic. C. Justin. cod.
  7. (*) Vide totum Titul. C. Theodos. de famosis Libellis.
  1. Citation (9).
  2. Tacit., Annal., lib. I, cap. LXXII.
  3. Novo more judicium majestaiis apud populum mulier sublit, quòd in confertâ multitudine ægrè procedente carpento palàm optaverit ut frater suus pulcher revivisceret, atque iterùm classem amitteret quò minor turba Romæ foret. Sueton., in Tiber. cap. II.
  4. M. Auberi, Histoire du cardinal de Richelieu, liv. IV, pag. m. 405, cite un arrêt du parlement de Paris, du 27 d’avril 1620, qui condamna aux galères un homme convaincu du crime de lèse-majesté, pour avoir contribué à un libelle contre l’état.
  5. Sueton., in Augusto, cap. LI.
  6. Idem, ibid., cap. LV.
  7. Id modò censuit (Augustus) cognoscendum posthàc de iis qui libellos aut carmina ad infamiam cujuspiam sub alieno nomine ederent. Sueton., in Augusto, capite LV.
  8. Baudouin, qui rapporte ces paroles de la loi, la croit faite ou sous Auguste, ou sous Tibère. Voyez son Traité in Leges XII Tabular., cap. IX, pag. m. 49 et 50.
  9. Cicero, lib. II de Invent. On ne parle pas d’un passage du même Cicéron, epist. XI, lib. III, ad Famil., où, selon quelques-uns, il dit que Sylla avait déclaré crime de lèse-majesté les déclamations qu’on ferait contre un autre ; est majestas (et sic Sylla voluit) ne in quamvis impunè declamari liceret : on n’en parle pas, dis-je, parce qu’on ne le croit pas encore bien rétabli, et qu’en tout cas on aimerait mieux l’explication de Lambin que celle de Manuce, quoiqu’on les trouve toutes deux défectueuses.
  10. Naudé, Dialogues de Mascurat, p. 18.
  11. Tacit., Annal., lib. I, cap. LXXII.
  12. Voyez Sueton., in Tiber., cap. LVIII.
  13. Apud Tacitum, Ann., lib. IV, cap. XXXIV.
  14. Idem, ibid.
  15. Probrosa adversùs principem carmina factitavit vulgavitque celebri convivio...... Exin.... majestatis delatus est. Tacit., Ann., lib. XIV, cap. XLVIII.
  16. Tacit., ibid., cap. XL.
  17. Quod multa et probrosa in Patres et sacerdotes composuisset, iis libris quibus nomen codicillorum dederat. Ibid. cap. L.
  18. Idem, ibid.
  19. Suetone, in Nerone, cap. XXXIX.
  20. Scripta famosa vulgòque edita, quibus primores viri ac feminæ notabantur, abolevit non sine auctorum ignominiâ. Sueton., in Dom., cap. VIII.
  21. Dente Theonino cum circumroditur, et quid
    Ad te post paulò ventura pericula sentis ?
    Nam tua res agitur paries cùm proximus ardet,
    Et neglecta solent incendia sumere vires.
    Horat., epist. XVIII, lib. I, v. 82.

  22. Idem, epist. I, lib. II, vs. 145. À quoi l’on peut joindre ce passage de Arte Poëticâ, vs. 281 :

    Successit vetus bis comœdia, non sine multâ
    Laude, sed in vitium libertas extidit et vim
    Dignam lege regi. Lex est accepta, chorusque
    Turpiter obticuit sublato jure nocendi.

  23. Voyez Horace, au commencement de la IVe. sat. du Ier, liv.
  24. August., de Civit. Dei, lib. II, c. IX, ex Ciceronis, lib. IV de Republicâ.
  25. Voyez les Réflexions sur les Défauts d’autrui, imprimées à Paris l’an 1690.
  26. Exod., chap. II, v. 4.
  27. Exsequi sententias haud institui nisi insignes per honestum aut notabili dedecore : quod præcipuum munus Annalium reor, ne virtute sileantur, utque pravis dictis factisque ex posteritate et infamia metus sit. Tacit., Annal., lib. III, cap. LXV.
  28. Cicero, IV de legib., apud August., lib. II, de Civit. Dei, cap. IX.
  29. IIe. épître de saint Pierre, chap. I, vs. 20 et 21.
  30. Seneca, de Morte Claudii.
  31. Si l’on désigne quelques auteurs, c’est sans aucune affectation ni dessein, mais à cause que par hasard on se trouve la mémoire fraîche des plaintes de Scrivener, Act. in Schism. Angl., pag. 2 de la Bibliothéque universelle, tom. XVI, pag. 44 et suiv., et passim alibi, de Schoockius, Fabul. Hamel., pag. 140. Voyez aussi l’Ambassadeur de Wicquefort, tom. I, pag. 173.
  32. Horat., epist. II, lib. I, vs. 69.
  33. Voyez le passage de Tacite que j’ai cité ci-dessus, cit. (57) de l’article Usson, tom. XIV, pag. 518.
  34. At subitæ horrifico lapsu de montibus adsunt
    Harpyiæ et magnis quatiunt clangoribus alas,
    Diripiuntque dapes, contactuque omnia fœdant
    Immundo : tum vox tetrum dira inter odorem.
    Virg., Æn., lib. III, vs. 225.

  35. Juv., sat. VII, 195.
  36. C’est Clio. Λέγεται τῶν Μουσῶν ἠμὲν Κλειῲ εὑρῃκέναι τὴν ἱςορὶαν. Scoliast. Apollonii, in lib. III.
  37. Voyez M. Baillet, Jugement des Savans sur les Traducteurs français, art. 948 et 949.
  38. Voyez Balzac, entret. IV, ch. IV.
  39. Τὸ Ἀϐδηριτι· κὸν ἐκεῖνο πάθος καὶ νῦν τοὺς πολλοὺς τῶν πεπαιδευμένων περιελήλυθεν. Abderiticum illud malum etiam hoc tempore plerosque doctorum invasit. Lucian., quomodo sit conscribenda Historia, pag. m. 658 tomi I.
  40. Idem, ibidem.
  41. Sueton. de clar Rhetor., cap. III.
  42. Ceci est une parodie d’un passage de Sénèque, Præfat., lib V, Controv.
  43. Voyez Rec. Fr., in-4°., pag. 781.
  44. Voyez ci-dessus, cit. (30) de l’article Cassius Sévérus, tom. IV, pag. 517.
  45. Alii denique similes libelli qui statim in vulgus effundunt, quid rex in aurem reginæ dixerit, quid Juno fabulata sit cum Jove. Hic autem omnes quoniam facta plerùmque atque infecta canunt, nunciique tam ficti quàm veri tenaces existunt, etc. Gabriel Naudæus, Bibliogr. polit., p. m. 70. Voyez, touchant les paroles imprimées en caractère romain, Plaute, in Trinummo, act. I, sc. II, vs. 170, pag. m. 735.
  46. Virg, Æn., lib. I, v. 539.
  47. Bussy Rabutin, Lettre au duc de Saint-Aignan, insérée dans l’Usage des Adversités, pag. 265, édition de Hollande. Cette lettre est datée du 12 de novembre 1665
  48. Ibid., pag. 266.
  49. Johannes Burchardus, Argentinensis, Capellæ Alexandri Sexti papæ Clericus Ceremoniarum Magister. Les Excerpta de son Diarium ont été imprimés à Hanover l’an 1696, par les soins de M. Leibnitz, sous le titre de Specimen Historiæ Arcanæ, sive Anecdotæ de Vitâ Alexandri VI papæ.
  50. Bussy, de l’Usage des Adversités, pag. 269.
  51. Specimen Histor. arcanæ, seu Anecdotæ de Vità Alexandri VI papæ, p. 77, 78.
  52. Louis Gilhausen, p. 222 de son Commentaire sur le titre des Pandectes, de Injuriis et famosis Libellis, impute faussement cela à cet empereur, et se sert mal à propos de l’autorité d’Horace, qui ne lui servirait de rien, quand même il ne la citerait pas aussi mal qu’il le fait. Hanc pœnam capitalem, dit-il, Augustus sustulit, ut videre ex Horatio, lib. I, epistol. ad Augustum.
  53. Charles-Quint, Constitutio Caroli V Cæsaris, de Caussis capitalibus, art. CX. Edita in infamantem, pœnam eamdem irrogat quam mereretur diffamatus libello, si ejus criminis reus quo accusatur peractus esset. Petrus Gregor., Syntag. Juris. lib. XXXVIII, cap. VII. Voyez aussi Gilhausen, ubi suprà, pag. 225.
  54. Gilhausen, in Tit. Pandect., de Injuriis et famosis Libellis, pag. 225, 226.
  55. Commentat. de Statu Relig. et Reip. in regno Gall, ad ann. 1561.
  56. Fléchier, Histoire du cardinal de Ximénès, liv. VI, pag. 814, édition de Hollande.
  57. Paulus Jovius, in Vitâ Hadriani VI, pag. m. 277, 278. Voyez aussi Camérarius, Méditation historiques, tom. II, liv. IV, chap. II, pag. 277 et 278 de la traduction française de Simon Goulart, où il suppose que la deuxième réponse fut d’un cardinal, et non pas de l’ambassadeur, et que la statue était de bois.
  58. Seneca, de Irâ, lib. III, c. XXII.
  59. Il n’était pas aïeul d’Alexandre le Grand, comme dit Sénèque.
  60. Seneca, de Irâ, lib. III, c. XXII.
  61. Nommé Timagènes.
  62. Le chevalier de Méré, Discours de la Conversation, pag. 81, 82, édition de Hollande.
  63. Seneca, de Irâ, lib. III, cap. XXIII, pag. m. 570.
  64. Pag. 578, cit. (e) et (f).
  65. Voyez Dion Cassius, lib. LII, pag. m. 556.
  66. Idem, lib. XXXVIII, p. m. 71, 72.
  67. Aulus Gellius, lib. VI, cap. XI.
  68. Tacitus, Annal., lib. II, cap. L.
  69. Suet., in Tiber., cap. XXXVIII.
  70. Idem, in Vespas., cap. XIII.
  71. Ad Phil. Cospeanum, pag. 251, ed. 1641, in-12.
  72. Dans la rem. (L) de l’art. Louis XII, tom. IX, pag. 435.
  73. Brantôme, dans l’Éloge de Catherine de Médicis.
  74. Idem, ibid.
  75. Costar, pag. 729 du Ier. volume de ses Lettres.
  76. Cela est absurde ici, étant détaché des circonstances marquées par D’Aubigné, ci-dessous.
  77. D’Aubigné, Hist, univ., tom. I, liv. III, ch. V, pag. 198.
  78. C’est apparemment celui dont d’Aubigné fut le gendre, et qui s’appelait Jean Salviati. Voyez l’Histoire de d’Aubigné, tom. II, liv. V, ch. XVIII, pag. 1143.
  79. Pendant le pourparler de la paix faite à Talsi l’an 1562.
  80. Balsacius, epist. ad Cospeanum, pag. m. 254.
  81. August, de Civit. Dei, lib II, cap. XII.
  82. Voyez le ch. IX du même livre de Civitate Dei.
  83. Nec à vobis saltem ictum meruerunt honorem (Dii)... Carmen malum conscribere, quo fama alterius coinquinetur et vita, decemviralibus scitis evadere noluistis impunè : ac ne vestras aures convitio aliquis petulantiore pulsaret, de atrocibus formulas constituistis injuriis. Soli Dii sunt apud vos superi inhonorati, contemptibiles, viles : in quos jus est vobis datum, quæ quisque voluerit dicere : turpitudinen jacere, quas libido confinxerit atque excogitaverit, formas. Arnob., lib. IV, pag. 150, 151.
  84. Costar., Lettre CCCXCIV du Ier. volume, pag. 974, 975.
  85. Celle de Cromwel.
  86. Voyez dans M. Arnauld, Apologie pour les Catholiques, Ire. partie, chap. VI, pag. 78, 79, un long passage du Discours de ce duc.
  87. Révision du Concile de Trente, liv. VI, chap. III, pag. m. 247.
  88. À la fin du Supplementum Epitomes Bibliothecæ Gesnerianæ.
  89. Erasmus, in explicatione proverbii Festina lentè. C’est le premier de la première centurie de la deuxième chiliade. Conférez ce qui est dit dans l’article Érasme, tom. VI, pag. 239, rem. (X).
  90. Paulus Jovius, Elog. Virorum bellicâ virtute insign., lib. V, pag. m. 389.
  91. Il dit telles paroles dudit roi Charles cinquième : Il n’y eut oncques mais roi en France qui moins s’armast que celui-ci, qui ne bouge de son cabinet à escrire lettre, et si n’y eut oncques roi qui tant me donnast à besongner qu’il fait. Belloforest, Chroniques et Annales de France, folio m. 357, à l’année 1363.
  92. Intitulé : Arma Anserina, sive Armatura Epistolaris, à Doctore militari, Tacito, subministrata et in Dissertatione politicâ diducta à G. C. W.
  93. Clavigny de Sainte-Honorine, Usage des Livres suspects, pag. 41, 42.
  94. Tu omnium stultissime, non intelligis, si id quod me arguis, voluisse interfici Cæsarem, crimen sit etiam, lætatum esse morte Cæsaris, crimen esse : quid enim interest inter suasorem facti, et probatorem ? aut quid refert, utrùm voluerim fieri, an gaudeam factum ? Cicero, Philip. II, p. m. 722.
  95. Ulpianus, in Leg. 1. D. de servo corrupto. Voyez apud Th. Raynaud. Hoploth., pag. m. 359, 360, quel crime c’est, selon les pères, que de louer le mal.
  96. C’est la XVIe., vers la fin, p. m. 282.
  97. Herodotus, lib. VII, cap. X, p. m. 388.
  98. Pag. 210, 211.
  99. Voyez les Pensées sur les Comètes, pag. 517.
  100. Maledicum à malefico nisi occasione non difforre, non minùs verò quàm eleganter scripsit Fabius : vix enim est ut qui verbis ultrò lædit, re etiam lædere non nolit. Menagius, Epist. dedicat. Vitæ Mamurræ.
  101. Res falsa et inanis nisi corrigatur habet nonnunquàm fidem, multique sunt homines judicii parùm firmi qui nihil audiant legantve quod non credant nisi refutatum sciant. Seneca.

(A) Trop d’écrivains... perpétueront les mensonges que l’on divulgue journellement. ] J’aurais pu parler d’une autre sorte d’écrivains. Ceux qui continuent Pézélius, Calvisius ; le Theatrum Europæ, etc., ceux qui publient des Synopses Rerum toto orbe gestarum, et des abrégés de l’Histoire Universelle in usum studiosæ juventutis, sont, je l’avoue, les plus grands propagateurs des fausses nouvelles ; mais ils ne sont pas les seuls qui travaillent à cela, ni peut-être les plus dangereux conservateurs du mensonge. Il y a des historiens qui, prenant le contre-pied de ceux-là, trompent les personnes mêmes qui se piquent d’être difficiles à contenter. Je parle de certains historiens qui ressemblent à M. Varillas. Ils aiment à dire ce qui ne se trouve point dans les histoires ordinaires : ils aspirent à la louange d’avoir déterré des anecdotes, et les qualités occultes des premiers ministres, avec le secret des intrigues, et des négociations que personne n’avait su. Qu’une chose ait été abandonnée à l’oubli de tout le monde, c’est assez pour eux afin de la publier. Ils vont plus avant ; ils bâtissent là-dessus tout un système : cela leur sert de clef pour ouvrir le cabinet des souverains ; ils donnent raison par-là de plusieurs mystères, si on les en croit. Quand ces messieurs trouvent dans quelque coin de bibliothéque, ou parmi les paperasses enfumées d’un inventaire, un imprimé qui leur était inconnu, ils le lisent avidement, cela est louable ; mais s’ils y trouvent quelque fait particulier, rare, surprenant, ils l’adoptent tout aussitôt pour le faire servir de base à des conjectures qu’ils ont dessein d’étaler comme des faits ou comme des éclaircissemens historiques. Cela n’est guère louable, c’est très-souvent le chemin de l’illusion. Si quelqu’un de ces gens-là trouvait à cent ans d’ici un exemplaire de la lettre pastorale qui fut supprimée promptement par son auteur, il en ferait bien son profit. Il se vanterait d’avoir déterré des choses qu’aucun historien n’avait débitées : il raisonnerait là-dessus à perte de vue, et donnerait à l’Europe toute une nouvelle face, par rapport aux motifs secrets de la conduite. Il ressusciterait donc une fausseté qui n’a couru que peu de jours dans les nouvelles ordinaires, et il la perpétuerait ; car, par exemple, il se trouvera toujours des historiens qui raconteront ce qu’ils auront lu dans Varillas. J’avertirai mon lecteur que la suppression de cette lettre pastorale ne m’est connue que par un petit imprimé en 15 pages in-4°., daté du 25 de janvier 1696 [1]. J’y ai lu [2] que l’auteur des Pastorales ayant cité pour preuve des intentions favorables des alliés, un projet de paix dressé par la diète de Ratisbonne.., qui avait été fabriqué par un politique spéculatif d’Amsterdam..., eut tant de honte d’avoir été la dupe de cette pièce supposée, qu’il fit faire incessamment une autre édition de sa Lettre pastorale, dans laquelle il supprima cet article.

(B) Une fausse nouvelle crue trois jours ne soit capable de faire beaucoup de bien à un état, etc. ] On attribue à Catherine de Médicis cette maxime, qu’une nouvelle fausse crue trois jours pouvait sauver un état [3]. Les histoires sont remplies de l’utilité des fausses nouvelles. Les chefs de la ligue se maintinrent long-temps par-là dans Paris. Le duc de Mayenne, ne pouvant nier qu’il n’eût perdu le champ de bataille à la journée d’Ivry, faisait accroire que le Béarnais y avait été tué, et qu’en d’autres lieux la ligue était triomphante [4]. Voici les paroles d’un historien : Voyans leur armée ainsi fracassée, ils recoururent à leurs artifices ordinaires, qui estait de payer les Parisiens en mensonges qu’on publia en force livres, portans qu’au premier assaut donné à Dreux les habitans avoyent tué plus de cinq cens hommes au roi, et blessé rudement un plus grand nombre, le mareschal de Biron navré à mort. Qu’en une rencontre auprès de Poissi l’Union avoit remporté une grande victoire. Qu’en la bataille il y avoit eu long combat et perte presque esgalle : et que si le Bearnois n’estoit mort, il ne valoit gueres moins [5]. Pierre Matthieu narre que le comte de Charolais, ayant besoin que ses troupes fussent rassurées par l’espérance d’un prompt secours, aposta un cordelier qui faisoit semblant de venir de Bretagne, et disoit qu’il avoit laissé l’armée si proche qu’on la verroit le mesme jour..... cet artifice accreut sinon le courage, au moins la patience des plus abbatus, et le mensonge profita pour le peu de temps qu’il fut creu : le grand desir de veoir les troupes de Bretagne le fit recevoir sans le considerer [6]. Ces dernières paroles ne sont pas ici inutiles : car elles montrent le penchant des peuples à concourir à l’artifice : ils croient facilement ce qui les flatte, et ils poussent ainsi le temps à l’épaule. La note marginale de Pierre Matthieu mérite d’être copiée. Quand une armée ou une ville, dit-il [7], est en l’attente du secours, il faut tousjours asseurer qu’il vient, et quand il y auroit nouvelle du contraire, c’est de la prudence du chef d’en faire courir un autre bruit. Syphax mande à Scipion qu’il ne le peut secourir, et qu’au contraire il est pour Carthage ; Scipion traite et caresse ses ambassadeurs et leur donne des presens, afin de faire croire à ses gens que Syphax venoit, que les ambassadeurs retournoient pour le faire haster. C’est par rapport à ces finesses qu’on peut principalement dire, nil sub sole novum, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Les modernes ne sont là-dessus que les copistes de l’antiquité [8]. On ne s’est jamais piqué d’être sincère dans les relations récentes des malheurs publics, et il serait presque toujours préjudiciable de s’en piquer. Tite Live censure raisonnablement le consul romain qui, après la malheureuse journée de Cannes, avoua aux députés des alliés toute la perte qu’on avait faite : Auxit rerum suarum suîque contemptum consul nimis detegendo cladem nudandoque [9]. L’effet de cette sincérité fut que les alliés jugèrent que Rome ne se pourrait jamais relever, et qu’ainsi il fallait s’unir avec Annibal. Nous apprenons de Plutarque qu’un Athénien fut cruellement torturé pour avoir dit une mauvaise nouvelle qui était pourtant très-vraie [10]. Ayant su d’un étranger, qui avait pris terre au port de Pirée, la déroute de Nicias, il s’en alla à toutes jambes annoncer ce grand malheur aux magistrats. On voulut savoir d’où il le tenait, et comme il ne put donner son auteur, on le châtia comme un fourbe perturbateur du repos public [11]. On ne cessa de le tourmenter que quand on eut su la vérité de sa nouvelle. S’il eût annoncé faussement une victoire, il n’eût pas été puni : l’action de Stratoclès m’en fait juger de cette manière. Il persuada aux Athéniens d’offrir aux dieux un sacrifice pour les remercier de la défaite des ennemis ; et il savait néanmoins que la flotte athénienne avait été bien battue. La nouvelle de ce désastre fut enfin certaine, fut enfin publique. On se fâcha tout de bon contre l’imposteur ; mais on se paya de sa réponse, et il n’en fut autre chose. Quel tort vous ai-je fait, leur dit-il ? J’ai été cause que vous avez eu trois jours de bon temps. Πολλοῦ δ᾽ ἂν ἔτι καὶ Σπαρτιάτας δεῆσαι τὴν Στρατοκλέους ὕϐριν ὑπομεῖναι καὶ βωμολοχίαν, πείσαντος μὲν ἀυτοὺς ἐυαγγέλια θύειν ὡς νενικηκότας· ἐπεὶ δὲ τῆς ἥττης ἀληθῶς ἀπαγγελθείσης᾽, ἠγανάκτουν, ἐρωτῶντος τὸν δῆμον, τί ἠδίκηται, τρεῖς ἡμέρας δι᾽ αὐτὸν ἡδέως γεγονώς. Nullò verò pacto arbitror Spartanos toleraturos fuisse Stratoclis scurrilem insultationem, qui suis ut ob lætum partæ victoriæ nuncium acceptum sacrificarent persuasit : cùmque ii de acceptâ clade vero allato nuncie succenserent, populum interrogavit ecquid injuriæ passi essent, qui ipsius opera triduum suaviùs vixissent [12]. Ce fut autant de pris sur l’ennemi, dira-t-on ; les Athéniens gagnèrent deux ou trois jours de réjouissance : ils reculèrent d’autant le chagrin que la mauvaise nouvelle devait causer. Mais dans le fond c’est un petit avantage : il est très-fâcheux de revenir d’une fausse persuasion qui a donné une grande joie : on sent mieux après cela le poids de l’adversité. D’ailleurs les réjouissances publiques pour une victoire imaginaire font mépriser toute une nation, et apprêtent bien à rire à ses ennemis. Si l’on eût traité Stratoclès selon son mérite, on l’eût puni sévèrement. Qu’un particulier en use comme faisait Cicéron, cela n’est pas de conséquences : il est même vrai que dans ces rencontres particulières la véritable prudence veut qu’on ne croie rien légèrement. Cicero… cum Vatinii morte nunciatâ cujus parùm certus dicebatur autor, interim, inquit, usurâ fruar [13]. Il n’est pas certain que mon ennemi soit mort, et peut-être dans peu de jours on apprendra qu’il est plein de vie ; mais en attendant je profiterai du bruit qui court je le croirai, c’est autant de gain pour moi. Voilà quel fut le langage de Cicéron. Que ce fût une simple plaisanterie, ou une déclaration ingénue de ses pensées, la chose n’importait pas ; mais un état qui en userait de la sorte, et qui prendrait des mesures sur une fausse nouvelle de la défaite des ennemis, s’exposerait quelquefois à de grands malheurs. Un historien conte que le bruit ayant couru que Scipion l’Africain et son frère étaient prisonniers, et qu’Antiochus avait défait l’armée romaine qu’ils commandaient, les Étoliens secouèrent tout aussitôt le joug du peuple romain. Cette démarche ne pouvait être que pernicieuse. Je rapporterai les paroles de Tite Live, car elles contiennent quelques singularités. On y trouve un bel exemple des fourberies de la Renommée : on y voit qu’une fausseté si énorme avait pour auteurs les députés mêmes des Étoliens à l’armée des Scipions, et qu’il n’y a qu’un historien qui ait parlé de cela : Valerius Antias author est, rumorem celebrem Romæ fuisse, et penè pro certe habitum, recipiendi Scipionis, adolescentis causâ Cos. L. Scipionem et cum eo P. Africanum in colloquium evocatos regis, et ipsos comprehensos esse, et ducibus captis confestim ad castra romana exercitum ductum, eâque expugnatâ, et deletas omnes copias Romanorum esse : hæc Ætolos sustulisse animos, et abnuisse imperata facere, principesque eorum in Macedoniam, et in Dardanos, et in Thraciam, ad conducenda mercede auxilia profectos : hæc qui nuntiarent Romam, A. Terentium Varronem, et M. Claudium Lepidum ab A. Cornelio proprætore ex Ætoliâ missos esse. Subtexit deinde fabulæ huic, legatos Ætolos in senatu inter cætera hoc quoque interrogatos esse : undè audissent imperatores romanos in Asiâ captos ab Antiocho rege, et exercitum deletum esse ? Ætolos respondisse, ab suis legatis se, qui cum consule fuerint, certiores factos. Rumoris hujus quia neminem alium authorem habeo, neque affirmata res meâ opinione sit, nec pro vanâ prætermissa [14].

Ne penser pas que Catherine de Médicis ait voulu dire qu’une fausse nouvelle crue trois jours peut sauver l’état en toutes rencontres. Ce n’est dans ces sortes de maximes que l’on cherche l’universalité. Une fausse persuasion est quelquefois salutaire, et quelquefois pernicieuse, dites-en autant d’une vraie persuasion. Mais voici une chose d’une vérité plus générale ; c’est qu’il est utile de cacher aux peuples une partie du mal dans la perte des batailles, et dans telles autres disgrâces de conséquence. Cette tromperie n’est point ce qu’on nomme coups d’état, arcana imperii. C’est une démarche ordinaire de la prudence politique, c’est une leçon d’ABC en ce genre-là. Personne ne doit donc blâmer les déguisemens d’une relation qui suit de près les événemens : le bien public exige l’emploi des figures de rhétorique qui exténuent la perte que l’on a faite, et les avantages de l’ennemi. Mais peut-être serait-il à souhaiter que ces relations ne fussent que pour les oreilles, ou que pour le moins on ne les imprimât pas ; car l’impression les éternise, et les fait servir de fondement aux historiens : ce qui répand sur l’histoire un chaos impénétrable d’incertitude qui dérobe aux siècles suivans la connaissance de la vérité : grand contre-poids, selon quelques-uns, au profit et au plaisir que la lecture de ces imprimés quotidiens cause dans le monde. Les esprits les plus chagrins doivent reconnaître que cette lecture répand partout plusieurs instructions utiles et agréables, et qu’elle peut même servir de leçon à des écrivains polis. Mais enfin, dit-on, la sincérité n’y règne point ; ce sont plutôt des plaidoyers que des histoires. Or qu’est-ce qu’un plaidoyer ? un discours où l’on s’étudie à ne montrer que le beau côté de sa cause, et que le mauvais côté de la cause de son adversaire. Si ceux qui parlent ainsi pouvaient fournir un bon moyen de ne pas faire ce qu’ils condamnent, ils seraient les plus inventifs de tous les hommes. Il y a ici du plus et moins ; les lecteurs intelligens ne s’y trompent pas ; ils démêlent bien ceux qui s’approchent le plus de la bonne foi : mais après tout il n’est pas possible de publier dans ces écrits tout ce que l’on sait ; il faut sacrifier quelque chose à l’utilité publique, et quelquefois même à l’utilité domestique ; outre que les ruses étant permises dans la guerre [15], il faut excuser les artifices des nouvellistes ; car le soin qu’ils prennent de contrecarrer les relations de l’ennemi sont une espèce de guerre, et de là vient que leurs écrits ont été comptés parmi les armes de plume [16] par un auteur de politique : Hoc saltem indictum non abeat, quòd ausu temerario quodam, Relationes ordinarias seu Novellas : uti vocantur, Armis Anserinis meis non adjunxerim : nam, ut probè sciam, tales sæpè non in Sibyllarum foliis, sed hominum cerebris nasci, credulosque facilé incertæ famæ auram captare : interim tamen etiam temporis filia comprobat, atque hactenùs comprobavit, harumce sparsiones non semper Orestis somnia et varitales esse atque fuisse. Sparguntur [* 1] enim victoriæ deprimiturque pars adversa. Sic constat, quòd litteris à Pompeio per omnes provincias civitatesque dimissis de prœlio ad Dyrrachium facto elatiùs inflatiùsque multò, quàm res erat gesta, fama percrebuerit, pulsum fugere Cæsarem, penè omnibus copiis amissis : quæ [* 2] fama sanè Pompeianos multis partibus auxerat. Finguntur clades ad vulgum (quia mundus, ut dicitur, vult decipi) dementandum, ut iste faveat huic vel illi parti, etc. Ita post cladem Ivrensem, etc. L’auteur met ici ce que j’ai dit du duc de Mayenne.

Notez que le monde est tellement accoutumé à la gazette, qu’il en regarderait la suppression comme une éclipse. Ce serait une espèce de deuil public. La république des Lettres y perdrait divers ouvrages qui sont le noyau ou la crème de la gazette, et qui nous donnent : des règles pour la lire utilement. Jetez les yeux sur ce qui suit : Cùm verò omnes novi quid sciendi mirâ flagremus cupiditate, certaque juxta ac incerta avidissimè arripientes, quisque pro voto interpretamur, itaque NOVELLAS undiquè conquirimus, ut rerum gestarum, imò et gerendarum (tanta enim scribentium vel credentium vanitas est) cognitione sitientem animum expleamus. Hinc anxiâ curiositate legimus aut rimamur, quid Novellæ apportent Nostrates, Jenenses, Lipsienses, Norinbergenses, Hamburgenses, imò et Parisinæ, Hafnienses, Amstelodamenses, Bruxellenses, aut aliæ, nescio undè accersitæ : Ut autem varia sint illorum, qui eas legant vel mirantur, ingenia, ita fieri haud potest, quin majorem ex illis fructum alius, alius minorem accipiat, quò igitur cum voluptate, quam novitas suâ sponta conciliat, utilitas etiam jungatur, ideò insigni cum commodo adhiberi poterit nobilissimi et consultissimi Dn. AHASUERI FRITSCHII discursus, De Novellarum, quas vocant Reve Beitungen, hodierno usu et abusu. Imp. Jenæ, 1676, 4°. Itemque elegantissimè docti CHRISTIANI WEISII in illustri ad Salam Augustæo polit. prof. Schediasma curiosum, de Lectione Novellarum, quantùm scil. illæ usum habeant in Geographicis, Historicis, et Politicis, imò quovis curiosorum genere. Cui etiam addidit Specimen, quasi Nucleum Novellarum, scil. ab anno 1660, ad ann. usque 1676, Weissenfelsæ, anno eod. exc. [17].

J’ai lu quelque part dans les Nouvelles de la République des Lettres, qu’il serait à souhaiter qu’on chargeât quelqu’un de marquer à la fin de chaque année tous les faux bruits qui auraient couru. Cela ne serait pas nécessaire à l’égard de tous les mensonges ; car il y en a beaucoup dont les gazettes mêmes nous avertissent : une telle charge eût été plus nécessaire dans le temps qu’on n’imprimait pas de jour en jour les nouvelles des courriers. Si elle eût été établie à Rome lorsque les Turcs prirent Rhodes, nous saurions bien des nouvelles des faussetés que l’on débitait en Italie. On en connaît quelques-unes par les lettres que Ruscelli a recueillies. On sait par-là que, le 10 de décembre, 1522, les nouvellistes de Rome débitèrent que le siége de Rhodes était levé [18]. Ils débitèrent, le 28 de février 1523, qu’il n’était point sûr que Soliman eût pris cette ville [19], et néanmoins elle avait capitulé le 22 de décembre 1522. Mais qui s’étonnera de ces nouvelles, quand il saura qu’en 1500 l’on débita dans Padoue, comme un fait certain et écrit de Rome même, que le pape avait été tué d’un coup de foudre le jour de Saint-Pierre, et que tous les bourgeois avaient pris les armes. Nous ne savons que par hasard qu’une telle fausseté fut débitée. La lettre où Matthieu Bossus en fit mention est publique : sans cela nous n’en saurions rien apparemment. Hâc sub horâ, Augustine, ad te dum scribo, ecce rumor aures implet civitatis, solemni Petri apostoli die, paulò post vigesimam horam, Alexandrum romanæ ecclesiæ magnum pontificem ictu fulminis interiisse, et de perjucundis suis pileatis unum tactum, pariter suum dominum parentâsse, populares in armis esse, vias urbis obliquas parùm tutas, curiales quati timoribus, Hispanos infestos et hostes haberi [20]. La mort du roi d’Espagne, celle du roi de France, celle du duc d’Albe, furent débitées tout à la fois en Hollande l’an 1580. Cette fausseté s’est conservée par hasard dans une lettre de Juste Lipse [21]. Il serait utile de compiler de telles choses.

M. de Vigneul-Marville a fait de bonnes remarques sur la gazette. Voici l’une de ses réflexions : « Il n’y a qu’une seule chose qui fait tort à celui qui l’écrit, c’est qu’il n’est pas entièrement le maître de son ouvrage, et que soumis à des ordres supérieurs, il ne peut dire la vérité avec la sincérité qu’exige l’histoire. Si on lui accordait ce point-là, nous n’aurions pas besoin d’autres historiens [22]. » Il y a un peu d’hyperbôle à la fin de ce passage ; mais, quoi qu’il en soit, on va à la grande source du mal. Les nouvellistes hebdomadaires, ou de tel autre période qu’il vous plaira, plus long ou plus court, n’oseraient dire tout ce qu’ils savent. Il leur en coûterait trop ; car pour ne rien dire des châtimens qu’ils pourraient craindre de la part des supérieurs, ils verraient diminuer le débit de leurs imprimés, et ils se feraient haïr comme des personnes mal intentionnées, et en quelque façon ennemies du bien public. On ne veut pas qu’ils mentent grossièrement en faveur de la patrie ; mais s’ils le font avec esprit, et avec des conjectures et des réflexions également ingénieuses, flatteuses, malignes, on les loue, on les admire, on les aime et l’on court après leurs ouvrages. Ainsi ce n’est pas pour néant qu’ils suivent l’exemple de cet ancien poëte comique qui ne se proposait que de plaire au peuple.

Poëta cùm primun animum ad scribendum appulit
Id sibi negotî credidit solum dari,
Populo ut placerent quas fecisset fabulas [23].

(C) La politique... que quelqu’un a définie, artem non tam regendi quàm fallendi hominem. ] Gui Patin rapporte cette définition, après s’être un peu moqué des jubilés. Voilà de nouvelles brigues dans Rome, qui s’en vont nous donner un nouveau pape, et ensuite pro jucundo adventu ad papatum, un nouveau jubilé. Le vin nouveau de l’an présent, qui est un jus tiré de la vigne, produira de plus sensibles effets dans la tête des hommes, que cette nouvelle dévotion, qui, en son espèce, ne revient que trop souvent, ab assuetis non affiscimur : il n’en faut pas tant pour être trouvé bon, mais le monde est fait ainsi, populus vult decipi : feu Monsieur l’évêque de Bellai, messire Jean Camus, digne et savant prélat, s’il en fut jamais, disoit que politica ars est non tam regendi quàm fallendi homines : je lui ai ouï dire une fois cela dans sa chambre, l’an 1633 ; mais je m’en suis plusieurs. fois souvenu depuis [24]. Cette lettre de Patin est datée du 13 de décembre 1669. Il n’avait pas ainsi rapporté les paroles de cet évêque, dans une lettre du 8 de mai 1665 : voici à quelle occasion il les allégua : On a mis depuis trois jours à la Bastille six écrivains qui gagnaient leur vie à faire et à écrire des gazettes à la main, hominum genus audacissimum, mendacissimum, avidissimum, ut faciant rem, etc. Ils mettent là-dedans ce qu’ils ne savent, ni ne doivent écrire. On a imprimé ici, fait vendre et débiter, et crier fortement par les rues, la Bulle de notre saint père le pape, contre les jansénistes, et trois jours après on l’a défendue, et même, ne quid deesset ad rationem veræ fabulæ, on a publié, et fait courir le bruit, que le commissaire avait chargé de faire mettre en prison l’imprimeur, s’il eût été trouvé en sa maison. Feu M. l’évêque de Bellai, qui a été un homme incomparable, m’a dit, en 1632, politica est ars tam regendi quàm fallendi homines, et tout cela n’est point d’aujourd’hui ; c’est le même jeu qui se joue, et que l’on jouait autrefois ; c’est la même comédie et la même farce ; mais ce sont des acteurs nouveaux : le pis que j’y trouve, c’est que ce jeu durera long-temps, et que le genre humain en souffre trop [25]. Chacun voit la différence qui se trouve entre la première et la seconde définition de la politique : la seconde est plus honnête que la première, mais ni l’une ni l’autre ne tournent au déshonneur des maîtres de l’art, puisque ce qu’ils en font a pour but le bien public, à quoi ils ne sauraient parvenir sans imiter ce que font les médecins envers les malades. Si vous voulez voir le jugement de Gui Patin sur la gazette imprimée, lisez ceci : Il ne se fait ici du tout rien qui vaille, si ce n’est la gazette tous les samedis, qui est une chose fort récréative et fort consolative aussi, en tant que cette babillarde ne dit jamais de mauvaises nouvelles, bien que nous en sentions beaucoup en cette saison [26]. Souvenons-nous de Pétrone qui a dit, Mundus universus exercet histrioniam ; et de ces vers de Politien, contre ceux qui condamnaient les comédies qu’on faisait représenter dans les colléges :

Sed qui nos damnant, histriones sunt maxumi.
Nam Curios simulant : vivant bacchanalia.
Hi sunt præcipuè quidam clamosi, leves,
Cucullati, lignipedes, cincti funibus :
Superciliosum, incurvicervicum pecus,
Quique ab aliis habitu et cultu dissentiunt,
Tristesque vultu vendunt sanctimonias :
Censuram sibi quandam, et tyrannidem occupant ;
Pavidamque plebem territant minaciis [27].

Prenez bien garde que la définition que l’évêque de Bellai donnait de la politique signifierait un fort grand défaut, si elle marquait les tromperies de souverain à souverain. Elles ne sont pas aussi rares qu’elles devraient l’être. J’ai lu là-dessus depuis trois jours une pensée qui a beaucoup de brillant ; la voici : Les politiques ont un langage à part et qui leur est propre ; les termes et les phrases ne signifient pas chez eux les mêmes choses que chez les autres hommes. Je ne sais si messieurs de l’académie ont compris l’art de la politique dans le nombre des arts et des sciences dont ils ont pris la peine de nous donner un dictionnaire. Cela serait, ce me semble, assez nécessaire. Par exemple, en terme de politique, jurer sur les saints évangiles qu’on observera tel ou tel traité, signifie quelquefois simplement qu’on le jure, et non pas qu’on l’observera en effet ; il signifie même quelquefois qu’on n’en fera rien : le commun des hommes n’entend pas ce langage ; mais les politiques l’entendent bien, et ils prennent leurs mesures selon cela [28]. J’ajoute que si messieurs de l’académie nous voulaient donner un dictionnaire qui comprit universellement tous les arts, ils se tailleraient une besogne inépuisable. Ils découvriraient tous les jours de nouveaux arts qui ont des termes d’une signification particulière. L’art des relations hebdomadaires est de ceux-là : l’art de la controverse en est aussi. Les mots ne s’y prennent pas dans leur sens commun : vous voyez des gens qui s’entre-accusent de dogmes affreux ; il répliquent et dupliquent, et ils trouvent de plus en plus réciproquement que la doctrine de leur adversaire est abominable [29]. Cette plainte paraît presque à chaque page, et alarme les lecteurs, comme s’il était à craindre qu’en ne remédiant pas promptement à cette gangrène on ne la mette en état de communiquer son infection à tout le corps. Ceux qui ne sont pas faits à ce style conçoivent mille scrupules ; ils craignent de n’avoir pas obéi au précepte de saint Paul, évite l’homme hérétique [30] ; car ils ont communiqué avec les parties contestantes. Qui aurait cru, disent-ils, que des docteurs qui mangent le pain des orthodoxes depuis si long-temps eussent nourri de tels monstres dans leur cœur ? on ne sait plus à qui se fier. Il faut que les uns ou les autres, ou peut-être les uns et les autres soient plutôt des loups déguisés que des bergers. Mais ayez un peu de patience, attendez que des experts, et que des arbitres initiés à ce langage, mettent la paix entre les parties, vous trouverez que les termes ne signifiaient rien moins que ce que vous aviez cru. Les accusateurs de part et d’autre seront déclarés orthodoxes : on ne les censurera point, on les avertira seulement de corriger quelques expressions incommodes qui leur étaient échappées. On suppose donc que dans le vrai ils ne se sont entre-accusés que de cela, et qu’ainsi les termes d’hérésie pernicieuse, et semblables, ne signifient chez eux qu’on mauvais choix de paroles. Souhaitons que messieurs de l’académie n’oublient point, dans le supplément qu’ils pourront donner au dictionnaire des arts, la signification propre des termes d’impie, d’hérétique, de destructeur des fondemens évangéliques, de fauteur des sociniens, etc., quand ils se trouvent dans les pièces d’un procès théologique ; car autrement les langues mêmes deviendront barbares à la plupart des lecteurs.

(D) Un homme de qualité..... a poussé sa pointe, dit-on, jusqu’à la maison royale, et jusques au chef. ] J’ajoute ce dit-on, parce qu’encore que le bruit public ait donné à un même auteur l’Histoire amoureuse des Gaules, et les Amours du Palais-Royal ; cet auteur n’a point reconnu pour sien ce dernier ouvrage ; il a même nié juridiquement qu’il l’eût composé : car c’est de ce livre que l’on doit entendre ce qu’il écrivit en ces termes à M. de Saint-Aignan. Mes ennemis, me voyant à la Bastille, crurent que la prison me mettait hors d’état de me défendre, et qu’ils pouvaient impunément m’accuser : ils dirent donc au roi que j’avais écrit contre lui ; mais Sa Majesté, qui ne condamne jamais personne sans l’entendre, les surprit fort en m’envoyant interroger par le lieutenant criminel [31]... Après qu’il m’eut fait connaître l’histoire écrite de ma main, je veux dire l’original dont je vous viens de parler, il me demanda si je n’avais rien écrit contre le roi. Je lui repondis qu’il me surprenait fort, de faire une telle question à un homme comme moi. Il me dit qu’il avait ordre de me le demander. Je répondis donc que non, et qu’il n’y avait pas trop d’apparence qu’ayant servi vingt-sept ans, sans avoir eu aucune grâce, étant depuis douze ans mestre de camp général de la cavalerie légère, et attendant tous les jours quelque récompense de Sa Majesté, je voulusse lui manquer de respect : que pour détruire ce vraisemblable-là il fallait ou de mon écriture, ou des témoins irréprochables : que si l’on me produisait l’un ou l’autre en la moindre chose qui choquât le respect que je devais au roi, et à toute la famille royale, je me soumettais à perdre la vie ; mais que je suppliais aussi Sa Majesté d’ordonner le même châtiment contre ceux qui m’accuseraient sans me pouvoir convaincre [32] ..... Depuis ce temps-là n’ayant vu ni le lieutenant criminel, ni aucun autre juge, j’ai bien cru qu’une si noire et si ridicule calomnie n’avait fait aucune impression dans un esprit aussi clairvoyant et aussi difficile à surprendre que celui du roi [33]. Ce qu’il dit ailleurs de feu madame est une preuve que les principales têtes de la cour ne le crurent pas coupable sur le second chef d’accusation. La mort de madame Henriette d’Angleterre, dit-il [34], fut un nouveau malheur pour moi. Elle m’avait rendu plusieurs bons offices auprès de Sa Majesté, et j’en espérais d’autres d’elle. Car, outre qu’elle avait joint à beaucoup d’esprit des manières qui la faisaient aimer et respecter de tout le monde, elle était née généreuse et bienfaisante. Admirons ici l’indocilité du public ; il s’obstine à croire que ces deux ouvrages sont du comte de Bussy ; rien ne l’en saurait faire démordre, ni les passages qu’on vient de citer, ni la différence qui se trouve entre ces deux pièces, et qui est sensible aux fins connaisseurs ; car il a bien plus d’art et plus de génie dans la première que dans la seconde : on ne voit pas dans celle-ci les pensées de Pétrone comme dans l’autre. Le Journaliste de la Société royale n’a pas ignoré ces imitations de Pétrone. Voici ce que nous lisons dans la traduction latine de son Journal du mois d’août 1669. Non ita pridem amorosam Byssi Galliarum Historiam cum Petronio Arbitro, ex quo illum duas ejus epistolas sumpsisse mihi dicebatur, conferens, inter alias amoris blanditias, librum percurrens id inveni, quod mihi non parùm de hoc limacum subjecto satisfecit, nimirùm quòd eadem animalia, sicut et alia naturæ miranda, ut truffi et fungi, sicut et procul dubio cossi, vel magni quercuum vermes, aliæ romanæ deliciæ, ab antiquis veneri incitandæ usurparentur : hic enim legere licet, quo pacto miser et debilis amator se præparat cochlearum cervicium munimento [35]. Je ne sais pourquoi ce comte fit couler dans son Histoire une raillerie très-maligne contre M. Ménage, qui s’en vengea vigoureusement par six vers latins aussi choquans qu’on en puisse faire [36]. Au reste, je crois très-faux ce que dit Patin dans sa lettre du 28 de décembre 1665 [37], Monsieur de Bussy Rabutin, par commandement du roi, s’est défait de sa charge ; et de la Bastille, où il était, il a été conduit dans les petites maisons où on met les fous, et il y a deux chambres [38]. M. de Bussy raconte que sur le rapport du premier médecin et du premier chirurgien du roi, on le mit en liberté pour se faire traiter dans Paris [39]. Cela est plus croyable. Le regret qu’il témoigna d’avoir composé l’Histoire amoureuse lui servit d’éloge dans la Harangue de l’académicien qui lui succéda. Ce fut M. l’abbé Bignon. Il entra dans ses louanges délicatement, et fit sentir que si l’ouvrage qui avait causé tous ses malheurs avait mérité la censure de tous les gens sages, on ne pouvait au moins donner assez de louanges au repentir qu’il avait marqué de l’avoir fait [40].

(E)..... il s’appliqua à des choses bien plus dignes de son bel esprit et de sa charmante plume. ] Il courut un bruit dans le monde, qu’il travaillait à une Histoire de France. On dit après cela qu’il se bornait seulement à l’Histoire de Louis XIV. Mais l’événement a fait voir que le premier bruit était faux, et que le second n’était pas trop bien fondé : car si ce comte eût travaillé tout de bon à l’Histoire de Louis XIV, on eût vu sur ce sujet un meilleur ouvrage que celui qui a paru l’an 1700, et dont on peut voir un extrait dans les Nouvelles de la République des Lettres [41]. La lecture de cet extrait ne permet pas de douter que cet ouvrage de M. de Rabutin n’ait été écrit avec la dernière négligence. Il y travaillait sans doute lorsqu’il était las de quelque autre occupation, et ïl ne se souciait guère d’être bien instruit des choses qu’il écrivait, ou d’attendre que les premières nouvelles de son village fussent confirmées. Il les couchait sur le papier à la hâte, et ne prenait point la peine de les corriger dans la suite. On ne peut donner une raison qui lui soit moins désavantageuse de ce qu’il dit du passage de la Boine. Tout le monde sait que le roi Jacques quitta ce poste, et s’en retourna en France peu de jours après, et que le roi Guillaume passa très-heureusement cette rivière, et fit ensuite toutes les démarches d’un vainqueur. Cependant M. de Bussy assure [42] que le comte de Lauzun, qui commandait les troupes de France, gagna la bataille de la Boine [* 3]. S’il avait parlé ainsi par flatterie et contre sa conscience, il serait plus digne de blâme : c’est donc expliquer la chose selon le sens le moins rigoureux, que de dire qu’il fut trompé par quelques bruits de village, et que faisant peu de cas de ce travail, il ne se mit point en peine si cet endroit-là allait bien ou non.

Si l’on avait dit que, dans sa disgrâce, il s’occupa d’un grand commerce de lettres, et de la composition des mémoires de sa vie, on aurait parlé plus juste ; car les ouvrages qui ont été publiés après sa mort font voir que c’avait été sa principale occupation. Il faut joindre à cela le soin qu’il prit de faire servir sa propre histoire à l’instruction de ses enfans. Son Traité de l’Usage des Adversités [43] est une preuve qu’il se proposait ce but. C’est un petit livre rempli de bonne morale et de religion. Ses Mémoires, en deux volumes, publiés l’an 1697, sont curieux et bien écrits. Ses Lettres, imprimées en quatre volumes la même année, méritent le même éloge. Elles auraient plu davantage, si, pour de bonnes considérations, l’on n’en eût pas retranché beaucoup de noms propres, et beaucoup d’endroits qui intéressaient la réputation de certaines gens. Il s’en fera peut-être quelque jour une édition qui ne sera point châtrée, ou qui contiendra une clef. Il y a plusieurs lettres qui témoignent que M. le comte de Bussy se détacha peu à peu des vanités de la terre, qu’il en comprit le néant, et qu’il se trouva enfin tout pénétré de l’importance du salut et des vérités évangéliques. Les meilleurs chrétiens qui soient au monde ne pourraient pas être plus charmés que lui de l’excellent ouvrage de M. Abadie, sur la vérité de la religion chrétienne [44]. Mais notez que sa conversion fut un peu bien lente. Il regarda long-temps derrière lui comme la femme de Loth, et il mit en œuvre tout ce que l’envie la plus obstinée de se rembarquer dans le grand monde peut inspirer à un ambitieux qui ne saurait vivre content hors de la cour. Le mauvais succès de ses prières l’accablait et le chagrinait cruellement, et ne le rebutait pas d’en préparer d’autres à chaque rencontre. Nous savons cela par les écrits que ses héritiers ont publiés. S’ils en eussent retranché ces monumens de son impatience, ils eussent mis sa mémoire à couvert de la censure de certaines gens qui ne sauraient pardonner à un brave homme le peu de courage qu’il a par rapport à la privation de ses emplois. Il ne suffit pas, disent-ils, d’être courageux un jour de bataille, il faut avoir aussi de la fermeté dans la perte de ses biens. Ils voudraient que M. de Rabutin eût pris pour modèle ces braves de l’ancienne Rome qui n’opposaient que le mépris et l’indifférence à un arrêt de bannissement ; et ils trouvent bien étrange qu’ayant été disgracié comme Ovide pour quelques traités d’amour, il ait voulu imiter aussi la conduite de ce poëte dans sa disgrâce. Personne n’ignore les complaintes redoublées qu’Ovide envoyait à Rome pour faire en sorte qu’on le rappelât. Ce nombre infini de poésies pleines de supplications et d’humbles gémissemens font plus d’honneur à son esprit qu’à sa vertu et qu’à son courage. Mais ceux qui censurent de la sorte M. le comte de Bussy ont-ils goûté de la vie de la cour ? savent-ils les habitudes et les maladies que l’on y contracte ? S’ils les savaient, ils seraient peut-être plus indulgens à son égard. Quoi qu’il en soit, il se résigna enfin à la providence de Dieu. Lisez ce qu’il écrivit le 26 de janvier 1680 [45]. « Pour les maux que cette providence m’a faits en ruinant ma fortune, j’ai été long-temps sans vouloir croire que ce fût pour mon bien, comme me le disaient mes directeurs. Mais enfin j’en suis persuadé depuis trois ans ; je ne dis pas seulement pour mon bien en l’autre monde, mais encore pour mon repos en celui-ci. Dieu me récompense déjà en quelque façon de mes peines par ma résignation, et je dis maintenant de ce bon maître ce que dans ma folle jeunesse je disais de l’amour :

» Il paie en un moment un siècle de travaux,
» Et tous les autres biens ne valent pas ses maux [46]. »

On lui avait communiqué une semblable

pensée depuis long-temps. Voici en quels termes : « Ne vous semble-t-il pas que je me faufile avec des gens dévots autant que je puis ? C’est en vérité que je les trouve plus heureux et à la vie et à la mort, et que je voudrais bien attraper l’état où je les vois. C’est un vrai métier de malheureuse que celui de dévote ; non-seulement il console des chagrins, mais il en fait des plaisirs [47]. » Ceci confirme ce que l’on a dit dans les Pensées diverses sur les Comètes [48], et dans la remarque (R) de l’article d’Épicure.

Notez qu’encore que les ouvrages posthumes du comte de Rabutin soient beaux et bons, son Histoire amoureuse des Gaules fera plus parler de lui, en qualité d’auteur, que tout autre ouvrage qu’il ait fait. Son destin en cela est le même que le destin de Boccace [49].

Au reste, le mensonge dont j’ai parlé ci-dessus touchant le passage de la Boine me fait souvenir des Fastes du père du Londel [50]. On trouve ces paroles, sous le 11 de juillet 1690. Journée de la Boine en Irlande : Schomberg y péri à la tête des Anglais. C’est une pure filouterie, et qu’on ne peut point excuser. sur la raison que j’ai alléguée pour diminuer la faute de M. le comte de Bussy ; car cet ouvrage du père du Londel a été fait avec attention, il a été sans doute bien limé et bien retouché [* 4]. On ne rend recommandables ces sortes d’écrits que par un grand caractère d’exactitude. Ainsi on ne fera pas un jugement téméraire, si l’on affirme que l’auteur a cherché exprès des paroles équivoques afin de n’avouer pas le désavantage de son parti, et de dérober à son lecteur la connaissance de la vérité sur le succès de cette journée. Il ne s’est pas contenté de la suppression de la circonstance la plus essentielle, qui est de marquer si la victoire fut mi-partie, ou si elle se déclara entièrement pour une telle ou pour une telle nation ; il a glissé adroitement une circonstance véritable qui n’est propre qu’à faire juger que le roi Jacques eut l’honneur de la journée. Schomberg périssant à la tête des Anglais est un principe d’où cent mille lecteurs tireraient cette conséquence, donc le roi Guillaume fut repoussé. Tournez-vous de tous les côtés imaginables, vous n’imaginerez rien qui disculpe cet auteur ; la mauvaise foi, la mauvaise honte ou la crainte de déplaire, l’ont fait parler comme il a parlé. Cette faute et quelques autres de même nature [51] n’empêchent pas que son ouvrage ne soit bon, curieux, utile et commode, et d’une très-belle invention. On en fera de semblables en d’autres pays [52] ; mais de quelque secte ou de quelque nation qu’on soit, on aurait besoin de faire lire son ouvrage à quelque personne neutre qui entendit bien le métier d’un bon qualificateur ; car le préjugé de parti ne souffre pas que l’on définisse les choses exactement : on appelle bataille ce qui n’a été qu’un combat ; on nomme échec ce qui a été une perte de bataille ; on qualifié rencontre ce qui a été une journée. Le pis est que les uns appellent défaite ce que les autres appellent victoire. Les définitions de ces choses-là ne sont pas moins différentes parmi les historiens, que les définitions des dogmes parmi les controversistes [53] : et comme ce qui est orthodoxie dans une religion est une hérésie dans une autre, ce qui est une bataille gagnée dans les historiens d’une nation est une bataille perdue dans les historiens de l’autre parti. C’est un abus fort ancien, et à quoi l’on ne voit pas de remède.

(F) Les mauvais exemples enchérissent sans poids ni mesure les uns sur des autres. ] Velléius Paterculus exprime très-bien cette maxime, après avoir raconté que l’on massacra Tibérius Gracchus sans forme ni figure de procès. Ce fut là, dit-il [54], le commencement de la tuerie des bourgeois, dans la ville même de Rome ; ce fut de cette source que naquit l’impunité des massacres. Quod haud mirum est, ajoute-t-il [55], non enim ibi consistunt exempla, cœperunt ; sed quamlibet in tenuem recepta tramitem, latissimè evagandi sibi viam faciunt : et, ubi semel recto deerratum est, in præceps pervenitur : nec quisquam sibi putat turpe, quod alii fuit fructuosum. C’est-à-dire, selon la version de M. Doujat : « Et certes il ne se faut pas étonner de cela. Car les mauvais exemples ne s’arrêtent pas au point où ils ont commencé : mais quelque étroit que soit le sentier par où ils s’introduisent, dès le moment qu’ils sont reçus, ils se font une nouvelle voie pour s’étendre au long et au large, sans mesure et sans bornes. Aussi depuis qu’on s’est écarté du droit chemin, on arrive ordinairement sur le bord de quelque précipice : et personne ne s’imagine que rien lui doive être honteux, de ce qui a été avantageux à quelque autre. » On peut voir la même maxime dans une harangue de Jules César rapportée par Salluste. Il y fait voir que tous les mauvais exemples sont nés d’un bon commencement [56], c’est-à-dire que les innovations qui d’abord sont salutaires ou utiles, donnent lieu bientôt à des désordres qui ne font que croître. On peut réduire à ceci cette pensée de Juvénal : Que l’homme ne se contient jamais dans les bornes de la permission [57].

(G) Ces paroles.… peuvent servir de réponse générale à toutes les plaintes de même nature. ] Et cependant on voit peu de catholiques romains français qui ne disent qu’assurément messieurs les états ne sont point fâchés de la licence que se donnent les libraires de publier toutes sortes de satires contre ceux qui sont opposés aux intérêts du pays, les unes en plusieurs pages, les autres sur des morceaux de papier longs et étroits, toutes, disent-ils, pleines de mensonges atroces, durant la dernière guerre principalement. Voilà des coups d’état, ajoutent-ils ; on était bien aise de fomenter, l’animosité et l’espérance du peuple, afin qu’il supportât plus patiemment toutes les charges de la guerre, et que par la haine d’une autre domination il s’affectionnât à la patrie. Les Athéniens se servaient de la même politique, et si nous avions tout ce qu’ils disaient et publiaient contre les Perses et les Macédoniens, nous verrions que les magistrats prêtaient la main à cela, afin d’inspirer plus de zèle pour la conservation d’au gouvernement qui, outre les jeux publics, et tant d’autres choses agréables à la multitude, procurait la joie de composer et de lire une infinité de libelles contre l’ennemi. C’était de plus un bon moyen de purger les satiriques en dissipant les humeurs peccantes qui eussent pu causer des fluxions sur les parties intérieures ; car si on les eût gênés à l’égard des étrangers, ils eussent vomi leur fiel sur leurs propres maîtres. C’est ce que disent ces Français, sans oublier que leur nation s’était maintenue pure et nette de cette licence, et que c’était l’un de ses plus beaux triomphes. Mais on leur fait entendre raison sur tous ces mystères de politique dont ils parlent, qui ne sont que des idées. On leur montre qu’il se faut arrêter à la simple constitution des états libres, où il est essentiel que chaque habitant soit à couvert de la rigoureuse perquisition qui s’exerce dans les monarchies. Quoi qu’il en soit, citons un auteur qui a fait des plaintes. « [58] L’on imprime en Hollande, depuis quelques années, quantité de libelles contre la France ; il y a des histoires satiriques contre les personnes les plus illustres de la cour. Il serait à propos que quelques-uns de nos auteurs détrompassent en général le public là-dessus, et fissent connaître que ces sortes d’histoires sont supposées. Ce sont de misérables auteurs qui les composent, pour tirer quelque argent d’un avide imprimeur, et écrivent tout ce qui vient au bout de leur plume. Comment ces gens-là pourraient-ils avoir su toutes les particularités secrètes qu’ils rapportent ? Qui leur a donné les lettres qu’ils ont l’effronterie de faire imprimer comme véritables ? À peine les gens qui savent le mieux la carte de la cour, et qui y sont depuis plusieurs années, pourraient-ils rapporter tous ces détails. Quelle apparence qu’un pauvre écrivain logé dans un galetas, sans autre commerce que celui qu’il a avec un libraire affamé d’argent, fût si bien instruit de ces sortes d’aventures, si elles étaient véritables ? Feu monsieur de Mézeray, dont l’Histoire de France est avec raison tant estimée, ne pouvait souffrir ces sortes d’histoires et de nouvelles ; il voulait ou tout vrai, ou tout faux [59] : le mélange de l’un et de l’autre lui paraissait monstrueux, et même de dangereuse conséquence pour l’avenir : en effet, que sait-on si, dans deux ou trois cents ans, ceux qui écriront l’histoire de notre temps ne prendront pas ces livres satiriques pour des mémoires originaux et authentiques, faits par des auteurs contemporains, et auxquels on doit ajouter foi [60] ? Comme on ne peut exterminer ces pestes de l’histoire, du moins faut-il en avertir ceux qui viendront après nous, afin qu’ils n°y soient pas trompés. »

Il faut avouer qu’il y a de très-bonnes choses dans ce passage, et que l’auteur a raison de dire qu’il serait bien à propos que l’on réfutât ce qui se pourrait réfuter ; car que voulez-vous que jugent nos descendans, lorsqu’ils liront tant de choses qui auront couru sans l’opposition de personne ? Pourront-ils s’empêcher de croire qu’elles étaient véritables ? Ne diront-ils pas que si elles ne l’avaient pas été, on les aurait réfutées pour l’honneur de ceux qu’elles flétrissaient ? Combien y a-t-il de gens aujourd’hui que les satires du seizième siècle détiennent dans illusion ? Celles de notre temps ne seront pas moins actives dans les siècles à venir ; et il ne faut s’imaginer, sous prétexte qu’elles disparaissent dans les boutiques des libraires au bout de deux ou trois mois, qu’elles n’auront pas une longue vie. Elles se conserveront dans les plus fameuses bibliothéques, où l’on a eu soin de les recueillir. Je ne prétends pas qu’on soit obligé de réfuter tous les libelles ; ce travail serait infini, et souvent très-superflu. Il suffirait de réfuter ce qui a un peu le caractère d’histoire, et de donner des principes généraux sur les moyens de discerner la vérité, et de se précautionner contre la hardiesse des satiriques. Il faudrait par exemple qu’une personne de poids et bien instruite critiquât le livre qui s’intitule Annales de la Cour et de Paris, pour les années 1697 et 1698 [61]. Si l’on convainquait de fausseté seulement cinq ou six faits des plus notables, tout le reste tomberait, et surtout en cas que l’on avertit les lecteurs que pour croire raisonnablement ce que ces sortes d’écrivains avancent, il faudrait qu’on vît dans leurs relations un tel et un tel amas de caractères, sans quoi l’on doit supposer que leurs contes ne sont qu’un recueil des entretiens des auberges, et des tabagies, et des cafés. Ces lieux-là sont les étapes et les magasins des fausses nouvelles, et ne sauraient être mieux comparés qu’avec la Mythologie de Natalis Gomes. Un ouvrage tel que la réfutation dont je parle servirait de préservatif d’ici cent ans, et serait d’une grande force entre les mains de ceux qui travailleraient à la recherche des vérités historiques.

L’auteur que j’ai cité oublie une réflexion nécessaire. Il devait se plaindre de la France presque autant que de la Hollande ; car c’est en France principalement que se débitent les écrits dont il se plaint. Si les Français n’en lisaient aucun, et n’en achetaient aucun, les libraires ne les imprimeraient pas ; et ainsi l’avidité des Français contribue autant que toute autre chose à la production des libelles. Les menteurs et les crédules se nourrissent réciproquement, ils vivent sur la bourse les uns des autres.

(H) Les jurisconsultes qui ont fait tant de livres sur cette question. ] M. Furetière en a cité quatre ou cinq dans l’un de ses factums. C’est dans l’endroit où il veut prouver que son écrit contre quelques académiciens ne méritait pas d’être traité de libelle par la sentence du Châtelet. J’ai fait chercher inutilement le livre que Gabriel Naudé intitula le Marfore, ou Discours contre les Libelles. Il fut imprimé à Paris, chez Louis Boulenger, in-8o., je ne sais en quelle année [* 5]. Léon d’Allazzi en fait mention dans un ouvrage [62] qu’il publia l’an 1633. M. Baillet [63] cite un livre que je voudrais bien avoir lu, c’est le Bouclier céleste de Jean-Baptiste Nocette, Génois, contre les libelles diffamatoires. L’abbé Michel Justiniani [64] en met la première édition à Paris, l’an 1653, in-4°., et la deuxième, à Lyon, 1664, in-12 : l’ouvrage est en italien. Le continuateur d’Alegambe [65] n’a parlé que d’une édition ; il la met à Paris 1655. Voyez la note [66].

  1. (*) Jacques Hurault, des Offices d’État, folio 110.
  2. (*) J. Cæs. de Bello civil., lib. III, pag. m. 284.
  3. (*) M. de Bussy, pag. 125, tom. III de ses Nouvelles Lettres : imprimées en 1709, et pag. 232, tom. V de l’édition de 1711, a pourtant avoué que le roi Guillaume avait gagné cette bataille. C’est dans la lettre qu’il écrivit de Bussy, le 17 d’août 1690, à M. l’abbé de Choisy, à qui il parle en ces termes : « La gazette nous assure que le prince d’Orange n’est pas mort : En ce cas-là, cet usurpateur est bien glorieux d’avoir gagné une bataille, d’y avoir été blessé, et d’avoir connu par la joie extraordinaire qu’on a témoignée du bruit de sa mort, combien on appréhendait sa vie. » Et pag. 135 de la première de ces deux éditions, il y a une lettre du même abbé, datée de Paris, le 23 d’août 1690, où il dit à monsieur le comte de Bussy : « Voici quatre vers qu’on a faits sur monsieur le prince d’Orange :

     » Qu’il soit mort, ou qu’il soit en vie,
     » Il est toujours digne d’envie :
     » S’il est mort, il est glorieux ;
     » S’il est vivant, il est heureux. »
    Rem. crit.

  4. * Le père d’Avrigny, cité par Joly (tom. II, pag. 720), convient que l’expression de Londel n’est pas bien nette, et qu’elle donne même à penser que les Anglais furent défaits au passage de la Boine ; mais il ne croit pas qu’il y ait affectation de la part de l’auteur, qui a parlé trop nettement d’un grand nombre d’échecs de la France. Il faut bien cependant que le père Londel ait eu quelque raison pour s’exprimer ainsi.
  5. * Guib dit que ce fut en 1620.
  1. Il a pour titre, Parallèles de trois Lettres Pastorales de M. Jurieu, touchant l’accomplissement des prophéties.
  2. À la page 14 : il cite la pastorale du mois de janvier 1695.
  3. D’Aubigné, Confession catholique de Sancy, liv. II, cap. VI, pag. m. 413, 414.
  4. D’Aubigné, Histoire Universelle, tom. III, liv. III, chap. VI, pag. 322.
  5. Histoire des choses mémorables avenues en France depuis l’an 1547 jusques au commencement de l’an 1597, pag. 720.
  6. Pierre Matthieu, Hist. de Louis XI, liv. III, pag. m. 144.
  7. Là même.
  8. Voyez l’article Agésilaus II, citations (b), (c).
  9. Titus Livius, lib. XXIII, pag. m. 355. Il rapporte tout le discours du consul aux députés de la Campanie.
  10. Plut., in Niciâ, sub finem, pag. m. 542.
  11. Δόξας λογοποιὸς εἶναι, καὶ ταράττειν τὴν πόλιν ; εἰς τὸν τροχὸν καταδεθεὶς ἐςρεϐλοῦτο πολὺν χρόνον ; ἕως ἐπῆλθον οἱ τὸ πᾶν κακὸν, ὡς εἶχεν, ἀπαγγέλλοντες. Pro mendace et civitatis turbatore in rotam deligatus et diù tortus est, donec advenerunt qui totam cladem ordine annuntiârunt. Idem, ibid.
  12. Plut., de Rep. gerendâ, pag. 799, F. Il en parle aussi dans la Vie de Demétrius, pag. 893, 894, et il lui fait répondre, Εἶτα τί πεπόνθατε δεινὸν, εἰ δύο ἡμέρας ἡδέως γεγόνατε ? Quid tandem injuriæ accepistis si duos dies transegistis per lætitiam ? Cette bataille perdue est celle d’Amorgos. M. de Tourreil a très bien paraphrasé ces paroles de Plutarque : Pourquoi vous plaindre de moi ? répond Stratoclès ; me ferez-vous un crime d’avoir, en dépit de la fortune, sur deux jours entiers vous donner les plaisirs de la victoire, et par son artifice dérober tout ce temps à votre douleur ? C’est dans ses notes sur la IIe. Olynthienne de Démosthène, l’une des Harangues qu’il a traduites en français le plus noblement possible.
  13. Quintil., Institut. Orat., lib. VI, cap. II, pag. m. 294.
  14. Titus Livius, lib. XXXVII, p. m. 708.
  15. ... Dolus an virtus quis in hoste requirat ?
    Virgil., Æn., lib. II, vers. 390.

  16. Arma anserina, sive Armatura epistolaris à doctore militari Tacito subministrata, et in Dissertatione Politicâ diductâ à G. C. W. p. 19.
  17. Michaël Hertzius, Bibliotheca Germanica, sive Notitia Scriptorum Rerum Germanicarum, parte II, sub fin.
  18. On estime que désormais le secours sera superflu, si le siége est levé, ainsi qu’on en fait courir le bruit. Jérôme Négro, Lettre à Marc Antoine Micheli, écrite de Rome le 10 de décembre 1522, folio 86 des Épîtres des Princes, recueillies par Ruscelli, et traduites par Belleforest.
  19. Voyez les mêmes Lettres, folio 88 : elle est pleine des illusions qu’on se fait sur ce qu’on souhaite.
  20. Matthæus Boreus, parte III, epist. XXI.
  21. Mors regis Hispaniæ, Galliæ, et Ducis, Albani nunciata nobis sub idem tempus. Vera fama sit in uno saltem ex triade illâ. Lipsius, Epist. IV, ad Theodorum Leeuwium, pag. 9, edit. Lugd. Bat., 1649. Elle est datée du 1er. de décembre 1580.
  22. Vigneul-Marville, Mélanges d’Hist., tom. II, pag. 198, édit. de Hollande.
  23. Terentius, in Prologo Andriæ.
  24. Patin, Lettre DIII, p. 479 du IIIe. tome.
  25. Le même, Lettre CCCLVI, pag. 61 du même volume.
  26. Patin, Lettre XL, 173, 174 du Ier. tome. Elle est datée de Paris 7 de juin 1650.
  27. Politianus, in Prologo in Plauti Menæchmos, ad calcem, epist. XV, lib. VII, folio m. 165 verso.
  28. Lettres historiques, mois de septembre 1696, pag. 251.
  29. Un petit écrit de Dorschéus, professeur en théologie à Strasbourg, intitulé Latrocinium Famæ Theologorum, contient quelques exemples de ceci. On y en pourrait ajouter bien d’autres.
  30. Épître à Tite, cap. III, vers. 10.
  31. Le comte de Bussy Rabutin, Usage des Adversités, pag. 273, édition de Hollande.
  32. Là même, pag. 272.
  33. Là même, pag. 274.
  34. Là même, pag. 292.
  35. Acta Philosophica mensis Augusti, 1669, pag. 847, edit. Lips. 1675.
  36. Voyez ci-dessus citation (3) de l’article Ménage, tom. X, pag. 401.
  37. C’est la CCCLXXXVIIIe.
  38. Patin, tom. III, pag. 153. Il avait dit dans sa lettre CCCLIVe : L’on a mis aujourd’hui (ce 18 avril 1665 ) dans la Bastille monsieur de Bussy Rabutin, qui a écrit un libelle qui offense les puissances. Monsieur le Prince s’en est plaint au roi, qui l’a fait arrêter, et lui a donné un pourpoint de pierre dans la rue Saint-Antoine.
  39. Bussy, Usage des Adversités, pag. 281.
  40. Mercure Galant du mois de juin 1693. Le comte de Bussy mourut d’une apoplexie à Autun, le 9 d’avril 1693. Monsieur l’abbé Bignon fut reçu à sa place dans l’Académie française au mois de juin suivant.
  41. Mois de février 1700, pag. 162 et suiv.
  42. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, février 1700, pag. 168.
  43. Il fut imprimé l’an 1694, et il a été réimprimé avec les Mémoires de l’auteur, l’an 1697.
  44. Voyez le IIe. tome de ses Lettres, pag. 44, 128, 131, 135, 138, 142, édition de Hollande.
  45. Bussy Rabutin, Lettre CXXXV de la IIe. partie, pag. 328 de l’édition de Hollande.
  46. Voyez les Réflexions de M. de Saint-Évremond sur la religion, au IIe. tome de ses Œuvres mêlées, pag. 125 de l’édition de Hollande, 1693. Vous y trouverez ces paroles : religion chrétienne fait jouir des maux, et on peut dire sérieusement sur elle ce que l’on a dit galamment sur l’amour :

    Tous les autres plaisirs ne valent pas ses peines.

  47. Lettres de Bussy Rabutin, IIIe. partie, Lettre CC (datée du 14 d’avril 1672), pag. 361.
  48. Il n’y a point de douceurs dans le péché qui égalent les douceurs dont une âme dévote jouit dès cette vie. Pensées diverses sur les Comètes, pag. 570.
  49. Voyez ci-dessus la remarque (I) de l’art. Boccace, tom. III, pag. 492.
  50. Il en est parlé dans les Nouvelles de la République des Lettres, février, 1699, p. 223.
  51. Comme, par exemple, lorsqu’il dit sous le 11 d’août 1657, Déroute de Consarbruck, sans marquer qui furent ceux qu’on mit en déroute.
  52. On l’a déjà fait en Brandebourg.
  53. Conférez avec ceci les Nouvelles de la République des Lettres, 1686, pag. 277, 309, et suiv., 354, 645, 960.
  54. Vell. Paterculus, lib. II, cap. III.
  55. Idem, ibid.
  56. Omnia mala exempla ex bonis initiis orta sunt. Sallust., in Bello Catilin., p. m. 146.
  57. Nemo satis credu tantùm delinquere, quantùm
    Permittas : adeò indulgent sibi latiùs ipsi.

    Juvenal. Satir. XIV, vers. 233.

  58. Diversités curieuses, dixième partie, pag. 173, 174, édit. de Hollande, 1699.
  59. Conférez avec ceci la rem. (C) de l’article Nidhard, tom. XI, pag. 152.
  60. Conférez avec ceci ce qu’on a dit ci-dessus rem. (A) de cette Dissertation.
  61. Imprimé l’an 1701.
  62. Intitulé Apes urbanæ.
  63. Baillet, Jugem. des Savans, sur les Préjugés des libelles diffamatoires, etc., IIe. part., chap. VIII.
  64. Gli Scrittori Liguri descritti, pag. 337, 338.
  65. Nathan. Sotuel., Biblioth. Script, societ. Jesu, pag. 415.
  66. Les auteurs cités par Furetière, pag. 12 du IIIe. factum, sont Franciscus Balduinus, à Paris, 1562 ; Fredericus Banvinus ; Aurelius de Vergeriis, imprimé l’an 1564, in-8°. ; Johan. Conradus Rokembach, à Strasbourg, 1660, in-4°. ; et Henricus Bocerus, à Thubinge, 1611, in-8°. Je crois que son Fredericus Banvinus est un auteur chimérique formé peu à peu de Franciscus Balduinus, par des fautes d’impression, et à cause de quelque abréviation du prénom. La manière dont on marque dans Draudius, pag. m. 782, le livre de ce Banvinus, convient parfaitement à l’ouvrage de Balduinus.

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